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166 I RLC Numéro 40 I Juillet - Septembre 2014
l’exploitation, la Commission néglige une justification économique
importante à la présence d’aides au fonctionnement et présente
une vision tronquée du calcul coût-bénéfice de l’aide publique en
question.
RLC: La période transitoire de 10ans concernant les aides au
fonctionnement n’est-elle pas le signe d’une certaine compré-
hension et indulgence de la Commission?
T. L. : Indulgence, oui, dans la mesure où la Commission euro-
péenne tient compte du contexte et de la réalité du marché et
laisse aux aéroports une période suffisamment longue pour
s’adapter.
Cette indulgence doit toutefois être relativisée.
D’abord parce que pendant cette période transitoire le droit des
aides d’État continuera bien évidemment à s’appliquer et qu’à ce
titre la compatibilité des aides aux aéroports restera soumise à la
satisfaction des critères définis par la Commission européenne
dans ses nouvelles lignes directrices.
Surtout parce qu’à l’issue de cette période transitoire, les aéroports
ne devraient plus pouvoir bénéficier d’aides au fonctionnement.
En d’autres termes, cette période transitoire pourrait également
être perçue comme le dernier test ou la dernière chance laissée à
un certain nombre d’aéroports: si à l’issue de cette période transi-
toire, un aéroport ne peut pas faire face à ses coûts d’exploitation,
alors, sauf exception, il risque de devoir fermer.
On retrouve ici la logique de nécessaire rentabilité économique
de l’aéroport.
O.S.: Je partage ce constat d’une fausse indulgence. Si l’on re-
garde les modalités de cette période de transition, on s’aperçoit
que les exigences pesant sur ces aéroports sont en fait très fortes.
L’autorisation est en effet temporaire (pour 10ans) et partielle. Au
cours de la période temporaire, les aides devront en effet être limi-
tées à la moitié de ce qu’elles auraient été si la situation de l’aéro-
port restait la même. Le fait de limiter les aides à seulement 50%
du montant actuel du déficit représente une contrainte de déve-
loppement extrêmement forte, et pour beaucoup d’aéroports peu
crédible. Si l’on prend le cas des aéroports français dont le trafic
était compris entre200000 et1000000 de passagers en 2011 et
qui bénéficiaient d’aides, on peut montrer que même une hausse
annuelle de trafic de 3% sur toute la période transitoire, qui gé-
nère une amélioration continue de la profitabilité, ne suffirait pas
dans deux tiers des cas pour remplir le critère exigé par la Commis-
sion européenne. Il ne s’agit donc pas de valider, même temporai-
rement, le modèle d’aéroports régionaux structurellement défici-
taires, mais de considérer que tous les aéroports ont vocation soit
à devenir de moyens/grands aéroports rentables, soit à disparaître.
RLC: Le critère d’affectation de la concurrence est-il correc-
tement pris en compte selon vous dans ces nouvelles lignes
directrices?
T.L.: Ce critère de distorsion de la concurrence et d’altération des
échanges est entendu de manière relativement stricte par la Com-
mission européenne dans ses nouvelles lignes directrices.
La Commission européenne ne se limite pas notamment à une
concurrence entre aéroports aux yeux des passagers. La concur-
rence entre aéroports est aussi une concurrence à l’égard des
compagnies aériennes et de ce point de vue-là, il y a fort à parier
que la majorité, voire la totalité, des aéroports est en concurrence
avec un ou plusieurs autres (notamment par rapport au niveau de
redevances pratiqué qui fait partie des critères conditionnant la
venue des compagnies).
Dans sa conception extensive de la concurrence, la Commission
considère que les aéroports sont également en concurrence sur
le marché de la gestion des infrastructures aéroportuaires et que
des aides versées aux aéroports peuvent fausser la concurrence
sur les marchés du transport aérien ou avoir une incidence sur la
concurrence intermodale.
Plus généralement et au-delà des aides d’État dans le secteur
aéroportuaire, la Commission européenne considère très sou-
vent que ce critère de distorsion de la concurrence et d’altération
des échanges –critère nécessaire à la qualification d’une mesure
d’aide d’État– est rempli.
D’un point de vue juridique, mieux vaut, afin de tenter de démon-
trer l’absence d’aide d’État, essayer de prouver l’absence d’avan-
tage au travers de la satisfaction du test de l’investisseur privé en
économie de marché. La satisfaction de ce test est évidemment
soumise à de strictes conditions (les critères d’applications étant
d’ailleurs précisés dans ces nouvelles lignes directrices), mais est
moins rarement rejetée que l’absence de distorsion de la concur-
rence et d’altération des échanges.
En exigeant des aéroports qu’ils
soient rentables au seul niveau
de l’exploitation, la Commission
néglige une justification économique
importante à la présence d’aides au
fonctionnement.
O.S.: Cette position très formaliste sur l’atteinte à la concurrence
ne semble pas suffisamment étayée par une analyse de la concur-
rence effective. Lorsqu’on regarde chacune des concurrences évo-
quées (entre compagnies, entre aéroports, entre territoires), les
atteintes sont loin d’être évidentes et systématiques.
Au niveau des compagnies, les aides données par les aéroports
via des aides publiques ne sont pas discriminatoires, puisque les
aéroports sont le plus souvent très ouverts à l’arrivée d’autres
compagnies.
Au niveau des aéroports, la distorsion de concurrence redoutée
par la Commission européenne dépend de la substituabilité des
aéroports aux yeux des compagnies aériennes. Or, dans la plupart
des cas, la substituabilité d’un aéroport à l’autre pour exploiter un
même bassin de consommateurs est très limitée. En pratique, il est
rare qu’un aéroport aidé se situe dans la même zone de chalandise
qu’un aéroport voisin. Le temps de déplacement entre deux aéro-
ports «voisins» se révèle bien souvent un facteur bloquant pour
mettre en concurrence les aéroports. Pourtant, la Commission ne
considère pas que l’absence de chevauchement entre zones de
chalandise suffise à écarter tout problème.
Cette position pourrait être justifiée par la crainte d’une atteinte
à la concurrence entre territoires au niveau européen, mais tout
dépend alors du rapport entre les effets de substitution (d’un
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