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Voici un autre type de composition, panneau contemporain de
Maria Keil, formé de treize carreaux différents dont le point
commun est la division par la diagonale et l’emploi de trois
couleurs.
Les carreaux se positionnent par type sur la trame.
La composition des panneaux guratifs obéit moins à la logique
du carré :
– simple jeu de symétrie dans cette composition de grotesques…
ou dans cette autre ;
– application des règles classiques de la peinture dans ce
panneau d’Antonio de Oliveira Bernardès : perspective avec
ligne d’horizon et lignes de fuite, groupement des personnages
en triangle ou en bandes rectangulaires, effets de volume en
nuances de tons, du clair au foncé.
Les couleurs de l’azulejo
L’azulejo se présente comme une surface colorée mais, contrai-
rement à la peinture, son support blanc apparaît le plus souvent :
la lumière vient du fond du matériau.
Les couleurs, oxydes métalliques stables, sont en nombre limité.
Voici les plus souvent utilisés ; le manganèse dilué est de couleur
violette.
La couleur, associée au dessin, permet de créer un espace en
trois dimensions :
– un objet dessiné sur fond de couleur unie paraît proche de
nous : ici la ferronnerie et le chien qui se cache derrière, bien
calé dans l’espace ;
– dans ce panneau guratif, les personnages aux tons sombres
s’imposent au premier plan ; par l’effet de l’atmosphère, le
fond clair est éloigné ;
– un effet saisissant de relief et d’illusion dans un panneau
d’alicatado du palais royal de Sintra : un carré vert associé
à un losange blanc et à un losange bleu paraissent en série
former un escalier ascendant. On peut y voir aussi un escalier
descendant. Retrouvez-vous ces reliefs ? Vous imaginerez sans
doute d’autres motifs…
– des reliefs en pointe de diamant, thème du x v i e siècle… repris
au x x e.
Certaines époques ont privilégié l’emploi de couleurs détermi-
nées : en voici un tableau simplié. Le xvie siècle mais aussi le
xixe et le x x e travaillent toutes les couleurs disponibles.
Le rapport à l’architecture
Les azulejos apportent un complément, parfois une contradiction
à l’architecture : ils modient la perception que nous recevrions
face à des murs nus ; ils introduisent des couleurs, des rythmes
obliques, des reliefs imaginaires.
Par le jeu de patrons de différentes tailles, ils paraissent modier
les proportions d’une salle, par des effets de rapprochement ou
d’éloignement.
Ils peuvent noyer dans la couleur les éléments d’architecture ou
bien au contraire souligner les structures : les arcades couvertes
de faïence s’afrment en opposition aux murs et à la coupole,
peints en blanc, rejetés dans l’inni.
L’espace est rendu plus chaud, plus intime, plus actif : sensibilité
de peintre plus que d’architecte.
La façon de construire s’en trouve inuencée : l’architecture
se fait la plus humble possible, laissant le soin à l’azulejo
d’organiser les volumes par de fausses constructions peintes,
des bordures de frises ou d’encadrement.
À partir de quatre murs et d’un plafond voûté, ils créent un en-
semble complexe, habité, fait de constructions imaginaires, qui
vont jusqu’à l’ouvrir sur le ciel.
Continuité historique
Introduit par la civilisation musulmane à partir du xi i e siècle,
l’azulejo conservera de ses origines le goût de l’abstraction et
de la géométrie qui est dans sa nature. Les artistes christianisés
d’Espagne, créateurs de l’art mudéjar en continueront la tra-
dition jusqu’au xvie siècle, introduisant peu à peu des thèmes
gothiques et Renaissance.
L’Espagne et les Flandres alimentent les palais et les églises en
azulejos.
L’Italie impose au xvie siècle la technique de la faïence. Le goût
s’oriente vers des thèmes guratifs Renaissance rythmés par
des frises aux motifs abstraits ou symboliques : ferronnerie,
grotesques, tissus ou tapis.
À partir du milieu du xvie siècle, les premiers ateliers portugais de
Lisbonne, comme celui de la famille De Matos, prolongent cette
production rafnée. Ils supplanteront peu à peu les étrangers.
À la n du xvie siècle, la production s’appauvrit mais devient
plus populaire : les artisans remplacent les artistes ; elle est
surtout religieuse, elle est fabriquée en série, abstraite, géo-
métrique, répétitive.
Deux styles aux origines anciennes dominent :
– l’échiquier ou enxaquetado ;
– le tapis polychrome, plus élaboré, d’inspiration italo-a-
mande.
Ils évoluent au xvi i e siècle vers des tapis aux trois couleurs, blanc,
bleu, jaune, variés en centaines de patrons différents.
Puis réapparaissent des motifs guratifs : anges, animaux, végé-
taux, en compositions stylisées ; des images de piété, des devants
d’autels inspirés des tapis hindous.
Combinés en de grandes surfaces avec les tapis, ils forment
à la n du xvi i e siècle des ensembles monumentaux riches en
couleurs, annonçant le style baroque.
Vers 1650, la production civile des palais reprend dans des
panneaux historiques, mythologiques, ou satiriques, les maca-
carias.
La décoration du palais Fronteira à Benca offre l’un des plus
beaux exemples d’une vision baroque du monde : temps, espace
et société ordonnés autour du Roi et de Dieu.
En même temps s’afrme l’utilisation du bleu de cobalt qui
deviendra exclusive dans la première moitié du x v i i i e siècle.
Le règne de Dom João Quinto, voit l’apogée du baroque, triomphe
d’une production abondante, parfois monumentale, gurative,
aimant le récit.
De grands maîtres s’illustrent : ils créent ateliers et écoles ; l’un des
plus importants pourrait être Antonio de Oliveira Bernardes.
Certaines églises sont complètement couvertes de faïence.
D’autres, très nombreuses, combinent azulejos bleus et bois dorés,
talha dorada, matières complémentaires et somptueuses.