STAGE ACADEMIQUE THEATRE ET DISCOURS CRITIQUE
LYCEE MARIE CURIE A VIRE
VENDREDI 11 FEVRIER 2011
Accueil : un partenariat engageant
La tenue du stage au lycée Curie, à Vire, et par Françoise Hygon, enseignante en lettres et
théâtre, a permis de mettre en valeur la qualité d’un partenariat entre l’établissement et le Préau,
Centre Dramatique Régionale de Vire. Co-dirigé par Vincent Garanger (comédien) et Pauline Sales
(comédienne et auteur), la structure multiplie les liens avec les publics, notamment adolescents :
offre de stage, animation d’options ou d’atelier (avec Aurélie Edeline et Anthony Poupard,
comédiens associés), rencontres autour des spectacles, suivi des créations, ainsi que le Festival Ado
dont l’ambition est de rendre la fréquentation du théâtre aussi usuelle que celle du cinéma.
Sans être nécessaire à un travail sur le compte-rendu critique de spectacle, un tel partenariat
ne peut qu’engager tout un chacun à vérifier et éprouver la pertinence de telles relations avec une
structure artistique (lieu d’accueil, centre de création, compagnie, comédiens faisant le
déplacement…) : écrire sur le théâtre c’est s’en rapprocher, et se rapprocher du théâtre ne peut
qu’aider à écrire sur les spectacles.
Le stage, consacré au discours critique sur le théâtre, puise sa matière dans le spectacle
Occupe-toi du bébé, mise en scène d’Olivier Werner, crée au Théâtre de la Colline1. Il fait appel
également à divers documents ― reproduits ici2 et à la grande expérience pratique acquise par la
formatrice, Mme Françoise Hygon. Le public du stage étant composé d’enseignants de lettres de
collège, lycée et d’enseignants de théâtre, la formation a émis un certain nombre de propositions, de
pistes, découvert certains outils dont on soulignera la possible adaptation à des niveaux différents.
Comme le rappellent diverses opérations ― comme le Carnet du spectateur dans le Nord Cotentin ―
la formation de l’élève spectateur ne prend son sens que dans un parcours, un suivi, une progression
sur l’année scolaire voire à l’intérieur de l’établissement sur plusieurs années.
I. Définition et cadre de l’activité.
1.1. Que se propose-t-on exactement ? Objectif du discours critique sur le théâtre : inciter les élèves
à la rencontre d’un parti pris de mise en scène, à un jugement fondé sur des attentes.
Dans le cadre du discours critique sur la représentation théâtrale, il s’agit moins d’apporter
des connaissances que de susciter chez l’élève le désir d’apprendre. Aussi à la question récurrente
« Faut-il préparer la représentation ? », la réponse est clairement positive : le meilleur moyen même
d’être surpris, c’est d’avoir nourri des attentes. Forger des attentes aboutit aussi à récuser la
perception du théâtre comme « de la littérature en costumes », voire à éviter la réduction trop
prompte du théâtre à un secteur de la littérature.
Le théâtre est avant tout de l’espace qui joue : le faire sentir, noter comment une parole et
des corps relaient et déploient un texte dans l’espace sont autant d’opérations qui invitent à ne pas
considérer la représentation comme une traduction du texte, une simple observance de ses réquisits.
S’attacher à l’espace, à ce qui sera vu et entendu, permet ainsi de lutter contre l’écueil de l’histoire
ou du rapport texte-parole : il n’y a pas de vérité du texte que la mise en scène conserve, mais un
regard libre qui s’exerce et que le théâtre interroge3.
En outre, préparer est une nécessité dès lors que tous, élèves et professeurs, savent qu’après
le spectacle, il y aura une tâche à accomplir. On s’y attachera dautant plus, qu’au-delà des
classiques, le théâtre est aussi un moyen par excellence de rencontrer la littérature contemporaine.
Préparer permet de répondre ainsi à l’état positif d’insécurité intellectuelle, pour les élèves, qui
1 Le programme élaboré par le Théâtre de la Colline, reproduit ici en annexe, permettra de se faire une idée de
la tonalité et des thèmes du spectacle.
2 Voir la bibliographie en fin de compte-rendu ainsi que les textes joints.
3 On relira lextrait dArtaud donné en annexe.
découle du spectacle : que penser ? à quel avis s’en remettre ? Il s’agit donc de trouver les moyens
de guider sans entraver la liberté du regard.
Ne s’agit-il pas avant tout de garder une trace du spectacle (et de son spectateur) ? Le
spectacle et la mise en scène sont des moments éphémères, volatiles, qui ne peuvent en dépit
même des captations vidéo ― perdurer ensuite qu’à l’état de traces, car c’est la relation du spectacle
et du spectateur un jour donné qui donne sens à la représentation théâtrale. La préparation en
amont et le compte-rendu en aval du spectacle ne sont pas la poursuite d’un sens donné, mais la
manifestation du regard individuel, la construction de sa perception et de son jugement. N’oublions
pas que le théâtre se définit essentiellement par l’assemblée théâtrale, l’accent mis sur la
communauté d’un soir, sur le rapport au public : tout spectacle pose constamment la question de sa
réception.
1.2. Enjeux et conditions de la démarche : favoriser l’expression individuelle tout en exigeant une
construction.
Si le théâtre est l’art de « faire lever les mots », il est tout autant celui de « faire lever les
élèves ». Le parti pris défendu ici est celui de toujours partir des élèves et de leurs réactions ; même
si leur avis n’est intégré qu’à la fin de l’exercice, il s’agit de leur donner des outils pour s’approprier la
réflexion. Rédiger un compte-rendu est d’abord un moment à soi : il ne faut rien dire, prescrire,
pointer, mais au contraire amener les élèves à avoir confiance en leur jugement. Jacques Copeau,
grand metteur en scène de la première moitié du 20ème siècle le rappelait avec humilité : « je ne vais
pas voir que faire de cette pièce, mais ce que cette pièce va faire de moi ». D’où l’importance du
« je », du pont de vue subjectif qui n’est pas simple étiquetage j’aime/ je n’aime pas »), mais mise
en œuvre de son expérience de spectateur, de ce qui a été traversé lors du spectacle.
L’idéal ? D’abord, voir trois ou autre pièces dans l’année pour créer des attentes entre les
différentes occasions, des surprises, des écarts, des contrastes. Si possible, voir plusieurs mises en
scène différentes de la même pièce. Le nec plus ultra pour des élèves passionnés ou des
optionnaires : assister plusieurs fois au même spectacle à partir de places différentes dans la salle,
s’enquérir de ce que les circonstances (lieu, place, date, moment, contexte…) apportent à la
représentation.
De fait, le théâtre est un art du présent, il est épidermique tant il nous touche, à fleur de
peau, et tant il est matière, corps, espace, manifestation sensible. Conseillons donc d’une part de
toujours noter les réactions à chaud, la vision de l’espace et de la scénographie, même de façon
brute, en s’interdisant de l’autre de répondre aux questions inévitables : « ça vous a plu,
madame ? ». De même, on privilégiera toujours le « pourquoi ?» au « comment ? » car il en va de
même pour l’élève qui assiste au spectacle et pour l’acteur qui répète : « pourquoi est-ce que je/il
rentre, parle ? » est une question concrète, qui met en situation, qui s’adresse ; le « comment »
supposerait que l’objectif soit déjà défini, fixé, sans nous, et que nous n’ayons qu’à en retrouver le
chemin.
Néanmoins, le spectacle répond aussi à une logique de construction, qui appelle à une
certaine distance : il faut ressentir & s’interroger. Assister à un spectacle est un exercice de
tutoiement du metteur en scène : « qu’est-ce que tu me dis quand tu dis cela ? ». Au théâtre, on
assiste (grec theatron : le lieu d’où l’on voit) à des actions (dramatique vient du grec drama, action) ;
aussi, de même qu’un acteur joue des actions et non des sentiments, il faut insister sur le primat des
actions, de ce qui se passe, et dont découlent les sentiments. D’ailleurs l’émotion n’est pas jouée au
théâtre, elle est ressentie par le spectateur ― ainsi Bernard-Marie Koltès écrivait « on ne dit jamais je
suis triste, on dit je vais faire un tour ». C’est la situation qui importe pour l’acteur comme pour le
spectateur : que penser de cette situation, de ces faits ?
A l’aune de ces éléments, il est nécessaire de préciser que le travail d’élaboration du texte
critique relève toujours de l’atelier en quelque sorte : les attentes issues de la préparation, la
réaction à chaud, les convictions qui naissent ensuite quand le spectacle décante dans l’esprit… Tout
ceci relève d’un bricolage, au sens le plus noble du terme. Aux élèves qui les interrogent sur le sens
d’un élément, d’une action (« pourquoi faire ça ? qu’est-ce que ça veut dire ? »), les comédiens
pondent souvent par une esquive « on n’en sait rien (…) et toi, qu’est-ce que tu en penses ? ».
Ce mouvement rappelle que le travail du compte-rendu consiste à établir des hypothèses, à ne pas
se demander ce que cela veut dire, mais ce que cela peut dire.
II. Le travail du compte-rendu.
2.1. La préparation.
Au préalable, il s’agit de préparer les élèves. Le texte de Michel Vinaver est éclairant ; sans
forcer quiconque à assister plusieurs fois à la même pièce, il relève que « nous avons besoin, pour
adhérer à un spectacle, d’avoir au préalable une certaine familiarité avec les éléments qui le
composent ». Si la mise en scène est un redéploiement du texte, une nouvelle lecture, une
interprétation, la préparation consiste donc principalement à proposer un contact avec le texte de
théâtre (ou le texte non théâtral dans certains cas de spectacles). Ces éléments ne font pas
disparaître le plaisir et le sens du spectacle, ils lui offrent un terrain de manœuvre : qu’est-ce qui sera
repris tel qu’on se l’imagine ? qu’est-ce qui peut varier ? Le plaisir de la musique et du théâtre, note
Michel Vinaver, c’est « le couple que forment la répétition et la variation ». Faire un compte-rendu
c’est comme refaire la pièce, voir une nouvelle fois.
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