a-t-on besoin de morale laïque - La Ligue de l`enseignement

DANS CE DOSSIER
« Il est urgent de rebâtir du commun »
La morale laïque face à l’individualisme
La morale laïque contre l’« ennemi
intérieur »
« La morale laïque sera forcément une
morale qui questionnera la société »
Cours de morale non confessionnelle :
l’expérience belge
Les enfants, naturellement philosophes
Des ateliers philo, dès la maternelle
Rédacteurs en chef du dossier :
Ariane Ioannides et Richard Robert
LES IDÉES EN MOUVEMENT LE MENSUEL DE LA LIGUE DE LENSEIGNEMENT N° 204 DÉCEMBRE 2012 9.
dOssier
A-t-on besoin de morale laïque ?
Le projet d’introduire à l’école des cours de morale laïque fait débat, c’est le moins qu’on puisse dire. Et ce débat n’est pas facile à
lire, car il brouille les lignes de clivage habituelles, notamment les frontières politiques. Le sentiment qui domine, en fin de compte,
est une certaine désorientation. C’est précisément pourquoi nous avons composé le présent dossier : non pas pour gommer la
controverse, mais pour l’éclairer.
Avant même de s’engager dans la discussion, on peut s’interroger sur la pertinence même d’un tel débat. La question se posait-elle ?
Et se posait-elle en ces termes ?
Car il ne faut pas se dissimuler que le projet ministériel fleure bon la IIIe République. Si, à la Ligue de l’enseignement en particulier, on
peut être sensible aux références à Jaurès ou à Buisson, la position des institutions par rapport à la société a beaucoup évolué entre-temps.
Un élément notamment mérite d’être mentionné. La République de Ferry était en quête de légitimité. L’école publique, en particulier, était
engagée dans une concurrence avec l’enseignement catholique et il s’agissait pour elle de ne pas laisser aux congrégations ce que les écono-
mistes nommeraient aujourd’hui un avantage comparatif. La figure de l’instituteur laïque doit beaucoup à celle du curé. Elle s’y oppose,
mais elle s’en inspire. De la même façon, la laïcité, conçue théoriquement comme une manière de se dégager des opinions religieuses, ne
s’est pas contentée de les renvoyer à l’espace privé : elle a occupé la place laissée vacante, et les instituteurs ont récité un catéchisme répu-
blicain avec une forte composante morale. Non sans raison : un enseignement dégagé de toute référence morale n’aurait jamais pu s’impo-
ser. Nous n’en sommes plus là, et c’est justement pour cela que le projet actuel fait débat : l’idée que l’école se mêle de morale est devenue
gênante. En ce sens, la laïcité a gagné la partie. Et on peut s’en féliciter !
Pourquoi alors reposer la question de la morale, et réengager la République dans une « question morale » qu’elle visait précisément
à neutraliser ? À cela il y a deux réponses, toutes deux politiques. L’une est franchement douteuse, l’autre a sa pertinence.
Ce qui est douteux, c’est de concevoir la morale laïque comme un combat culturel mené contre d’autres morales, plus précisément
celle prônée par l’islam, qui serait en passe d’envahir l’espace public et menacerait l’existence même de la République. Cette vision pro-
cède d’amalgames et d’exagérations dont l’horizon est le spectre d’une islamisation de l’Europe, évoqué par des illuminés et repris mezzo
voce par une partie du corps politique. Or la question qui se pose à notre société est bien différente : elle porte sur la dimension multi-
culturelle de la société d’aujourd’hui, sur l’émergence et l’affirmation d’identités culturelles qui sont sorties de l’invisibilité. Il ne s’agit de
nier ni les frottements, ni les dérives qui existent : les enseignants en savent quelque chose. Mais l’enjeu est aujourd’hui de trouver la
bonne formule pour accueillir les différences et pour les articuler aux règles communes. Nier ces différences ou s’y attaquer frontalement
n’a pas de sens, cela ne conduira qu’à leur radicalisation. La question morale est constamment posée, tentons d’y répondre ensemble,
aujourd’hui comme hier.
La laïcité a son mot à dire dans la définition de ce nouveau « vivre ensemble », et elle constitue même une chance historique pour
notre pays, par rapport à certains de ses voisins qui ne disposent pas de la même tradition politique. Mais c’est précisément ici qu’entre
en jeu un nouveau problème. L’extrême droite française, dont une bonne partie du corps doctrinal a été constituée contre les valeurs
de la démocratie moderne, a entrepris une métamorphose qui l’amène à s’emparer des thèmes de la République et à se draper dans
le vocabulaire de la laïcité pour mieux faire passer son message d’intolérance. Il y a là un piège, et c’est précisément contre ce piège
qu’a été pensé le projet de morale laïque. Contre ceux qui alimentent la division et le conflit, il est urgent, dit Vincent Peillon, de re-
bâtir du commun. Il a raison. On peut discuter de la pertinence de la solution proposée mais, assurément, le débat méritait d’être ou-
vert. Place à la discussion, donc !
Richard Robert
© Thierry Ardouin/Tendance Floue
.10 LES IDÉES EN MOUVEMENT LE MENSUEL DE LA LIGUE DE LENSEIGNEMENT N° 204 DÉCEMBRE 2012
dOssier
DÉBAT
« Il est urgent de rebâtir
du commun »
À la n du mois d’août, Vincent Peillon a annoncé vouloir instaurer une
« morale laïque () du plus jeune âge au lycée ». Depuis, le ministre de
l’Éducation nationale a lancé une mission 1 pour rééchir aux contours d’un
enseignement. Il répond à nos questions.
Les Idées en mouvement : Quelle
est votre dénition de la morale
laïque ?
Vincent Peillon : C’est tout
simplement celle qu’en donnait
Jaurès. La morale laïque, c’est une
morale indépendante – non pas
opposée, mais indépendante – de
toute croyance religieuse préa-
lable. Une morale qui repose sur
la raison, l’universalisme, l’huma-
nisme et qui postule que pour
« sentir et comprendre ce que
vaut d’être homme et à quoi cela
engage », il n’y a besoin de se
mettre sous l’égide d’aucun
dogme particulier. Pour trans-
mettre cette morale, ces valeurs,
ce sens de la justice, cette ré-
flexion sur le bien et le mal – con-
trairement à ce qu’affirmait le précé-
dent président de la République
les prêtres ne sont pas supérieurs
aux instituteurs. C’est la morale
de la République, la morale de la
liberté, une liberté « réglée par le
devoir » ; la morale de l’égalité qui
pose l’égale dignité de tous les ci-
toyens et garantit l’égal traitement
de tous les élèves ; la morale de la
fraternité, du respect mutuel, de
la solidarité qui compte parmi les
valeurs essentielles que l’école
doit transmettre.
En quoi la morale laïque a-t-elle
une actualité particulière en
2012 ?
Vous le savez bien : notre pays
traverse une crise de sens sans
précédent. Le débat insensé sur
l’identité nationale, la stigmatisa-
tion des uns et des autres comme
seule réponse à une forme de cris-
pation identitaire et religieuse, ont
profondément troublé nos conci-
toyens. On entend aujourd’hui
des choses effarantes dans la
bouche de certains qui prétendent
défendre la laïcité, alors qu’ils ne
cherchent en réalité qu’à alimen-
ter la division et le conflit. Ces
divisions, comme toujours, se
nourrissent de l’ignorance : de
l’ignorance de l’autre, mais aussi
et surtout, de l’ignorance de ce
qui nous unit, de ce qui fait de
nous un peuple, une nation. Il est
urgent de rebâtir du commun, par
le savoir, par la raison. Cela a tou-
jours été la mission historique de
l’école, en France plus que par-
tout ailleurs. Au moment où notre
pays doute, où notre pacte répu-
blicain se fissure, nous devons re-
nouer le fil de cette histoire. L’en-
seignement de la morale laïque y
contribuera.
Concernant son enseignement à
l’école, ne faut-il pas en faire un
des grands référentiels
interdisciplinaires commun à
tous les enseignements plutôt
qu’une discipline scique ?
La question du périmètre et
des modalités de cet enseigne-
ment est au cœur du travail que
j’ai confié à la mission sur la mo-
rale laïque. Aujourd’hui, il existe
une « instruction civique et mo-
rale » en primaire. Mais cette di-
mension morale disparaît ensuite
de l’éducation civique au collège,
et de l’ECJS (éducation civique,
juridique et sociale) au lycée : ce
n’est pas cohérent. Il faut davan-
tage de lisibilité, davantage de
progression. Je souhaite égale-
ment que cet enseignement soit
évalué, tout au long de la scola-
rité. Cela ne veut pas dire, évi-
demment, qu’il y aura des profes-
seurs de morale. Au contraire, je
suis convaincu que l’ensemble de
la communauté éducative doit
s’en saisir : la mission de former
des citoyens responsables et libres
incombe à tous ses membres.
D’autant plus que ces sujets se
prêtent particulièrement bien à la
pédagogie de projet, à l’interdisci-
plinarité. Une réflexion sur l’éga-
lité fille-garçon par exemple, a
tout à gagner à un regard croisé
entre les enseignants de plusieurs
disciplines et la vie scolaire. De
même sur la laïcité, ce sont toutes
les disciplines – et pas seulement
l’histoire – qui peuvent être con-
voquées… La morale laïque, c’est
l’affaire de tous. n
1. Alain Bergounioux, historien et
secrétaire national PS en charge de
l’éducation, Rémy Schwartz, conseiller
d’État et rapporteur général de la
commission « Stasi » sur la laïcité en
2003 et Laurence Loeffel, professeur
de philosophie à l’université Lille-III,
sont les trois membres de la mission
de réflexion sur la morale laïque. Ils
rendront leurs travaux sous forme d’un
rapport fin mars 2013.
on a l’habitude de faire remonter l’ensei-
gnement de la morale laïque à Ferry,
Buisson, Paul Bert, les pères fondateurs
de l’école républicaine, mais on pourrait aussi
citer Renouvier, Fouillée, Guyau, qui, chacun
à leur manière, s’employèrent à fournir les élé-
ments de cette morale. Morale, car il s’agit de
transmettre un certain nombre de valeurs et de
façonner des comportements. Laïque, moins
dans son contenu propre, laquelle est le fonds
commun de la morale sociale traditionnelle
(« la bonne vieille morale de nos pères », dira
Ferry), mais dans sa présentation et son arti-
culation, qui ne doit rien à l’enseignement de
l’église et à la Révélation consignée dans les
textes sacrés. À tel point qu’une des premières
querelles auxquelles elle donna lieu fut celle
des devoirs envers Dieu. Certains des républi-
cains anticléricaux (il est vrai, imprégnés de
spiritualisme déiste) voulurent inscrire dans
cette morale des « devoirs envers Dieu », fon-
dés sur une analyse purement profane. C’en
était trop pour les cléricaux, qui se voyaient
ainsi concurrencés sur leur propre terrain : la
tentative fut abandonnée sous leur pression.
Mais cette escarmouche reste significative de
l’ambition qui habitait alors la morale laïque :
construire une morale en tout point identique
à la morale traditionnelle (ou dominante), qui
s’impose par les seuls outils de la raison
humaine.
UNE ÉCOLE SANS DIEU
MAIS PAS SANS MORALE
Ils n’innovaient d’ailleurs pas complète-
ment sur ce point et retrouvaient les tentatives
qui avaient été au début du siècle celles de
Cousin et de Guizot, quoique nettement
moins en rupture avec le catholicisme. Simple-
ment, ces derniers retrouvaient par les voies
de la seule philosophie une doctrine analogue
à celle de l’église. Pendant longtemps, ce fut
ainsi un mixte de positivisme comtien et de
criticisme kantien qui servit de philosophie
sous-jacente à cet enseignement moral. Et c’est
bien le même fonds philosophique que la
IIIe République vint réactiver, avec la ferme
conviction que « l’école sans Dieu » n’était pas,
au contraire, une école sans morale, et même
© Ministère de l’Education nationale
La morale laïque face
à l’individualisme
Lenseignement de la morale laïque, ou mieux, l’éducation morale
laïque, a une longue tradition. Aujourd’hui, cette morale doit
affronter un individualisme relativiste, qui ne reconnaît que peu de
règles morales communes.
LES IDÉES EN MOUVEMENT LE MENSUEL DE LA LIGUE DE LENSEIGNEMENT N° 204 DÉCEMBRE 2012 11.
dOssier
pouvait l’emporter sur sa rivale du point de
vue de son élévation morale.
UNE SOCTÉ TRAVERE PAR LES
QUESTIONS MORALES
La difficulté contemporaine est tout autre :
l’éducation morale doit avant tout affronter
non une conception concurrente, quoique clé-
ricale, mais un individualisme relativiste qui
ne reconnaît que peu de règles morales com-
munes, sinon de réciprocité formelle. De là le
soupçon maintes fois formulé qu’une telle mo-
rale soit une entreprise de moralisation à des-
tination des classes « dangereuses », une façon
de les soumettre à la norme sociale. Chacun
règle sa vie comme il l’entend et l’idée de laï-
cité est progressivement et insensiblement de-
venue synonyme d’abstention envers les ques-
tions morales en général. Notre acceptation de
règles communes se limite à leur utilité prag-
matique (ne pas tous parler à la fois, sous
peine de cacophonie), et nous ne saurions aller
au-delà par crainte d’attenter à la liberté des
consciences. Pourtant, de nombreuses ques-
tions morales ne cessent de se poser et de ta-
rauder notre société, à tel point que nous mul-
tiplions les instances spécifiques ou les
déontologies particulières, dans tous les do-
maines : bioéthique bien sûr, mais aussi
conduite des affaires, ou comportement des
hommes et femmes politiques. Il n’est pas sûr
que l’abstention envers toute réflexion morale
soit le meilleur moyen de s’y préparer. Après
tout la question de la justice fiscale n’est pas
qu’une question d’efficacité économique de
telle ou telle mesure, et il peut paraître mora-
lement inacceptable de parler d’« exil fiscal ».
Et ce n’est pas là moraliser les pauvres.
Joël Roman
Pour aller plus loin, consulter les ouvrages et les textes
issus des trois colloques sur la morale laïque organis
par la Ligue de l’enseignement :
Quelle place pour la morale ?, éditions Desce de
Brouwer, 1994.
École, morale laïque et citoyenneté aujourd’hui,
Laurence Loeffel (dir.), Presses universitaires du
Septentrion, 2009.
Les actes du colloque de 2011 « Pourquoi et
comment faut-il développer une culture éthique à
l’école publique ? », co-organisé avec l’association
Confrontations, sont prévus aux éditions Privat. Un
blog : http://ethique-ecole.hautetfort.com présente
quelques aspects de ce travail en cours.
La morale
laïque contre
l’« ennemi
intérieur »
Le retour de la morale laïque à lécole ne fait
pas l’unanimité. Pour le philosophe Ruwen
Ogien 1, le projet de Vincent Peillon est confus et
conservateur. Il va même plus loin en l’accusant
d’être dirigé contre des « ennemis intérieurs qui ne
partageraient pas les valeurs de la République ».
Peu après mai 1968, l’ensei-
gnement de la morale dis-
parut des écoles, avec les
blouses grises et les bonnets
d’âne. À part quelques fétichistes,
personne, depuis, n’a insisté pour
réclamer le retour de l’uniforme et
des châtiments grotesques. Mais
le projet de faire revenir la morale
à l’école est devenu une obses-
sion, à telle enseigne que François
Béguin pouvait à juste titre évo-
quer récemment « l’éternel retour
de la morale à l’école ». Le dernier
projet en date, celui de Vincent
Peillon, se distingue surtout par
son appellation. Ce n’est pas la
morale qui sera enseignée, mais la
morale « laïque ». Ce projet est
aussi confus que les précédents.
Tout d’abord, derrière l’idée
de morale laïque, telle que la
conçoit le ministre de l’Éducation,
il y a la croyance que si on laisse
les enfants réfléchir rationnelle-
ment, penser librement, en de-
hors de tout dogme religieux
ou politique, ils reconnaîtront né-
cessairement la grandeur des
« valeurs de la République » : so-
lidarité, altruisme, générosité, dé-
vouement au bien commun, etc.
Cette croyance est naïve. La raison
est malheureusement insuffisante
pour justifier les « valeurs de la
République ». Même si c’est re-
grettable, la réflexion rationnelle
peut parfaitement aboutir à rendre
attrayantes des valeurs comme
l’égoïsme, la concurrence achar-
née, la récompense au mérite, et
même l’argent. On peut rejeter ces
valeurs au nom du « vivre en-
semble », mais on ne peut pas dire
qu’elles sont irrationnelles.
CONFUSION DU JUSTE
ET DU BIEN
Ensuite, le projet du ministre
de l’Éducation confond la ques-
tion du juste et celle du bien. La
première concerne nos rapports
aux autres : dans quelle mesure
sommes-nous respectueux, équi-
tables, etc. ? La seconde est diffé-
rente. Elle est celle de savoir ce
qu’on va faire de soi-même : du
style de vie qu’on veut mener, du
genre de personne qu’on doit
être, des ingrédients de la vie
« bonne » ou « heureuse ». Faut-
il être un épargnant raisonnable
ou un flambeur ? Un lève-tôt qui
essaie d’en faire le plus possible,
ou un lève-tard qui essaie d’en
faire le moins possible ? On peut
concevoir un certain accord entre
tous les citoyens sur l’importance
du respect d’autrui, de l’équité
ou de la réciprocité dans les rela-
tions interpersonnelles, c’est-à-
dire du juste. C’est plus difficile
à envisager pour le bien person-
nel, la vie bonne, ou le sens de la
vie. Pour éviter d’imposer des
conceptions controversées du
bien personnel à l’école, seule
l’instruction civique, qui ne s’en-
gage pas de ce point de vue, de-
vrait y être envisagée. L’enseigne-
ment de la morale, au sens de
l’éducation à la vie bonne ou
heureuse, ne devrait pas y avoir
de place.
Bref, le projet est si bancal in-
tellectuellement qu’on est bien
obligé de se poser des questions
sur le but qu’il vise vraiment. Je
me permets une hypothèse.
Autrefois, les cours de morale
étaient censés préparer les enfants
de la République à devenir de
braves petits soldats, courageux et
disciplinés, bouleversés à la vue
du drapeau national, connaissant
La Marseillaise par cœur, et prêt à
verser l’« impôt du sang » pour
défendre la patrie contre ses enne-
mis extérieurs.
UNE PENSÉE CONSERVATRICE
SUR L’ÉCOLE
Aujourd’hui, l’enseignement de
la morale semble plutôt dirigé con-
tre un ennemi intérieur, une classe
dangereuse qui ne partagerait pas
les « valeurs de la République ».
Lorsque le ministre proclame
un peu partout dans la presse qu’il
est nécessaire de restaurer un en-
seignement de morale « laïque » à
l’école, ce n’est évidemment pas
parce qu’il s’inquiète de l’immora-
lité des élèves de Louis-Le-Grand
ou d’Henri-IV !
Le projet est plutôt dirigé con-
tre les « barbares » des quartiers
défavorisés.
Il vise aussi à séduire ceux que
le flot de propos alarmistes sur la
violence scolaire et la « montée de
l’intégrisme » inquiète ou effraie.
Le ministre de l’Éducation na-
tionale consacre ainsi l’hégémonie
de la pensée conservatrice sur le
sujet de l’école, comme d’autres
ministres de gauche l’ont consa-
crée, par leurs déclarations, sur les
questions du travail sexuel, de
l’homoparentalité, de l’immigra-
tion, et de la sécurité.
C’est une tendance qu’il faut, à
mon avis, combattre sans se lasser.
Ruwen Ogien
1. Ruwen Ogien est philosophe,
directeur de recherche au CNRS,
membre du Centre de recherche Sens,
Éthique, Société. Ses travaux portent
notamment sur la philosophie morale et
la philosophie des sciences sociales. Il
a publié de nombreux ouvrages, dont
LÉthique aujourd’hui. Maximalistes et
minimalistes (Gallimard, 2007) et plus
récemment LInfluence de l’odeur des
croissants chauds sur la bonté humaine
et autres questions de philosophie
morale expérimentale (Grasset, 2011).
© Flore-Aël Surun/Tendance oue
.12 LES IDÉES EN MOUVEMENT LE MENSUEL DE LA LIGUE DE LENSEIGNEMENT N° 204 DÉCEMBRE 2012
dOssier
REGARDS CROISÉS
« La morale laïque sera forcément
une morale qui questionnera la société »
Ni métaphysique, ni imposée et encore moins parfaite, la morale laïque nest pas une vieille marotte pour endormir les craintes d’une
société en manque de repères. Pour Guy Coq 1, philosophe, et Jean Baubérot 2, historien et sociologue, éduquer à l’éthique s’inscrit
pleinement dans le projet sur la refondation de lécole. Et il appartient à tous les citoyens de fonder cette morale commune.
Les Idées en mouvement : Vous
plaidez tous deux pour un retour
de la morale laïque. Pourquoi ?
Quelle en serait votre dénition
et quelle est son actualité
aujourd’hui ?
Jean Baubérot : Le terme
« morale laïque » est l’expression
d’une filiation historique et à ce
titre, il me paraît légitime. La créa-
tion progressive d’une morale
laïque s’est faite au moment de la
laïcisation de l’école publique et
plus largement de la société, pour
remplacer le cours de morale reli-
gieuse assuré par le clergé. Elle est
aussi liée à l’exode rural et à la né-
cessité de créer des citoyens libres
et autonomes dans un environne-
ment nouveau, puisque la ville
n’était pas ce lieu de solidarité et
de surveillances mutuelles qu’était
la campagne.
De ce cours de morale laïque
ne reste aujourd’hui que le mo-
ment de son déclin, après la Se-
conde Guerre mondiale, avec « la
petite phrase »… Or à l’origine, il
était beaucoup plus ambitieux no-
tamment sur certains grands
thèmes qu’on peut encore actua-
liser (réciprocité entre droits et
devoirs, entre liberté et responsa-
bilité, dignité inconditionnelle de
l’être humain, solidarité). On peut
donc s’inscrire dans cet héritage
en le renouvelant.
« Il ne faut pas que ce
soit une morale totale,
imposée par le haut. »
Aujourd’hui comme hier, une
société n’est pas une juxtaposition
d’individus. Et si on prend l’optique
de la morale laïque, le lien social
entre ces individus n’est pas qu’un
lien d’intérêt commun. L’intérêt
commun ipso facto ne fait pas une
société pacifiée. Le lien social a éga-
lement une dimension éthique,
morale. Enfin, une morale laïque
n’est pas une morale concurrente
des morales religieuses et confes-
sionnelles. Elle a pour but d’être
partagée par l’ensemble de la so-
ciété mais avec du débat. Il ne faut
pas que ce soit une morale totale,
imposée par le haut. C’est une
morale trouée. Pour résumer :
c’est un réseau de préoccupations
morales communes que doivent
avoir les gens qui font société.
Guy Coq : La question de la
morale laïque est liée à celle de la
République. La séparation de
l’école et de l’église prépare l’ins-
tauration de la République com-
me un ordre qui n’est plus soumis
au religieux. La morale laïque est
donc une partie essentielle de la
laïcité.
Les questions sont les sui-
vantes : une société peut-elle se
passer de repères moraux com-
muns ? Est-ce que l’ordre juridique
se suffit à lui-même ? N’y a-t-il pas
une sphère intermédiaire ?
Premier constat : le droit lui-
même s’effondrerait s’il n’était
soutenu par une certaine obliga-
tion morale ; deuxième constat :
le parfait légaliste, celui qui n’agi-
rait qu’en appliquant les lois,
serait, pour reprendre l’expres-
sion de Comte-Sponville « un
salaud légaliste » 3. En effet, il n’y
a pas de lois qui interdisent l’égo-
ïsme, l’intolérance, le mépris, la
haine… S’imposent ici des en-
jeux moraux. Troisième point :
il n’y a pas de limite démocra-
tique à la démocratie ; la volonté
du peuple n’a pas de « sur-loi »
car c’est encore lui qui changera
la Constitution.
Nos sociétés ne sont plus uni-
fiées ni par une religion commune
ni par un pouvoir dur : l’espace
commun ne peut se faire qu’à un
niveau éthique. Il ne s’agit pas
d’en faire une morale complète
car il y a des éléments de morale
commune et de morale person-
nelle. Mais on peut identifier un
certain nombre de principes.
Pourquoi l’appeler morale
laïque ? Parce qu’elle ne découle
pas d’une commune conviction
religieuse et qu’elle provient de la
société et de la décision des
hommes de s’entendre sur des cri-
tères. Il appartient à tous les ci-
toyens de cette morale commune
de la fonder. C’est une fondation
plurielle.
Si c’est aux citoyens de chaque
époque de la fonder, la morale
laïque est donc temporaire ?
Peut-elle, par ailleurs, cohabiter
avec les morales convictionnelles ?
Jean Baubérot : Oui et non.
Je le disais plus tôt : il faut insister
sur l’historicité, surtout dans une
époque où on a tendance à cher-
cher les racines par peur de l’ave-
nir. Qu’est-ce que l’historicité ? Ce
sont les changements amenés par
les sociétés françaises dans tous
les domaines, y compris celui de
la morale. Aujourd’hui par
exemple, on ne serait pas dans les
silences des débuts de la morale
laïque de la fin du XIXe siècle sur
le thème des relations entre sexes.
C’est pourquoi je préfère par-
ler de valeurs partagées plutôt que
de valeurs communes pour insis-
ter sur le fait qu’elles sont en
débat dans leur concrétisation. Le
commun résulte d’un partage et
oui, il est temporaire. Il a à re-
questionner. C’est là qu’il peut y
avoir une tension entre cette mo-
rale laïque et des morales convic-
tionnelles, qui, elles, estimeront
être fondées sur des absolus
anthropologiques.
Guy Coq : Il y a derrière les
valeurs communes, certaines de
portée universelle, des options
anthropologiques, par exemple :
l’unité et l’identité de l’espèce hu-
maine, la liberté comme caractère
essentiel de l’humanité. Ces op-
tions anthropologiques émergent
dans l’histoire, mais, à une époque
donnée, elles s’imposent comme
des repères supérieurs, quasi
universalisables.
Jean Baubérot : Je suis d’ac-
cord mais j’insisterais sur la ma-
nière dont se concrétise cette
référence à l’humanité, et qui
amène des limites. Je ne suis pas
contre les limites, mais je dis qu’à
chaque période, c’est à la société
de définir les limites qui sont
liées à cette notion d’humanité. Il
n’y a pas, une fois pour toutes,
un ordre naturel. La tension est
féconde dans une société laïque
et démocratique mais on ne peut
pas accepter que certains groupes
veuillent imposer à l’ensemble de
la société leur conception de
l’ordre naturel. Et ça, c’est le
débat de la laïcité depuis le début
de la laïcité ! Il faut aussi recon-
naître que dans une société
qui se voulait chrétienne, il y a
aussi eu cette dynamique de
changement moral (voir les dé-
bats anciens sur le divorce, la
contraception).
Guy Coq : Actuellement, en
Europe occidentale, on ne voit
pas la force d’imposition possible,
même de l’église catholique. Par
ailleurs, les religions peuvent
aussi participer, comme les philo-
sophies, à mettre en place du
commun. C’est aussi une forme
de laïcité. À une condition : qu’on
ne prétende pas le faire au nom de
la foi. Et puis, il faut faire la part
des choses. Il y a tout un champ
de la réflexion morale qui découle
de la vie personnelle des gens, où
ils ont une grande liberté d’op-
tions. Et il y a un domaine où il
faut du commun. Pour que la so-
ciété perdure, qu’elle soit le moins
injuste possible, elle doit fonder
des références morales. On ne
contraint pas l’individu mais
il faut une reconnaissance offi-
cielle des fondements de cette
société.
Une société n’est pas n’im-
porte quoi. Elle trouve sa cohé-
rence d’une certaine façon faute
de quoi le pluralisme n’est pas le
pluriel. Le pluralisme culturel
n’est pas une fin en soi. C’est un
état de fait. Respecter la pluralité
des gens oui, mais il faut faire so-
ciété, une même société. En ré-
sumé : il faut que les gens qui se
réclament d’une différence cultu-
relle acceptent d’assumer des élé-
ments de culture commune autre-
ment on est dans la fragmentation,
la société éclate.
Si on poursuit votre
raisonnement, la morale laïque
pourrait remettre en partie en
cause la société ? Cela semble un
peu contradictoire surtout à
l’école…
© Ligue de l’enseignement
Guy Coq.
LES IDÉES EN MOUVEMENT LE MENSUEL DE LA LIGUE DE LENSEIGNEMENT N° 204 DÉCEMBRE 2012 13.
dOssier
Jean Baubérot : Pas vrai-
ment. Prenons un fait : la société
française, juridiquement, fonc-
tionne selon le principe de l’éga-
lité hommes-femmes. À partir de
là, on peut faire un premier
constat qui est que dans certaines
religions, cela ne fonctionne pas
ainsi (dans la religion catholique,
une femme ne peut pas être
prêtre, sur le mur des Lamenta-
tions, les femmes se battent pour
avoir le même espace que les
hommes, à la mosquée, les hom-
mes et les femmes sont séparés,
etc.) : la société accepte donc
qu’il y ait des sous-groupes qui
fonctionnent autrement. Deu-
xième constat : la société fonc-
tionne-t-elle selon le principe
de l’égalité hommes-femmes ?
C’est là qu’intervient la remise
en question de la société. Un
exemple récent vient illustrer
mon propos : le fait qu’Éric
Raoult, le rapporteur sur le voile
intégral, qui se fait le héraut de
l’égalité hommes-femmes, soit
mis en examen pour violence
conjugale… La morale laïque
peut avoir un effet boomerang.
La morale laïque à l’école ques-
tionnera forcément l’école et la
manière dont elle fonctionne.
Guy Coq : C’est pour cela
qu’on ne peut pas accuser le pro-
jet de Vincent Peillon de morali-
sation. Ici, il s’agit d’apprendre
aux gens à se faire la morale à eux-
mêmes et à dégager les enjeux
fondamentaux de valeurs de la
société. Dans une société libre, il
y a une pluralité de valeurs
contradictoires (celles du publici-
taire, du trader). Il y a au sein
même de l’école des contre-va-
leurs. On n’est pas ici dans le
débat « valeurs ou pas valeurs »,
on est dans le conflit de valeurs.
Et l’éducation morale doit travail-
ler dans ces conflits.
Jean Baubérot : Pourquoi la
morale laïque historique est
morte ? Parce que, peut-être, n’a-
t-elle pas assez assumé cet effet
boomerang. À l’époque les écoles
n’étaient pas mixtes, on ensei-
gnait aux filles et aux garçons la
même éducation à la citoyenneté,
sans jamais dire aux filles qu’elles
n’étaient pas citoyennes, sans
droit de vote. Que se passait-il
alors dans la tête des institu-
trices ? Avaient-elles tellement
intériorisé cette différence ou
avaient-elles une stratégie plus
subtile, ce que je crois, en se
disant qu’en enseignant la ci-
toyenneté, les filles allaient
d’elles-mêmes s’apercevoir du
problème ? Autre explication de
ce déclin de la morale laïque : il
y a eu, à cette époque, une exal-
tation de la nation et du patrio-
tisme. À partir des années 30, on
se rend compte que la Grande
Guerre est une victoire mais aussi
la victoire à la Pyrrhus de la mo-
rale laïque. Les officiers catho-
liques, qui avaient été à l’école
privée et à qui on avait enseigné
qu’une école sans dieu était une
école immorale, se sont aperçus
que leurs soldats étaient soli-
daires, braves avec des qualités
morales incontestables… À la
Pyrrhus, car cette jeunesse mo-
rale a été formée pour une guerre
qui a fait un million de morts.
Une guerre qui a montré que le
progrès technique pouvait abou-
tir au progrès dans la mort, alors
qu’il y avait, dans la morale
laïque, l’idée d’un lien entre pro-
grès technique et progrès moral.
Aujourd’hui, il ne faut plus
faire d’impasse : la morale laïque
sera forcément une morale qui
questionnera la société, l’État…
Comme le disait Condorcet : « Il
faut qu’en aimant les lois, on sache
les juger. » Le fondement actuel,
c’est le préambule de la Constitu-
tion et sa réactualisation. La
Constitution ne prétend pas être
un fondement métaphysique.
« Croire en la vertu
de l’éducation, c’est aussi
un des fondamentaux de
l’idée républicaine. »
Quelle est la place de la morale
laïque à l’école ?
Guy Coq : Une morale à
l’école doit d’abord avoir comme
visée une culture de la conscience
personnelle et de la capacité
éthique de chaque être. Et ce, en
toute liberté. Il ne s’agit pas de lui
inculquer quelque morale que
ce soit. Le modèle, c’est l’ensei-
gnement philosophique où l’on
prétend initier à la méthode phi-
losophique en traversant les diffé-
rents argumentaires de manière
rationnelle et avec un esprit cri-
tique. C’est effectivement un tra-
vail d’éducation puisqu’il s’agit
d’aider à faire naître des per-
sonnes autonomes.
La morale laïque doit se trans-
mettre et s’inculquer. Même si
c’est une morale que la société dé-
mocratique est censée produire, la
société a tout de même besoin que
certains de ses repères soient pro-
posés à l’assentiment des plus
jeunes. S’il n’y a pas de culture
éthique, je préfère cette notion à
la celle de morale d’ailleurs, il n’y
a pas accession aux valeurs
communes.
Comment cette culture de
l’éthique peut-elle prendre forme
dans l’école ?
Jean Baubérot : Il ne faut pas
opposer l’idée d’activités spéci-
fiques, que je préfère d’ailleurs à
l’idée de cours, et puis celle de la
globalité. Si j’ai bien compris le
ministre, il veut réduire de 6 à
5 heures le temps scolaire quoti-
dien et aménager un temps pour
des activités. Dedans, il pourrait y
avoir un aspect de réflexivité mo-
rale, dispensé sous différentes
formes. Par exemple, il y avait
dans les cours de morale classique
du début du XX
e
siècle, des cours
sur la différence entre la calomnie
et la médisance. La possession de
la langue et des outils argumenta-
tifs fait partie de la réflexivité mo-
rale. Vu l’ensemble des messages
que l’on reçoit avec la communi-
cation de masse, cela me semble
très important. Enquêtes, prépa-
rations d’exposés, théâtre, fo-
rums… sont des choses qui
peuvent provoquer des discus-
sions entre élèves et entre élèves
et professeurs.
Guy Coq : Il y a des parties
un peu didactiques qui doivent
s’intégrer, notamment tout ce qui
tourne, en effet, autour de l’ap-
prentissage du vocabulaire : savoir
utiliser les mots, les distinguer, de-
venir capable d’une argumentation
dans le champ de l’éthique. Avant
de penser à faire taire l’autre, il faut
le reconnaître comme un alter égo,
lui aussi porteur d’une argumenta-
tion. Ce n’est pas en tuant l’autre
qu’on tue ses idées. Le but de
l’éducation éthique n’est pas de ré-
soudre le problème de la violence
mais il s’agit de faire qu’à l’école,
qui est le lieu de la réflexion,
l’éthique devienne une forme
consciente. Sur le débat sur la
bioéthique, donner les argumen-
taires des deux écoles qui s’af-
frontent et accepter d’entendre les
raisons de l’autre, sur des grands
sujets qui divisent l’humanité. La
morale laïque ne va pas trancher
entre ce qui est bien et ce qui est
juste, mais il y a des impératifs de
justice qui affleurent par rapport
aux lois qui existent.
Jean Baubérot : Le débat dé-
mocratique n’est pas un débat ab-
solu ! La formation sera extrême-
ment importante. Le souci :
pouvoir montrer qu’il y a une cer-
taine cohérence interne dans le
débat démocratique même si ce
débat n’est pas absolu. Comme le
dit Guy Coq, l’école ne va pas
trancher mais engager le débat, en
secondaire, sur le mariage homo-
sexuel, l’adoption… La mission
aura à délimiter le périmètre et la
progressivité de ces sujets. Quant
à son évaluation, elle ne pourra pas
se faire sur des critères classiques.
La morale aurait-elle disparu de
l’école ? Une école imparfaite
est-elle en mesure de l’inculquer ?
Guy Coq : Il y en a déjà, pour
le meilleur et pour le pire. L’école
a fait beaucoup pour que le ra-
cisme recule par exemple. Sans
qu’il y ait de grandes leçons là-
dessus, elle accueille à égalité tous
les enfants, quelle que soit leur
origine. L’institution a eu un côté
vertueux en elle-même. L’école
peut-être porteuse de justice.
Jean Baubérot : Si la morale
laïque était la seule réforme de
l’école, on pourrait l’accuser de
moralisation. Mais c’est cohérent
avec un projet global. Bien sûr, ce
sont les 12 travaux d’Hercule mais
si on veut que l’école ne reproduise
plus des inégalités, ce qui est le but
de la réforme, il faut faire un pari
de l’utopie qui peut réussir. On ne
peut changer les choses que s’il y a
du volontarisme. C’est une pièce
essentielle du projet.
Guy Coq : Tout à fait. On ne
peut pas attendre que les institu-
tions soient toutes justes pour que
les hommes deviennent justes.
On ne va pas supprimer en
quelques mois l’échec de ces mil-
liers de jeunes qui sortent démolis
de l’école. Mais même une insti-
tution éducative qui n’est pas par-
faite peut être porteuse de choses
très positives. Mettre de l’éduca-
tion éthique dans l’école aura
pour effet un retour sur la morale
même des agents de l’école qui de-
vront essayer de mettre leur parole
en harmonie avec le message. Oui,
il faut faire le pari d’une espérance
possible. Croire en la vertu de
l’éducation, c’est aussi un des fon-
damentaux de l’idée républicaine
en France. Il faut créditer l’école de
la possibilité d’ouvrir à des idéaux,
de faire progresser la société. Les
institutions fortes, les « officiels »
ont la responsabilité d’un discours.
Quand Vincent Peillon affirme que
certaines valeurs sont plus impor-
tantes que d’autres « la connais-
sance, le dévouement, la solidarité
plutôt que les valeurs de l’argent, de la
concurrence et de l’égoïsme », c’est
courageux. Je reprends ce qu’il dit :
« Il faut assumer que l’école exerce un
pouvoir spirituel dans la société. »
Jean Baubérot :… En préci-
sant que ce pouvoir spirituel est
troué, qu’il n’est pas global.
Propos recueillis par
Ariane Ioannides
1. Guy Coq est spécialiste de la
philosophie de l’éducation. Il est membre
de la rédaction de la revue Esprit. Il
est l’auteur, entre autres, de La laïcité,
principe universel, Le Félin, 2005 et
de La démocratie rend-elle l’éducation
populaire ?, Parole et silence, 2000.
2. Jean Baubérot a été titulaire de la
chaire d’Histoire et sociologie de la
laïcité à lÉcole pratique des hautes
études, de sa création (1991) à 2007.
À lire : La Morale laïque contre l’ordre
moral, Seuil, 1994. Son dernier
ouvrage : La laïcité falsifiée, La
Découverte, 2012.
3. André Comte-Sponville, Le
capitalisme est-il moral ?, Albin Michel,
2004.
© Ligue de l’enseignement
Jean Beaubérot.
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