Enjeux individuels et collectifs des usages de la terre et

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Enjeux individuels et collectifs des usages de la terre et de la mer à
Rapa iti (îles Australes)
Christian Ghasarian
Institut d’ethnologie
Université de Neuchâtel
2000 Neuchâtel
Switzerland
Difficile pour un chercheur en sciences sociales de résumer son propos en cinq
minutes sans généraliser et manquer de nuances mais je vais faire de mon mieux…
La gestion communautaire des ressources foncières et maritimes à Rapa iti (archipel
des Australes) présente des caractéristiques uniques dans la Polynésie française
d'aujourd'hui. La société insulaire locale régule en effet l'accès individuel et collectif
à la terre pour y résider ou pour la cultiver par le biais d'un conseil des sages (toohitu)
comprenant des membres représentatifs des différents clans. Il en va de même pour
l'usage de la mer pour pêcher qui est régulé par un comité des pêches (tomite tiaia) à
travers l'instauration d'un interdit sacré rituellement levé de temps à autre sur
certaines zones (rahui). Ces deux conseils coutumiers sont composés de membres
dont le statut moral est localement reconnu. Dans le court instant qui m’est donné ici,
je présente juste la logique à l’œuvre dans ce système.
Il faut rappeler qu’historiquement la terre à Rapa a été possédée par différents clans
(kopu) qui défendaient jalousement leur espace de vie, comprenant les habitations et
les tarodières (roki). Selon la mémoire locale, la lutte pour des ressources limitées
engendrait de féroces guerres claniques. Avec le temps, alors l’imposition du code
civil français dans les îles environnantes a comme on le sait engendré des stratégies
individualistes visant à vendre des terres auparavant sous le régime de l’indivision,
les terres de Rapa ont au contraire peu à peu fait l’objet d’une revendication
commune – au niveau de l’île entière – qui empêche son appropriation par des
intérêts privés.
C’est notamment en raison de l’isolement et de sa distance avec Tahiti et ses
institutions que la société Rapa a pu développer un principe de propriété de collective
dans lequel chacun(e) peut, en appliquant le principe local de la filiation
indifférenciée, pratiquement se réclamer d’une connexion généalogique avec tous les
clans de l’île. Il faut rappeler qu’à un moment de son histoire (vers le milieu du 19ème
siècle, peu après le développement des contacts avec les européens) la population est
descendue à 120 personnes (après avoir été estimée à 2000 personne en 1791 par
George Vancouver, le premier navigateur européen à passer à Rapa). De fait, chaque
insulaire se sait, plus où moins connecté avec les autres (ce qui, selon les règles
d’exogamie, oblige d’ailleurs les jeunes à chercher leurs conjoint(e)s hors de l’île.
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Le conseil des sages est une institution créée pour gérer les terres de l’île.
Actuellement composé de 14 membres (avec leurs suppléants), il comprend diverses
générations dont les plus jeunes sont les plus enclines à négliger les origines
claniques des terres. Dans une dynamique engagée depuis une vingtaine d’années, la
référence locale aux propriétés foncières claniques s’est ainsi progressivement
estompée au profit d’une idée nouvelle selon laquelle « la terre de Rapa appartient à
tout le monde ». Avec ce principe, chaque insulaire ayant au moins un ascendant
Rapa peut réclamer un morceau de terre de son choix au conseil des sages qui, après
vérification qu’aucune autre demande n’a été faite sur le même site, octroie au couple
(en général) l’usage de cette terre pour y construire une maison et y faire des
plantations. La particularité du système foncier à Rapa est que les résidents et leurs
familles ne sont officiellement jamais propriétaires de la terre sur laquelle la maison
est placée ou qu'ils cultivent: celle-ci reste la propriété collective de la population
entière qui peut – en principe – en redistribuer l'usage à travers son conseil des sages
si ceux qui en ont obtenu le droit d'usage ne résident plus dans l'île.
Le temps manque pour développer plus les subtilités de ce système mais je voudrais
pour clore cette intervention rappeler qu’alors qu'elle périclite dans le reste de la
Polynésie française (en référence au code civil), l’intéressante distinction
polynésienne "droit d'usage" / "droit de propriété" reste à l'ordre du jour à Rapa. La
mise en application d’un tel système de propriété collective, gérée par une institution
coutumière soutenue par toute la population et par la commune, contribue fortement à
souder la communauté insulaire, et celle-ci en est tout à fait conscience. Cette volonté
de gérer collectivement les ressources naturelles est aussi, comme je l’ai dit, à
l’œuvre dans le milieu marin dont l’usage a été régulé sous la forme d’un rahui
respecté par tous les pêcheurs. Ce double système, foncier et marin, fondé sur le
consensus, est bien entendu fragile mais il montre qu’une petite communauté
décentrée et oubliée du monde peut offrir un modèle très inressant de régulation
locale du milieu naturel environnant en mettant en avant le partage et l’équité.
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