Direction des Archives départementales de la Haute-Savoie. Service éducatif Le développement du chemin de fer en Haute-Savoie au tournant des XIXe-XXe siècles Informations complémentaires Direction des Archives départementales de la Haute-Savoie, 4 S 95 Le développement du chemin de fer en France Durant la première moitié du XIXe siècle, le chemin de fer se développe plus lentement en France qu’en Grande-Bretagne pour des raisons aussi bien techniques (le retard des industries sidérurgiques et mécaniques) qu’économiques (la résistance des milieux d’affaires traditionnels) ou politiques (l’absence de soutien de l’État). Cependant, en 1842, une loi répartit les charges entre l’État et des compagnies privées. Cette loi définit également les règles d’exploitation des chemins de fer et détermine les lignes à établir en priorité. Mais la véritable impulsion est donnée par l’empereur Napoléon III dans les années 1853-1854 puis 18601864, au moment où le réseau se développe très vite. Ensuite, la loi de 1865, autorisant les communes et les départements à construire et à exploiter des lignes à voie étroite, permet à la France de se doter d’un réseau très dense. Le pays passe ainsi de 2.000 km de voies ferrées en 1848 à 17.000 km à la fin du Second Empire en 1870. La loi du 17 juillet 1879 instaure le « plan Freycinet », du nom de l’ingénieur et ministre de Travaux publics du gouvernement Jules Dufaure ; elle vise à favoriser le désenclavement et le développement économique des campagnes françaises. 17.000 kilomètres de lignes doivent permettre de desservir chaque sous-préfecture de France par un train, ce qui sera atteint en 1914. Cette loi prévoit également la construction de lignes d’intérêt local par les grandes compagnies privées ou par l’État. Suite à cette loi, le rachat de lignes privées aboutit à la constitution d’un important réseau d’État. La couverture du territoire se poursuit pour atteindre 40.000 km à la veille du premier conflit mondial. Ce n’est qu’en 1937, au moment du Front populaire, que l’ensemble du réseau est nationalisé avec la création de la Société Nationale de Chemins de Fer français. Ce réseau, disposé en étoile autour de Paris, reflète la centralisation de la France. Néanmoins, l’ensemble du territoire français est concerné, et le département de la Haute-Savoie est parcouru par plusieurs grandes lignes. Même si lors de la Réunion de la Savoie à la France, le réseau ferroviaire connait un retard certain, l’historique de son développement ne peut se faire qu’à la lumière des projets établis sous le régime sarde. Le développement du chemin de fer en Haute-Savoie Avant 1860 De 1815 à 1860, la Savoie fait partie du royaume de Piémont-Sardaigne. Lors de la Réunion de la Savoie à la France, une seule ligne met en valeur le département, celle reliant Aix-les-Bains à Saint-Jean-de-Maurienne via Chambéry, ouverte en 1856. 1 Direction des Archives départementales de la Haute-Savoie. Service éducatif Malgré cela, dès les années 1840, le gouvernement sarde étudie les possibilités de développer son réseau, notamment dans le nord du duché (la Haute-Savoie actuelle), pour faire face à la concurrence des créations de réseaux chez ses voisins français, allemands et autrichiens. Cavour veut transformer le Piémont en un carrefour ferroviaire européen, en vue de l’émancipation italienne. C’est dans cette optique qu’il souhaite le percement d’un tunnel sous les Alpes. En 1851, un projet de raccordement des réseaux suisses et piémontais est envisagé pour atteindre plus facilement le port de Gênes, au détriment de Marseille, et renforcer le commerce vers la Méditerranée (ligne Turin-Chambéry-Genève). En 1857 est ouvert le tronçon Aix-les-Bains-Culoz pour permettre par la suite une relation avec le réseau français et la ligne Lyon-Genève. La ligne Annecy-Albertville est également projetée pour des enjeux tant militaires (d’acheminement des troupes françaises si besoin), que commerciaux internationaux (entre Lyon et Turin, Genève et Gênes) « Nouvelle consolante ». Caricature tirée du Carillon, 3 mars 1853. Arch. dép. Haute-Savoie, PER 311. En 1855, on envisage la ligne Genève-Sallanches, parfois appelé « chemin de fer du Mont-Blanc », pour développer le tourisme. Mais en 1856, le gouvernement de Turin préfère un projet reliant Annecy à Genève par le Plot, Étaux et Mornex. En 1856, est prévue la ligne Aix-les-Bains-Annecy par la Compagnie Victor-Emmanuel en vue du percement des Alpes au Mont-Cenis pour un rapprochement franco-sarde. Le développement des chemins de fer a un impact direct sur l’industrie haut-savoyarde puisqu’elle la sollicite pour lui fournir des rails et des coussinets notamment, comme par exemple l’entreprise Frèrejean à Cran. Après 1860 La Réunion de la Savoie à la France met un terme aux initiatives de l’administration sarde, sauf pour le projet du tunnel du Mont-Cenis. Cependant, la même politique de développement des chemins de fer est appliquée en France car c’est un moyen de propagande efficace pour montrer sa grandeur aux provinces annexées et à l’extérieur international, tant dans la puissance industrielle que dans la maîtrise du territoire. 2 Direction des Archives départementales de la Haute-Savoie. Service éducatif Aussi divers projets sont évoqués : une ligne Thonon-Collonges (dans l’Ain) pour ôter à Genève son statut de nœud des transports vers la Haute-Savoie (en 1863 par la Compagnie de Paris à Lyon et à la Méditerranée : PLM), une ligne Aix-les-Bains-Annecy via Rumilly au détriment du projet sarde Annecy-Albertville qui relie ainsi Annecy à la Maurienne, à Lyon et à la vallée du Rhône (en 1866 par PLM), la percée du tunnel de Fréjus (en 1871) ou encore la ligne Annemasse-Annecy fortement soutenue par la population haut-savoyarde (voir l’historique ci-dessous). Sous la IIIe République, le réseau ferroviaire est à son apogée. Pour autant, les grandes compagnies montrent peu d’enthousiasme à relier les réseaux principaux à des réseaux secondaires très localisés, onéreux et peu rentables. L’impact du plan Freycinet permet l’accomplissement des lignes Annecy-Albertville, La Roche-Saint-GervaisChamonix en 1890 (70 kilomètres), et Thonon-Évian-Saint-Gingolph. La ligne Thonon-Annemasse-Collonges est mise en service en 1880 après plus de vingt ans de tractation ; sa ligne concurrente Annemasse-Annecy l’est entre 1882 et 1886. Le canton de Bonneville, quelque peu délaissé jusqu’à présent, voit l’étude, en 1879, du tracé La RocheChamonix par les Ponts et Chaussés et le PLM. Elle sera composée d’une dizaine de ponts (avec tous les problèmes des crues de l’Arve) et d’aqueducs, dont trois œuvres métalliques ; elle détiendra l’une des pentes les plus fortes au monde entre Chedde et Servoz, à 9%, et un tronçon, Le Fayet-Chamonix à voie ferrée dite « étroite » qui représente tout le savoir-faire français (également nommée voie « métrique », elle est formée de rails séparés par un mètre, contre 1,435 mètres pour les voies ferrées courantes). Le trajet ChamonixParis devient ainsi possible en 1898 : départ de Chamonix à 9h15, arrivée à 12h à Cluses, 13h à La Roche, 17h22 le lendemain à Paris ! « Le Mont-Blanc. Chemin de fer électrique du Fayet-St Gervais à Chamonix et à Argentières » Arch. dép. Haute-Savoie, 38 Fi 18. La ligne Annecy-Albertville, projetée dès les années 1850, voit son aboutissement en cette fin de XIXe siècle : déclarée d’utilité publique en 1882, elle est concédée au PLM en 1886 et ouverte au trafic voyageur entre 1901 et 1938 sur 44 kilomètres. La loi du 11 juin 1880 relative aux chemins de fer d’intérêt local (CFIL) et aux tramways, autorise les départements et les communes à exécuter directement ou par voie de concession des lignes locales. 3 Direction des Archives départementales de la Haute-Savoie. Service éducatif Le tramway hippomobile ou à moteur mécanique se développe ainsi énormément du fait de son intérêt public et de son coût raisonnable. Les premières lignes, dans les années 1882-1892, sont construites par des sociétés étrangères (souvent suisses). La politique de mise en valeur touristique est un atout pour le développement des tramways ; ce sont ainsi Annemasse, Étrembières, Saint-Julien, Douvaine, Collonges-sous-Salève qui sont desservies par tramway à vapeur, ou encore Évian qui se dote de tramways électriques pour desservir les hôtels de luxe à la fin du XIXe siècle. Les funiculaires, tractés par des câbles pour les pentes abruptes, apparaissent, comme à Thonon vers Rives, Évian vers Neuvecelle pour les palaces, Chamonix vers la Mer de Glace, ou encore sur le Salève. Il existait aussi des projets en direction de Boëge, Morzine et Sixt dans les années 1910, mais la Première Guerre mondiale y a mis un terme. Le tramway est un élément important de désenclavement des campagnes, comme pour le tramway reliant Annecy à Thônes. En 1913, 93.000 passagers emprunteront cette ligne. La ligne de chemin de fer Annemasse-Annecy La décision de la ligne Annemasse-Annecy C’est après de longues tergiversations que la ligne de chemin de fer Annemasse-Annecy a été construite. En effet, dès 1857, le gouvernement piémontais décrète la construction d’un chemin de fer partant de la Maurienne pour aller jusqu’à la frontière suisse près de Genève en passant par Albertville, Annecy, la Roche et Annemasse. À la suite de quoi, une compagnie est formée, la compagnie de chemins de fer VictorEmmanuel ; elle effectue des études définitives qui valident l’utilité et la faisabilité de cette ligne. Cependant, après la Réunion de la Savoie à la France, un décret impérial du 27 décembre 1860 concède un chemin de fer de Thonon à Collonges (dans l’Ain), sans l’avis par enquête des Haut-Savoyards, et au détriment de la ligne Annemasse-Annecy prévue ultérieurement. En 1866-1867, le Conseil général demande la priorité d’exécution de la ligne de chemin de fer AnnecyAnnemasse-Genève. En février 1868, 200 communes signent un recours au Ministre des Travaux publics pour obtenir l’exécution de cette même ligne afin de désenclaver les cantons. Un appel est ensuite fait à tous les membres du Conseil général de la Haute-Savoie, aux présidents des Conseils d’arrondissement 1 et aux maires des chefs-lieux de canton. Dans une assemblée qui se tient à Annecy le 7 mars 1868, il est constaté qu’en tenant compte, soit de l’enquête, soit des vœux émis précédemment par les représentants des populations au Conseil général, sur les 274.000 habitants du département, 230.000 sollicitent ou acceptent la substitution du chemin de fer d’Annemasse-Annecy à celui d’Annemasse-Collonges ; 25.000 se déclarent désintéressés, et 19.000 persistent à réclamer l’exécution de la ligne Annemasse-Collonges. Une députation est alors chargée de présenter à l’Empereur une adresse exprimant les vœux et les besoins du département ; elle est reçue en audience le 22 mars 1868. Napoléon III reconnaît l’intérêt de la ligne Annecy-Annemasse, qui relierait les arrondissements au chef-lieu. La loi est votée le 15 juin 1868, qui concède le chemin de fer « dans le cas où il serait reconnu, après l’accomplissement des formalités d’enquête et après délibération du Conseil général du département, que l’exécution du dit chemin doit être préférée à celle de la section du chemin de Thonon à Collonges, comprise entre Annemasse et Collonges ». Le Conseil général approuve donc la ligne par délibération du 26 août 1868 ; une enquête est menée auprès des communes puis dépouillée à la Préfecture le 15 octobre 1868 : sur 310 communes, 299 approuvent la ligne Annemasse-Annecy, contre 11 pour la ligne Annemasse-Collonges. 1 Les Conseils d’arrondissement avaient pour principale mission d’élire les sénateurs, de 1875 à 1919. 4 Direction des Archives départementales de la Haute-Savoie. Service éducatif La guerre de 1870-1871 va stopper le projet. C’est donc seulement en 1874 que l’Assemblée nationale décrète la ligne d’intérêt publique et que les travaux peuvent commencer. La construction de la ligne Cette ligne est le prolongement du chemin de fer d’Aix-les-Bains à Annecy ouverte le 5 juillet 1866. Elle est concédée à la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM) en 1868. Les travaux, prévus pour une durée maximum de 8 ans, démarrent en 1876. La ligne s’étire sur près de 53 kilomètres ; son tracé est étudié par l’ingénieur des Ponts et Chaussées Sadi Carnot 2. Elle traverse 17 communes des arrondissements d’Annecy, Bonneville et Saint-Julien, et s’arrête à huit stations entre Annecy et Annemasse : Pringy, Charvonnex, Groisy, Évires, Saint-Laurent, La Roche-surForon, Reignier et Monnetier-Mornex. « Les inondations en Savoie. Construction du pont-viaduc d’Annemasse par les sapeurs du Génie » par Louis Tynaire, vers 1880. Arch. dép. Haute-Savoie, 39 Fi 8. La ligne est mise en service en deux étapes : - de La Roche-sur-Foron à Annemasse le 10 juillet 1883 - et d’Annecy à La Roche-sur-Foron le 5 juin 1884 Ce dernier tronçon connait des retardements de par des grèves des ouvriers (notamment sur le viaduc d’Évires) et également par des difficultés de construction, des inondations, des effondrements de terrains …. De nombreux ouvrages d’art sont réalisés, notamment les ponts sur le Foron et le tunnel des Bornes à Évires long de 1.6 kilomètres. C’est d’ailleurs à cet endroit que la ligne atteint son point culminant à 770 m sous le Col d’Évires. 2 Sadi Carnot (1837-1894) : après des études à l’École polytechnique et à l’École des Ponts et chaussées, Sadi Carnot est nommé ingénieur ordinaire à Annecy en 1864. Il participe notamment, au milieu des années 1870, à l’élaboration d’un système de régulation des eaux du lac d’Annecy (les vannes du Thiou), qui favorise les industries locales. Député de la Côted’Or, puis préfet de la Seine-Inférieure, il devient ministre des Travaux publics et des Finances, avant d’être élu président de la République le 3 décembre 1887. 5 Direction des Archives départementales de la Haute-Savoie. Service éducatif Un glissement de terrain sur la ligne Collonges-Genève au début de 1883 relance l’intérêt du raccordement d’Annemasse à Genève. Le traité d’exploitation par le PLM est signé en 1885 et le tronçon ouvre en 1888. Annemasse devient ainsi le centre ferroviaire départemental, au détriment de Genève dont elle absorbe une bonne partie du potentiel, notamment commercial. Cela permet également le désenclavement des vallées de la Menoge, du Risse et du Giffre. La Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM) La Compagnie des chemins de Paris à Lyon et à la Méditerranée, communément désignée sous le nom de ParisLyon-Méditerranée ou sous son sigle le PLM, est l’une des plus importantes compagnies ferroviaires privées françaises entre sa création en 1857 et sa nationalisation en 1938. Elle est créée par le banquier Paulin Talabot (qui en deviendra le directeur général de 1862 à 1882), de la fusion de deux compagnies ferroviaires majeures : la compagnie de chemins de fer de Paris à Lyon et la compagnie de chemins de fer de Lyon à la Méditerranée. Desservant le sud-est de la France, et notamment la Côte d’Azur, la Provence, les Cévennes et les Alpes, le PLM est la compagnie par excellence des départs en villégiature. Or, la Haute-Savoie était un site de villégiature avec de nombreux sites touristiques : Chamonix et le Mont-Blanc, Saint-Gervais et Thonon pour les bains, Annecy pour son lac. La gare parisienne du PLM est la Gare de Lyon. Le 27 septembre 1867, la compagnie du chemin de fer Victor-Emmanuel cède à l’État français les sections construites ou à construire se trouvant sur le territoire français ; l’État les rétrocède ensuite au PLM. En 1870, le PLM commence la construction de son réseau secondaire, avec des bâtiments de gare typiques et identiques. En 1875, la compagnie PLM rachète plusieurs petites compagnies. Au début du XXe siècle, la PLM est la plus importante des compagnies ferroviaires françaises par son trafic, le nombre de passagers transportés et la taille de son infrastructure. La Compagnie subit deux grèves importantes en 1920 et doit attendre 1928 pour retrouver son trafic d’avant-guerre, malgré l’achat de nouveaux matériels. D’importants travaux de modernisation sont entrepris au début des années 1930, par exemple avec l’électrification de la ligne Chambéry-Saint-Jean-de-Maurienne-Modane, et celle du tronçon situé vers le tunnel ferroviaire du Mont-Cenis. Le PLM est intégré à la SNCF (Société nationale des chemins de Fer) lors de la création de celle-ci le 1er janvier 1938. Arch. dép. Haute-Savoie, 38 Fi 59. 6