Monsieur Crie-Toujours va a la peche
I. Un réveil bruyant
1. A quatre heures du matin, la sonnerie d'un puissant réveil
jette monsieur Crie-Toujours hors de son lit. Il tire toute la fa-
mille du sommeil une première fois. Sa femme et ses enfants
se rendorment.
Puis monsieur Crie-Toujours recommence à les réveiller : une
deuxième   fois,   quand   il   prend   sa   douche ;   une   troisième,
quand   il   se   rase ;   une   quatrième,   quand   il   fait   tomber   sa
cuillère en prenant son café ; une cinquième, en tirant la porte
derrière lui.
2. Alors, dans la nuit qui va s'achever, il
chuchote quelques  mots  affectueux  au
chien.   Sa   voix   puissante   porte   admi-
rablement dans les espaces froids du petit
matin. Il réveille ainsi tous les voisins une
première fois.
Puis il recommence : une deuxième fois, quand il heurte le
seau oublié la veille dans le passage ; une troisième, quand il
charge  son  attirail  dans  le  coffre  de  la   voiture ;   une  qua-
trième, quand il claque la portière ; une cinquième, quand il
peste contre le moteur qui toussote mais démarre mal ; une
sixième, quand il arrive enfin à faire démarrer le moteur et
qu'il le laisse tourner plusieurs minutes pour le chauffer. Puis
il démarre, en appuyant par mégarde sur l'avertisseur.
Nul n'ignore dans le village que monsieur Crie-Toujours vient
de partir pour la pêche.
3. Une demi-heure plus tard, quand monsieur Crie-Toujours
arrive au bord de la rivière, il réveille les poissons à leur tour.
Il fait rugir le moteur avant de couper le contact. Il claque si
souvent les portières qu'on pourrait croire que sa voiture en a
une bonne douzaine. Il chantonne une petite mélodie qui em-
plit la vallée. Il s'installe en faisant glisser des mottes de terre
dans   la   rivière   et   il   lance   des   boulettes   d'appât   comme   si
c'étaient des grenades offensives.
Le jour se lève. Le brouillard du matin se dissipe.
4. Sur la rive d'en face, il aperçoit un autre pêcheur avec un
grand chapeau, un  caban  ciré, des bottes vertes. Il se rend
compte que c'est son ami Alphonse qui était là avant lui.
« Je n'avais pas vu qui c'était ! Ça mord chez toi ? »
Et tous les échos du vallon tremblent à sa voix puissante. Ils
répètent plusieurs fois en s'affaiblissant :
-  Tais... toi!... Tais... toi!... 
2. Le langage des échos
1. De l'autre côté de l'eau, Alphonse fait des signes que mon-
sieur Crie-Toujours n'arrive pas à interpréter. Alphonse sort
ses   lignes   de   l'eau   et   il   les   tend   de  côté.  Il   tourne   la   tête,
comme s'il ne voulait pas voir monsieur Crie-Toujours qui ex-
plique en criant de toutes ses forces :
« C'est par ici qu'il faut que tu lances ! »
Et l'écho répond :
- Si...lence...
Mais monsieur Crie-Toujours ne comprend pas.