ÉDITORIAL OPNA, MAI, STOPP, START, maintenant GP-GP : Qui dit mieux? Louise Mallet, Pierre Jaecker, Mounir Rhalimi Que veulent dire ces abréviations? Connaissez-vous ces outils et les utilisez-vous dans votre pratique? cet algorithme n’est pas précisé dans l’étude. OPNA : Ordonnances potentiellement inappropriées en gériatrie, critères de Beers1-3 MAI : Medication Appropriateness Index (Index de prescription appropriée)4 STOPP : Screening Tool of Older Person’s Prescription (Outil d’identification de médicaments non indiqués selon le choix, la dose, les interactions, la durée, la duplication)5 START : S creening Tool to Alert doctors to Right Treatment (Omission du point de vue d’une indication)5 GP-GP : Algorithme Good Palliative-Geriatric Practice pour l’arrêt des médicaments6 On ne naît pas vieux, on le devient, mais quand? Ceci n’est souvent perceptible que par un regard extérieur et non pas par le médecin traitant ou le patient qui se côtoient régulièrement. Notons que la gestion de l’interaction de l’organisme du sujet âgé avec ses médicaments devient un exercice de plus en plus complexe. L’état de la fonction rénale, les modifications journalières cliniques de l’activité rénale, les modifications de la vitesse du transit digestif, du pH, la modification de la masse musculaire, la modification de la masse grasse et maigre, de la clairance hépatique, de la dénutrition et des cytochromes sont des modifications que nous ne faisons que commencer à percevoir. Cette complexité nécessite une personnalisation de la pharmacothérapie, qui passe par une coopération étroite entre médecin et pharmacien. À défaut, par manque de temps et de compétences, ces paramètres risquent de ne pas être pris en considération. Aucun algorithme, aucune recommandation ne pourra être efficace (au sens du meilleur rapport avantagesrisques) et n’intégrera les données galéniques, les horaires de prises, les interactions multiples, les intolérances et bien sûr le suivi des progrès de la pharmacie clinique. Dans la chronique Évaluation critique de la documentation scientifique, Garfinkel et coll. ont évalué la faisabilité d’utilisation d’un algorithme d’arrêt des médicaments, The Good Palliative-Geriatric Practice algorithm for drug discontinuation (GP-GP), pour des personnes âgées, fragiles, en perte d’autonomie et demeurant en milieu ambulatoire6. Cet algorithme utilise une série de questions qui permettent de décider de l’arrêt ou de la poursuite du traitement médicamenteux. L’évaluation a été réalisée par un gériatre, et les suggestions ont été envoyées au médecin de famille pour ensivager l’abandon des médicaments. Les résultats sont intéressants. Les auteurs rapportent un taux de succès de 81 % pour l’arrêt des médicaments en utilisant l’algorithme GP-GP. Voici quelques exemples de succès : pour les antihypertenseurs (84 %), les benzodiazépines (100 %), les antipsychotiques (100 %), les bloquants des canaux calciques (85 %) et les hypolipémiants (72 %). Notons que seuls 2 % des médicaments discontinués ont été represcrits. Plusieurs limites doivent néanmoins être considérées dans l’évaluation de cet article. Dans un premier temps, il s’agit d’une étude de faisabilité effectuée sur un petit groupe de patients âgés, demeurant à domicile. Cette population représente une population fragile, en perte d’autonomie, avec de nombreux problèmes de santé, qui nécessitaient de l’aide pour les activités de la vie quotidienne. L’utilisation de cette démarche est basée sur l’évaluation d’un gériatre, qui tient compte seulement de l’expérience, du jugement clinique et des connaissances de cette personne. Le temps requis pour l’utilisation de 240 Pharmactuel Vol. 44 N° 4 Octobre - Novembre - Décembre 2011 Point de vue d’un gériatre La médecine gériatrique est en partie conditionnée par le syndrome « Jeanne Calment » : arrêt d’une statine à 85 ans, pas de souci, mais au cas où un accident vasculaire cérébral se produirait à 99 ans : quid de notre inaction? Arrêt d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine à 85 ans : pas de problème tensionnel immédiat, mais insuffisance cardiaque à 99 ans : quid du remodelage cardiaque? La question des algorithmes d’aujourd’hui n’est-elle pas simplement dépendante de l’espérance de vie? Il n’y a pas si longtemps toute discussion s’arrêtait à 70 ans. Les algorithmes étaient alors presque morts nés! Louise Mallet, B.Sc. Pharm., Pharm.D., CGP, est pharmacienne-clinicienne en gériatrie, Centre universitaire de santé McGill, professeure titulaire de clinique à la Faculté de pharmacie Université de Montréal et rédactrice adjointe du Pharmactuel Pierre Jaecker, est gériatre au Service Soins de Suite et Réadaptation, Centre hospitalier Bertinot Juel à Chaumont en Vexin en France Mounir Rhalimi, docteur en pharmacie, est praticien hospitalier au Centre hospitalier Bertinot Juël à Chaumonten-Vexin en France Point de vue d’un pharmacien français Les outils ont montré leur capacité à identifier les médicaments inappropriés et les médicaments dont le rapport avantages/risques a pu s’inverser avec le temps. Il restera cependant à décrire les conséquences éventuelles à long terme de l’arrêt des médicaments possédant des propriétés préventives. Certains évoqueront également que l’utilisation de ces outils est chronophage. Quoi qu’il en soit, ces outils sont assurément pédagogiques. Les formations initiales et continues des professionnels de la santé devraient intégrer leur présentation et leur utilisation. Même s’ils ne sont pas utilisés au quotidien, il faut en avoir la maîtrise afin que nous nous posions les questions qu’ils soulèvent. En effet, nos patients âgés sont particulièrement vulnérables, parfois ils évoluent dans un équilibre précaire. Dès que cet équilibre est rompu, les conséquences leur sont, hélas, souvent fatales. C’est dans ce contexte que les formations et les congrès consacrés à la pharmacie clinique se développent. Une science nouvelle s’ouvre à nous; nous prenons conscience que, malgré nos connaissances du médicament, il nous faut continuer à approfondir et à utiliser celles relatives aux méthodes, aux outils spécifiques à la pharmacie clinique, à la pharmacothérapie, à la pharmacocinétique, à la pharmacodynamie, à notre capacité d’adapter les données de la médecine factuelle à un patient particulier, le tout en alliant des compétences en matière de sciences humaines et sociales, dont une part revient à notre capacité d’écoute et de compréhension du patient7. Les professionnels de la santé doivent également se poser une série de questions complémentaires lorsqu’il s’agit de traiter un patient âgé8,9. Portés par l’empathie que nous témoignons à nos patients, nous devrions encore gagner en opérationnalité et en efficience, simplement pour le bien-être de nos patients. Point de vue d’une pharmacienne québécoise Mme Fragile, âgée de 92 ans, est hospitalisée pour des chutes et pour 5 fractures des côtes. Elle prenait à la maison les médicaments suivants : le donépézil dosé à 10 mg une fois par jour, de la venlafaxine XL dosée à 37,5 mg une fois par jour et du diazépam dosé à 2 mg trois fois par jour à la suite de tremblements causés par l’ajout de la venlafaxine. Mme Fragile pèse 35 kg et a une clairance à la créatinine de 23 mL par minute. Une évaluation très sommaire des médicaments de Mme Fragile nous indique : •que la dose de donépézil est trop élevée pour son poids; •que la venlafaxine et le donépézil sont deux substrats du CYP3A4; •que les tremblements sont probablement des effets indésirables de l’association de la venlafaxine et du donépézil; •que l’ajout du diazépam est probablement la cause de ses chutes et des fractures; • qu’elle a subi une cascade médicamenteuse; •qu’elle a reçu des ordonnances potentiellement inappropriées; • et je pourrais continuer. Alors, quelqu’un peut-il m’expliquer le pourquoi de la prescription du diazépam à Mme Fragile? Cette prescription a entraîné une CASCADE MÉDICAMENTEUSE QUI A ENTRAÎNÉ DES EFFETS INDÉSIRABLES ET UNE HOSPITALISATION. Alors pourquoi? Pourquoi, tous les jours, nos patients âgés sont admis dans nos urgences avec des effets indésirables liés aux médicaments? Depuis 25 ans, on parle « médicaments » pour les personnes âgées. Pourquoi y a-t-il encore des personnes âgées admises pour des conséquences graves en relation avec leurs médicaments? Est-ce plus facile de ne rien faire plutôt que d’aller « négocier » pour le bienêtre de nos patients? Est-ce que la solution consiste à revoir nos méthodes pédagogiques pour former nos professionnels de la santé? Pourquoi tous ces outils, si on a encore des patients comme Mme F. qui sont hospitalisés et qui décèdent des suites des effets indésirables liés aux médicaments? Lorsque je visite Mme F. à l’urgence pour effectuer son histoire médicamenteuse, que je constate des chutes, les fractures de 5 côtes outre le fait qu’elle ne pèse que 35 kg et que je vois dans la liste des médicaments… du diazépam, vous devriez me voir « monter sur mes grands chevaux ». Mme F. a été hospitalisée. Elle a développé une pneumonie d’aspiration puis un Clostridium difficile et elle est décédée à l’hôpital. Références 1.Beers MH, Ouslander JG, Rollingher J, Reuben DB, Beck JC. Explicit criteria for determining inappropriate medication use in nursing home resident. Arch Intern Med 1991;151:1825-32. 2. Beers MH. Explicit criteria for determining potentially inappropriate medication use by the elderly. An update. Arch Intern Med 1997;157:1531-6. 3.Fick D, Cooper JW, Wade WE, Waller J, Maclean R, Beers MH. Updating the Beers Criteria for potentially Inappropriate Medication Use in Older Adults. Arch Intern Med 2003;163:2716-24. 4.Hanlon JT, Schmader KH, Samsa GP, Weinberger M, Uttech KM, Lewis IK et coll. A method for assessing drug therapy appropriateness. J Clin Epidemiol 1992;45:1045-51. 5.Gallagher P, Ryan C, Byrne S, Kennedy J, O’Mahony D. Screening tool of older person’s prescriptions (STOPP) and screening tool to alert doctors to right treatment (START). Consensus validation. Int J Clin Pharmacol 2008;46:72-83. 6.Garfinkel D, Magin D. Feasibility study of a systematic approach for discontinuation of multiple medications in older patients: Addressing polypharmacy. Arch Intern Med 2010;170:1648-54. 7. Allenet B, Bedouch P, Baudrant M, Calop J, Foroni L. De l’histoire médicamenteuse à l’observation pharmaceutique : recueil standardisé pour le développement de la pharmacie clinique en unité de soins. J Pharm Belg 2010;2:39-46. 8. Bergeron J, Mallet L, Papillon-Ferland L. Principes d’évaluation de la pharmacothérapie en gériatrie : illustration à l’aide d’un cas de patient. Pharmactuel 2008;41(suppl. 1):11-25. 9. Rhalimi M, Mangerel K, Armand-Branger S. Les activités de pharmacie clinique : point de vue de pharmaciens évoluant dans un établissement gériatrique. J Pharm Clin 2011;30:175-87. Pharmactuel Vol. 44 N° 4 Octobre - Novembre - Décembre 2011 241