240
Pharmactuel Vol. 44 N° 4 Octobre - Novembre - Décembre 2011
Louise Mallet, B.Sc. Pharm., Pharm.D., CGP, est pharma-
cienne-clinicienne en gériatrie, Centre universitaire de
santé McGill, professeure titulaire de clinique à la Faculté
de pharmacie Université de Montréal et rédactrice adjointe
du Pharmactuel
Pierre Jaecker, est gériatre au Service Soins de Suite et
Réadaptation, Centre hospitalier Bertinot Juel à Chaumont
en Vexin en France
Mounir Rhalimi, docteur en pharmacie, est praticien
hospitalier au Centre hospitalier Bertinot Juël à Chaumont-
en-Vexin en France
ÉDITORIAL
OPNA, MAI, STOPP, START, maintenant GP-GP : Qui dit mieux?
Louise Mallet, Pierre Jaecker, Mounir Rhalimi
cet algorithme n’est pas précisé dans l’étude.
Point de vue d’un gériatre
On ne naît pas vieux, on le devient, mais quand? Ceci
n’est souvent perceptible que par un regard extérieur et
non pas par le médecin traitant ou le patient qui se cô-
toient régulièrement. Notons que la gestion de l’interac-
tion de l’organisme du sujet âgé avec ses médicaments
devient un exercice de plus en plus complexe. L’état de
la fonction rénale, les modifications journalières cli-
niques de l’activité rénale, les modifications de la vitesse
du transit digestif, du pH, la modification de la masse
musculaire, la modification de la masse grasse et maigre,
de la clairance hépatique, de la dénutrition et des cyto-
chromes sont des modifications que nous ne faisons que
commencer à percevoir. Cette complexité nécessite une
personnalisation de la pharmacothérapie, qui passe par
une coopération étroite entre médecin et pharmacien. À
défaut, par manque de temps et de compétences, ces
paramètres risquent de ne pas être pris en considération.
Aucun algorithme, aucune recommandation ne pourra
être efficace (au sens du meilleur rapport avantages-
risques) et n’intégrera les données galéniques, les ho-
raires de prises, les interactions multiples, les intolé-
rances et bien sûr le suivi des progrès de la pharmacie
clinique.
La médecine gériatrique est en partie conditionnée par
le syndrome « Jeanne Calment » : arrêt d’une statine à
85 ans, pas de souci, mais au cas où un accident vascu-
laire cérébral se produirait à 99 ans : quid de notre inac-
tion? Arrêt d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion de
l’angiotensine à 85 ans : pas de problème tensionnel im-
médiat, mais insuffisance cardiaque à 99 ans : quid du
remodelage cardiaque? La question des algorithmes
d’aujourd’hui n’est-elle pas simplement dépendante de
l’espérance de vie? Il n’y a pas si longtemps toute discus-
sion s’arrêtait à 70 ans. Les algorithmes étaient alors
presque morts nés!
Que veulent dire ces abréviations? Connais-
sez-vous ces outils et les utilisez-vous dans
votre pratique?
OPNA : Ordonnances potentiellement inappropriées en
gériatrie, critères de Beers1-3
MAI : Medication Appropriateness Index
(Index de prescription appropriée)4
STOPP : Screening Tool of Older Person’s Prescription
(Outil d’identification de médicaments non
indiqués selon le choix, la dose, les interac-
tions, la durée, la duplication)5
START : Screening Tool to Alert doctors to Right
Treatment (Omission du point de vue d’une
indication)5
GP-GP : Algorithme Good Palliative-Geriatric Practice
pour l’arrêt des médicaments6
Dans la chronique Évaluation critique de la docu-
mentation scientifique, Garnkel et coll. ont évalué la
faisabilité d’utilisation d’un algorithme d’arrêt des médi-
caments, The Good Palliative-Geriatric Practice algo-
rithm for drug discontinuation (GP-GP), pour des per-
sonnes âgées, fragiles, en perte d’autonomie et demeurant
en milieu ambulatoire6. Cet algorithme utilise une série
de questions qui permettent de décider de l’arrêt ou de la
poursuite du traitement médicamenteux. L’évaluation a
été réalisée par un gériatre, et les suggestions ont été
envoyées au médecin de famille pour ensivager l’aban-
don des médicaments.
Les résultats sont intéressants. Les auteurs rapportent
un taux de succès de 81 % pour l’arrêt des médicaments
en utilisant l’algorithme GP-GP. Voici quelques exemples
de succès : pour les antihypertenseurs (84 %), les benzo-
diazépines (100 %), les antipsychotiques (100 %), les blo-
quants des canaux calciques (85 %) et les hypolipémiants
(72 %). Notons que seuls 2 % des médicaments disconti-
nués ont été represcrits.
Plusieurs limites doivent néanmoins être considérées
dans l’évaluation de cet article. Dans un premier temps,
il s’agit d’une étude de faisabilité effectuée sur un petit
groupe de patients âgés, demeurant à domicile. Cette
population représente une population fragile, en perte
d’autonomie, avec de nombreux problèmes de santé, qui
nécessitaient de l’aide pour les activités de la vie quoti-
dienne. L’utilisation de cette démarche est basée sur
l’évaluation d’un gériatre, qui tient compte seulement de
l’expérience, du jugement clinique et des connaissances
de cette personne. Le temps requis pour l’utilisation de
241
Pharmactuel Vol. 44 N° 4 Octobre - Novembre - Décembre 2011
que l’ajout du diazépam est probablement la cause
de ses chutes et des fractures;
qu’elle a subi une cascade médicamenteuse;
qu’elle a reçu des ordonnances potentiellement
inappropriées;
et je pourrais continuer.
Alors, quelqu’un peut-il m’expliquer le pourquoi de la
prescription du diazépam à Mme Fragile? Cette prescrip-
tion a entraîné une CASCADE MÉDICAMENTEUSE
QUI A ENTRAÎNÉ DES EFFETS INDÉSIRABLES
ET UNE HOSPITALISATION.
Alors pourquoi?
Pourquoi, tous les jours, nos patients âgés sont admis
dans nos urgences avec des effets indésirables liés aux
médicaments? Depuis 25 ans, on parle « médicaments »
pour les personnes âgées. Pourquoi y a-t-il encore des
personnes âgées admises pour des conséquences graves
en relation avec leurs médicaments? Est-ce plus facile de
ne rien faire plutôt que d’aller « négocier » pour le bien-
être de nos patients? Est-ce que la solution consiste à
revoir nos méthodes pédagogiques pour former nos pro-
fessionnels de la santé? Pourquoi tous ces outils, si on a
encore des patients comme Mme F. qui sont hospitalisés
et qui décèdent des suites des effets indésirables liés aux
médicaments?
Lorsque je visite Mme F. à l’urgence pour effectuer son
histoire médicamenteuse, que je constate des chutes, les
fractures de 5 côtes outre le fait qu’elle ne pèse que 35 kg
et que je vois dans la liste des médicaments… du diazé-
pam, vous devriez me voir « monter sur mes grands che-
vaux ». Mme F. a été hospitalisée. Elle a développé une
pneumonie d’aspiration puis un Clostridium difficile et
elle est décédée à l’hôpital.
Références
1. Beers MH, Ouslander JG, Rollingher J, Reuben DB, Beck JC. Explicit criteria
for determining inappropriate medication use in nursing home resident.
Arch Intern Med 1991;151:1825-32.
2. Beers MH. Explicit criteria for determining potentially inappropriate
medication use by the elderly. An update. Arch Intern Med 1997;157:1531-6.
3. Fick D, Cooper JW, Wade WE, Waller J, Maclean R, Beers MH. Updating the
Beers Criteria for potentially Inappropriate Medication Use in Older Adults.
Arch Intern Med 2003;163:2716-24.
4. Hanlon JT, Schmader KH, Samsa GP, Weinberger M, Uttech KM, Lewis IK et
coll. A method for assessing drug therapy appropriateness. J Clin Epidemiol
1992;45:1045-51.
5. Gallagher P, Ryan C, Byrne S, Kennedy J, O’Mahony D. Screening tool of
older person’s prescriptions (STOPP) and screening tool to alert doctors to
right treatment (START). Consensus validation. Int J Clin Pharmacol
2008;46:72-83.
6. Garnkel D, Magin D. Feasibility study of a systematic approach for
discontinuation of multiple medications in older patients: Addressing
polypharmacy. Arch Intern Med 2010;170:1648-54.
7. Allenet B, Bedouch P, Baudrant M, Calop J, Foroni L. De l’histoire
médicamenteuse à l’observation pharmaceutique : recueil standardisé pour
le développement de la pharmacie clinique en unité de soins. J Pharm Belg
2010;2:39-46.
8. Bergeron J, Mallet L, Papillon-Ferland L. Principes d’évaluation de la
pharmacothérapie en gériatrie : illustration à l’aide d’un cas de patient.
Pharmactuel 2008;41(suppl. 1):11-25.
9. Rhalimi M, Mangerel K, Armand-Branger S. Les activités de pharmacie
clinique : point de vue de pharmaciens évoluant dans un établissement
gériatrique. J Pharm Clin 2011;30:175-87.
Point de vue d’un pharmacien français
Les outils ont montré leur capacité à identifier les mé-
dicaments inappropriés et les médicaments dont le rap-
port avantages/risques a pu s’inverser avec le temps. Il
restera cependant à décrire les conséquences éven-
tuelles à long terme de l’arrêt des médicaments possé-
dant des propriétés préventives. Certains évoqueront
également que l’utilisation de ces outils est chronophage.
Quoi qu’il en soit, ces outils sont assurément pédago-
giques. Les formations initiales et continues des profes-
sionnels de la santé devraient intégrer leur présentation
et leur utilisation. Même s’ils ne sont pas utilisés au quoti-
dien, il faut en avoir la maîtrise afin que nous nous posions
les questions qu’ils soulèvent. En effet, nos patients âgés
sont particulièrement vulnérables, parfois ils évoluent
dans un équilibre précaire. Dès que cet équilibre est rom-
pu, les conséquences leur sont, hélas, souvent fatales.
C’est dans ce contexte que les formations et les congrès
consacrés à la pharmacie clinique se développent. Une
science nouvelle s’ouvre à nous; nous prenons conscience
que, malgré nos connaissances du médicament, il nous
faut continuer à approfondir et à utiliser celles relatives
aux méthodes, aux outils spécifiques à la pharmacie cli-
nique, à la pharmacothérapie, à la pharmacocinétique, à
la pharmacodynamie, à notre capacité d’adapter les don-
nées de la médecine factuelle à un patient particulier, le
tout en alliant des compétences en matière de sciences
humaines et sociales, dont une part revient à notre capa-
cité d’écoute et de compréhension du patient7.
Les professionnels de la santé doivent également se
poser une série de questions complémentaires lorsqu’il
s’agit de traiter un patient âgé8,9. Portés par l’empathie
que nous témoignons à nos patients, nous devrions en-
core gagner en opérationnalité et en efficience, simple-
ment pour le bien-être de nos patients.
Point de vue d’une pharmacienne québécoise
Mme Fragile, âgée de 92 ans, est hospitalisée pour des
chutes et pour 5 fractures des côtes. Elle prenait à la mai-
son les médicaments suivants : le donépézil dosé à 10 mg
une fois par jour, de la venlafaxine XL dosée à 37,5 mg une
fois par jour et du diazépam dosé à 2 mg trois fois par jour
à la suite de tremblements causés par l’ajout de la venla-
faxine. Mme Fragile pèse 35 kg et a une clairance à la créa-
tinine de 23 mL par minute. Une évaluation très sommaire
des médicaments de Mme Fragile nous indique :
que la dose de donépézil est trop élevée pour
son poids;
que la venlafaxine et le donépézil sont deux
substrats du CYP3A4;
que les tremblements sont probablement des effets
indésirables de l’association de la venlafaxine et
du donépézil;
1 / 2 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !