Désapprendre d’écrire
Désapprendre d’écrire, cela ne doit pas demander beaucoup de temps. Je vais
toujours essayer. Je saurai dire : « Je n’y suis pour personne, sauf pour ce
myosotis quadrangulaire, pour cette rose en forme de puits d’amour, pour le
silence où vient de se taire le bruit d’affouillement que produit la recherche d’un
mot. »
Avant de toucher au but, je m’exerce. Je ne sais pas encore quand je réussirai à
ne pas écrire ; l’obsession, l’obligation sont vieilles d’un demi-siècle. J’ai
l’auriculaire droit un peu arqué, parce que la main droite, en écrivant, prenait
appui sur lui, comme fait le kangourou sur sa queue. Un esprit fatigué continue
au fond de moi sa recherche de gourmet, veut un mot meilleur, et meilleur que
meilleur. Heureusement, l’idée est moins exigeante, et bonne fille pourvu qu’on
l’habille bien. Elle est accoutumée à attendre, mi-endormie, sa pâture fraîche de
verbe.
Toute ma vie, je me suis donnée beaucoup de peine pour des inconnus. C’est
qu’en me lisant ils m’aimaient tout à coup, et parfois ils me le disaient. Comme
il est difficile de mettre un terme à soi-même… S’il ne faut qu’essayer, c’est dit,
j’essaye.
Sur une route sonore s’accorde puis désaccorde pour s’accorder encore le trot de
deux chevaux attelés en paire. Guidées par la même main, plume et aiguille,
habitude du travail et sage envie d’y mettre fin lient amitié, se séparent, se
réconcilient… Mes lents coursiers, tâchez à aller de compagnie : je vois d’ici le
bout de la route.