« Peut-être ne peut-on poser la question : "Qu'est-ce que la
philosophie ?" que tard, quand vient la vieillesse, et l'heure
de parler concrètement. En fait, la bibliographie est très
mince. C'est une question qu'on pose dans une agitation
discrète, à minuit, quand on n'a plus rien à demander.
(Auparavant...) on avait trop envie de faire de la
philosophie, on ne se demandait pas ce qu'elle était, sauf
par exercice de style ; on n'avait pas atteint à ce point de
non-style où l'on peut dire enfin : "Mais qu'est-ce que c'était
ce que j'ai fait toute ma vie ?" » Ce que Gilles Deleuze
pense avoir fait toute sa vie, en tant que philosophe, est de
créer des concepts. C'est dire encore que « les concepts ne
nous attendent pas tout faits, comme des corps célestes. Il
n'y a pas de ciel pour les concepts, ils doivent être inventés,
fabriqués ou plutôt créés, et ne seraient rien sans la
signature de ceux qui les créent ». La philosophie n'est
donc pas une contemplation mais une activité, dont le
premier acte est de créer des néologismes : il s'agit là d'une
nécessité, qui relève certes d'un « athlétisme philosophique
», mais en rien gratuite, car le philosophe crée ainsi un lieu,
un sol où son concept va se déployer, en lui échappant. Car
le concept est autoréférentiel, il ne renvoie ni à un auteur
qui s'incarnerait en lui, ni ne s'applique à une « réalité », si
cela veut dire à une perception naïve de ce qui est.
Dégager l'événement
Ce que G. Deleuze et Félix Guattari appellent leur «
constructivisme » suppose une définition originale de la
philosophie : elle assume paisiblement, sans drame, son
athéisme, ne vise pas à dire l'essence du monde, l'être de
la chose, ne s'établit pas dans une discussion (car elle ne
se préoccupe pas de trouver des consensus), refuse de se
voir réduite à une suite d'arguments, à un enchaînement de