Prescription inadaptée de collyres
Une patiente de 52 ans est suivie régulièrement par un ophtalmologiste notamment du fait du port de lentilles
depuis 10 ans. Quelques mois avant les faits, son acuité visuelle est excellente avec correction.
Spécialité(s) :
Médecin
A découvrir sur notre site :
Cas cliniques du mois
Revues de presse
Revues de questions thématiques
Voir toutes nos vidéos
Méthodes de prévention des risques
Nos offres de formation
Sommaire
Analyse
Cas clinique
Jugement
Commentaires
Références bibliographiques
Auteur : Catherine Letouzey / MAJ : 26/05/2016
Analyse
Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.
Télécharger l'exercice (pdf - 28.46 Ko)
Retrouver l'analyse des barrières de prévention (pdf - 12.32 Ko)
Télécharger le jugement (pdf - 38.24 Ko)
Cas clinique
La patiente consulte un urgentiste pour un œil rouge et douloureux depuis 24 heures sans baisse repérée de l’acuité visuelle. Son œil pleurait dit-elle. Elle se rend aux urgences
avec « une serviette devant l’œil ».
Le médecin examine la patiente avec les moyens dont il dispose, note une rougeur oculaire, un œdème conjonctival, une photophobie modérée et l’absence de baisse de l’acuité
visuelle. Ce sont en tout cas ses déclarations mais le dossier de consultation n’a pas été produit. Il pose le diagnostic de conjonctivite unilatérale et prescrit du Chibrocadron
(association antibiotique et corticoïdes) (1 goutte 6 fois par jour pendant 5 jours) et un pansement oculaire.
Elle n’informe pas le médecin qu’elle est porteuse de lentilles et il ne se souvient pas qu’ils aient évoqué ce sujet.
Elle regagne son domicile et se plaint de douleurs permanentes diurnes et nocturnes ; elle décide de consulter un (remplaçant) ophtalmologiste trois jours plus tard : il lui aurait
parlé de « forte conjonctivite » mais en fait, dans son dossier, il note un ulcère ; son dossier comporte la mention « douleurs suite à conjonctivite +++, ulcère œil gauche+++, instille
‘cadron‘ par médecin traitant ». Il prescrit un traitement antibiotique local (Rifamycine, Fucithalmic) avec de l’atropine et oral (Augmentin) et lui demande de consulter dans trois à
quatre jours.
Le lendemain, en l’absence d’amélioration, elle décide de reconsulter l’ophtalmologiste qui, sur son insistance dit-elle, l’hospitalise. Il existe une fonte purulente de l’œil avec
hypopion ; l’acuité est réduite à la perception lumineuse due à un abcès cornéen (à pyocyaniques). Malgré divers traitements médicamenteux, l’évolution est défavorable.
L‘acuité de l’œil atteint est limitée à une perception lumineuse du fait des séquelles de cet abcès cornéen grave. Elle est en attente de greffe de cornée.
D’après un courrier entre le remplaçant et son confrère hospitalier, cette infection a évolué rapidement en raison d’un germe virulent associé à une prescription de cortisone par le
généraliste.
La patiente reproche au généraliste la prescription de collyres, et de ne pas « l’avoir fait hospitaliser immédiatement ». Elle reproche à l’ophtalmologiste de ne pas l’avoir fait hospitaliser
à la première consultation « alors qu’elle lui avait demandé ».
Jugement
EXPERTISE
L’expert résume la situation clinique: il s’agit d’un abcès cornéen chez une porteuse de lentilles, un germe virulent, favorisé par le traitement corticoïde prescrit par le généraliste. (Il
s’agit de transcriptions du rapport sans que les termes exacts de celui-ci soient connus dans leur totalité).
L’ophtalmologiste a adopté une conduite globalement satisfaisante.Il n’existe pas de consensus international sur le traitement des infections bactériennes. Néanmoins les
ophtalmologistes savent que deux affections sont particulièrement redoutées chez les porteurs de lentilles: l’infection pyocyanique et l’infection bactérienne. En France, la tendance
est d’instaurer un traitement couvrant le pyocyanique, les germes gram plus et moins et l’amibe. Il est utile d’obtenir si possible la lentille et son étui afin de les mettre en culture. Le
traitement doit être instillé de manière pluriquotidienne, voire en hospitalisation; dans le cas d’un traitement domicile un contrôle au plus tard 48 heures est obligatoire en début de
traitement en raison de la possibilité d’évolution très rapide. Il aurait été préférable que la patiente soit hospitalisée dès le premier examen et non le lendemain.
La responsabilité du médecin généraliste est clairement engagée, sachant qu’il a prescrit un traitement haute dose d’un collyre antibio cortisoné sans avoir pris soin de demander,
semble-t-il un contrôle ophtalmologique rapide. Au stade de début de l’infection, avant que l’abcès cornéen ne soit patent, plusieurs formes cliniques peuvent se rencontrer: une
kératite ponctuée superficielle, un tableau d’ulcération épithéliale, un œil rouge et douloureux. Lorsqu’un porteur de lentilles présente un œil rouge et douloureux, la cause peut être liée
ou non au port de lentilles. Outre l’infection cornéenne, il peut s’agir d’un serrage sous la lentille, une erreur dans l’entretien, une kératite herpétique… Ce tableau nécessite une
consultation ophtalmologique en urgence sachant que les statistiques montrent que dans 5% des cas il s’agit d’un cas grave qui doit bénéficier d’une thérapeutique adaptée en
urgence. Le traitement par collyre prescrit par le généraliste est une faute.
L’expert conclut que le lien entre la prescription du médicament et l’aggravation des lésions initiales est direct et certain du fait de la pathologie initiale.
Concernant l’évolution sans prescription de cortisone, l’expert indique qu’il existe une perte de chance de récupération d’une cornée transparente du fait de cette prescription
inopportune.
Le délai entre le début de l’infection et la première consultation ophtalmologique est également un facteur aggravant.
L’expert explique que le pyocyanique se trouvait dans l’étui lentilles qu’il faut désinfecter régulièrement, le germe provenant le plus souvent de l’eau du robinet puis se déposant sur la
lentille. Dans les prélèvements chez des porteurs de lentilles, 10% ont du pyocyanique sans pour autant développer de pathologie. Il faut qu’il y ait une atteinte de l’épithélium cornéen
pour que le germe virulent se développe et atteigne le stroma.
Dans les cas de kératite bactérienne prise en charge dans les temps avec un traitement adapté, 30% des patients gardent une bonne acuité visuelle. Dans les cas restants, la perte
éventuelle de l’acuité visuelle est variable; même avec un traitement adapté, l’expert ne peut affirmer que la cornée aurait été transparente.Il conclut une perte de chance.
Avis de CCI (2012)
En reprenant les conclusions de l’expert, la CCI expose:
La survenue d’une kératite chez un porteur relève d’un examen ophtalmologique et d’un traitement d’urgence, le pronostic visuel est en jeu. La corticothérapie est proscrite la phase
initiale du traitement. Elle ne peut être envisageable qu’après plusieurs jours de traitement antibiotique adapté et efficace.
Le médecin généraliste a commis deux fautes:
-en premier lieu, un œil rouge douloureux unilatéral nécessite un avis spécialisé car il peut s’agir d’une uvéite antérieure, une kératite infectieuse bactérienne ou virale, d’une
hypertonie oculaire nécessitant un diagnostic précis et un traitement adapté instaurer d’urgence. L’urgentiste aurait dû orienter la patiente en urgence auprès d’un ophtalmologiste.
-En second lieu, sur un œil rouge unilatéral, il est dangereux de prescrire un collyre cortisoné car la cortisone va aggraver le pouvoir pathogène local des germes contaminants en
cas d’infection, qu’elle soit bactérienne ou virale notamment herpétique. La prescription de Chibrocadron constitue une faute.
Ces deux fautes génèrent une perte de chance par aggravation du processus infectieux et retard dans le traitement de l’infection. Cette perte de chance peut être évaluée 25%.
Le médecin ophtalmologiste a, lui aussi, commis deux fautes:
-il n’a pas prescrit de collyre anti amibien ce qui n’a pas eu de conséquence s’agissant d’un pyocyanique,
-il a demandé la patiente de le revoir en contrôle seulement au bout de 3 4 jours de traitement ce qui n’a pas eu de conséquence non plus puisque la patiente a pris l’initiative de
revoir l’ophtalmologiste le lendemain
Les manquements de celui-ci n’ont entrainé aucun dommage et n’ont pas aggravé le dommage pré existant.
Commentaires
Le problème de la prescription de collyres ou pommades cortisonés et de leurs conséquences se répète d’année en année dans les dossiers de responsabilité que nous colligeons à la
MACSF (par exemple Tobradex, chibrocadron, sterdex….).
Même s’ils ne sont pas fréquents, ils sont évitables.
L’œil « rouge» est certes un motif fréquent de consultation en médecine générale mais… Pas de collyre corticoïde sans diagnostic ophtalmologique et pas en médecine générale.
Plusieurs dossiers identiques nous sont connus suite à la prescription ponctuelle de collyres contenant de la cortisone et susceptible d’avoir eu un effet délétère dans l’évolution de la
pathologie, ce d’autant qu’un rendez-vous rapide en ophtalmologie n’est pas toujours simple à obtenir : citons, pathologie amibienne ou infectieuse chez des porteurs de lentilles,
herpes cornéen, zona ophtalmique…. voire crise aiguë non diagnostiquée de glaucome…
Il ne faut pas méconnaître de plus le fait que les flacons de collyres contiennent le plus souvent un nombre de gouttes dépassant largement la dose nécessaire à une instillation de
quelques jours et que des patients soulagés sont susceptibles de ne pas respecter la durée de prescription et d’utiliser le reste du flacon.
Dans certains cas plus graves et heureusement exceptionnels, nous avons pu constater qu’aussi bien un ophtalmologiste (pour des complications de chirurgie réfractive), que des
généralistes et spécialistes successifs ont pu répéter sans y prendre garde la prescription de collyres de ce type, par confort pour le patient demandeur : ces instillations répétées ont
pu être à l’origine de complications menant à la cécité définitive de patients volontiers jeunes et non informés des dangers à long terme de ces prescriptions. Le glaucome ou le
glaucome associé à une cataracte précoce sont des pathologies insidieuses ; le patient ne repère la restriction du champ visuel et consulte trop tardivement au stade où le champ
visuel est devenu tubulaire ou quand la baisse d’acuité est évidente et irréversible.
Références bibliographiques
Collyres, pommades ophtalmiques ma pharmacie en ligne www.pharmaciedelepoulle.com
598 tableaux des principaux topiques ophtalmologiques par famille. www.sideralsante.fr/pharmaco/collyres
Ce que peut faire le médecin généraliste devant une pathologie oculaire. Pr André Mathis. www.dufmcepp.ups-tlse.fr
Abcès de cornée : le risque majeur du port de lentilles de contact. www.chu-montpellier.fr
Auteur : Catherine Letouzey / MAJ : 26/05/2016
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !