QuelqUes « Traversées du Cid

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Quelques
« Traversées
du Cid »
Un Cid Légendaire
"Je suis né deux fois, la première le 4 décembre 1922, la seconde en juillet 1951, en Avignon, où j'ai eu grâce à Jean Vilar la révélation du vrai
théâtre..." Gérard Philippe
15 Juillet 1951 : Cour d'Honneur du Palais des Papes (Avignon)
Mise en scène
Costumes
Lumières
Direction musicale
Interprétation
(1951)
Jean Vilar
Léon Gischia
Pierre Saveron
Maurice Jarre
Réalisation des
costumes
Henri Lebrun, Alyette Samazeuilh
Jean Vilar (Le Roi)
Gérard Philippe (Don Rodrigue)
Françoise Spira (Chimène)
Pierre Asso (Don Diègue)
Jean Leuvrais (Don Gomès)
Jeanne Moreau (l'infante de Castille)
Jean Negroni (Don Sanche)
Jean-Paul Moulinot (Don Alonse)
Charles Denner (Don Arias)
Monique Chaumette (Léonor)
Lucienne Le Marchand (Elvire)
André Schlesser (le page de l'infante)
Extrait audio (Gérard Philippe): http://www.youtube.com/watch?gl=BE&v=2aJd-e5hWUU
Dans un premier temps, Gérard Philippe avait refusé le rôle, trouvant l’idée farfelue et avouant son
désintérêt pour Corneille. Mais après réflexion il accepta en 1950.
La veille de la première, Gérard Philippe, est au meilleur de sa forme et joue son rôle comme jamais.
Tellement envouté qu’il se trompe de côté en sortant et fait une chute de 2,50 m.
« La star de cinéma Gérard Philipe participe cette année doublement (aux côtés de Jeanne
Moreau) au Festival d'art dramatique d'Avignon (15-25 juillet), dans deux pièces qui jouent
dans la Cour d'honneur du Palais des Papes : « Le Prince de Hombourg » de Heinrich von
Kleist et « Le Cid » de Corneille. La première représentation de cette deuxième œuvre a eu lieu
ce soir devant un parterre noir de monde. L'acteur, qui s'est démis le genou lors de la dernière
répétition, a triomphé malgré sa capacité de déplacement réduite. Pour Jean Vilar, fondateur il
y a quatre ans de l'événement avignonnais (sous le nom initial de "Semaine d'art"), qui lui
donnait la réplique dans le rôle du roi, son interprétation était tellement impressionnante que
"personne n’osera plus monter Le Cid avant trente ans".»1
1
http://www.live2times.com/1951-gerard-philipe-joue-le-cid-a-avignon-e--11001/#5WOFCT1SWC4hyDRf.99
L'ombre de Gérard Philipe plane encore sur Avignon
AVIGNON / PUBLIÉ LE SAMEDI 24 JUILLET 2010 À 11H13
Le 25 novembre 1959, Gérard Philippe, alors en pleine gloire et à l'apogée de sa popularité, est emporté par un cancer du foie foudroyant à l'âge de 37 ans. A
Avignon comme partout en France, on pleure la disparition de la star. Peut-être plus qu'ailleurs
Rares sont ceux qui connaissent l'histoire du Festival d'Avignon aussi bien qu'elle. Auprès de son mari, Paul Puaux, compagnon d'aventure de Jean Vilar et son successeur à
la tête du TNP (Théâtre national populaire), Melly Puaux a participé, dès 1966, à "cette formidable aventure humaine" du festival, comme elle dit, où elle a occupé, jusqu'en
1979, la fonction de secrétaire. Avant de fonder, la même année, la Maison Jean-Vilar à Avignon.
Certes, elle n'a pas assisté aux premières heures du festival, dont "la création, dit-elle, relève du miracle, un peu comme la naissance du Christ dans la crèche: sans moyens,
mais avec un enthousiasme à nul autre pareil". Elle n'a pas, non plus, connu personnellement Gérard Philipe, emporté par un cancer du foie foudroyant, à l'âge de 37ans, en
1959. Mais les innombrables heures qu'elles a passées à ratisser les archives pour monter quantité d'expositions, font d'elle la mémoire vivante du festival.
"Gérard Philipe ? Jean Vilar lui avait déjà demandé d'intégrer le TNP dès 1949, mais il avait décliné la proposition, trop absorbé qu'il était par ses tournages de films, raconte-telle. Et puis, en 1950-51, alors que Vilar jouait dans Henri IV de Pirandello, au théâtre de l'Atelier, à Paris, il s'est finalement décidé à aller à sa rencontre, dans les loges, pour lui
demander d'en faire partie. Vilar lui a fait lire Le Prince de Hombourg qui, à l'époque, n'avait jamais été joué en France, et Le Cid. Et il a accepté, tout en sachant que Vilar n'avait
aucun moyen de le payer. Qu'importe, pour lui, l'essentiel était de toucher un nouveau public et de participer à l'aventure. Dès lors, il jouera à Avignon tous les ans, ou presque.
C'était quelqu'un de très accessible, comme tous les artistes de l'époque, d'ailleurs. Il aimait participer aux rencontres avec le public dans le verger Urbain V avec Paul Puaux, pour
parler du métier, au côté de Georges Wilson, qui nous a quittés."
En tant que responsable des archives, Melly Puaux a aussi mis la main sur le costume sans manche (!) du Cid, joué en 1949 par Jean-Pierre Jorris, et repris, deux ans plus
tard, par Gérard Philipe. "Les deux comédiens n'avaient pas la même morphologie: les manches du premier costume avaient été enlevées pour être ensuite cousues sur le
deuxième!", sourit-elle. Les anecdotes s'enchaînent. "En 1951, le plateau du Palais des Papes n'était pas aussi sécurisé qu'aujourd'hui. Lors de la générale (la dernière
répétition, ndlr) du Cid, Gérard Philipe, qui jouait Don Rodrigue, porté par l'enthousiasme de la bataille contre les Maures, est tombé de scène, se faisant particulièrement mal à
la hanche. Ce qui a obligé Jean Vilar, pour la première, à modifier la mise en scène à la dernière minute. C'est finalement assis sur le trône du roi que Gérard Philipe va raconter la
bataille, tandis que Jean Vilar, dans le rôle du roi, se placera carrément dans le public."
L'année d'après, pour Lorenzaccio, Jean Vilar va même confier, pour des raisons de santé, "la fin de la régie" à Gérard Philipe. "La fin de la mise en scène, si vous préférez.
Mais ce dernier terme était trop pompeux pour Vilar: il préférait employer 'régie'. Un régisseur, disait-il, fait valoir la terre de ses maîtres. Mon maître, c'est l'auteur et je suis là
son serviteur." Des anecdotes, Melly Puaux pourrait en raconter pendant des heures entières. Peut-être en aura-t-elle l'occasion, tout prochainement ? Retirée aujourd'hui
à Paris d'où elle est originaire, elle confie son intention de descendre quelques jours à Avignon, pour ce festival. "Pour profiter des trois derniers jours."
Un Cid Classique
« J’ai essayé de mettre Dieu en scène » Francis HUSTER
Mise en scène : Francis HUSTER
Décors : Pierre-Yves LEPRINCE
Costumes : Dominique BORG
Lumières : Geneviève SOUBIROU
Acteurs :
Don Rodrigue : Francis HUSTER
Chimène : Jany GATALDY
Don Gormas : Jean-PIERRE BERNARD
Don Diègue : Jean MARAIS
L’Infante : Martine CHEVALLIER
Le Roi Don Fernand : Jean-Louis BARRAULT
Don Sanche : Jacques SPIESER
Elvire : Martine PASCALE
Léonor : Monique MÉLINARD
Version : Tragi-comédie (version 1636)
Date : 1985
Lieu : Le théâtre du Rond-Point
Chimène est exécrable dans la colère et touchante dans l’amour.
Romantique et fragile. Sur les nerfs. Déchirée et blessée. Tremblante
comme la feuille. Sommet de poésie, de passion, un buisson ardent, ‘’un
diamant noir en fusion’’.
« Le vrai combat est entre Chimène et Chimène. » Francis HUSTER
Francis Huster ira même jusqu’à affubler Chimène de l’armure de son
père quand elle vient demander justice au roi.
Rodrigue est convaincant, très intériorisé d’une mélancolie maitrisée, qui
lutte contre l’inévitable, il s’arrache à des ténèbres, mais en même temps
il reste d’une enfance désarmante.
« ‘’Le Cid’’, c’est notre ‘’Roméo et Juliette’’ Rodrigue n’a rien d’un héros. Il doute. C’est un assassin comme Hamlet et Dom Juan qui ne
mérite pas d’être absout. (…) il a la tête pure, mais les mains sales. » Francis HUSTER
C’est avec les silhouettes que joue Francis Huster, il leur donne de la liberté.
L’infante a un costume bizarre (mais splendide). Elle joue de la façon la plus intelligente, la plus sensible … dans son rôle on trouve des
variations sur l’amour fou et impossible. Elle est la plus convaincante.
Un traitement particulier de la part de Francis HUSTER. L’infante est un personnage que Corneille lui-même avoue être « hors d’œuvre »,
« rapportée ». Ici, Francis Huster en fait une sorte de phare central de la tragédie. « L’infante devient un ostensoir, une sorte d’icône d’or et de
pierres précieuses, qui éblouit l’action »2
De plus, pour parfaire la beauté de la chose, des accès de démence de l’infante (invention d’Huster) sont annoncés par un envoutant « chant
des sphères » du compositeur Dominique Probst. Elle ajoute son cri, un cri d’amour fou. Martine Chevallier en fait un chant de mort.
2
COURNOT Michel. 1985. « Une bourrasque d’air frais ». Le Monde, 30 novembre.
Elvire est en permanence unie à Chimène dans une grande affection, « comme si Elvire avait toujours été là pour calmer la soif de désastre et
alors ce couple Chimène-Elvire, qui est en vérité l’axe de feu de la pièce, est d’un inaltérable éclat »3.
Le décor : un décor unique. Quatre portes et un trône, un décor d’une excessive sobriété. Un grand air, de l’horizon à perte de vue, le ciel bleu
des plages.
Les lumières : sont celles des aurores, des midis et des couchants. Elles prennent les corps et les visages de biais
« On ne doit voir ni un décor, ni des costumes, ni des lumières, on doit voir le Cid. » Francis HUSTER
« ‘’Le Cid’’ c’est la jungle. Ce n’est pas une pièce, c’est un poème. Corneille écrivait de la main gauche. Il faut l’aborder par le biais de la
jeunesse et de la maladresse. » Francis HUSTER
« Le meilleur est dans le baroquisme, une manière d’aborde ‘’Le Cid’’ comme si c’était une comédie shakespearienne. D’où je ne sais quoi de
désinvolte, de blagueur, comme une distance poétique, une liberté à laquelle on sera sensible. »4
3
4
COURNOT Michel. 1985. « Une bourrasque d’air frais ». Le Monde, 30 novembre.
MARCABRU Pierre. 1985. « Les Feux du Baroque ». Le figaro, 29 novembre.
Dans cette version-ci, Corneille nous apparait au début, nous disant quelques mots d’avertissement …
PIERRE CORNEILLE
s’avance et s’adresse au public.
Ce portrait vivant que je vous offre représente un héros assez reconnaissable aux lauriers dont il est couvert. Sa vie a été une suite continuelle de
victoires ; son corps, porté dans son armée, a gagné des batailles après sa mort ; et son nom, au bout de six cent ans, vient encore de triompher en
France. Il y a trouvé une réception trop favorable pour se repentir d’être sorti de son pays, et d’avoir appris à parler une autre langue que la sienne.
Je me résous, puisque vous le voulez, à me laisser condamner par votre illustre Académie ; si elle ne touche qu’à moitié du Cid, l’autre me
demeurera toute entière. Mais je vous supplie de considérer qu’elle procède contre moi avec tant de violence, et qu’elle emploie une autorité si
souveraine pour me fermer la bouche, que ceux qui sauront son procédé auront sujet d’estimer que je ne serais point coupable si l’on m’avait permis
de me montrer innocent … J’ai fait Le Cid pour me divertir, et pour le divertissement des honnêtes gens, qui se plaisaient à la comédie. J’ai
remporté le témoignage de l’excellence de ma pièce par le grand nombre de ses représentations, par la foule extraordinaire des personnes qui y
sont venues, et par les acclamations générales qu’on lui a faites. Toute la faveur que peut espérer le sentiment de l’Académie est d’aller aussi loin ;
je ne crains pas qu’il me surpasse… Le Cid sera toujours beau, et gardera sa réputation d’être la plus belle pièce qui ait paru sur le théâtre, jusques à
ce qu’il en vienne une autre qui ne lasse point les spectateurs à la trentième fois…
Et pour finir :
Qu’on parle mal ou bien du fameux Cardinal,
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien.
Sire, ainsi je serais le plus ingrat de tous les hommes si je n’étais toute ma vie, très véritablement Sire, votre très humble, très obéissant et très
fidèle serviteur et sujet.
Un cid improvisé
Titre : Le Cid Improvisé
De Philippe Cohen, d’après Pierre Corneille
Interprétation : Philippe Cohen
Lieu : Théâtre Les Ateliers (Suisse)
Date : 1987-1988
Le spectacle :
Un soir à Séville, j’ai joué ‘’Le Cid’’ dans une mise en scène signée par moi, où je m’étais attribué tous les rôles et
notamment celui de Rodrigue…
Corneille était présent dans la salle, ou plutôt dans les gradins, car la représentation avait lieu en plein air, sur les lieux
mêmes où le texte situe la tragi-comédie, aux abords d’un château, en Espagne.
Aujourd’hui, le spectacle que je présente a considérablement évolué : rapport à mes relations avec Corneille depuis ce soir
de première…
En un mot, je me détache de plus en plus de l’auteur et je m’attache de plus en plus au spectateur. D’ailleurs, je me suis
autorisé à changer le titre : la pièce s’appelle maintenant ‘’Le Cid Improvisé’’.
Un cid fondant
« Mais d’un corps de glace inutile ornement (…). » Don Diègue
Titre : « Un cid »
Mise en scène : Emilie Valentin
Acteurs-manipulateurs : Emilie Valantin, Jean Sclavis, Jacques Bourdat, Isabelle Rouabah, Jean-Pierre Skalka.
Musiciens : Christian Chiron, Yannick Herpin
Lieu : Avignon, Maison des Côtes du Rhône
Date : 1996
Durée : 1h (lié à la technique)
Pour le 50ème festival d’Avignon (1ère fois que
quelqu’un ose faire revivre « Le Cid » à Avignon après
l’interprétation de Gérard Philippe).
Les acteurs sont ici des marionnettes de
glaces articulées et juchées sur des cubes de bois (des
praticables noirs). Elles sont formées de 4 ou 5 litres
d’eau moulés à l’horizontale et maintenus au
congélateur pour obtenir des poupées de 60 cm et
d’environ 5 kg.
On dirait du cristal. L’air chaud givre d’un coup les corps translucides. La glace
crisse et se met à luire. Les gouttes perlent doucement sur le front de Don
Diègue. Goutte à goutte, les marionnettes s’allègent, s’érodent, fondent en
larmes.
« Pleurez mes yeux et fondez-vous en eau. » Chimène
Fantômes fragiles d’un passé glorieux, pouvant se briser d’un coup sec ou se
tasser lentement : merveilleux symboles de la vanité humaine qui ne laisse
derrière elle que quelques gouttes d’eau, vite évaporées.
Plus la glace fond, plus l’attention s’avive.
Les musiciens (deux joueurs de clarinette) et les manipulateurs sont en costumes noirs d’époque et en gants de
caoutchouc. À l’abri, derrière leurs marionnettes, les manipulateurs assument l’excès des sentiments, la pamoison et le
panache, ils se lâchent de toute leur âme. On retrouve alors l’esprit d’enfance, de naïveté, de cœur tendre et robuste. Il y a
un retour au premier degré, le spectacle a quelque chose d’enfantin.
Don Gormas est précipité du haut d’une tour et se fracasse au sol en mille morceaux.
La question de l’éphémère au théâtre : bel hommage au théâtre ? Actrices d’un soir, les figurines meurent avec leur personnage …
« C’est la création sous contrainte totale ! »5
5
JURGENSON Caroline. 1996. « Emilie Valantin gèle « le Cid » ». Le Figaro, 24 juillet.
Un cid décapé
« Une mystérieuse jeunesse qui nous bouleverse. »6
« Bref, c’est plus qu’une réussite, c’est un miracle de théâtre. »7
Titre : « Le Cid »
Mise en scène de : Declan Donnellan
Acteurs :
Don Rodrigue : William NADYLAN
Chimène : Sarah KARBASNIKOFF
Don Gomès/Gormas : Philippe BLANCHER
Don Diègue : Michel BAUMANN
L’Infante : Sandrine ATTARD
Le Roi Don Fernand: Patrick RAMEAU/George BIGOT
Le Prince : Benjamin DUPÉ
Don Sanche : Yanneck ROUSSELET
Elvire : Joséphine DERENNE
Léonor : Odile COINTEPAS
Lieu : Avignon
Année : 1998
Durée : Moins de 2h
C’est la première fois que « Le Cid » est rejouée dans la cour d’honneur,
depuis la mise en scène de Jean Vilar avec Gérard Philippe
Lien vidéo (reportage) http://www.ina.fr/art-et-culture/arts-du-spectacle/video/CAB98029051/le-cid-avignon.fr.html
6
7
R.T.B.F., Musique 3, « Billet », Le Cid (Marie-Eve Stévenne), mercredi 27 octobre 1999 à 8h30.
R.T.B.F., Bruxelles-Capitale, »Billet », Le Cid (Hugues Dayez), mercredi 27 octobre 1999 à 7h30.
Rodrigue : Il a la peau bronzé d’un métis. L’image d’un Rodrigue a la peau noire, modifie la résonnance de cette guerre contre les Maures. De
plus, il n’a rien du guerrier bravache et creux. Droit, oui, mais pas aveugle. Une fragilité étonnante se dégage. « Ce Rodrigue-là est encore un
enfant, fier de recevoir des mains de son père l’épée qui fera de lui un homme, avant de mesurer que ce geste entachera à jamais son bonheur »8.
Un être humain bouleversant. Fébrile, fragile, angoissé, dégouté par la mort qu’il est obligé de semer autour de lui. Un héros frémissant doté
de conscience et d’humour et pour qui la gloire d’avoir accompli son devoir s’accompagne de la honte d’avoir tué.
Chimène : Jeune comédienne. Energique. Etourdissante. Forte. Douce blondeur, elle offre au regard une cambrure pour danser, mais sous sa
robe de soie il y a l’armure de Jeanne d’Arc. Cette Chimène se ment à elle-même, coincée par le devoir et la fierté castillane.
Elle se transforme en furie après la mort de son père. Capricieuse, allumeuse, insupportable chipie, elle épuise tout son entourage en
provoquant son propre malheur.
Explosive, passionaria en nuisette se jouant fougueusement du dilemme entre cœur et raison.
Les comédiens : Dynamique extraordinaire des déplacements des comédiens, presque
orchestrés comme un ballet. Les combats sont chorégraphiés comme une corrida
stylisée. « Chaque personnage, défini et joué avec finesse, éclabousse les planches avec le
même bonheur (…) »9 L’espace est investi par tous les personnages qui se croisent avec la
sensualité de danseurs de paso doble. Jeu de passe-passe.
8
9
CREUZ Sophie. 1999. « Qu’il est joli l’assassin de papa ! ». L’Echo, 28 octobre.
BURY Marie-Anne. 1999. « Il sentait bon le sable chaud ». Le Matin, 29 octobre.
Le décor : Aucun, seulement trois chaises. Le sol est recouvert de planches de bois.
Les lumières : un éclairage qui habille l’espace. Précis et discret.
Les costumes : les comédiens ont l’uniforme de l’armée espagnole (le milieu des « hommes d’honneurs », les comédiennes sont en robes
courtes. Le metteur en scène situe l’intrigue dans notre époque.
« Le metteur en scène irlandais Declan Donnellan a transgressé les traditions théâtrales pour notre plaisir, pour le plaisir de spectateurs, qui
au soir de la première, étaient en majorité des jeunes en plein accord avec le spectacle. »10
« Totalement décomplexé face à cet imposant chef-d’œuvre, Donnellan le dépoussière avec une intelligence qui force l’admiration. Il ose se
rappeler qu’à l’époque de sa création, en 1637, Le Cid était défini comme une tragi-comédie, et que dans l’histoire d’amour cornélienne, of
course, entre Rodrigue qui a tué le père de Chimène, et Chimène, qui ne peut lui pardonner ce crime, se glissent souvent des répliques
spirituelles et drôles. »11
Texte : Le metteur en scène n’a pas changé une virgule. Il écoute le texte, retrouve le rythme soutenu du vers et dégage les enjeux.
10
11
R.T.B.F., Musique 3, « Billet », Le Cid (Marie-Eve Stévenne), mercredi 27 octobre 1999 à 8h30.
R.T.B.F., Bruxelles-Capitale, »Billet », Le Cid (Hugues Dayez), mercredi 27 octobre 1999 à 7h30.
Article (Libération, Culture. Le 14 juillet 1998)
Festival d'Avignon. Le Britannique Donnellan tire la pièce de Corneille vers la comédie. On
badine bien avec «le Cid».
Le Cid, de Pierre Corneille, mise en scène de Declan Donnellan. Théâtre municipal d'Avignon. Tous les soirs à 21 h 30
jusqu'au 22 juillet. Relâche le 14 et le 19.
Par DREYFUS ALAIN
«Grenade et l'Aragon tremblent quand ce fer brille.» Rodrigue aussi: en allant provoquer le père de Chimène, qui avait eu
le mauvais goût, comme chacun sait, de manquer de respect à son don Diègue de père, le sémillant jeune homme est
visiblement mort de trouille. Pour incarner le Cid, le metteur en scène irlando-britannique Declan Donnellan a choisi la
grâce plutôt que la force: il est vraiment joli, l'assassin de papa, sous les traits de l'acteur noir William Nadylam, dont on
pourra jusqu'à plus soif admirer la musculature sans défaut.
Pièce fondatrice. Le bras de Declan Donnellan (que la planète admire: depuis dix ans, sa troupe Cheek by Jowl enchaîne
avec des classiques, du Shakespeare surtout, les tournées à travers le monde) n'a pas tremblé pour s'attaquer à la pièce
fondatrice du mythe d'Avignon, avec, en 1951, le tandem Jean Vilar-Gérard Philipe. D'abord parce qu'il s'est avancé en
terrain connu pour avoir monté le Cid il y a douze ans en Angleterre et en anglais. Il fut d'ailleurs le premier à présenter
outre-Manche des oeuvres de Corneille et Shakespeare). Ensuite, parce que, sans botter en touche, il ne joue pas sur le
même terrain. Pas de cour d'honneur la direction du festival la lui avait proposée , mais la proximité d'un théâtre à
l'italienne. Pas de débauche de décor, mais la chaleur d'un plancher de bois serti de murs de caillebotis. Pas de monstre
sacré, mais une troupe apte à restituer la pièce dans toute sa fraîcheur en tirant ouvertement la tragi-comédie vers son
deuxième terme.
Comment faire entendre des tirades tellement connues qu'elles tiennent de la rengaine? En les traitant comme telles.
Lorsque don Diègue (Michel Bauman, parfaite figure du père sévère) entame l'inévitable «O rage, ô désespoir», c'est
accompagné à la guitare flamenco, tandis que le reste des acteurs fredonne à l'arrière-plan. Les conflits entre amour et
honneur? Pas de quoi en faire un drame. Chimène, déchirée dans un terrible dilemme, venger son père en sacrifiant son
amour? Et puis quoi encore" Il faut voir Sarah Karbasnikoff allongée presque nue lancer à sa servante «c'est peu dire
d'aimer, Elvire je l'adoooore!» dans un feulement orgastique et joyeux pour comprendre que les épreuves qu'elle va faire
subir (et Dieu sait si elle y va) à son soupirant tiennent plus du marivaudage que de l'affaire d'Etat. Donnellan prend
d'ailleurs soin de se placer, dans le dépliant qui accompagne le spectacle, sous l'aile du Henri IV de Shakespeare: «Qu'estce que l'honneur? Un mot. Qu'y a-t-il dans ce mot honneur, qu'est-ce que cet honneur? Du vent. Quel magnifique bilan! Et
qui en bénéficie? Celui qui est mort mercredi.»
Impression de liberté. Il y a une méthode Donnellan, apparemment simple. Mettre en avant les acteurs. Il faut beaucoup
d'intelligence et sans doute une main de fer (dans un gant de velours, paraît-il) pour donner l'impression qu'évolue en
liberté alors que tous les mouvements sont réglés au cordeau une distribution pas toujours parfaite mais manifestement
toute au bonheur de jouer. Même si Michel Bauman et Joséphine Derenne (hilarante Elvire) marchent avec des béquilles
suite à un accident lors de répétitions. Si Chimène en fait parfois un peu trop, le choix de William Nadylam apparaît en
tout cas le bon. Ce doux jeune homme, qui apporte humour et distance à un personnage qui en est ordinairement plutôt
dénué, incarne un Rodrigue atypique et réjouissant.
Declan Donnellan fait preuve d'un grand savoir-faire. Il sait aussi très bien ce qui plaît et ce qui ne plaît pas, et prend soin
de ne prendre personne à rebrousse-poil. Il en résulte un spectacle léger, agréable, où le Britannique donne, mais c'est
sans doute une illusion, le sentiment de vaincre sans péril.
Un cid
acide
Titre : « Cid »
Texte : Adaptation de Sabine Durand d'après «Le Cid » de Pierre Corneille
Mise en scène : Sabine Durand
Acteurs :
Don Rodrigue : Nicolas LUCON
Chimène : Nathalie MELLINGER
L’Infante : Photios KOURGIAS
Le Roi Don Fernand: Jean DEBEFVE
Lumière : Virginie STRUB
Costumes : Claire FARAH et Virginie HONORE
Durée : 1h50
Le texte : Il ne reste plus que quatre personnages. Le spectacle se concentre sur l’essentiel dans les dilemmes qu’il soulève. Même avec les
coupes drastiques dans le texte, il garde une cohérence.
L’ironie ici est partout. Proche de la parodie. La tragi-comédie devient une farce tragique.
La pièce vacille entre pathos grandiloquent et burlesque.
Le décor : un plateau tout en longueur, très nu, sous une lumière égale et de plain-pied avec le public. Epuré.
« L’originalité réside dans un traitement par instant parodique ou théâtralisé à outrance. Rodrigue (Nicolas Luçon) et Chimène (Nathalie Mellinger) sont tout à la
fois les amants impossibles et leurs irascibles pères, à grand renfort d’une moustache dessinée au crayon.Ils jouent l’amour et l’honneur avec tant de raideur
grandiloquente qu’on s’en amuse (légèrement). La palme du rire revient au roi Ferdinand (Jean Debefve) et l’Infante (Photios Kourgias, un homme).
Tout à fait décalés, ils accumulent pitreries et déchaînent les rires. (…) Jean Debefve est plus que séduisant dans son rôle de roi retors et épuisé.
Courbé par le poids du pouvoir, il tente encore de manipuler les uns et les autres. Son Infante de fille, jouée par Photios Kourgias devient un personnage tout à
fait décalé, par instants même loufoque qui navigue entre son amour impossible, sa simplicité d’esprit et ses espoirs déçus. Nicolas Luçon sert un Rodrigue
dépassé par les évènements, contraint de tuer le père de sa fiancée, de devenir le bras victorieux de la cité, repoussé par sa Chimène, il est désemparé, étourdi par
l’avalanche d’évènements qui lui tombent sur la tête. Il insuffle ainsi à son personnage un air de gamin désemparé pas déplaisant du tout. »
Extrait d’un article de Muriel HUBLET http://www.plaisirdoffrir.be/Vu/Critique.php?recordID=244
UNE VERSION QU'ON NE HAIT POINT
Un quatuor d'acteurs rejoue une partition nouvelle d’El Cid, d'après la tragédie de Pierre Corneille : "Le Cid". Actuel et interpellant.
Créée en mars, reprise en novembre 2006, l’adaptation et la mise en scène de Sabine Durand est fidèle au texte de Corneille tout en s'autorisant des coupures
significatives, de larges libertés dans sa représentation, et en n'escamotant pas les outrances. La distribution reprend les comédiens de la création sauf Nicolas Luçon, qui
assume le rôle titre. Quatre acteurs pour incarner une dizaine de personnages. Sauf les "permanents" : l'Infante de Castille/Photios Kourgias, rendue asexuée et dont les
sentiments ambigus apparaissent d'autant mieux, le Roi Don Fernand/Jean Debefve, dépouillé de sa superbe, tout proche de la sénilité. Au couple Rodrigue/Nicolas LuçonChimène/Nathalie Mellinger de se démultiplier pour incarner également les autres personnages, dont leurs pères !
Dépoussiéré et désenflé…
Option audacieuse, doigté subtil de la metteur en scène, prouesse toute en finesse des comédiens… Le plus étonnant c'est que, sans cesse sur le fil, l'ensemble devient, au
pied de la lettre, une farce tragique. Avec un dépouillement à l'excès en termes de décor et accessoires : un tabouret et un vieux canapé, les épées, des costumes
intemporels, un plateau de plain-pied avec les spectateurs…
Ce sont les pulsions ordinaires qui affleurent sous les "tirades" connues. Non plus la grandeur d'âme des nobles héros magnifiés mais la jalousie, l'envie, l'orgueil,
l'ambition, la déraison, la barbarie, la passion, le caprice, l'égocentrisme…les petits sentiments inavouables et les calculs mesquins mis à nu. Les affronts, causes de tous
maux, redeviennent ce qu'ils sont ridiculement : affaires de vanités. Soulagée des oripeaux de la Tradition, l'histoire n'est plus celle de mythes héroïques.. Elle est ramenée
à des conflits entre humains. Chimène et Rodrigue sont deux adolescents prêts à tous les excès de leur âge, touchants dans leur vulnérabilité et leurs contradictions.
On sourit aussi, non pas du fait d'une drôlerie gratuite plaquée sur ce grand monument, mais parce que tant d'immaturité est désarmante. Le fameux récit par Rodrigue en
guerrier vainqueur, de "la troupe qui s'avance avec une mâle assurance" prend une autre dimension. La répétition "des champs de carnage où triomphe la mort" par
l'Infante, répétition dont elle se délecte, ramène le récit au compte-rendu d'une horrible boucherie. Si l'on ne se refuse pas de belles envolées, des pleurs et des
supplications, c'est pour qu'aussitôt après, on en voie la parodie… Du travail de navigation périlleuse pour lequel Sabine Durand a pu compter sur d'excellents comédiens
rompus à l'exercice de la corde raide.
Peut-on qualifier d'"iconoclaste" la démarche de la jeune metteur en scène ? Celle-ci détruit-elle l"œuvre de Corneille ? Il nous a semblé tout le contraire : respect des vers,
respect de l'histoire, respect de l'esprit de l'œuvre (qui fit scandale par sa nouveauté mais à une bien lointaine époque !). A Bruxelles, et dans toutes les langues, nous avons
connu bien d'autres audaces et décoiffages de perruques ! Et puis, tronquer le titre et avoir soin d'indiquer :"d'après Pierre Corneille", n'est-ce pas là démarche honnête ?
Ce "Cid" dans son approche ascétique aurait pu rebuter, au contraire, il (re)trouve là toute sa passion.
Suzane VANINA (Bruxelles)
Article en ligne sur http://www.ruedutheatre.info/article-19401953.html
Un cid
(post)moderne
« L’amour n’est qu’un plaisir, l’honneur est un devoir » Don Diègue
Titre : « Pleurez mes yeux, pleurez »
puisé dans l’opéra de Massenet
Acteurs :
Don Rodrigue : Yoann BLANC
Chimène : Edwige BAILY
Gormas, Le Maure : Patrick DONNAY
Diègue : Jean-Pierre BAUDSON
Camille (l’infante) : Marie LECOMTE
Le Roi : Anne SYLVAIN
Sanche, Le conseiller : Michel JUROWICZ
Cornélie : Janine GODINAS
Adaptation : Philippe SIREUIL
Mise en scène : Philippe SIREUIL
Scénographie : Philippe SIREUIL (assisté de Vincent LEMAIRE)
Eclairages : Philippe SIREUIL
Costumes : Catherine SOMERS
Vidéo : Benoit GILLET
Lieu : Théâtre National, Bruxelles
Année : 2010
Durée : 4h avec entracte
Texte : Ajouts et surpressions. Philippe SIREUIL a mélangé aux alexandrins de Corneille, ses
vers et la prose de Jean-Marie PIEMME (la tirade du Maure). Adaptation aussi déroutante
que respectueuse. Mais l’histoire est là, inchangée, la trame est identique.
Par contre, il n’y pas de happy-end.
« Sireuil a laissé à Corneille tout son pouvoir versificateur et la fougue du dilemme amourhonneur. Mais il a su lui redonner l’intérêt lié à notre temps, avec une interrogation finale, dans
la tirade du Maure écrite par Jean-Marie Piemme : les bombes dans les métros, et dans le sein
des femmes, ce terrorisme bien d’aujourd’hui, ne serait-il pas la réponse au glaive des
catholiques, le continuum d’une histoire que nous feignons d’oublier ? »12
Scénographie : Le sol est recouvert de bois clair, simple et nu. Usage de la vidéo : un
énorme écran montre des images de corrida, films, visages aux larmes de sang, décors de
palais, … . Ces images servent tantôt de décor tantôt de liens. Moderne, aussi dans les
costumes.
Rodrigue : Poignant. Sanglant, il est poussé à raconter ses exploits courbé vers un micro, peu
glorieux. Il n’a plus rien d’héroïque. Il n’est qu’un homme témoignant de ce qui s’est passé comme
un combattant interviewé pour un documentaire télé.
L’humour surgit sans cesse.
Le Roi : est devenu une Reine, aux allures de la reine d’Angleterre et de Margaret Thatcher. Mais
reste l’incarnation du juste et de la force d’un royaume conquérant.
Autre invention : Nouveau personnage, celui de Cornélie, voix de l’auteur (et des deux suivantes) et
est aussi le regard sur ce monde.
12
LEMAIRE Julie. « Lumière sur le Cid ». 10 janvier 2010. www.ruedutheatre.eu
Et quelques produits dérivés …
Un film
Le Cid (1961), film américain d'Anthony Mann avec Charlton Heston et Sophia Loren.
Un film d’animation
La Légende du Cid (El Cid) (2003), film d'animation espagnol de José Pozo.
Un opéra
Le Cid (1885), opéra français de Jules Massenet
Une pièce de théâtre et de danse
Le Cid flamenco (1998), de Thomas le Douarec
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