deux pôles : la modélisation globale
de la société, qui débouche sur la ques-
tion des limites de la croissance, et la
modélisation numérique du climat
qui répond au défi climatique. La se-
conde composante renvoie, comme le
souligne Amy Dahan dans son intro-
duction, « aux questions posées par
l’épuisement des ressources et à la
durabilité du développement, donc au
débat sur la croissance », et la boucle
d’interaction se trouve ainsi bouclée.
L’analyse du débat qui s’est déve-
loppé dans les années 1970 à propos
des limites de la croissance et du
rapport au Club de Rome
1
forme la
première partie de l’ouvrage. Le texte
s’organise autour de deux aspects
complémentaires : la discréditation
du concept de limite de la croissance
par les milieux de l’économie tradi-
tionnelle, et la confrontation de l’éco-
nomie aux problèmes du long et du
très long terme, avec l’émergence de
la prospective et de la méthode des
scénarios.
L’altération du climat forme le
thème central de la seconde partie.
Deux démarches de nature très dif-
férente s’y confrontent : d’une part la
modélisation d’une entité physique,
le fluide climatique en interaction
avec la vie et avec l’activité humaine,
et d’autre part l’analyse des réactions
sociétales dont la maîtrise gouverne
l’avenir.
Cette « fabrication des futurs »
est le sujet de la troisième partie qui
traite de la relation entre la construc-
tion intellectuelle et sa prise en
compte par la société. Elle aborde les
choix tacites de valeurs qui se dissi-
mulent sous divers aspects de la dé-
marche économique et de la construc-
tion des modèles.
Une présentation exhaustive du
riche contenu de ce livre excéderait
largement le cadre de cette analyse.
Pour rendre justice à sa qualité, le
mieux est sans doute d’indiquer
quelques réflexions auxquelles il en-
gage. La confrontation du physique
et du sociétal autour du problème
climatique qui en forme une part
essentielle met en évidence un pro-
blème central de la discipline éco-
nomique : son interaction forte et
directe avec le pouvoir politique, les
horizons temporels limités que cette
interaction impose la rendent-ils,
dans sa pratique habituelle, inapte
à appréhender ce qu’elle nomme le
« très long terme » et qui n’est que
le court terme de l’histoire ? Elle
affronte un problème radicalement
nouveau, la première rencontre avec
les limites de la planète. Peut-elle y
adapter les concepts dont elle use
exclusivement : la monnaie, le mar-
ché, la productivité, sans imposer un
conservatisme stérile ? Il va de soi
que les contributions assemblées par
Amy Dahan n’épuisent pas ce sujet,
mais elles ouvrent des voies de ré-
flexion et apportent d’utiles éclai-
rages sur les errements passés.
Sans doute peut-on regretter que,
dans la vision qu’elles présentent, la
généralité du problème des limites
planétaires soit quelque peu occultée
par l’actualité climatique qui n’en est
qu’un aspect parmi d’autres. C’est en
somme le reflet de la situation actuelle
dans laquelle cette composante du
problème est la seule — avec, à un
degré bien moindre, la question des
ressources énergétiques — qui soit
largement perçue par l’opinion pu-
blique. À une époque où l’effet de
ANALYSES CRITIQUES
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1. Halte à la croissance ? Paris : Fayard, 1972
(dit rapport Meadows).