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© futuribles n° 338 - février 2008
sociale (la fermeture de Vilvorde en
Belgique). Elle permet également de
tordre le cou à des idées reçues, par
exemple la fin des chaînes de montage. Elles existent toujours mais au
lieu d’être servies par des exécutants
passifs, elles le sont par des professionnels qualifiés.
Le deuxième grand thème du
livre est consacré à « l’objet automobile ». Un chapitre majeur traite de
la conception et de la vente d’une
automobile.
L’automobile n’est pas un objet
global. En gros, 16 millions de véhicules sont vendus aux États-Unis
tous les ans (sur 50 millions dans le
monde en 2005), 16 millions en
Europe, 6 millions au Japon, deux
millions en Corée du Sud, le reste
ailleurs. Le marché n’est pas vraiment mondial mais se divise en gros
cercles de vente (le téléphone portable est beaucoup plus mondial).
L’automobile est une industrie
qui exige de prendre des risques importants à chaque lancement de mo-
dèle, et des investissements lourds.
Mais la réussite des modèles n’est
pas seulement technique. Elle relève
aussi de la sociologie (la rencontre
d’un style et d’une demande).
Quant à l’avenir de l’industrie
automobile, il dépend en grande
partie de la prise en compte des exigences de développement durable.
Louis Schweitzer est optimiste quant
à la qualité des véhicules. La pollution de proximité provoquée par les
véhicules se réduit. En revanche, il
imagine difficilement un monde où
le nombre des automobiles passerait
d’un à huit milliards de véhicules.
« Le problème qui est devant nous
est celui des gaz à effet de serre ».
On ne le maîtrisera qu’en agissant
sur le long terme. Cela n’interdit pas
de faire un effort tout de suite pour
réduire le gaspillage énergétique.
Mais que d’adaptations nécessaires
et de défis à maîtriser !
Un témoignage vivant.
Michel Drancourt
DAHAN DALMEDICO Amy (sous la direction de)
Les Modèles du futur
Changement climatique et scénarios
économiques : enjeux scientifiques et politiques
Paris : La Découverte (coll. Recherches), 2007, 214 p.
Les livres qui
assemblent les contributions de
nombreux auteurs défient le plus
souvent l’analyse parce qu’ils juxtaposent des éléments disparates
comme les pièces de couleur d’un
patchwork. L’ouvrage élaboré sous la
direction d’Amy Dahan Dalmedico
fait exception. Il concilie clarté et
rigueur dans la construction avec le
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recours à des expertises nombreuses
empruntées tant aux sciences de la
nature et aux mathématiques qu’aux
sciences sociales.
Le thème central est l’usage de la
modélisation pour l’élaboration de
visions du futur et, au-delà de ces
visions, pour la maîtrise d’un avenir. Les textes s’organisent autour de
ANALYSES CRITIQUES
deux pôles : la modélisation globale
de la société, qui débouche sur la question des limites de la croissance, et la
modélisation numérique du climat
qui répond au défi climatique. La seconde composante renvoie, comme le
souligne Amy Dahan dans son introduction, « aux questions posées par
l’épuisement des ressources et à la
durabilité du développement, donc au
débat sur la croissance », et la boucle
d’interaction se trouve ainsi bouclée.
L’analyse du débat qui s’est développé dans les années 1970 à propos
des limites de la croissance et du
rapport au Club de Rome 1 forme la
première partie de l’ouvrage. Le texte
s’organise autour de deux aspects
complémentaires : la discréditation
du concept de limite de la croissance
par les milieux de l’économie traditionnelle, et la confrontation de l’économie aux problèmes du long et du
très long terme, avec l’émergence de
la prospective et de la méthode des
scénarios.
L’altération du climat forme le
thème central de la seconde partie.
Deux démarches de nature très différente s’y confrontent : d’une part la
modélisation d’une entité physique,
le fluide climatique en interaction
avec la vie et avec l’activité humaine,
et d’autre part l’analyse des réactions
sociétales dont la maîtrise gouverne
l’avenir.
Cette « fabrication des futurs »
est le sujet de la troisième partie qui
traite de la relation entre la construction intellectuelle et sa prise en
compte par la société. Elle aborde les
choix tacites de valeurs qui se dissimulent sous divers aspects de la dé1. Halte à la croissance ? Paris : Fayard, 1972
(dit rapport Meadows).
marche économique et de la construction des modèles.
Une présentation exhaustive du
riche contenu de ce livre excéderait
largement le cadre de cette analyse.
Pour rendre justice à sa qualité, le
mieux est sans doute d’indiquer
quelques réflexions auxquelles il engage. La confrontation du physique
et du sociétal autour du problème
climatique qui en forme une part
essentielle met en évidence un problème central de la discipline économique : son interaction forte et
directe avec le pouvoir politique, les
horizons temporels limités que cette
interaction impose la rendent-ils,
dans sa pratique habituelle, inapte
à appréhender ce qu’elle nomme le
« très long terme » et qui n’est que
le court terme de l’histoire ? Elle
affronte un problème radicalement
nouveau, la première rencontre avec
les limites de la planète. Peut-elle y
adapter les concepts dont elle use
exclusivement : la monnaie, le marché, la productivité, sans imposer un
conservatisme stérile ? Il va de soi
que les contributions assemblées par
Amy Dahan n’épuisent pas ce sujet,
mais elles ouvrent des voies de réflexion et apportent d’utiles éclairages sur les errements passés.
Sans doute peut-on regretter que,
dans la vision qu’elles présentent, la
généralité du problème des limites
planétaires soit quelque peu occultée
par l’actualité climatique qui n’en est
qu’un aspect parmi d’autres. C’est en
somme le reflet de la situation actuelle
dans laquelle cette composante du
problème est la seule — avec, à un
degré bien moindre, la question des
ressources énergétiques — qui soit
largement perçue par l’opinion publique. À une époque où l’effet de
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serre anthropique ne préoccupait que
quelques rares scientifiques, les auteurs du rapport Meadows avaient
su, avant que les économistes classiques ne les fassent rentrer dans le
rang, prendre une vision plus synthétique des limites de la planète.
Le phénomène d’épuisement des
ressources possède un caractère général : il traduit l’irréversibilité de
certaines des altérations que l’homme
impose aux composantes physiques
et biologiques de la planète. En revanche, les interactions de chacune
de ces altérations avec la société revêtent des aspects très divers qu’une
modélisation globale doit intégrer. Il
s’en faut que la modélisation sociétale ait atteint le degré d’aboutissement dont témoignent les modèles
des composantes physiques de l’environnement. Les difficultés particulières que rencontre la prise en
compte des pays en développement
dans les modèles globaux font ainsi
l’objet d’une présentation spécifique.
Il n’est nullement certain, ni même
probable, que l’écart entre les deux
domaines tende à se combler dans
l’avenir. Le discrédit qui a frappé
initialement les modèles sociétaux
n’en est pas la seule source. L’absence, dans les modèles sociétaux, de
cette base commune que les lois de la
physique fournissent aux modèles
environnementaux, fragilise leur
construction. Le terme de « modélisation mathématique » dont on désigne les uns et les autres dissimule
en fait une différence de nature.
Les dernières sections du livre
apportent un éclairage sur deux
aspects dont la volonté d’agir ne
peut s’abstraire : la morale de l’action et les voies de la persuasion, les
moyens de passer de la prise de
conscience individuelle au comportement collectif.
Il n’est guère possible de rendre
ici, à chacun des contributeurs, l’hommage qui lui serait dû, mais c’est
peut-être la meilleure façon de reconnaître l’harmonie de cet ouvrage
collectif que de dire qu’on ne ressent
pas vraiment le besoin d’y distinguer
la part de chacun.
André Lebeau
DUVAL Julien
Le Mythe du « trou de la Sécu »
Paris : Liber (Raisons d’agir), 2007, 137 p.
Nous sommes
tous aveuglés ; les
médias relaient un
mythe lui-même entretenu par le
méchant patronat ; la vérité est ailleurs, c’est-à-dire probablement très
très à gauche. Voici les leçons, stratégiques, que l’on peut tirer du bref
ouvrage de Julien Duval. Chercheur
au Centre national de la recherche
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scientifique et membre de l’écurie postBourdieu, il « déconstruit » — comme
on dit dans le sabir sociologisant —
les idées reçues sur la Sécurité sociale et, plus globalement, sur la protection sociale en France. Reprenant,
toutes les 10 pages environ, le couplet — particulièrement original —
« la France vit depuis 30 ans une
vague néolibérale », il introduit et il
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