Anthropologie et développement : Essai en Socio-Anthropologie
du changement social
J-P. Olivier de Sardan, Ed. Karthala, Paris, 1995
Introduction
Développement :
Il y a développement lorsqu’il y a des acteurs et des institutions qui se donnent le
développement comme objet ou comme but et y consacrent du temps, de l’argent et de la
compétence professionnelle.
Le développement est ici un objet d’étude, il n’est ni un bien, ni un mal, ni un but, il existe au
sens purement descriptif. C’est un phénomène social comme un autre.
Que se passe t-il lorsque des développeurs induisent une opération de développement chez des
développés ? Quels processus sociaux sont mis en branle, chez les multiples acteurs et
groupes d’acteurs concernés directement ou indirectement ? Comment repérer, décrire,
interpréter les divers effets in-intentionnels qu’entraînent ces interventions multiformes et
quotidiennes dans les campagnes et les villes africaines que recouvre le terme de
développement ?
« Le problème, en ce qui concerne le développement, est de comprendre comment le monde
se transforme, plutôt que de prétendre le transformer sans se donner la peine de le
comprendre. »
Comparatisme :
Est-ce à dire que chaque situation locale, chaque opération de développement exige une
analyse spécifique et qu’aucune « loi » ne peut être dégagée de l’infinie diversité des
contextes concret ? Oui et non.
Oui, au sens où chaque « témoin » est une combinaison singulière de contraintes et de
stratégies, que seule une analyse spécifique peut déchiffrer.
Non, au sens où certaines contraintes sont communes ou similaires : on peut constituer des
typologies à partir des conditions écologiques, des modes d’insertion de l’économie mondiale,
des rapports de production ou des régimes politiques. De même, au-delà de la singularité des
cas et des contextes, les logiques économiques, sociales ou symboliques se recoupent
fréquemment.
Multiculturalisme :
Cohabitation dans les situations de développement d’une Culture cosmopolite, internationale,
celle de la « configuration développementiste ». Univers largement composite d’experts, de
bureaucrates, de responsables d’ONG, de chercheurs, de techniciens, de chefs de projets,
d’agents de terrain, qui vivent du développement des autres, et mobilisent ou gèrent à cet effet
des ressources matérielles et symbolique considérable.
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Déclinées bien sûr en sous-cultures (elles aussi transnationales) par divers clans, à base
idéologiques et/ou professionnelles, qui agissent chacun de façon largement identiques aux
quatre coins de la planète, et de l’autre côté une grande variété de Cultures et sous-cultures
locales.
Transversalité :
L’inévitable sectorisation des institutions ou des interventions contraste avec la transversalité
des comportements des populations ciblées.
La transversalité populaire s’oppose également à la sectorisation développementiste sur un
axe diachronique, du point de vue du rapport au temps. Un projet pour ses animateurs occupe
tout l’espace temps. Il est central, omniprésent, unique. Pour les paysans, il est passager,
relatif, accessoire, et prend sa place dans une chaîne d’interventions successives…
Les agents d’un projet consacrent 100% de leur activité professionnelle à un secteur d’activité
qui ne concerne souvent qu’une petite partie du temps du producteur auquel ils s’adressent.
De nombreux malentendus surgissent de cette différence radicale de position.
Populisme :
C’est un certain rapport entre les intellectuels (groupe privilégiés) et le peuple (groupe
dominé), selon lequel les intellectuels découvrent le peuple, s’apitoient sur son sort et/ou
s’émerveille de ses capacités, et entendent se mettre à son service et œuvrer pour son bien.
Il ne s’agit donc pas ici de l’acceptation courante dans le langage politique contemporain, où
le terme évoque de façon dépréciative le comportement « démagogique » d’hommes
politiques plus ou moins charismatiques.
Partie 1 : Etat des lieux
Chapitre I : L’Anthropologie, la Sociologie, l’Afrique et le développement : bref
bilan historique
« L'Afrique apparaissait alors comme un réservoir de coutumes, de religions, et de traditions
dont il fallait opérer l'inventaire » (p. 27)
a. L'ethnologie française coloniale
« […] celle-ci n'a guère été un agent de l'administration coloniale. À la différence des colonies
britanniques ».
Entre les deux guerres mondiales, la problématique évolutionniste est abandonnée au profit du
relativisme culturel. « Au début de la colonisation prévalait l'idée que les peuples africains
étaient « primitifs » [...] » (p. 28)
Puis, perspective « culturaliste », avec l'accent mis sur la spécificité des « valeurs » propres
aux sociétés africaines. « Mais ce progrès incontestable a été pad'un désintérêt pour les
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dynamiques historiques et d'une orientation des recherches vers une perspective statique et
« traditionaliste » dont on peut distinguer 4 composantes »: (p. 29)
la problématique « holiste »
une vision « patrimoniale »et quelque peu intemporelle de ces cultures
le primat accordé aux classifications ethniques
le structuralisme : problématique « intellectualiste » (Lévi-Strauss)
« Les cultures africaines ont été, au fil de ce processus, dotées implicitement de 3 grandes
caractéristiques : elles seraient homogènes, elles résisteraient à l'histoire, elles constitueraient
des univers autonomes. » Or nécessité de « prise en compte des diversités internes, des
transformations socio-culturelles, et des contraintes externes » (p. 30)
b. Réactions : anthropologie dynamique et/ou marxiste
G. Balandier rupture avec la tradition ethnologique française : « « réhabiliter l'histoire à
l'encontre des présupposés fonctionnalistes et structuralistes » (Balandier, 1963 : VI) » (p.31)
C. Meillassoux (1960) : « anthropologie économique et sociale d'inspiration marxiste qui s'est
consacrée plus particulièrement à l'analyse des clivages internes aux sociétés africaines
rurales, sous un angle largement historique » (p. 31)
Cette approche a encore aujourd'hui un intérêt scientifique, mais reste « très générale et très
« théorique », surtout portée à globaliser et à combler un vide conceptuel sur la question des
« modes de production » africains, au détriment d'une analyse descriptive des « rapports de
production ». (p. 31)
c. Du côté de la sociologie : sociologie de la modernisation et sociologie de la
dépendance
« Pour elles, le « sous-développement » des pays du Sud n'est plus le signe de leur arriération,
ou la trace de leur « traditionnalité », c'est le produit d'un pillage historique dont ils ont été
victimes, l'expression de leur dépendance, la responsabilité du système économique mondial,
autrement dit de l'impérialisme, ancien ou contemporain. » « p. 33)
Théorie de la dépendance
Auteurs importants : André Gunther (1972) et Amir Samin (1972).
« Ces théories ont eu le mérite de mettre en évidence des processus de domination ou
d'exploitation aux dépens du Tiers monde qui ont structuré ou qui structurent encore
l'économie mondiale, et se sont répercutés ou se répercutent encore jusqu'au niveau des
producteurs des pays du Sud. » (p. 34)
« […] les théories de la modernisation et les théories de la dépendance, bien qu'opposées, sont
cousines. Elles considèrent le développement à partir des centres de pouvoir, à partir de
« vues déterministes, linéaires et externalistes du changement social » (Long, 1994 : 15) ».
(p.34)
d. L'analyse systémique
« On peut considérer l'analyse systémique soit comme paradigme, soit comme métaphore. »
(p. 35)
paradigme : « les stratégies des acteurs, l'ambivalence des comportements, l'ambiguïté
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des représentations, tout cela non seulement ne peut se modéliser sous forme de
système, mais est contradictoire avec la notion même de système, avec ce qu'elle
évoque et de cohérence et de fonctionnalité » (p. 35)
métaphore : « si la société n'est ni un système « pour de vrai », ni un « quasi-
système », du moins peut-on jouer avec désinvolture voire avec distraction à lui
appliquer des notions qui laissent vaguement entendre qu'on pourrait la considérer
comme telle. » Langue de bois
e. La situation actuelle : les multi-rationalités
La démarche actuelle est plus locale et met l'accent « sur les acteurs sociaux ou les groupes
d'acteurs sociaux (individuels ou collectif), leurs stratégies, leurs enjeux » (p. 39). « La
perspective interactionniste ici défendue entend combiner analyse des contraintes et stratégies
des acteurs, pesanteurs structurelles et dynamiques individuelles ou collectives » (p. 34-35).
Mais il y a des risques dans ce retour à l'acteur, « aussi l'effort principal de ce travail
consistera-t-il à tenter une clarification conceptuelle et notionnelle qui mette à jour certains
progrès accomplis sans dissimuler les multiples problèmes non réglés » (p.41). Il faut donc à
la fois prendre en compte la « pluri-rationalité des acteurs sociaux » et le fait que l'ensemble
des sociétés africaines sont « traversées de rationalités diverses » (p. 41).
« Notre rapide bilan oscille entre d'un côté un optimisme tempéré, qui produit une sorte
d'histoire des idées en socio-anthropologie du développement, conçue comme une démarche
progressive, bien que chaotique et incertaine, vers une prise en compte de plus en plus grande
de la complexité du social, et de l'autre côté un relativisme désabusé, qui constate en
permanence la nécessité de mener à nouveau les batailles qu'on croyait gagnées […]. » (p. 43
Chapitre II : Un renouvellement de l’Anthropologie ?
Se référer également à la fiche de lecture sur l’article de J-P. Olivier de
Sardan« L’anthropologie du changement social et du développement comme ambition
théorique ? » Bulletin de l’APAD, N°1, 2006
a. Au secours des sciences sociales
Situation actuelle :
- Fin des grands systèmes interprétatifs « clefs en main » ; écartèlement entre une
accumulation sans fin de monographies et études de cas ; et un essayisme comparatiste
débridé ; écartèlement aussi entre un quantitativisme immodéré et un qualitativisme
spéculatif et/ou narcissique…
- Les sciences sociales se tournent de plus en plus vers l’Anthropologie comme un
recours en raison de propriétés heuristiques et méthodologiques dont, à tort ou à
raison, on pense que l’Anthropologie est porteuse.
- Mais l’Anthropologie « centrale », du moins dans sa forme actuelle n’est guère en
mesure de mener ce type de dialogue ou bien de répondre à de telles attentes.
b. Les « propriétés » des « faits de développement »
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du changement social
J-P. Olivier de Sardan, Ed. Karthala, Paris, 1995
Il y a quatre propriétés principales que l’on peut attribuer aux processus de changement social
et de développement :
La confrontation d’éléments hétérogènes, divergents, dissemblables, contradictoires,
est au cœur de l’anthropologie du changement social et du développement. Celle-ci
doit s’intéresser non seulement aux « communautés locales », aux « populations
cibles », mais tout autant aux dispositifs d’intervention, aux médiateurs et courtiers,
aux agents extérieurs,…
Les processus de changement social et de développement mobilisent des structures
« intermédiaires », « informelles », transversales : des « réseaux », des affinités, des
clientèles, des sociabilités locales, professionnelles, familiales,…
Les processus de changement social et de développement sont par définition
diachroniques, et cette dimension là est trop souvent oubliée par les écoles
anthropologiques classiques.
Les processus de changement social et de développement se situent à l’interface entre
Anthropologie et Sociologie « macro » d’un côté, et ethnographie et sociographie de
l’autre. Autrement dit entre les pesanteurs structurelles et l’action des agents sociaux.
c. Deux « points de vue heuristiques »
Holisme méthodologique :
L’Anthropologie semble apporter son appui au holisme (prend pour objet la société globale)
par ses méthodes de terrain spécifique.
L’Anthropologie du changement social et du développement montre qu’il faut prendre en
compte de manière simultanée les registres divers de la réalité sociale, telle que
l’appréhendent les cultures, sous-cultures et acteurs sociaux. Pratiques et représentation sont
toujours à la fois d’ordre économique, social, politique, idéologique, symbolique.
Holisme idéologique :
Mais par contre, l’anthropologie du changement social doit rompre avec un autre type de
holisme : celui qui considère la société comme un tout homogène et cohérent, quelles que
soient les propriétés qui affectent ce tout.
Nous voici donc en présence de deux types de holismes : l’un point de vue de la transversalité
et de la multidimensionnalité, l’autre une hypertrophie du tout, de l’ensemble, du système, de
la structure.
Individualisme méthodologique :
L’Anthropologie du changement social et du développement et du développement est « actor
oriented » en privilégiant les points de vue des acteurs de base et des « consommateurs » de
développement.
Elle tend donc à mettre en évidence leurs stratégies, aussi contraintes soient-elles, leurs
marges de manœuvre, aussi faibles soient-elles, leur « agencéité ». Car les acteurs « réels »,
individuels ou collectifs, « circulent entre plusieurs logiques, choisissent entre diverses
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