Alice BARTHEZ est l'une des grandes figures de la sociologie rurale en
France. "Sociologue à l'INRA ? Ca n'existe pas ! Il y a des sociologues au
CNRS mais pas à l'INRA ! A l'Institut National de la Recherche
Agronomique, on fait des recherches sur les plantes, les animaux, mais pas
sur les gens !". Cette remarque ne reflète pas l'enthousiasme d'une fille de
petits exploitants agricoles du Sud-Ouest qui, après une scolarité réussie et
une expérience de conseillère agricole, a poursuivi une ascension sociale
dans le domaine de la recherche scientifique.
Tout au long de sa carrière commencée en 1970, Alice Barthez a toujours
relié ses enquêtes sur les groupes sociaux agricoles à des questions d'une
grande généralité, comme les rapports de genre ou de génération (qui
constituent la colonne vertébrale de son grand livre publié en 1982,
Travail, famille, agriculture). Dans les années 1980, les questions de genre
ou de générations étaient sans lien direct avec les grands débats qui
agitaient à l'époque la sociologie rurale, entre les tenants de la pénétration
du capitalisme dans l'agriculture et ceux de l'intégration des sociétés
rurales à la société globale. Mais son travail fut lu et commenté ailleurs,
par des féministes et des anthropologues en France (voir le numéro spécial
« Labourage et pâturage. Le patriarcat en campagne » de Nouvelles
Questions Féministes, n° 5, 1983), des sociologues au Québec, mais aussi
par des agriculteurs et des professionnels de l'encadrement de la
profession : conseillers, enseignants, syndicalistes, etc. Trente ans plus tard
- après les travaux de Louis Chauvel sur les générations et l'essor en France
des études sur le genre - les axes problématiques d'Alice Barthez n'ont
plus rien d'hérétiques et sont même devenus centraux en sciences
sociales. Ses analyses du choc des rapports familiaux et des rapports de
travail dans les exploitations agricoles s'avèrent même très précieuses
pour penser des questions contemporaines qui dépassent le secteur
agricole : le fonctionnement des entreprises familiales en général, la prise
en charge des personnes dépendantes (Weber et al., 2003), la place de
l'argent dans les rapports familiaux (Belleau et Henchoz, 2008), etc.
Devenir agricultrice : à la frontière de la vie domestique et de
la profession
"Jusque dans les années 1960, les femmes, qui participent à la mise en
valeur de la ferme familiale, sont considérées par leur place dans la famille
et non par l'importance du travail qu'elles réalisent. Dans cette logique, les
femmes ne "travaillent" pas, elles "aident" leur mari. "Aide familiale" est
leur désignation par rapport à leur conjoint, "chef d'exploitation". Selon
leur définition administrative, elles sont établies "sans profession" ce qui
les présuppose disponibles au gré des besoins des autres membres de la
famille dans leur vie domestique mais aussi dans leur activité productive.
Dans le sud de la France, l'existence de la cohabitation entre générations
en référence au modèle de la "famille souche" décrite au XIXe siècle par
Frédéric Le Play, place la femme sous la dépendance non seulement de
son mari mais aussi de la lignée. La belle-fille soumise à l'autorité de sa
belle-mère est avant tout une "pièce rapportée" à un ensemble
préexistant dont elle doit adopter les règles et participer à son
développement par sa capacité procréatrice et par son travail dans ce qui
forme le patrimoine de sa belle-famille".
Le travail des femmes ne se limite pas à l'espace domestique mais on leur
attribue généralement que celui-là. Pourtant, il s'étend à l'ensemble de
l'activité agricole.
En agriculture, la modernisation des techniques de production et
l'introduction d'une gestion économique de l'activité séparée de la vie
domestique sont propices à la revendication des femmes pour la
reconnaissance de leur travail par l'obtention d'un statut professionnel
distinct de leur situation matrimoniale. La contestation du statut d'aide
familial par les jeunes agriculteurs est encouragée par la sphère politique à
l'aide de moyens juridiques et financiers, l'objectif étant d'assurer la
décohabitation des générations et l'apprentissage des nouvelles
techniques agricoles par la vulgarisation agricole et ménagère.