SES, Terminale, R. Pradeau, 2014-2015
Thème 3 : Justice sociale et inégalités
Chapitre 6 : Comment les pouvoirs publics peuvent-ils contribuer à la justice sociale ?
Indications complémentaires :
On s'interrogera sur les fondements des politiques
de lutte contre les inégalités en les reliant à la notion
de justice sociale ; on rappellera à ce propos que
toute conception de la justice doit répondre à la
question : « L'égalité de quoi ? ». On distinguera
égalité des droits, égalité des situations et égalité des
chances. (I). On analysera les principaux moyens
par lesquels les pouvoirs publics peuvent contribuer
à la justice sociale : fiscalité, redistribution et
protection sociale, services collectifs, mesures de
lutte contre les discriminations (II). On montrera
que l'action des pouvoirs publics s'exerce sous
contrainte et qu'elle fait l'objet de débats quant à son
efficacité : risques de désincitation et d'effets
pervers (III).
Acquis de première :
État-providence, prélèvements obligatoires,
revenus de transfert.
Notions au programme :
Égalité, discrimination, assurance /
assistance, services collectifs, fiscalité,
prestations et cotisations sociales,
redistribution, protection sociale.
Notions complémentaires :
égalité des droits / égalité des situations /
égalité des chances, méritocratie, risque
social, impôt forfaitaire / proportionnel /
progressif, niche fiscale, discrimination
positive, trappe à pauvreté, incitation /
désincitation
Plan :
I/ Inégalités et justice sociale
A/ Qu'est-ce que l'égalité ? L'égalité de quoi ?
B/ Plusieurs conceptions de la justice sociale
II/ L'intervention de l'Etat cherche à renforcer la justice sociale
A/ Les dépenses en faveur de la protection sociale et des services collectifs
B/ La fiscalité, un outil en faveur de la justice sociale
C/ La lutte contre les discriminations
III/ L'intervention de l'Etat en débat
A/ Une intervention sous contraintes
B/ L'intervention de l'Etat désincite-t-elle à travailler ?
Durée : 7h maxi : 1h pour le I/, 4h pour le II/, 2h pour le III/
I/ Inégalités et justice sociale
A/ Qu'est-ce que l'égalité ? L'égalité de quoi ? 1/2h
Qu'entend-on par égalité ? Egalité veut-il dire que tout le monde dispose des mêmes
revenus, des mes biens ? Que tout le monde a les mes chances d'accéder aux mêmes
biens ? Ou simplement que tout le monde a les mêmes droits ?
Document 1 :
Qu'est-ce que l'égalité ?
En pratique, personne ne revendique l'égalité. Personne n'ose réclamer l'égalité des niveaux de vie,
d'éducation, de loisirs, etc. [...] Nos sociétés ne recherchent pas l'égalité tout court mais l'égalité
« juste » (que certains appellent « des chances ») et ne combattent pas l'inégalité mais l'inégalité
« injuste ».
Pourquoi ? [...] Les ressources demeurent limitées et il faut bien les répartir. En attendant
d'atteindre l'abondance, nos sociétés admettent les inégalités et qu'il est « juste » de partager la
richesse en fonction des « efforts », du « travail » ou du « mérite ». Si ce n'était pas le cas, il y
aurait des grandes chances pour que l'on se heurte au problème de la production des richesses,
chacun ayant intérêt à laisser l'autre travailler à sa place. [...]
A partir de là, le débat sur l'égalité est infini : celui qui estime que les inégalités ne mesurent que
des efforts personnels et que le partage est fait de façon équitable n'est pas choqué des écarts qui
existent. Au fond, le jugement porté sur leur niveau ne peut qu'être établi à partir de principes
moraux, qui font qu'il paraît « injuste » à tous (ou presque) qu'un grand patron touche en un an ce
qu'un smicard reçoit en plusieurs siècles.
Louis Maurin, « Pourquoi accepte-t-on les inégalités ? », Observatoire des inégalités, 2003
Document 2 : doc. 2 p. 309
Questions sur les documents 1 et 2 :
Q1 : A partir des informations contenues dans ces documents, proposez une définition et un
exemple pour chacune des trois formes d'égalité.
Formes d'égalité Définition Exemple
Egalité des droits Egalité de tous les citoyens devant la
loi (même droits pour tous)
Droit de vote pour tous les
citoyens français, principe
d'égalité devant l'impôt.
Egalité des chances Au sens large : possibilité pour tous
d'accéder à n'importe quelle position
sociale
Au sens strict : me probabilité pour
tous d'accéder à n'importe quelle
position sociale
La mobilité sociale est possible,
les positions sociales ne sont pas
déterminées à la naissance.
Un fils de cadre a autant de chance
qu'un fils d'ouvrier de devenir
cadre
Egalité des situations Egalité réelle des individus Même salaire pour tous, même
patrimoine
Q2 : Pourquoi ne peut-il pas y avoir d'égalité totale des niveaux de vie et pourquoi n'est-ce
pas souhaitable ?
L'égalité réelle des situations est impossible et n'est pas souhaitable car elle n'inciterait pas
les gens à fournir les efforts nécessaires permettant de produire des richesses. Si, quoi qu'il
arrive, je gagne autant que mon voisin, je n'ai aucun intérêt à travailler, donc la productivité
va baisser et, au final, le niveau de vie général baissera.
D'où, la question est “quel est le degré d'inégalités acceptable dans une société ?”. Quelles
sont les inégalités qui peuvent être considérées comme justes et lesquelles sont injustes ?
Pour cela, il est nécessaire d'introduire une autre notion, l'équité.
B/ Plusieurs conceptions de la justice sociale 3/4 h
Plusieurs conceptions de ce qui est juste = plusieurs conceptions de la justice sociale.
Justice sociale : idéal précisant ce qu'est une juste répartition des ressources matérielles ou
symboliques d'une société. Pour savoir ce qui est juste ou injuste, il faut se référer à une
norme de justice.
Ainsi, il existe plusieurs conceptions de la justice sociale.
Revenons sur une conception que vous avez étudié dans le chapitre sur la mobilité sociale :
la méritocratie
Document 3 :
Egalité des chances et méritocratie
L’idée d’égalité des chances comme méritocratie repose sur une idée intuitivement attirante, à
savoir celle que certains biens tels que le prestige, le pouvoir ou la richesse devraient être le
résultat d’une compétition équitable. Si aucune discrimination systématique en raison de ma
couleur, de ma religion, de mon sexe, de ma classe sociale, etc. n’a eu lieu, si les bénéfices que je
reçois ne sont pas le fait de la chance qui m’a placé dans telles circonstances sociales, avec des
parents prêts à me donner une éducation prolongée, par exemple, mais plutôt de mes seuls efforts
à égalité avec les autres « compétiteurs », alors je les mérite.
Dans la plupart de nos sociétés, ce principe est appliqué au moins dans une certaine mesure, par
exemple pour justifier que soit garanti l’accès à l’enseignement jusqu’à un certain âge. Il est aussi
parfois étendu à l’égalité des chances dans l’emploi (par exemple en interdisant aux entreprises
toute discrimination systématique de telle ou telle catégorie sociale). [...]
Pour montrer l’insuffisance des seules garanties procédurales d’égalité des chances (au moins au
regard du principe de mérite), [...] [imaginons] une société tournée vers des valeurs de combat et
dans laquelle, génération après génération, la classe dominante a été dirigée par une classe de
guerriers. Dans un esprit d’égalides chances, une réforme est introduite : l’accès à la classe des
guerriers sera déterminé sur de strictes bases procédurales (en fonction des qualités propres à
vaincre au combat). La structure de la société reste toutefois remarquablement inchangée : les
enfants déjà nés dans la classe guerrière, mieux alimentés et aux talents de combativité mieux
développés et entraînés, gagnent en effet de façon écrasante dans des joutes pourtant organisées
sans aucun favoritisme à leur égard. Dans cette société, l’accès à la classe guerrière dominante a
maintenant lieu dans des conditions apparemment impartiales. Ces conditions ne semblent
cependant pas répondre à l’idée que nous nous faisons d’une compétition dans des conditions
équitables, puisque certains ont déjà au départ l’équivalent d’une longueur d’avance.
Véronique Munoz-Dardé, La Justice sociale, Nathan-Université, 2000
Q1 : Rappelez ce qu'est la méritocratie.
Méritocratie : système dans lequel les plusritants obtiennent le plus d’avantages (titres,
fonctions, honneur…).
Dans un système méritocratique, les inégalités sont présentées comme justes, car si les
différences de réussite ne sont dues qu'aux différences de performances, chaque individu est
responsable de ses résultats, qui traduisent son mérite (travail, effort...).
Q2 : A partir du dernier paragraphe, montrez quels liens existent entre égalité des chances et
méritocratie.
C'est l'égalité des chances qui permet au système méritocratique d'être juste : si tout le
monde a les mêmes chances de réussir, alors les inégalités ne sont vraiment dues qu'à des
différences de mérite.
Mais la méritocratie n'implique pas forcément l'égalité des chances : un système basé sur la
méritocratie mais où il n'y a pas d'égalité des chances est donc injuste.
D'où débat sur l'école : les inégalités scolaires sont-elles justes, s'expliquent-elles par des
différences de mérite ou de stratégie ou y-a-t-il inégalités des chances du fait des différences
de dotation en capital culturel ?
En France, pour rendre les inégalités scolaires plus justes, l'Etat cherche à réduire l'inégalité
des chances, il essaie de permettre à la compétition scolaire d'être juste en donnant à tous les
élèves les même chances de réussir. D'où PAI, bourses, ZEP...
Mais il existe différentes conceptions de la justice sociale.
- Conception ultralibérale de Fridriech Hayek : l'ordre spontané créé par le marché est juste,
c'est vouloir réduire les inégalités issues des canismes du marché qui est injuste, donc
vouloir l'imposer par l'action de l'Etat conduit à la servitude. L'Etat ne doit donc pas du tout
intervenir pour réduire les inégalités, sinon on aboutira forcément à la servitude.
- Conception de John Rawls (cf doc 6 p 311), une inégalité est juste si elle remplit 3
conditions :
- respect du principe de liberté : il fait du respect de la liberté des droits individuels une
condition à la réduction des inégalités (ce qui exclut donc toute spoliation des riches pour
donner aux pauvres)
- l'inégalité doit profiter au maximum aux plus faibles, aux moins favorisés : les plus riches
ne peuvent s’enrichir que si les plus pauvres voient aussi leurs revenus augmenter ;
l'inégalité doit permettre de maximiser ce qui va à ceux qui ont le moins.
- l'inégalité de situation doit être fondée à partir d'une égalité des chances.
Quand on parle de justice sociale, il faut donc préciser à quelle conception de la justice on
se réfère.
Transition : quels moyens met en œuvre l'Etat pour lutter contre les inégalités et faire en
sorte que celles qui subsistent puissent être considérées comme justes ?
II/ L'intervention de l'Etat cherche à renforcer la justice sociale 4h
Pour contribuer à la justice sociale les pouvoirs peuvent chercher à agir sur différentes
dimensions de l’égalité, par différents moyens.
L'Etat peut notamment agir par la redistribution, par l'intermédiaire des dépenses (A) et/ou
des recettes (B/).
Redistribution : ensemble des mesures qui visent à modifier la répartition primaire des
revenus par des opérations de prélèvement et de versement de prestations ou la fourniture de
services collectifs.
Remarque : cela implique que la distribution des revenus, patrimoines et opportunités issue
du marché n’est pas perçue comme équitable (contrairement à la conception de la justice
sociale d'Hayek par exemple).
A/ Les dépenses en faveur de la protection sociale et des services collectifs 1h30
Tout au long du XXe siècle, les dépenses de l'Etat (en % du PIB) ont augmenté car l'Etat est
devenu un Etat-providence.
Document 4 :
L’invention de l’Etat-providence
Dans son acception la plus large, la notion [...] d'Etat-providence se définit par opposition à celle
d'Etat-gendarme : elle désigne alors l'Etat interventionniste dans la sphère économique et sociale
par rapport à l'état "neutre", cher aux libéraux, qui limite son activité aux fonctions régaliennes
traditionnelles : défense nationale, justice, police et ordre public, diplomatie. De fait, il s'agit de
deux modèles […] d'action de l’Etat introuvables dans la réalité historique sous une forme pure,
puisque même les libéraux les plus stricts admettent, par exemple, le privilège de l’Etat dans le
domaine monétaire, ce qui constitue déjà une entorse à la distinction initiale. […]
Historiquement, la notion est apparue dans la seconde moitié du XIXe siècle. [...] Au début, l'usage
en est surtout fait par les libéraux d'une manière péjorative pour critiquer la prétention de l’Etat à
se substituer à la Divine Providence ou à l'ordre naturel.
Dans la société libérale du XIXe siècle, la croyance à la régulation par le marché et les prix (la
main invisible d'Adam Smith), les principes de la proprié privée et de la liberté contractuelle,
[…] s'opposent à toute intervention de l’Etat dans le domaine économique et social. […].
Pour F. Ewald, c'est la loi de 1898 sur les accidents du travail qui marque une rupture, par le
passage d'une problématique de la responsabilité à une problématique de la solidarité. Dès lors que
l'accident est régulier et statistiquement prévisible avec le développement de l'industrialisation, il
devient le résultat d'une activité collective et ne peut plus seulement être imputé à la maladresse
d'un ouvrier. Il est perçu comme un risque et manifeste un rapport social de solidarité. En d'autres
termes, le risque apparaît comme un phénomène objectif qui permet de structurer la vie collective.
Si les dommages sont individuels, les risques sont collectifs et la société doit en répartir la charge.
A. Michel, « Etat-providence », Cahiers Français n°279, janvier 1997
Document déjà étudié en 1e (RC Etat-Providence), donc rappel rapide.
Q1 : Pourquoi les accidents du travail ont-ils été considérés comme devant être couverts par
l'Etat ?
Les accidents du travail ont été longtemps considérés comme relevant de la responsabilité
individuelle : le travailleur était responsable, à moins qu'il puisse prouver que l'employeur
est responsable.
La loi couvrant le risque d'accident du travail (1898) symbolise la reconnaissance du
caractère collectif de ce risque, devant être assuré collectivement.
Risque social : en économie, un risque se définit par la probabilité qu’a un événement futur
de se réaliser. Le risque devient social lorsque la société décide de pratiquer une couverture
collective de ce risque, identifié comme une cause de baisse ou de disparition des revenus
d'un ménage ou d'une augmentation de ses dépenses.
A l'oral : autres types de risques sociaux ? Maladie, chômage, vieillesse, grossesse, famille
nombreuse...
La société va progressivement couvrir les risques sociaux, c'est ce qu'on appelle la
protection sociale. Un risque est donc social quand il est pris en charge par le système de
protection sociale.
Protection sociale : ensemble des mécanismes collectifs qui permettent aux individus (ou
aux ménages) de faire face aux conséquences des risques sociaux.
La protection sociale s'exerce notamment via le versement de prestations sociales : revenus
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