SES, Terminale, R. Pradeau, 2014-2015 Thème 3 : Justice sociale et inégalités Chapitre 6 : Comment les pouvoirs publics peuvent-ils contribuer à la justice sociale ? Indications complémentaires : On s'interrogera sur les fondements des politiques de lutte contre les inégalités en les reliant à la notion de justice sociale ; on rappellera à ce propos que toute conception de la justice doit répondre à la question : « L'égalité de quoi ? ». On distinguera égalité des droits, égalité des situations et égalité des chances. (I). On analysera les principaux moyens par lesquels les pouvoirs publics peuvent contribuer à la justice sociale : fiscalité, redistribution et protection sociale, services collectifs, mesures de lutte contre les discriminations (II). On montrera que l'action des pouvoirs publics s'exerce sous contrainte et qu'elle fait l'objet de débats quant à son efficacité : risques de désincitation et d'effets pervers (III). Acquis de première : État-providence, prélèvements obligatoires, revenus de transfert. Notions au programme : Égalité, discrimination, assurance / assistance, services collectifs, fiscalité, prestations et cotisations sociales, redistribution, protection sociale. Notions complémentaires : égalité des droits / égalité des situations / égalité des chances, méritocratie, risque social, impôt forfaitaire / proportionnel / progressif, niche fiscale, discrimination positive, trappe à pauvreté, incitation / désincitation Plan : I/ Inégalités et justice sociale A/ Qu'est-ce que l'égalité ? L'égalité de quoi ? B/ Plusieurs conceptions de la justice sociale II/ L'intervention de l'Etat cherche à renforcer la justice sociale A/ Les dépenses en faveur de la protection sociale et des services collectifs B/ La fiscalité, un outil en faveur de la justice sociale C/ La lutte contre les discriminations III/ L'intervention de l'Etat en débat A/ Une intervention sous contraintes B/ L'intervention de l'Etat désincite-t-elle à travailler ? Durée : 7h maxi : 1h pour le I/, 4h pour le II/, 2h pour le III/ I/ Inégalités et justice sociale A/ Qu'est-ce que l'égalité ? L'égalité de quoi ? 1/2h Qu'entend-on par égalité ? Egalité veut-il dire que tout le monde dispose des mêmes revenus, des mêmes biens ? Que tout le monde a les mêmes chances d'accéder aux mêmes biens ? Ou simplement que tout le monde a les mêmes droits ? Document 1 : Qu'est-ce que l'égalité ? En pratique, personne ne revendique l'égalité. Personne n'ose réclamer l'égalité des niveaux de vie, d'éducation, de loisirs, etc. [...] Nos sociétés ne recherchent pas l'égalité tout court mais l'égalité « juste » (que certains appellent « des chances ») et ne combattent pas l'inégalité mais l'inégalité « injuste ». Pourquoi ? [...] Les ressources demeurent limitées et il faut bien les répartir. En attendant d'atteindre l'abondance, nos sociétés admettent les inégalités et qu'il est « juste » de partager la richesse en fonction des « efforts », du « travail » ou du « mérite ». Si ce n'était pas le cas, il y aurait des grandes chances pour que l'on se heurte au problème de la production des richesses, chacun ayant intérêt à laisser l'autre travailler à sa place. [...] A partir de là, le débat sur l'égalité est infini : celui qui estime que les inégalités ne mesurent que des efforts personnels et que le partage est fait de façon équitable n'est pas choqué des écarts qui existent. Au fond, le jugement porté sur leur niveau ne peut qu'être établi à partir de principes moraux, qui font qu'il paraît « injuste » à tous (ou presque) qu'un grand patron touche en un an ce qu'un smicard reçoit en plusieurs siècles. Louis Maurin, « Pourquoi accepte-t-on les inégalités ? », Observatoire des inégalités, 2003 Document 2 : doc. 2 p. 309 Questions sur les documents 1 et 2 : Q1 : A partir des informations contenues dans ces documents, proposez une définition et un exemple pour chacune des trois formes d'égalité. Formes d'égalité Définition Exemple Egalité des droits Egalité de tous les citoyens devant la Droit de vote pour tous les loi (même droits pour tous) citoyens français, principe d'égalité devant l'impôt. Egalité des chances Au sens large : possibilité pour tous d'accéder à n'importe quelle position sociale Au sens strict : même probabilité pour tous d'accéder à n'importe quelle position sociale La mobilité sociale est possible, les positions sociales ne sont pas déterminées à la naissance. Un fils de cadre a autant de chance qu'un fils d'ouvrier de devenir cadre Egalité des situations Egalité réelle des individus Même salaire pour tous, même patrimoine Q2 : Pourquoi ne peut-il pas y avoir d'égalité totale des niveaux de vie et pourquoi n'est-ce pas souhaitable ? L'égalité réelle des situations est impossible et n'est pas souhaitable car elle n'inciterait pas les gens à fournir les efforts nécessaires permettant de produire des richesses. Si, quoi qu'il arrive, je gagne autant que mon voisin, je n'ai aucun intérêt à travailler, donc la productivité va baisser et, au final, le niveau de vie général baissera. D'où, la question est “quel est le degré d'inégalités acceptable dans une société ?”. Quelles sont les inégalités qui peuvent être considérées comme justes et lesquelles sont injustes ? Pour cela, il est nécessaire d'introduire une autre notion, l'équité. B/ Plusieurs conceptions de la justice sociale 3/4 h Plusieurs conceptions de ce qui est juste = plusieurs conceptions de la justice sociale. Justice sociale : idéal précisant ce qu'est une juste répartition des ressources matérielles ou symboliques d'une société. Pour savoir ce qui est juste ou injuste, il faut se référer à une norme de justice. Ainsi, il existe plusieurs conceptions de la justice sociale. Revenons sur une conception que vous avez étudié dans le chapitre sur la mobilité sociale : la méritocratie Document 3 : Egalité des chances et méritocratie L’idée d’égalité des chances comme méritocratie repose sur une idée intuitivement attirante, à savoir celle que certains biens tels que le prestige, le pouvoir ou la richesse devraient être le résultat d’une compétition équitable. Si aucune discrimination systématique en raison de ma couleur, de ma religion, de mon sexe, de ma classe sociale, etc. n’a eu lieu, si les bénéfices que je reçois ne sont pas le fait de la chance qui m’a placé dans telles circonstances sociales, avec des parents prêts à me donner une éducation prolongée, par exemple, mais plutôt de mes seuls efforts à égalité avec les autres « compétiteurs », alors je les mérite. Dans la plupart de nos sociétés, ce principe est appliqué au moins dans une certaine mesure, par exemple pour justifier que soit garanti l’accès à l’enseignement jusqu’à un certain âge. Il est aussi parfois étendu à l’égalité des chances dans l’emploi (par exemple en interdisant aux entreprises toute discrimination systématique de telle ou telle catégorie sociale). [...] Pour montrer l’insuffisance des seules garanties procédurales d’égalité des chances (au moins au regard du principe de mérite), [...] [imaginons] une société tournée vers des valeurs de combat et dans laquelle, génération après génération, la classe dominante a été dirigée par une classe de guerriers. Dans un esprit d’égalité des chances, une réforme est introduite : l’accès à la classe des guerriers sera déterminé sur de strictes bases procédurales (en fonction des qualités propres à vaincre au combat). La structure de la société reste toutefois remarquablement inchangée : les enfants déjà nés dans la classe guerrière, mieux alimentés et aux talents de combativité mieux développés et entraînés, gagnent en effet de façon écrasante dans des joutes pourtant organisées sans aucun favoritisme à leur égard. Dans cette société, l’accès à la classe guerrière dominante a maintenant lieu dans des conditions apparemment impartiales. Ces conditions ne semblent cependant pas répondre à l’idée que nous nous faisons d’une compétition dans des conditions équitables, puisque certains ont déjà au départ l’équivalent d’une longueur d’avance. Véronique Munoz-Dardé, La Justice sociale, Nathan-Université, 2000 Q1 : Rappelez ce qu'est la méritocratie. Méritocratie : système dans lequel les plus méritants obtiennent le plus d’avantages (titres, fonctions, honneur…). Dans un système méritocratique, les inégalités sont présentées comme justes, car si les différences de réussite ne sont dues qu'aux différences de performances, chaque individu est responsable de ses résultats, qui traduisent son mérite (travail, effort...). Q2 : A partir du dernier paragraphe, montrez quels liens existent entre égalité des chances et méritocratie. C'est l'égalité des chances qui permet au système méritocratique d'être juste : si tout le monde a les mêmes chances de réussir, alors les inégalités ne sont vraiment dues qu'à des différences de mérite. Mais la méritocratie n'implique pas forcément l'égalité des chances : un système basé sur la méritocratie mais où il n'y a pas d'égalité des chances est donc injuste. D'où débat sur l'école : les inégalités scolaires sont-elles justes, s'expliquent-elles par des différences de mérite ou de stratégie ou y-a-t-il inégalités des chances du fait des différences de dotation en capital culturel ? En France, pour rendre les inégalités scolaires plus justes, l'Etat cherche à réduire l'inégalité des chances, il essaie de permettre à la compétition scolaire d'être juste en donnant à tous les élèves les même chances de réussir. D'où PAI, bourses, ZEP... Mais il existe différentes conceptions de la justice sociale. - Conception ultralibérale de Fridriech Hayek : l'ordre spontané créé par le marché est juste, c'est vouloir réduire les inégalités issues des mécanismes du marché qui est injuste, donc vouloir l'imposer par l'action de l'Etat conduit à la servitude. L'Etat ne doit donc pas du tout intervenir pour réduire les inégalités, sinon on aboutira forcément à la servitude. - Conception de John Rawls (cf doc 6 p 311), une inégalité est juste si elle remplit 3 conditions : - respect du principe de liberté : il fait du respect de la liberté des droits individuels une condition à la réduction des inégalités (ce qui exclut donc toute spoliation des riches pour donner aux pauvres) - l'inégalité doit profiter au maximum aux plus faibles, aux moins favorisés : les plus riches ne peuvent s’enrichir que si les plus pauvres voient aussi leurs revenus augmenter ; l'inégalité doit permettre de maximiser ce qui va à ceux qui ont le moins. - l'inégalité de situation doit être fondée à partir d'une égalité des chances. Quand on parle de justice sociale, il faut donc préciser à quelle conception de la justice on se réfère. Transition : quels moyens met en œuvre l'Etat pour lutter contre les inégalités et faire en sorte que celles qui subsistent puissent être considérées comme justes ? II/ L'intervention de l'Etat cherche à renforcer la justice sociale 4h Pour contribuer à la justice sociale les pouvoirs peuvent chercher à agir sur différentes dimensions de l’égalité, par différents moyens. L'Etat peut notamment agir par la redistribution, par l'intermédiaire des dépenses (A) et/ou des recettes (B/). Redistribution : ensemble des mesures qui visent à modifier la répartition primaire des revenus par des opérations de prélèvement et de versement de prestations ou la fourniture de services collectifs. Remarque : cela implique que la distribution des revenus, patrimoines et opportunités issue du marché n’est pas perçue comme équitable (contrairement à la conception de la justice sociale d'Hayek par exemple). A/ Les dépenses en faveur de la protection sociale et des services collectifs 1h30 Tout au long du XXe siècle, les dépenses de l'Etat (en % du PIB) ont augmenté car l'Etat est devenu un Etat-providence. Document 4 : L’invention de l’Etat-providence Dans son acception la plus large, la notion [...] d'Etat-providence se définit par opposition à celle d'Etat-gendarme : elle désigne alors l'Etat interventionniste dans la sphère économique et sociale par rapport à l'état "neutre", cher aux libéraux, qui limite son activité aux fonctions régaliennes traditionnelles : défense nationale, justice, police et ordre public, diplomatie. De fait, il s'agit de deux modèles […] d'action de l’Etat introuvables dans la réalité historique sous une forme pure, puisque même les libéraux les plus stricts admettent, par exemple, le privilège de l’Etat dans le domaine monétaire, ce qui constitue déjà une entorse à la distinction initiale. […] Historiquement, la notion est apparue dans la seconde moitié du XIXe siècle. [...] Au début, l'usage en est surtout fait par les libéraux d'une manière péjorative pour critiquer la prétention de l’Etat à se substituer à la Divine Providence ou à l'ordre naturel. Dans la société libérale du XIXe siècle, la croyance à la régulation par le marché et les prix (la main invisible d'Adam Smith), les principes de la propriété privée et de la liberté contractuelle, […] s'opposent à toute intervention de l’Etat dans le domaine économique et social. […]. Pour F. Ewald, c'est la loi de 1898 sur les accidents du travail qui marque une rupture, par le passage d'une problématique de la responsabilité à une problématique de la solidarité. Dès lors que l'accident est régulier et statistiquement prévisible avec le développement de l'industrialisation, il devient le résultat d'une activité collective et ne peut plus seulement être imputé à la maladresse d'un ouvrier. Il est perçu comme un risque et manifeste un rapport social de solidarité. En d'autres termes, le risque apparaît comme un phénomène objectif qui permet de structurer la vie collective. Si les dommages sont individuels, les risques sont collectifs et la société doit en répartir la charge. A. Michel, « Etat-providence », Cahiers Français n°279, janvier 1997 Document déjà étudié en 1e (RC Etat-Providence), donc rappel rapide. Q1 : Pourquoi les accidents du travail ont-ils été considérés comme devant être couverts par l'Etat ? Les accidents du travail ont été longtemps considérés comme relevant de la responsabilité individuelle : le travailleur était responsable, à moins qu'il puisse prouver que l'employeur est responsable. La loi couvrant le risque d'accident du travail (1898) symbolise la reconnaissance du caractère collectif de ce risque, devant être assuré collectivement. Risque social : en économie, un risque se définit par la probabilité qu’a un événement futur de se réaliser. Le risque devient social lorsque la société décide de pratiquer une couverture collective de ce risque, identifié comme une cause de baisse ou de disparition des revenus d'un ménage ou d'une augmentation de ses dépenses. A l'oral : autres types de risques sociaux ? Maladie, chômage, vieillesse, grossesse, famille nombreuse... La société va progressivement couvrir les risques sociaux, c'est ce qu'on appelle la protection sociale. Un risque est donc social quand il est pris en charge par le système de protection sociale. Protection sociale : ensemble des mécanismes collectifs qui permettent aux individus (ou aux ménages) de faire face aux conséquences des risques sociaux. La protection sociale s'exerce notamment via le versement de prestations sociales : revenus de transfert versés par les institutions de protection sociale afin de faire face aux conséquences des risques sociaux, cad à une baisse de revenu (chômage, maladie) ou à un accroissement de certaines dépenses (santé, charges d’enfants). Q2 : Quelle est la différence entre l'Etat-gendarme et l'Etat-providence ? On oppose traditionnellement deux modèles d’intervention de l’Etat dans la sphère économique et sociale : - l’Etat gendarme, dans une conception libérale, assure les fonctions régaliennes (justice, police, armée...) et n'intervient pas dans l'économie. - l’Etat-providence : forme d'Etat mise en place au 20e siècle, il se traduit par le développement de la protection sociale et par l'intervention active de l'Etat dans la sphère économique et sociale. Synthèse : L'émergence de la protection sociale est donc un signe de la naissance de l'Etatprovidence, qui va progressivement protéger les individus contre les risques sociaux. Mais comment assure-t-il cette protection ? Qui a le droit de recevoir des prestations sociales ? Document 5 : Deux logiques de protection sociale : assurance et assistance Il existe deux logiques complémentaires dans le système de protection sociale français qui est fondé sur le principe de solidarité : l’assurance et l’assistance. Elles sont toutes deux fondées sur des contributions obligatoires : cotisations sociales ou impôts. L’assurance (sécurité sociale) est fondée sur une logique contributive (financement par cotisations professionnelles). Elle permet de garantir aux travailleurs lors de leur cessation d’activité des revenus en relation avec leurs revenus antérieurs. Il s’agit par conséquent de couvrir les assurés contre un certain nombre de risques sociaux (la maladie, le chômage, la vieillesse, les difficultés à subvenir aux besoins d’une famille nombreuse). Par exemple, c’est la cotisation auprès de la caisse de l’assurance chômage qui permet à l’assuré de bénéficier d’un système d’allocations suite à la perte d’un emploi. [...] L’assistance (ou aide sociale) offre une protection minimale aux individus dans le besoin sans contrepartie de leur part (financement par l’impôt). Elle recouvre un ensemble de prestations affectées à des besoins et à des groupes particuliers : aide aux personnes âgées, aide médicale aux personnes sans ressources, aide aux handicapés, aide à l’enfance. [...] Dans la pratique, la logique d’assistance et la logique d’assurance sont souvent combinées. A. Beitone et alii., Sciences sociales, Sirey, Collection « Aide-mémoire », 2007. Distinction déjà étudiée en 1e, rappel rapide Q1 : Comment distinguer assurance et assistance ? Donnez des exemples de prestations sociales pour chaque cas. La protection sociale peut prendre 2 formes : l'assurance ne couvre que les individus qui participent à son financement, alors que l'assistance n'implique pas de contrepartie. Assurance : principe selon lequel un individu est couvert contre certains risques sociaux (grâce à un mécanisme de prestations) dès lors qu’il participe au financement de la couverture (par un mécanisme de cotisations sociales). Exemples : allocations chômage, pensions de retraite... Pour bénéficier des mécanismes d'assurance, il faut donc avoir cotisé. Cotisations sociales : ensemble des prélèvements que les travailleurs et leurs employeurs versent aux administrations de Sécurité sociale pour financer les prestations sociales. Assistance : principe selon lequel certains individus considérés dans le besoin reçoivent une protection minimale sans contrepartie de leur part, grâce à un financement par l’impôt. Exemples : Allocation spécifique de solidarité pour ceux qui n'ont plus droit aux allocations chômage, minimum vieillesse pour ceux qui n'ont pas cotisé suffisamment pour avoir une pension de retraite, RSA... Q2 : Quelles sont les différences entre les impôts et les cotisations sociales ? - Les impôts sont prélevés par l'Etat (administrations centrales et locales) / les CS sont prélevées par les administrations de sécurité sociale. - les impôts permettent de couvrir des dépenses de l'Etat (investissements publics, fonctionnement des services publics, salaires des fonctionnaires...) et de financer les dépenses d'assistance / les CS permettent de verser des prestations sociales assurantielles (à ceux qui ont payé des CS). L'Etat contribue donc à la JS en offrant une protection sociale. Mais les dépenses de l'Etat ne prennent pas seulement la forme de prestations sociales, il y a aussi les services collectifs. Document 6 : Les services collectifs contribuent-ils à la justice sociale ? Pour apprécier la justice d’un système fiscal, on devrait tenir compte de la forme des dépenses. [...] Apprécier l’aspect redistributif global de la dépense publique est un casse-tête. C’est évident pour l’ensemble des prestations dites sous conditions de ressources : minima sociaux, allocations logements, etc., qui profitent aux plus démunis. Mais pour le reste, comment statuer ? A qui profite l’action de la police ou de la défense nationale ? L’éducation gratuite rend son accès possible aux plus démunis, mais le financement de l’enseignement supérieur bénéficie en masse aux catégories les plus favorisées… Quant au financement de la santé, il profite surtout aux plus âgés, dont les dépenses sont plus élevées. Louis Maurin, Observatoire des inégalités, novembre 2012 Q1 : Qu'est-ce qu'un service collectif et en quoi les services collectifs participent-ils à la justice sociale ? L'Etat fournit des services collectifs : activités d’intérêt général, considérées comme indispensables à la cohésion sociale, dont les pouvoirs publics assurent la mise en œuvre. Les services collectifs ou services publics sont une forme de redistribution et contribuent à la JS : plutôt que de verser à vos parents des prestations pour que vous puissiez suivre des études quelque soit votre niveau de revenu, l'Etat prend en charge gratuitement votre éducation (financée par les impôts). Q2 : Pourquoi certains services collectifs peuvent-ils renforcer les inégalités plutôt que les réduire ? Certains services collectifs sont fournis gratuitement... à ceux qui sont les plus favorisés et donc tendent à augmenter les inégalités. Ainsi, l'enseignement supérieur, notamment les grandes écoles, bénéficient surtout aux enfants des catégories les plus favorisées, puisque les enfants de catégories populaires poursuivent moins souvent des études dans le supérieur (cf. chapitre mobilité sociale). « Tout le monde » paye donc des impôts pour financer les études des enfants de cadres. On peut penser aussi à certaines « dépenses fiscales » qui sont des allègements d'impôts (niches fiscales) et qui profitent aux plus favorisés : réduction d'impôts pour embaucher des femmes de ménage ou donner des cours particuliers (cf. chapitre sur la structure sociale). Au final, peut-on dire que les dépenses publiques sont favorables à la justice sociale ? Document 7 : doc. 4 p. 316 Q1 : Pourquoi l'intervention de l'Etat en matière de santé entraîne-t-elle des externalités positives ? L'état de santé de la population a des externalités : ainsi une population en mauvaise santé est moins productive (externalités négatives). L'intervention de l'Etat en matière de santé doit donc favoriser les externalités positives : en améliorant l'état de santé de la population, on augmente le capital humain (la population est plus productive). Q2 : Quelle tendance générale le graphique fait-il apparaître ? L'intervention de l'Etat en matière de santé doit également permettre d’instaurer plus de justice face à la mort. Ainsi, on constate que plus l'Etat participe aux dépenses de santé (moins elles sont à la charge du patient) et plus les individus meurent indépendamment de leurs conditions économiques et sociales (autrement dit les inégalités d'espérance de vie entre catégories sociales sont moins fortes). Remarque / transition vers le B : La France dépense plus d’argent public que l’Allemagne et la Grande-Bretagne (le reste à charge pour les patients est plus faible). Cependant, son indice d’équité est inférieur, ce qu’on peut interpréter comme une dépense publique massive mais en partie inefficace. B/ La fiscalité, un outil en faveur de la justice sociale 1h ½ Fiscalité : ensemble des impôts et des taxes perçus par les administrations publiques. Plus généralement, prélèvements obligatoires : impôts et cotisations sociales obligatoires. Document 8 : Les différents types de fiscalité et la justice sociale Il existe trois principales formes d’impôts : l’impôt forfaitaire (une somme fixe), proportionnel (en proportion du revenu par exemple) ou progressif (dont la proportion augmente avec le revenu). L’impôt forfaitaire consiste à prélever un même montant à chaque contribuable. C’est la forme la plus rudimentaire de fiscalité et la plus injuste, puisqu’elle ne tient pas compte des niveaux de vie. Elle ne change pas les écarts absolus de revenus, mais accroît les inégalités relatives. Si l’on prélève 100 euros à une personne qui en gagne 1 000 et à une autre qui en touche 2 000, l’écart entre eux reste de 1 000 euros mais le rapport, qui était de à 2 à 1, passe de 1 à 2,1. Ce type d’impôt est en voie de disparition, mais il demeure en France notamment avec la redevance télévision, qui prélève plus de trois milliards d’euros sur la grande majorité des foyers sans tenir compte de leur niveau de vie, sauf rares exceptions. La deuxième forme de prélèvement est proportionnelle aux revenus ou à la consommation. Elle réduit les inégalités absolues (en euros). Une taxe de 10 % de 1 000 euros, représente 100 euros. Sur 2 000 euros, c’est 200 euros. L’écart de revenus passe de 1 000 euros à 900 euros après impôts. Ce type d’impôt ne change rien aux inégalités relatives (en pourcentage). L’écart reste de 1 à 2 avant impôt (2 000 euros contre 1 000 euros) comme après impôt (1 800 euros contre 900 euros). En France, l’essentiel de notre fiscalité fonctionne ainsi : c’est le cas de la contribution sociale généralisée ou des cotisations sociales, comme les impôts indirects, comme la Taxe sur la valeur ajoutée. Les cotisations sociales sont proportionnelles aux revenus, la TVA est proportionnelle aux dépenses. La TVA est souvent jugée injuste car l’impôt payé est inversement proportionnel au revenu. C’est une taxe sur les dépenses de consommation. Plus on est riche, plus on épargne et moins on consomme en proportion de son revenu [...]. Rapportée au revenu, la part de la TVA payée sur la consommation diminue avec l’enrichissement. [...] La troisième forme de prélèvement est dite « progressive ». On parle de "progression", parce que les taux de prélèvement augmentent avec la valeur de l’assiette [la base qui est soumise à l’impôt] taxée. C’est le cas notamment de l’impôt sur le revenu. Plus le revenu augmente, plus le taux de prélèvement s’accroît. Le taux le plus élevé est dit "marginal". L’impôt progressif réduit les inégalités absolues et relatives. Si vous prélevez 10 % sur les revenus de 1 000 euros et 20 % sur les revenus de 2 000 euros, vous obtenez après impôts des revenus de 900 euros et 1 600 euros, soit un rapport qui passe de 1 à 2 à 1 à 1,8. La légitimité de ce type d’impôt est ancienne [...] : les 1 000 premiers euros gagnés par une personne lui sont d’une utilité plus grande que les 1 000 euros gagnés par celui qui en perçoit déjà un million. Le second peut plus facilement s’en priver que le premier. C’est au nom de ce critère qu’il est apparu plus juste et économiquement plus efficace de taxer à un taux moins élevé ceux dont les revenus sont les plus faibles. En France, la fiscalité progressive ne représente qu’une part très faible de l’impôt. Louis Maurin, Observatoire des inégalités, novembre 2012 Q1 : Rappelez la différence entre impôt progressif et proportionnel ? Un impôt est dit progressif quand les ménages qui ont des revenus élevés versent une part plus importante de leur revenu que ceux qui ont des revenus modestes (+ le revenu est élevé, + la part du revenu qui est prélevée est importante). Exemple : impôt sur le revenu, ISF, impôts sur la succession... Un impôt est proportionnel si tous les ménages se voient prélevés une même proportion de leur revenu ou de leurs dépenses. Exemple : TVA, CSG... Enfin, il existe quelques impôts forfaitaires, notamment la redevance télé : chaque contribuable paie la même somme. Q2 : Pourquoi les impôts progressifs sont-ils jugés plus justes que les impôts proportionnels ? Les impôts progressifs contribuent à réduire les inégalités (de situation), alors que les impôts proportionnels n'ont pas d'impact sur les inégalités. Selon l'auteur, il est juste que les impôts prélèvent proportionnellement moins les pauvres car les plus pauvres peuvent plus difficilement se passer de la somme prélevée. Selon cette conception de la justice sociale, l'impôt progressif est donc plus juste que l'impôt proportionnel. Q3 : Pourquoi la TVA est-elle qualifiée d'impôt injuste ? La TVA est un impôt proportionnel sur la consommation. Or, plus on est riche, plus la part du revenu qui est épargnée (la propension à épargner) est forte : les riches consomment donc une part moins importante de leur revenu (ils ont une propension à consommer plus faible). La TVA opère donc une redistribution verticale à l'envers : elle prélève une part plus importante du revenu des ménages pauvres que des ménages riches (d'où effet dégressif, cad effet inverse de l'impôt progressif). Cf doc 10 qui montre que la TVA représente une part du revenu plus importante pour les pauvres que pour les riches. Remarque : d'où débat soulevé en France sur l'opportunité d'augmenter la TVA plutôt qu'un autre impôt. Cependant, comment se fait-il que l'intervention de l'Etat ait un effet ambigu sur les inégalités ? Document 9 : Camille Landais, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Pour une révolution fiscale, La république des idées, Seuil, 2011 Document 10 : L'Etat réduit-il effectivement les inégalités ? Les comparaisons internationales montrent que le degré d'inégalité des revenus est en moyenne moins élevé en France que dans les pays anglo-saxons, mais plus que dans les pays scandinaves. Ce résultat dépend de la distribution inégale des revenus et des corrections apportées par le système de redistribution. [...] La fiscalité réduit moins les inégalités en France que dans d'autres pays, par exemple l'Allemagne. [...] Schématiquement, l'impôt agit en réduisant les très hauts revenus, alors que les prestations sociales accroissent les bas revenus. Ces vingt dernières années, le système de redistribution est devenu plus progressif en bas de l'échelle des revenus, essentiellement par l'augmentation des prestations sociales sous condition de ressources [...]. Mais, dans le même temps, les prélèvements sur les hauts revenus ont eu tendance à diminuer, à tel point que Bercy admet que l'impôt sur le revenu “peut, dans certains cas, ne pas respecter pleinement le principe de progressivité de l'impôt”. La baisse du barème de l'impôt sur le revenu, l'explosion des abattements sur les successions, la multiplication des niches fiscales [...] réduisent de fait l'ISF. Les niches fiscales ont pris une ampleur considérable. Selon un rapport de l'Assemblée nationale, les 1000 contribuables qui bénéficient le plus des niches fiscales réduisent leur impôt de près de 300 000 euros en moyenne et les 100 plus gros contribuables de plus de 1 million d'euro. La diminution progressive du taux maximal de l'impôt de 65 % à 40 % a eu un effet spectaculaire pour les très hauts revenus. [...] Au total, la redistribution par les politiques publiques a permis un résultat remarquable [...] : alors que l'inégalité des revenus distribués en France a augmenté au cours des vingt dernières années, l'inégalité des revenus disponibles [...] semble avoir légèrement diminué. Mais ce constat ne s'applique pas aux très hauts revenus, dont l'explosion s'est accompagnée d'une défiscalisation croissante et difficile à justifier. Arnaud Parienty, “L'Etat réduit-il effectivement les inégalités ?”, Alternatives économiques, octobre 2008 Questions sur les documents 9 et 10 : Q1 : Comparez l'imposition des très riches et des classes moyennes. Les plus riches paient davantage d'impôts sur le capital, car le patrimoine est très inégalement réparti (cf chapitre sur la structure social). En revanche, les très riches paient proportionnellement moins d'impôts sur le revenu, de cotisations sociales et de TVA que les riches ou les classes moyennes. Cela a pour effet de réduire le caractère redistributif de l'intervention de l'Etat. Nous savons déjà que les riches paient moins de TVA en proportion de leur revenu, mais comment expliquer qu'ils paient aussi moins d'impôts sur le revenu ou de cotisations sociales ? Q2 : Qu'est-ce qu'une niche fiscale ? On parle de niche fiscale pour désigner une dérogation fiscale qui permet de payer moins d'impôts lorsque certaines conditions sont réunies. A l'oral : il s'agit de dispositifs légaux pour payer moins d'impôts, à ne pas confondre avec la fraude fiscale (ex je ne déclare pas une partie de mon revenu) ou l'évasion fiscale (cf affaire Cahuzac : je dépose de l'argent dans un paradis fiscal pour ne pas avoir à peyer d'impôts dessus). Q3 : Quels sont les effets des niches fiscales sur les inégalités ? La multiplication des niches fiscales bénéficie surtout aux très hauts revenus et a eu pour conséquence de réduire la progressivité de l'impôt en France : les très hauts revenus devraient en théorie être prélevés d'une plus grande proportion de leurs revenus que les revenus moins élevés, mais les divers mécanismes existant conduisent à remettre en cause cette progressivité (comme le reconnaît d'ailleurs le ministère de l'économie). Synthèse : la redistribution a pour effet de réduire les inégalités de revenus : les transferts de redistribution (prélèvements obligatoires et prestations sociales) ont bien un effet globalement redistributif : les inégalités de revenu disponible sont moins élevées que les inégalités de revenus primaires. Mais ceci n'est pas vrai pour les très hauts revenus : le système fiscal français est de plus en plus faiblement redistributif du fait de la remise en cause des impôts progressifs (impôts sur le revenu, ISF...). Cela pose un problème en terme de justice sociale : peut-on considérer juste que les très riches soient, en proportion de leur revenu, moins taxés que les moins riches ? Donc, le système fiscal français est redistributif (il prend plus aux riches qu'aux pauvres, donc contribue à réduire les inégalités), mais seulement jusqu'à un certain niveau de revenu : les très riches sont moins imposés (en proportion de leur revenu) que les riches. Remarque : le Canard enchaîné avait ainsi calculé que le taux d’imposition effectif global des revenus de Liliane Bettencourt (une de plus grande fortune française, propriétaire de l'Oréal) correspondait à celui d'un contribuable ayant des revenus de 1300 euros nets par mois. Conclusion : La redistribution a-t-elle forcément pour objectif de réduire les inégalités ? Un des objectifs de la redistribution est de réduire les inégalités, par des prélèvements sur les revenus les plus élevés pour financer des prestations au bénéfice des ménages aux revenus plus faibles. Remarque : D’après l’INSEE, les prestations sociales contribuent pour les deux tiers à la réduction des inégalités et les prélèvements pour un tiers. Mais la redistribution a aussi pour objectif de protéger contre les risques sociaux. Cela ne réduit pas forcément les inégalités : par exemple les pensions de retraite protègent contre le risque vieillesse mais ne réduisent pas les inégalités, puisque ceux qui ont des salaires élevés ont des pensions de retraite plus élevées. La question de la justice sociale ne se réduit donc pas à la question des inégalités : on considère comme juste que quelqu'un qui a travaillé toute sa vie ait droit à une retraite. Les deux premiers moyens d'intervention de l'Etat passent donc par la redistribution. Mais un 3e moyen d'intervention ne passe pas nécessairement par la redistribution. C/ La lutte contre les discriminations 1 h A l'oral : Qu'est-ce qu'une discrimination ? Discrimination : différence de traitement en raison d’un critère, comme l’âge, le sexe, l’origine ethnique, la préférence sexuelle, le handicap, le lieu de résidence ou encore l’apparence physique. La discrimination est prohibée par la loi, l'Etat cherche donc à lutter contre car les discriminations sont un obstacle à l'égalité des chances. Document 11 : Les inégalités de salaires hommes-femmes Le salaire mensuel net moyen des hommes est de 2 263 euros pour un équivalent temps plein, celui des femmes de 1 817 euros (données 2010). Les hommes perçoivent donc, en moyenne, un salaire supérieur de 25 % (en équivalent temps plein) à celui des femmes. [...] L’écart mensuel moyen est de 446 euros, soit presque un demi Smic. Plus on progresse dans l’échelle des salaires plus l’écart entre les femmes et les hommes est important, les premières étant beaucoup moins nombreuses dans le haut de l’échelle. Si l’on tient compte des différences de statut d’emploi (cadre, employé, ouvrier), d’expérience, de qualification (niveau de diplôme) et de secteur d’activité (éducation ou finance) environ 9 % de l’écart demeure inexpliqué selon les données de l’Insee. Cette différence de traitement se rapproche d’une mesure de la discrimination pure pratiquée par les employeurs à l’encontre des femmes. Cependant, d’autres facteurs non mesurés ici peuvent entrer en jeu et justifier partiellement ce phénomène, à l’instar de la situation familiale, du domaine du diplôme possédé ou des interruptions de carrière. La discrimination pure serait de l’ordre de 6 ou 7 %. Observatoire des inégalités, www.inegalites.fr Document 12 : Ce que dit la loi aujourd'hui Tout employeur est tenu d’assurer, pour un même travail ou un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes : ce principe interdit toute discrimination de salaire fondée sur le sexe. Tous les employeurs et tous les salariés sont concernés, qu’ils relèvent ou non du Code du travail. Les salariés du secteur public sont donc également visés. L’employeur engage chaque année une négociation sur les objectifs d’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes dans l’entreprise, ainsi que sur les mesures permettant de les atteindre. Cette négociation porte notamment sur la définition et la programmation de mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. En l’absence d’accord, la négociation annuelle obligatoire sur les salaires effectifs porte également sur la définition et la programmation de mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération et les différences de déroulement de carrière entre les femmes et les hommes. www.travail-emploi.gouv.fr Questions sur les documents 11 et 12 : Q1 : Pourquoi peut-on parler de discrimination dans cet exemple ? Les femmes ont aujourd'hui un salaire en moyenne 25 % plus faible que celui des hommes. Si l'on tient compte des différences de statut d'emploi, d'expérience, de qualification et de secteur d'activité, environ 7 % d'écart salarial reste inexpliqué et ne peut donc se comprendre que parce que les femmes sont victimes de discrimination (lles sont moins payées parce que ce sont des fmmes). Q2 : Comment l'Etat cherche-t-il à lutter contre cette discrimination ? Pour lutter contre les discriminations envers les femmes, l'Etat a mis en place une loi pour obliger les entreprises à l'égalité salariale hommes-femmes. L'Etat peut donc lutter contre des discriminations en les interdisant par la loi, mais cela ne suffit pas toujours car la discrimination est par nature cachée, non mise en avant (on ne va pas dire à une femme qu'on la paie moins car c'est une femme, ou à un jeune de banlieue qu'on ne l'embauche pas car il vient de tel quartier, sinon on tombe sous le coup de la loi !). L'Etat peut donc aussi mettre en place des mesures de discrimination positive. Document 13 : La discrimination positive en France En France, une certaine forme de discrimination positive a déjà été appliquée. […] Elle s'intègre par exemple dans la politique de la ville, via les zones d'éducation prioritaires, ou dans celle de l'emploi, via la mise en place de contrats aidés à destination de publics spécifiques comme les chômeurs de longue durée [...]. Elle a aussi récemment été développée dans l'éducation supérieure. En effet, l'Institut d'Etudes Politiques de Paris a innové au début des années 2000 en facilitant l'entrée d'étudiants scolarisés dans les lycées de banlieues défavorisées […]. A chaque fois, ces politiques préférentielles s'adressent à des groupes sociaux définis sur la base de critères socioéconomiques (niveau de revenus, situation vis-à-vis de l'emploi, zone d'habitation). Il n'existe pas en France de programmes d'actions positives visant à favoriser un groupe d 'individus, défini sur la base d'un critère inné comme le sexe ou l'origine ethnique, à l'exception de la loi sur la parité politique votée en 2000. Hélène Périvier, « Panorama des différents types de lutte contre les inégalités », Cahiers français, n° 351, juillet-août 2009 Q1 : Qu'est-ce que la discrimination positive ? Pour lutter contre les discriminations, l'Etat peut mettre en place des mesures de discrimination positive : traitement préférentiel volontairement accordé aux membres d’une minorité traditionnellement désavantagée afin de compenser les désavantages associés à cette appartenance. Q2 : Montrez, à travers un exemple pris dans le texte, que la discrimination positive remet en question le principe d'égalité en droit. Pour lutter contre les discriminations, l'Etat va mettre en place une discrimination au profit d'un groupe victime d'inégalités, dans l'objectif de réduire les inégalités : il s'agit donc de créer une inégalité de droit pour favoriser l'égalité des chances et se rapprocher d'une égalité de situation. Cette inégalité doit permettre de corriger/compenser l'inégalité première. On instaure donc une inégalité considérée comme juste pour lutter contre l'inégalité de départ, considérée comme injuste. Exemple : Le principe même des Zones d'Education Prioritaire remet en cause l'égalité en droit, puisqu'il s'agit de donner plus de moyens (postes, heures d'enseignement) aux établissements situés dans des zones particulièrement défavorisées. Il s'agit donc de donner plus à ceux qui en ont le plus besoin. Cela doit permettre de renforcer la justice sociale, de rendre les inégalités restantes moins injustes. Remarque : En France, débat autour de la compatibilité entre la discrimination positive et les valeurs de la République (égalité de droit). Beaucoup refusent de considérer les ZEP comme de la discrimination positive, car aucun critère ethnique n'intervient (ce sont des lieux de résidence défavorisés qui sont ciblés, pas des groupes de personnes). Alors qu'aux Etat-Unis, où le concept est né, la discrimination positive vise explicitement des minorités ethniques (ex quotas de noirs à la télévision ou l'université). III/ L'intervention de l'Etat en débat 2h A/ Une intervention sous contraintes ½ h Document 14 : doc. 2 p. 321 Q1 : Qu'est-ce que la « contrainte de finances publiques » (ou contrainte budgétaire) ? L'Etat-Providence est soumis à une contrainte budgétaire : les marges de manœuvre des politiques économiques sont réduites par l'existence d'une dette publique importante résultant de la succession des déficits publics, car une part de plus en plus importante du budget est consacrée au remboursement de la dette. Q2 : Quel est l'intérêt de la crédibilité et qu'est-ce qui peut remettre en cause la crédibilité de l'Etat français ? La crédibilité dans la solvabilité d'un Etat, cad le fait de donner confiance aux prêteurs dans sa capacité à rembourser la dette, permet d’emprunter à moindre coût sur les marchés financiers : on nous prête à la France à des taux d'intérêts faibles, car le risque d'insolvabilité est jugé quasi nul. Cela permet a contrario de comprendre pourquoi la Grèce se voit proposer des taux d'intérêts très élevés (cf chapitre sur l'Union Européenne). Or, la crédibilité française en matière de dette publique est remise en cause du fait de son accroissement continu, à cause de budgets publics déficitaires depuis 1974. D'où les politiques actuelles qui visent à réduire le déficit public pour "redonner confiance aux marchés", afin que ceux-ci veuillent bien nous prêter à des taux faibles. Autrement dit, la hausse de la dette publique a réduit les marges de manœuvre des politiques visant à plus de justice sociale. Revoir le cours de 1e sur l'Etat-Providence, notamment le document sur « les 3 crises de l'Etat-Providence » : l'E-P est confronté à une crise de financement (voir doc 13), mais aussi une crise d'efficacité (malgré des dépenses en hausse, le chômage et la précarité ne cessent d'augmenter) et la crise de légitimité. Cette dernière repose notamment sur le fait que l’intervention de l'Etat est accusée, en plus d'être inefficace, d'avoir des effets pervers. B/ L'intervention de l'Etat désincite-t-elle à travailler ? 1h1/2 Cf débat sur l'assistanat, les prestations sociales qui seraient trop généreuses, les immigrés qui viendraient en France pour recevoir des allocations familiales... Videoprojeter : Document 14 : L'assistance désincite-t-elle au retour à l'emploi ? Si le revenu que tire une personne de son retour éventuel à l'emploi est proche, voire inférieur à celui qu'elle obtient par les aides sociales, il est à craindre que cette personne ne soit piégée dans une « trappe à pauvreté » : sa situation est médiocre, mais l'emploi qui pourrait être la première marche permettant de l'améliorer ne présente pas d'avantage financier significatif, tout en présentant un risque sérieux de perte de ressources. [...] Il serait donc compréhensible que les bénéficiaires de minima sociaux hésitent à reprendre un emploi dans ces conditions. Arnaud Parienty, « L'assistance décourage-t-elle l'emploi ? », Alternatives économiques, n°245, mars 2006 Q1 : A partir du texte, proposez une définition du terme « désincitation ». Incitation : toute mesure qui vise à modifier le comportement des acteurs dans un sens jugé souhaitable ; une incitation oriente le comportement des agents en faisant en sorte que leur intérêt personnel s’aligne sur l’objectif recherché. La désincitation est alors une incitation à ne pas faire quelque chose. Q2 : Quels facteurs désincitent les titulaires de minima sociaux à accepter un emploi ? Quand un individu bénéficie de minima sociaux, il peut perdre le droit à ses minima sociaux s'il retrouve un emploi à temps partiel. Ainsi, le revenu tiré de son retour à l’emploi sera proche et même parfois inférieur à celui que l’individu obtient des aides sociales. La redistribution est donc critiquée par certains auteurs : plutôt que réduire les inégalités, elle les conforte car elle permet à certains de se satisfaire d’une position d’assisté. Q3 : Expliquez l'image de la « trappe à pauvreté ». N’étant pas incités à reprendre un emploi, les individus se maintiennent dans une situation de pauvreté. Ils vivent grâce aux minima sociaux et n’ont aucun intérêt à ne plus bénéficier de cette assistance. Ils sont donc coincés dans une « trappe à pauvreté » qui ne les incite pas à travailler. D'où le débat sur le RSA : le RMI était accusé d'entretenir une trappe à pauvreté, le RSA est censé inciter les pauvres à exercer une activité : les aides sociales seront dans un premier temps cumulées au revenu tiré de l’activité, ce qui garantira aux titulaires de minima sociaux que le revenu augmentera quand ils reprendront une activité. Document 15 : La redistribution a-t-elle un effet désincitatif ? Le cas du revenu minimum L'éligibilité au revenu de solidarité active (RSA) est soumise à plusieurs critères. La condition d'âge est notamment restrictive : très peu de personnes de moins de 25 ans sont éligibles au RSA. Avant la mise en place de ce dispositif, en juin 2009, la même condition existait pour le revenu minimum d'insertion (RMI). Cette restriction s'appuie notamment sur la crainte que l'accès au revenu minimum décourage certains jeunes de poursuivre leurs études ou de rechercher un emploi. On peut évaluer l'ampleur de cette désincitation au travail autour du seuil d'âge ainsi créé. Si elle existe, cette désincitation devrait se traduire par un fléchissement du taux d'emploi des jeunes juste après 25 ans, puisque le gain à l'emploi de certains jeunes serait plus faible à partir de cet âge. Or, aucune rupture dans les taux d'emploi à 25 ans n'est repérable pour les jeunes célibataires sans enfant ayant au moins un CAP ou un BEP. Le RMI et le RSA n'auraient donc pas d'effet désincitatif marqué sur l'emploi de ces jeunes. […] Au total, sur la période 2004-2009, entre 1,7 % et 2,9 % de ces jeunes très peu qualifiés auraient été découragés de travailler en raison du RMI. […] Les raisons pour lesquelles la désincitation peut être faible sont bien connues. Ainsi, l'accès à l'emploi peut être perçu comme une norme sociale à atteindre, même si les gains financiers qu'il procure sont faibles. C'est aussi le moyen de se construire des droits à la retraite. De surcroît, la plupart des chômeurs recherchent un emploi à temps plein, alors que le RMI ou le RSA jouent surtout sur l'arbitrage entre emploi à temps partiel et inactivité. Enfin, de faibles gains au travail à court terme peuvent être compensés par des gains à plus long terme, avec une amélioration des conditions futures d'emploi procurée par l'expérience professionnelle accumulée. O. Bargain et A. Vicard, "Le RMI et son successeur le RSA décourage-t-il certains jeunes de travailler ?", INSEE Analyses, septembre 2012 Q : Le RMI puis le RSA ont-ils un effet désincitatif au travail chez les jeunes ? Comment peut-on l’expliquer ? Des études ont montré que le RMI puis le RSA avaient un très faible effet désincitatif chez les jeunes : moins de 3 % des jeunes renoncent à travailler quand il ont l'âge de bénéficier du RSA (25 ans). En effet, avoir un emploi ne donne pas seulement un revenu supplémentaire, cela donne un statut social (plus valorisé que celui d'assisté) et ouvre des droits (cotisations sociales donnent droit à la retraite, aux allocations chômage). De plus, accepter un emploi même mal rémunéré est une condition pour augmenter son expérience et donc la probabilité de trouver ensuite un meilleur emploi. Il ne faut donc pas surestimer le phénomène de trappe à pauvreté.