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N°17/044 14 février 2017
MAROC Les nombreux défis d’un pays en
mutation
La forte progression du PIB (en parité de
pouvoir d’achat ppa) par habitant en quinze
ans (+120%) illustre la transformation
progressive du Maroc d’un pays encore
assez rural à un pays un peu plus
industrialisé.
Mais le processus de développement se
heurte aux contraintes classiques des pays
émergents : une croissance du PIB toujours
très volatile en fonction de l’aléa climatique,
une forte dépendance du commerce extérieur
aux besoins de l’UE, une économie encore
peu diversifiée, un niveau de pauvreté
(8 100 USD/habitant) et d’épargne qui freine
la transition et enfin, une pression démo-
graphique qui nécessite de nombreuses
créations d’emplois.
Néanmoins, dans un Moyen-Orient perturbé,
le Maroc bénéficie d’une bonne image de
stabilité politique, qui lui permet de recevoir
de larges investissements étrangers au cœur
de sa stratégie d’industrialisation sur des
secteurs à plus forte valeur ajoutée. Cette
stratégie est soutenue par la flexibilisation
annoncée du régime de change et une
amélioration des infrastructures. De plus,
après s’être détériorés de 2008 à 2014, les
équilibres macro-économiques sont désor-
mais plus rassurants et les risques plus
contenus. La dette de l’État reste toutefois
assez élevée, bien que stabilisée à 74% du
PIB.
Pour soutenir sa transition à moyen terme et
l’accélérer, le pays devra toutefois relever de
nombreux défis sociaux et de gouvernance :
lutter contre l’économie informelle et amélio-
rer la gouvernance, duire le chômage,
renforcer le système éducatif, affronter les
défis démographiques et rendre l’État plus
efficace ; alors qu’un blocage politique est
apparu au Parlement. Des défis sans doute
un peu sous-estimés dans les analyses et
que seule une forte mobilisation politique et
sociale sera à même de relever.
Données et prévisions Maroc
2016e 2015 2016e 2017p 2018p
Population (millions) 34,0 PIB (en volume, variation) 4,5 1,5 3,6 3,3
PIB (USD milliards) 103 Inflation (moyenne annuelle, %) 1,6 1,6 2,1 2,2
PIB/habitant (USD, PPA) 8 100 Solde courant (% PIB) -2,1 -2,4 -2,5 -2,7
Taux d'épargne (% PIB) 20 Solde budgétaire (% PIB) -4,9 -4,1 -3,7 -3,6
IDH (2014)* 126 Dette publique (% PIB) 76 77 76 76
Gouvernance (2014)** 48 Change (€, moyenne) 10,8 10,8 10,8 11,0
*indicateur de developpement humain (186 pays)
**moyenne Banque Mondiale (indicateurs 3 à 6) de 0 (min) à 100 (max)
Maroc Les nombreux défis d’un pays en mutation
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L’économie marocaine : une mutation
encore lente mais volontaire
La richesse par habitant du Maroc reste assez
inférieure à celle des autres pays du Moyen-Orient
et de l’Afrique du Nord, en raison du poids de
l’agriculture dans l’emploi (40%) et le PIB (20%).
Toutefois, le développement de l’industrie a sou-
tenu la croissance du PIB à 4,3% par an en
moyenne entre 2000 et 2015. Le PIB par habitant
en PPA a donc augmenté de 118%, alors qu’il ne
progressait que de 80% ailleurs dans le Maghreb.
La progression démographique plus faible l’expli-
que aussi en partie.
Mais, l’agriculture pèse encore trop dans l’éco-
nomie et la croissance est trop dépendante de
l’aléa climatique. Ainsi en 2016, la sécheresse
affecte le PIB agricole qui se contracte de plus de
10% et explique que le PIB global ne progresse
que de 1,5%, contre 4,5% en 2015. De son côté, le
PIB non-agricole connaît une croissance contrainte
à 2% en 2016. Le tourisme résiste assez bien
malgré l’impact indirect des attentats de la région.
Le secteur minier progresse peu, celui des phos-
phates stagne en raison de cours déprimés et celui
de l’immobilier se redresse après quelques faillites
retentissantes en 2015 et la baisse des com-
mandes publiques.
Les pluies de l’automne permettent néanmoins de
tabler sur un redressement de la croissance du PIB
agricole et donc du PIB total en 2017 à 3,6%. Au-
delà de l’agriculture, ce rebond sera aussi porté par
une hausse attendue de la consommation des
ménages et par un probable redressement de
l’investissement privé, porté par une meilleure
conjoncture.
Des équilibres macro-économiques
corrects malgré des fragilités
La crise de 2009 avait profondément affecté les
comptes publics et externes. Les larges déficits
jumeaux (budgétaire et courant) de 7% et 10% du
PIB en 2012 se sont résorbés. Mais cette réduction
n’est encore que partielle.
Si le déficit courant s’est contracté à 2,5% du PIB
en 2016 grâce à la chute des prix du pétrole
importé et au regain des exportations, il se heurte à
la détérioration du taux d’épargne à 20% du PIB qui
oblige le pays à se financer à l’étranger. Point
positif, son financement est largement assuré par
les investissements directs étrangers, car la sta-
bilité politique du pays attire toujours les investis-
seurs étrangers (automobile, équipementiers). Par
ailleurs, les réserves en devises ont progressé à
8 mois d’importations, ce qui soutient le cours du
dirham.
Le déficit budgétaire a plus de mal à diminuer (4%
du PIB), car des subventions subsistent. La dette
publique s’établit à 75% du PIB, un ratio trop élevé
pour un pays émergent de ce niveau de revenu par
habitant (8 100 USD). Elle est toutefois stabilisée et
est sous surveillance du FMI.
Au total, le double surendettement externe du pays
(la dette brute en devises représente deux fois les
exportations en 2016) ne semble donc pas trop
menaçant pour les équilibres, car la dette publique
est concessionnelle pour un tiers et la dette externe
des entreprises est en grande partie issue des
relations maisons-mères étrangères/filiales. Elle
doit toutefois être surveillée, car elle a fortement
progressé depuis 2008.
Des réformes pour soutenir le
développement
En 2017, le rebond de croissance prévu à 3,6%
devrait faciliter la poursuite des ajustements macro-
économiques. Les réformes structurelles progres-
sent (retraites de la fonction publique, réformes
fiscales). Mais léconomie reste encore trop expo-
sée aux chocs externes et internes : la dépendance
à la croissance en Europe et la vulnérabilité aux
prix du pétrole. De plus, les principaux secteurs
économiques traditionnels du pays sont dans une
situation délicate : le secteur textile est fortement
concurrencé par l’Asie, les phosphates connais-
sent des prix volatils liés aux matières premières et
les recettes sont moins stables que par le passé,
l’agriculture reste duale et nécessite des réformes
pour réduire sa dépendance à l’aléa climatique, et
le tourisme est vulnérable aux risques d’attentats.
Les dirigeants tentent de réduire cette vulnérabilité
mais les défis sont assez élevés.
La réforme de la politique monétaire
Le régime de change actuel (peg du dirham à un
panier d’euro et de dollar) devrait évoluer à moyen
terme vers plus de flexibilité afin d’améliorer la
compétitivité et absorber plus facilement les chocs
externes. La Banque centrale s’y prépare (elle
envisage des bandes de fluctuation de 5% autour
de la parité fixe) ; mais ceci ne se fera, en lien avec
le FMI, que si les conditions macro-économiques
sont favorables. L’ouverture du compte de capital,
encore très contrôlé, n’est, elle, envisagée qu’à
moyen terme.
La poursuite de l’industrialisation
La diversification de l’économie est devenue une
priorité et le pays a mis en place, avec un certain
succès, un environnement destiné à attirer les
investisseurs étrangers vers de nouveaux métiers
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industriels : mécanique, électrique et électronique.
Les perspectives de croissance à long terme sont
conditionnées par la capacité du Maroc à
poursuivre l’attraction des IDE pour financer son
développement industriel et à augmenter l’investis-
sement domestique contraint par l’épargne faible.
L’amélioration de l’environnement des affaires et la
création de nouvelles infrastructures (ports et
routes) y contribuent. L’État joue donc bien son rôle
en améliorant l’offre.
La création d’un réseau de PME
Pour poursuivre de façon plus affirmée sa transition
industrielle, le Maroc devra résoudre l’une de ses
faiblesses, le manque d’un réseau de PME et de
grandes PME exportatrices (qu’il y a en Turquie).
Ces PME, sous-traitantes de grands groupes ou
non, sont nécessaires pour nourrir le
développement et absorber la main d’œuvre
nouvelle.
Une autre réforme à enclencher : le marché du
travail
Le chômage oscille entre 8,5% et 10% et peine à
diminuer en raison de la pression démographique.
L’emploi dans le secteur informel concernerait 35%
de la main d’œuvre, un chiffre très élevé qui illustre
les défaillances de l’État de droit. Le chômage des
jeunes, beaucoup trop fort à 21,8%, est alimenté
par l’exode rural et 26% des diplômés de
l’université sont sans emploi.
Les signaux de la transition sont donc bien
mais la trajectoire est assez lente, compte tenu du
caractère inégalitaire du tissu économique (et de la
société elle-même). C’est d’ailleurs l’une des pré-
conisations du FMI de tendre vers une société plus
inclusive.
Les défis de long terme de la société
marocaine sont sous-estimés
Les questions démographiques et sociales vont
devenir plus pressantes dans le futur, car le pays
est confronté à la fois à l’exode rural et au sous-
emploi des femmes (25%) des symptômes de
pays à un stade initial de développement et à un
vieillissement de sa population symptôme de
pays développé. La combinaison des deux évo-
lutions rend leur résolution plus complexe. De plus,
la classe moyenne est peu développée et ceci
freine le développement.
Par ailleurs, la défaillance du système d’éducation
public (le taux d’analphabétisme est de 29%),
l’incontestabilité de la place du roi (avec les dérives
du système de clientélisme Makhzen) et les diffi-
ciles réformes de la gouvernance (qui ne s’améliore
pas malgré des mesures de lutte contre la
corruption plus vigoureuses) illustrent les blocages
sociétaux. La sphère économique étant très imbri-
quée dans la sphère politique, le développement
économique du Maroc ne peut avoir lieu sans des
améliorations dans ces domaines. À ce titre,
l’efficacité de l’État reste largement perfectible :
l’importance de l’économie informelle, qui s’établi-
rait à environ 40% du PIB, prive l’État de larges
ressources fiscales et la lutte pour la faire diminuer
se heurte à l’institutionnalisation du phénomène de
Makhzen.
Enfin, d’un point de vue politique, le palais royal
demeure le centre du pouvoir et de la vie
politique. La société civile marocaine reste encore
balbutiante, comme l’illustre le très faible taux de
participation aux législatives de 2016 (43%).
L’organisation institutionnelle est, par ailleurs,
confrontée au blocage politique actuel avec un parti
(le PJD) arrivé en tête du scrutin mais dont le
dirigeant (A. Benkirane), ne parvient pas, après
trois mois de discussion, à trouver une majorité
stable au Parlement et former un gouvernement de
coalition. Un nouveau défi à relever dans les
prochaines semaines.
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N°17/044 14 février 2017
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Cahier de graphiques à janvier 2017
La croissance du PIB est très volatile en raison du poids de l’agriculture et
des aléas climatiques. La sècheresse va faire chuter la croissance à 1,5%
en 2016. Redressement prévu à 3,6% en 2017. Le déficit du compte
courant devrait se stabiliser à 2,5% du PIB.
Les élections législatives d’octobre 2016 ont renouvelé les islamistes
modérés (Benkirane) comme premier parti. Mais l’éclatement politique
empêche la formation d’un gouvernement de coalition. Le taux de
participation est très bas (43%). Le roi règne.
Le dirham reste solidement ancré à un panier composé d‘euros (60%) et
dollars (40%). Une flexibilisation du régime de change est prévue en
2017-2018, en lien avec les recommandations du FMI.
Les réserves en devises sont d’un niveau confortable à 8 mois d’impor-
tations. Leur volatilité est faible. Elles contribuent à la stabilité du dirham et
donc à soutenir le rating.
L’inflation est contenue et la politique de la Banque centrale est réactive.
La politique de taux est orthodoxe et lisible avec des taux d’intérêt réels
plutôt modestes, dans le but de favoriser l’activité bancaire.
La note du Maroc est très stable au fil du temps (autour de l’investment
grade), ce qui illustre un pays un peu à l’abri des soubresauts des crises
économiques ou politiques qui agitent le monde. Elle est restée inchangée
en 2009 et en 2011.
-10
-8
-6
-4
-2
0
2
4
6
8
10
-10
-8
-6
-4
-2
0
2
4
6
8
10 PIB et solde courant
PIB (gche)
Solde courant
a/a , %
% PIB
Sources : Office des
changes, EIU, Crédit Agricole
S.A.
31%
26%
12%
9%
7%
5%
5%3% 1%
1%
Composition du Parlement en 2016
PJD (islamistes
modérés)
PAM (proche roi)
Istiqlal (islamistes
modérés)
RNI (royalistes centre
droit)
MP (centre)
USFS (gauche)
UC (libéral)
PPS (social ex PC)
7,5
8
8,5
9
9,5
10
10,5
10
10,5
11
11,5
12
Taux de change
MAD / EUR (gche)
MAD / USD (dte)
Source : Reuters, Credit
agricole sa
Source : Reuters, Credit
agricole sa
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
0
5
10
15
20
25
30
déc.-13
mars-14
juin-14
sept.-14
déc.-14
mars-15
juin-15
sept.-15
déc.-15
mars-16
juin-16
sept.-16
déc.-16
Réserves en devises
Réserves en devises
réserves mois imports (dte)
Source : BCM,
Credit agricole sa
mds USD
mois imports
-0,5
0,0
0,5
1,0
1,5
2,0
2,5
3,0
3,5
janv.-12
mai-12
sept.-12
janv.-13
mai-13
sept.-13
janv.-14
mai-14
sept.-14
janv.-15
mai-15
sept.-15
janv.-16
mai-16
sept.-16
janv.-17
Inflation et taux directeur
inflation
Taux directeur (BC)
Source : BCM, Credit
agricole sa
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18 Ratings souverain LT (*)
S&P Moody's
Fitch Invmt Grade
Sources : Agences,
Crédit Agricole SA
A
A-
BBB+
BBB
BBB-
BB+
BB
BB-
B+ (*) dette en devises
Je
changerais
l’échelle
maxi 2,5
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La population marocaine a augmenté de 26% en vingt ans (de 28 à
35 millions) et continue de progresser de 1,3% par an. Elle est jeune et de
plus en plus urbaine (60% pour 52% en 1996), sous l’effet de l’exode rural
que le gouvernement essaie de contenir.
Le cmage est élevé en raison de la pression démographique. Le
chômage des jeunes, beaucoup trop fort à 21,8%, est alimenté par l’exode
rural. 26% des diplômés de l’université sont sans emploi. Une attention doit
être portée aux risques de tensions sociales.
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12 place des États-Unis 92127 Montrouge Cedex
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0,0%
0,2%
0,4%
0,6%
0,8%
1,0%
1,2%
1,4%
1,6%
1,8%
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10,0
15,0
20,0
25,0
30,0
35,0
40,0 Croissance démographique
population
croissance (dte)
Sources : Office des
statistiquesCrédit Agricole S.A.
0
5
10
15
20
25
0
5
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2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016
Chômage et chômage des jeunes
Chômage total
Chômage des jeunes
Source : HCP, Credit
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