TOPIC
Décembre 2008
Le développement chinois est-il « durable » ?
L’« urbanisation
harmonieuse »
devient le sujet
majeur de
préoccupation
pour les autorités
chinoises.
La population
urbaine n’a cessé
d’augmenter
depuis plus de
vingt ans, …
… et les
infrastructures
suivent.
Les migrations
internes entre
villes et
campagnes
s’intensifient…
590 millions de Chinois vivent aujourd’hui en ville. Ils seront 760
millions en 2020. « L’urbanisation harmonieuse » (selon le slogan récent) devient
le sujet majeur de préoccupation mais aussi la source de nouveaux débouchés
gigantesques.
En même temps, le modèle de développement chinois - et le choix des
réformes engagées depuis vingt-cinq ans - posent des problèmes de plus en plus
aigus. Car les équations actuelles en matière d’énergie, d’environnement, d’eau,
d’équilibre social ne sont tout simplement plus tenables. Multipliées par le nombre
de Chinois, les nouvelles décisions pour un développement durable seront
radicales. Elles ont déjà commencé.
En 1980, 20% de la population chinoise vivait dans les villes (soit plus de
200.000 habitants). En 2008, 45% des Chinois sont urbanisés et le chiffre s’accroit
de 12 millions chaque année. La photographie actuelle recense 36 villes de plus de
2 millions d'habitants (« grandes villes » selon la norme chinoise) et 153 villes
comprises entre 1 et 2 millions. La conurbation de Chongqing, à 3.000 km de la
mer, est la plus importante (30 millions), suivie de Shanghai (17 millions), Pékin
(12 millions) et Guangzhou (Canton : 10 millions). En 2030, 62% des Chinois
habiteront en ville, soit 870 millions. Cette tendance suit d'assez près la proportion
mondiale quel que soit le continent.
D'ores et déjà, on coule autant de béton en Chine chaque année que tout le
patrimoine installé actuel de l'Île-de-France. Les infrastructures suivent : 7.000 km
d'autoroutes nouvelles en 2008 (comme dans les années précédentes), 10 aéroports
majeurs nouveaux, plusieurs ports en eau profonde de taille mondiale, à
commencer par le gigantesque port de haute mer au large de Shanghai. Le paysage
urbain chinois est une forêt de grues où que l'on aille. Dans les années d'ici à 2020,
on créera 40 milliards de mètres carrés construits, 50.000 gratte-ciels, le tout à
l'avenant. Très généralement selon une planification élaborée et bien conduite, par-
delà les excès et les spéculations locales en tout genre, dues à la fois à la large
impunité des potentats locaux et de leurs promoteurs affidés et au flou juridique
laxiste des régimes de propriété.
Le problème des vases communicants entre la campagne et la ville est aux
dimensions chinoises. 120 millions de paysans sont des migrants de l'intérieur. Pas
tous le même jour sur la même route, on s'en doute ! Une partie quitte les
provinces de l'intérieur pour tenter de trouver du travail sur la côte, dans les usines
du Guangdong, des provinces qui entourent Shanghai (Zhejiang, Jiangsu) ou, plus
au nord, entre les villes de Pékin, Tianjin et Dalian. D'autres sont directement
aspirés par les lumières de la ville, et viennent envahir les banlieues de Shanghai
ou de Pékin (3 millions dans chaque cas) ou d'ailleurs. D'autres enfin migrent
l'hiver vers les capitales provinciales à la recherche d'un emploi de complément ou
pour de grands travaux (par exemple la récolte du coton dans le Xinjiang).
… et sont tolérées,
à défaut d’être
encadrées.
Le fléau de
l’expropriation
arbitraire, sans
indemnités ni
reclassement,
continue de
s’exercer.
Avec les nouveaux
et les anciens
citadins, on
recense de
faramineux
besoins :
équipements
électriques en tout
genre, marché
automobile etc.
Mais les
problèmes de
pollution remettent
en question le
modèle de
développement
chinois…
Ces migrations sont tolérées, à défaut d'être encadrées. Prudemment, les
autorités n'ont pas aboli le fameux « permis de résidence » (hukou), qui fixe en
principe chacun auprès de son « unité de travail ». On parle depuis dix ans du
démantèlement du système du hukou et on annonce tous les six mois que, cette
fois, la réforme est sérieusement « à l'étude ». Mais ce serait une révolution. Un
paysan migrant, très généralement, ne peut pas transférer son hukou, sauf contrat
de travail formel dans une usine, lequel d'après le nouveau code du travail chinois
de 2008, doit être signé après… dix ans d'emploi effectif ! Il peut être embauché à
la semaine dans le bâtiment ou la restauration, mais il n'a aucun droit : pas d'accès
à l'hôpital local s'il se blesse, pas de possibilité de mettre ses économies à la
banque ou de scolariser ses enfants, s'il les fait venir du village. C'est un moyen
policier comme un autre de contrôler cette masse flottante qu’en chinois ont
nomme « la vague aveugle ». En cas de récession – déjà fort visible dans les
industries exportatrices du sud - le retour à la campagne en aller simple se fait sans
autre forme de procès.
De plus, le monde pur et parfait de l'économie réelle en État de droit, qui
régulerait harmonieusement les flux, ne fonctionne pas comme cela dans le
contexte chinois. Les petits chefs locaux du Parti commettent en toute impunité
toutes sortes d’exactions et d’expropriations arbitraires, au nom de vagues projets
de développement. Le plus souvent sans indemnités ni reclassement des paysans.
La plupart des milliers de manifestations violentes qui surviennent périodiquement
dans le pays ont pour origine la disposition inconsidérée de la terre. Depuis octobre
2008, l’Etat central tente de mettre un peu d’ordre. Les paysans ne possèdent
toujours pas la terre qu’ils cultivent, réputée « propriété collective » au nom d’une
catégorie du droit particulière à la Chine communiste. Mais désormais, ils en ont
légalement un droit d’usage, qu’ils peuvent négocier ou transmettre. C’est un
début, mais insuffisant pour stabiliser des millions de paysans sur lesquels le fléau
de l’expropriation a fondu et va sans doute continuer de s’exercer, et qui ne
pourront faire autrement que de migrer vers des cieux en apparence plus cléments
(voir le joli livre « La promesse de Shanghai » par Stéphane Fière).
Les villes chinoises vont donc s’étendre et encore se densifier, si c’est
possible, avec un boom de l’équipement mais aussi des nuisances. Du côté du
verre à moitié plein, on recense évidemment les faramineux besoins des citadins
anciens et nouveaux, qui soutiennent puissamment le marché intérieur chinois et
l'appareil industriel des entreprises autochtones ou étrangères. Depuis l'an 2000, le
nombre des climatiseurs a été multiplié par trois, et aujourd'hui 84% des ménages
urbains en sont équipés. Sans parler des lave-linges, télévisions, réfrigérateurs,
machines électriques en tout genre, équipements divers de la cuisine ou du salon,
dont les modèles foisonnent. Telle entreprise internationale de verrerie, telle
entreprise de canapés, y trouvent plus que leur compte, pour qui le marché chinois
est le nouvel eldorado. Sans parler du marché automobile, puissamment soutenu
par l'engouement des nouvelles classes moyennes chinoises. Les ventes de voitures
atteignent en 2008 5,3 millions d'exemplaires. Le marché s'est certes tassé de
+27% en 2007 à +8% seulement en 2008 (et sans doute +3% en 2009, récession
oblige), et la concurrence y est féroce, mais c'est la nouvelle frontière des
constructeurs occidentaux ou japonais, dont les perspectives à domicile sont
moroses.
Mais, du côté du verre à moitié vide, le modèle de développement fondé
sur la croissance à tous prix et sur le primat à l’industrie est aujourd'hui sévèrement
remis en question. Aujourd'hui, parmi les 20 villes les plus polluées du monde, 16
d'entre elles sont chinoises. La Chine est passée en 2008 à la première place dans
le douloureux classement mondial des pays émetteurs de CO², devant les États-
Unis. La pollution atmosphérique est devenue intenable. En été, dans le climat
chaud et humide de cette saison, les particules noires font la nuit en plein jour du
côté de Pékin, de Shanghai, et même maintenant de Hong Kong (à cause des
industries du delta de la rivière des perles à proximité).
Demande additionnelle d’énergie d’ici à 2020
650
480 360 370
1150
650 580
0
200
400
600
800
1000
1200
AMERIQUE NOR
D
AMERIQUE SU
D
EUROPE
INDE
CHINE
AUTRE ASI
E
RESTE DU MOND
E
En Millions Tonnes Equivalent Pétrole
La demande chinoise de Pétrole
8,8
4,1
-4,1
12,5
4,5
-8
-10
-5
0
5
10
15
2008 2012 (EST.)
CONSOMMATION PRODUCTION IMPORTATIONS
Millions de Barils/Jour
… et sont à
l’origine de
nombreuses
maladies graves et
de décès.
La pollution de
l’environnement
est devenue un
sujet obligé de
politique
nationale.
Tout un arsenal de
normes
environnementales
est à disposition
du Ministère de la
protection de
l’environnement,…
… mais leur
application sur le
terrain est difficile.
Le problème de
l’eau est le plus
critique :…
Il y a cinq ans, la circulation à Pékin était fluide. Aujourd'hui, c'est un
encombrement permanent. Entre les émissions des véhicules, celles des centrales
électriques au charbon, et les fumées industrielles, l'absorption par les citoyens
de particules et autres polluants provoque un incroyable surnombre de maladies
graves et de décès, qui a été dûment chiffré par la Banque Mondiale et à peu près
admis par le gouvernement chinois. Certes, Pékin a fait temporairement le
ménage à l’été 2008, pour assurer un ciel clair à ses Jeux Olympiques. On a
imposé des restrictions drastiques de circulation, ainsi que la fermeture de 80%
des usines dans un rayon de 100 km autour de la capitale. Mais on se doute bien
que c'est une mesure temporaire, une manière de reculer pour mieux sauter.
Le développement industriel s'est fait dans un mépris presque total pour
l'environnement. Mais au moins peut-on aujourd'hui en parler. Jusqu'à l'accident
industriel majeur de pollution de la rivière Songhua, dans le nord de la Chine, il
y a trois ans, il était absolument exclus d'évoquer la pollution en Chine, sous
peine d’être gravement « politiquement incorrect ». À la suite du scandale
majeur dans la grande ville de Harbin, abondamment relayé par les 200 millions
d'internautes chinois, le Politbureau a opéré un virage à 180°, en s'emparant du
sujet à son propre compte. Du jour au lendemain le sujet de la pollution est passé
du mode tabou au mode sujet obligé de politique nationale. Les responsables
valsent, les règlements pleuvent depuis cette date. Mais il y a encore loin de la
coupe aux lèvres.
Les «villes du cancer», les «villes du plastique» version poubelle du
monde, les rivières et les lacs encombrés d’immondices, les effluents industriels
sauvages, font aujourd’hui l’objet de reportages exotiques et complaisants,
superbement visuels. Les villes chinoises «normales» sont également
confrontées à la hausse des déchets, dont sont responsables les nouveaux modes
de consommation citadins. La production de déchets ménagers, estimé par
l’Ademe à 190 millions de tonnes dans une étude de 2004, augmente de l'ordre
de 10% par an. La moitié seulement des déchets urbains sont traités, à 90% par
enfouissement. Le compostage représente 7% des traitements et l'incinération
3%. Le problème est aujourd'hui sérieusement à l'étude au niveau
gouvernemental, et une nouvelle loi sur le recyclage des déchets devrait entrer en
vigueur en janvier 2009.
Le Ministère de la protection de l'environnement (MEP en anglais), qui a
remplacé la SEPA, dispose de tout un arsenal de normes environnementales et de
mesures pour les faire appliquer. Mais les relations entre le MEP et ses bureaux
locaux rendent souvent difficile l'application de ces normes. Les agences locales
chargées de faire respecter les mesures et de gérer le système d'amendes sont très
dépendantes financièrement des autorités locales. Or celles-ci sont également
très attachées à leurs industries, à commencer par les entreprises publiques
dépendant de la municipalité, dont découlent un grand nombre des emplois
locaux et des recettes fiscales. À cela s'ajoute le manque de moyens et d'effectifs
au sein des bureaux locaux du MEP. Sur le papier, le MEP fait bonne figure. Sur
le terrain, c’est une autre paire de manches.
L'eau est sans doute le problème le plus critique qu'ont à affronter les
autorités chinoises, plus encore que la pollution ou la gestion des déchets. Avec
un modèle d’agriculture irriguée hérité des dogmes impériaux anciens repris par
Mao, dont on sait que 70% s’évapore, comment peut-on poursuivre le modèle
sans catastrophe majeure ? Avec un développement réussi, mais anarchique de
l’industrie, dont on sait qu’elle pompe toujours plus d’eau, quelle qu’elle soit,
comment gérer la ressource ? Avec 90% des eaux urbaines polluées,
qu'adviendra-t-il dans les prochaines années lorsque plus de la moitié de la
population chinoise se trouvera dans les villes ? Aujourd'hui les deux tiers des
villes chinoises manquent structurellement d’eau et la consommation en eau par
habitant augmente avec l'élévation du niveau de vie.
Efficacité énergétique
= consommation d’énergie (en TEP) pour 1.000 $ de PIB
195
114 115 122
480
698
0
100
200
300
400
500
600
700
AMERIQUE NO
RD
JAPON
Allemagne
France
INDE
CHINE
Disponibilité d’eau par habitant
10810
6460
3370
2140
1750
1000
700
230
0 2000 4000 6000 8000 10000
VIETNAM
THAILANDE
France
CHINE (Global)
INDE
PENURIE
NORD CHINE
PEKIN
Ressources annuelles renouvelables d’eau (en M3)
M3
Seuil de pénurie (FAO)
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