Transcription1 de la 580e conférence de l`Université de

Transcription1 de la 580e conférence de l’Université de tous les savoirs prononcée le 23
juin 2005
De l’atome au cristal : Les propriétés électroniques de la matière
Par Antoine Georges
Les ordres de grandeur entre l’atome et le matériau :
1. Il existe entre l’atome et le matériau macroscopique un très grand nombre d’ordres de
grandeur, d’échelles de longueur. Prenons l’exemple d’un lingot d’or : quelqu’un muni d’une
loupe très puissante pourrait observer la structure de ce matériau à l’échelle de l’atome : il
verrait des atomes d’or régulièrement disposés aux nœuds d’un réseau périodique. La distance
entre deux de ces atomes est de l’ordre de l’Angstrom, soit 10-10m. Ainsi, dans un lingot
cubique de un millimètre de côté, il y a 10 millions (107) d’atomes dans chaque direction soit
1021 atomes au total ! Les échelles spatiales comprises entre la dimension atomique et
macroscopique couvrent donc 7 ordres de grandeur. Il s’agit alors de comprendre le
fonctionnement d’un système composé de 1021 atomes dont les interactions sont régies par les
lois de la mécanique quantique.
2. Malheureusement, une telle loupe n’existe évidemment pas. Cependant, il est possible
de voir les atomes un par un grâce à des techniques très modernes, notamment celle du
microscope électronique à effet tunnel. Il s’agit d’une sorte de « gramophone atomique », une
pointe très fine se déplace le long d’une surface atomique et peut détecter d’infimes
changements de relief par variation du courant tunnel (voir plus loin). Cette découverte a valu
à ses inventeurs le prix Nobel de physique de 1986 à Gerd Karl Binnig et Heinrich Rohrer
(Allemagne).
3. Nous pouvons ainsi visualiser les atomes mais aussi les manipuler un par un au point
de pouvoir « dessiner » des caractères dont la taille ne dépasse pas quelques atomes ! (Le site
Internet www.almaden.ibm.com/vis/stm/gallery.html offre de très belles images de
microscopie à effet tunnel). Cette capacité signe la naissance du domaine des
nanotechnologies où la matière est structurée à l’échelle atomique.
4. Les physiciens disposent d’autres « loupes » pour aller regarder la matière à l’échelle
atomique. Parmi elles, le synchrotron est un grand anneau qui produit un rayonnement
lumineux très énergétique et qui permet de sonder la structure des matériaux, des molécules
ou des objets biologiques, de manière statique ou dynamique. Les applications de ce genre de
loupe sont innombrables en physique des matériaux, chimie, biologie et même géologie (par
pour l’étude des changements structuraux des matériaux soumis à de hautes pressions).
5. Il existe encore bien d’autres « loupes » comme par exemple la diffusion de neutrons,
la spectroscopie de photo-émission, la résonance magnétique… Dans la diffusion de neutrons,
un neutron pénètre un cristal pour sonder la structure magnétique du matériau étudié.
La grande diversité des matériaux :
1 Transcription réalisée par Pierre Nieradka
6. Ces différentes techniques révèlent la diversité structurale des matériaux, qu’ils soient
naturels ou artificiels. Le sel de cuisine, par exemple, a une structure cristalline très simple.
En effet, il est composé d’atomes de sodium et de chlore régulièrement alternés. Il existe
également des structures plus complexes, comme par exemple les nanotubes de carbone
obtenus en repliant des feuilles de graphite sur elles-mêmes ou la célèbre molécule C60 en
forme de ballon de football composée de 60 atomes de carbone (fullerènes)
7. Tous ces matériaux peuvent être soit présents à l’état naturel soit élaborés de manière
artificielle. Cette élaboration peut être faite plan atomique par plan atomique en utilisant une
technique appelée « épitaxie par jet moléculaire » dans laquelle un substrat est bombardé par
des jets moléculaires. Les atomes diffusent pour former des couches monoatomiques. Cette
technique permet alors de fabriquer des matériaux contrôlés avec une précision qui est celle
de l’atome.
8. La diversité des matériaux se traduit donc pas une grande diversité des structures, mais
aussi de leurs propriétés électroniques. Par exemple, la résistivité (c’est-à-dire la capacité d’un
matériau à s’opposer au passage d’un courant : R=U/I) varie sur 24 ordres de grandeurs entre
de très bons conducteurs et un très bon isolant, ce qui est encore bien plus que les 7 ordres de
grandeurs des dimensions spatiales. Il existe donc des métaux (qui sont parfois de très bons
conducteurs), des isolants (de très mauvais conducteurs), des semi-conducteurs et même des
supraconducteurs. Ces derniers sont des métaux, qui en dessous d’une certaine température,
n’exercent aucune forme de résistance et ne dissipent aucune énergie. D’autres matériaux
encore voient leur gradient thermique évoluer en fonction du courant qui les traverse, ceci
permet par exemple de fabriquer du « froid » avec de l’électricité ou fabriquer de l’électricité
avec de la chaleur, ce sont des thermoélectriques. Enfin, la résistivité de certains matériaux est
fonction du champ magnétique dans lequel ils sont placés.
9. Ces diversités, autant structurales qu’électroniques, sont et seront de plus en plus
mises à profit dans d’innombrables applications. Nous pouvons citer parmi elles, le transistor,
le circuit intégré, le lecteur CD, l’imagerie par résonance magnétique etc. Derrière ces
applications pratiques, il y a des problèmes de physique et de chimie fondamentales, et pour
parfaitement comprendre l’origine de cette diversité, il faut remonter aux lois de la mécanique
quantique. Il s’agit donc de jeter un pont entre l’échelle macroscopique et le monde
quantique, à travers ces fameux 7 ordres de grandeurs. Particulièrement dans ce domaine, les
sciences théoriques et expérimentales interagissent énormément. Nous allons donc partir de
l’échelle atomique pour essayer de comprendre le comportement macroscopique d’un
matériau.
De l’atome au matériau :
10. Commençons donc par la structure atomique. Un atome est composé d’un noyau,
autour duquel gravitent des électrons. L’électron est environ 2000 fois plus léger que les
protons et neutrons, constituants de base du noyau. La taille de cet ensemble est d’environ 10-
10m (un Angstrom).
11. Le système {noyau+électron} semble comparable au système {Terre+soleil}, dans ce
cas, l’électron tournerait sur une orbite bien régulière autour du noyau. Il n’en n’est rien.
Même si les physiciens ont, pour un temps, cru au modèle planétaire de l’atome, nous savons
depuis les débuts de la mécanique quantique que le mouvement de l’électron est bien différent
de celui d’une planète !
12. La première différence notable est que l’électron ne suit pas une trajectoire unique. En
fait, nous ne pouvons trouver l’électron qu’avec une certaine probabilité dans une région de
l’espace. Cette région est appelée orbitale atomique. La forme de ce nuage de probabilités
dépend de l’énergie de l’électron et de son moment cinétique. Si cette région est sphérique, on
parle d’orbitale « s », (cas de l’atome d’hydrogène où seul un électron tourne autour du
noyau). On parle d’orbitale « p » lorsque le nuage de probabilités est en forme de 8, (atome
d’oxygène). Enfin, lorsque ce nuage prend une forme de trèfle à quatre feuilles, on parle
d’orbitale « d » (atome de fer). Ainsi, il n’existe pas de trajectoires à l’échelle quantique, mais
uniquement des probabilités de présence.
13. De plus, l’énergie d’un électron ne peut prendre que certaines valeurs bien
déterminées, l’énergie est quantifiée (origine du terme quantique). La localisation de ces
différents niveaux d’énergies et la transition entre ces niveaux par émission ou par absorption
a été à l’origine de la mécanique quantique. Ces travaux ont valu à Niels Bohr le prix Nobel
de physique de 1922. L’état d’énergie le plus bas est appelé état fondamental de l’atome. Il est
par ailleurs possible d’exciter l’électron (avec de la lumière, par exemple) vers des niveaux
d’énergie de plus en plus élevés. Ceci est connu grâce aux spectres d’émission et d’absorption
de l’atome, qui reflètent les différents niveaux d’énergie possibles.
14. La troisième particularité du mouvement de l’électron est son Spin, celui-ci peut être
représenté par une représentation imagée : l’électron peut tourner sur lui-même vers la gauche
ou vers la droite, en plus de sa rotation autour du noyau. On parle de moment cinétique
intrinsèque ou de deux états de Spin possibles. Pauli, physicien autrichien du XXéme siècle,
formula le principe d’exclusion, à savoir qu’un même état d’énergie ne peut être occupé par
plus de deux électrons de Spin opposé. Nous verrons plus loin qu’il est impossible de
connaître l’état macroscopique d’un matériau sans tenir compte du principe d’exclusion de
Pauli. Pour l’atome d’hélium par exemple, la première (et seule) couche contient deux atomes
et deux seulement, il serait impossible de rajouter un atome dans cette couche, elle est dite
complète.
15. On peut considérer grâce à ces trois principes (description probabiliste, niveaux
d’énergies quantifiés et principe d’exclusion) que l’on remplit les couches électroniques d’un
atome avec les électrons qui le constituent. Les éléments purs, dans la nature, s’organisent
alors de manière périodique, selon la classification de Mendeleïev. Cette classification a été
postulée de manière empirique bien avant le début de la mécanique quantique, mais cette
organisation reflète le remplissage des couches atomiques, en respectant le principe
d’exclusion de Pauli.
16. Un autre aspect du monde quantique est l’effet tunnel. Dans le microscope du même
nom, cet effet est mis à profit pour mesurer une variation de relief. L’effet tunnel est une sorte
de « passe-muraille quantique ». En mécanique classique, un personnage qui veut franchir un
obstacle doit augmenter son niveau d’énergie au dessus d’un certain niveau. En mécanique
quantique, en revanche, il est possible de franchir cet obstacle avec une certaine probabilité
même si notre énergie est inférieure au potentiel de l’obstacle. Bien sûr, cette probabilité
diminue à mesure que cette différence d’énergie augmente.
17. Cet effet tunnel assure la cohésion des solides, et permet aussi à un électron de se
délocaliser sur l’ensemble d’un solide. Cet effet tunnel est possible grâce à la dualité de
l’électron : il est à la fois une particule et une onde. On peut mettre en évidence cette dualité
grâce à l’expérience suivante : une source émet des électrons un par un, ceux-ci ont le choix
de passer entre deux fentes possibles. La figure d’interférence obtenue montre que, bien que
les électrons soient émis un par un, ils se comportent de manière ondulatoire.
18. Les électrons des couches externes de l’atome (donc les moins fortement liés au
noyau) vont pouvoir se délocaliser d’un atome à l’autre par effet tunnel. Ces « sauts », sont à
l’origine de la cohésion d’un solide et permettent également la conduction d’un courant
électronique à travers tout le solide.
19. Une autre conséquence de cet effet tunnel est que l’énergie d’un solide n’est pas une
simple répétition n fois des niveaux d’énergie de chaque atome isolé. En réalité, il apparaît
une série d’énergies admissibles qui se répartissent dans une certaine gamme d’énergie, cette
gamme est appelée bande d’énergie permise. D’autres gammes restent interdites. Ainsi, si les
atomes restent éloignés les uns des autres, les bandes d’énergies admises sont très étroites,
mais à mesure que la distance inter-atomique diminue, ces bandes s’élargissent et le solide
peut alors admettre une plus large gamme de niveaux d’énergie.
20. Nous pouvons penser, comme dans la classification périodique, que les électrons
remplissent ces bandes d’énergies, toujours en respectant le principe d’exclusion de Pauli.
L’énergie du dernier niveau rempli est appelée énergie du niveau de Fermi. La manière dont
se place ce dernier niveau rempli va déterminer la nature du matériau (métal ou isolant). Si le
niveau de Fermi se place dans une bande d’énergie admise, il sera très facile d’exciter les
électrons, le matériau sera donc un métal. Si au contraire le niveau de Fermi se place dans une
bande d’énergie interdite, il n’est pas possible d’exciter les électrons en appliquant une petite
différence de potentiel, nous avons donc affaire à un isolant. Enfin, un semi-conducteur est un
isolant dont la bande d’énergie interdite (« gap », en anglais), est suffisamment petite pour
que l’on puisse exciter un nombre significatif de porteurs de charge simplement avec la
température ambiante.
Nous voyons donc que l’explication de propriétés aussi courantes des matériaux repose sur les
principes généraux de la mécanique quantique.
21. Ainsi, dans un solide constitué d’atomes dont la couche électronique externe est
complète, les électrons ne peuvent sauter d’un atome à l’autre sans violer le principe
d’exclusion de Pauli. Ce solide sera alors un isolant.
22-23. En réalité, les semi-conducteurs intrinsèques (les matériaux qui sont des semi-
conducteurs à l’état brut) ne sont pas les plus utiles. On cherche en fait à contrôler le nombre
de porteurs de charge que l’on va induire dans le matériau. Pour cela, il faut créer des états
d’énergies très proches des bandes permises (bande de conduction ou bande de Valence). On
introduit à ces fins des impuretés dans le semi-conducteur (du bore dans du silicium, par
exemple) pour fournir ces porteurs de charges. Si on fournit des électrons qui sont des
porteurs de charges négatifs, on parlera de dopage N. Si les porteurs de charges sont des trous
créés dans la bande de Valence, on parlera de dopage P.
24. L’assemblage de deux semi-conducteurs P et N est la brique de base de toute
l’électronique moderne, celle qui permet de construire des transistors (aux innombrables
applications : amplificateurs, interrupteurs, portes logiques, etc.). Le bond technologique dû à
l’invention du transistor dans les années 1950 repose donc sur tout l’édifice théorique et
expérimental de la mécanique quantique. L’invention du transistor a valu le prix Nobel en
1956 à Brattain, Shockley et Bardeen. Le premier transistor mesurait quelques centimètres,
désormais la concentration dans un circuit intégré atteint plusieurs millions de transistors au
cm². Il existe même une célèbre loi empirique, proposée par Moore, qui observe que le
nombre de transistors que l’on peut placer sur un microprocesseur de surface donnée double
tous les 18 mois. Cette loi est assez bien vérifiée en pratique depuis 50 ans !
25. En mécanique quantique, il existe un balancier permanent entre théorie et expérience.
La technologie peut induire de nouvelles découvertes fondamentales, et réciproquement.
Ainsi, le transistor à effet de champ permet de créer à l’interface entre un oxyde et un semi-
conducteur un gaz d’électrons bidimensionnel, qui a conduit à la découverte de « l’effet Hall
quantifié ».
26. Cette nappe d’électron présente une propriété remarquable : lorsqu’on applique un
champ magnétique perpendiculaire à sa surface, la chute de potentiel dans la direction
transverse au courant se trouve quantifiée de manière très précise. Ce phénomène est appelé
effet Hall entier (Klaus von Klitzing, prix Nobel 1985) ou effet Hall fractionnaire (Robert
Laughlin, Horst Stormer et Daniel Tsui, prix Nobel 1998).
27. L’explication de ces phénomènes fait appel à des concepts fondamentaux de la
physique moderne comme le phénomène de localisation d’Anderson, qui explique l’effet des
impuretés sur la propagation des électrons dans un solide. Nous voyons donc encore une fois
cette interaction permanente entre technologie et science fondamentale.
La supraconductivité :
28. Il existe donc des métaux, des isolants, des semi-conducteurs. Il existe un phénomène
encore plus extraordinaire : la supraconductivité. Il s’agit de la manifestation d’un phénomène
quantique à l’échelle macroscopique : dans un métal « normal », la résistance tend vers une
valeur finie non nulle lorsque la température tend vers 0 alors que dans un métal
supraconducteur, la résistance s’annule en dessous d’une certaine température dite critique.
Les perspectives technologiques offertes par la supraconductivité paraissent donc évidentes
car il serait alors possible de transporter un courant sans aucune dissipation d’énergie. Le
problème est de contrôler la qualité des matériaux utilisés, et il serait évidemment merveilleux
de pouvoir réaliser ce phénomène à température ambiante…
29. La supraconductivité a été découverte par Kammerlingh Onnes en 1911 quand il
refroidit des métaux avec de l’hélium liquide à une température d’environ 4 degrés Kelvin.
30. Ce phénomène ne fut expliqué que 46 ans plus tard, car il fallait tout l’édifice de la
mécanique quantique pour réellement le comprendre. Nous devons cette explication théorique
à Bardeen, Cooper et Schieffer à la fin des années 1950.
31. Dans un métal, il y a une source naturelle d’attraction entre les électrons. On peut
imaginer que chaque électron déforme légèrement le réseau cristallin et y attire un autre
électron pour former ce que l'on nomme une paire de Cooper. Ces paires peuvent échapper au
principe d’exclusion de Pauli car elles ont un Spin 0. Elles se comportent alors comme des
bosons et non plus comme des fermions, et s’écroulent dans un même état d’énergie pour
former un état collectif. Le matériau a un comportement analogue à l’état de superfluide de
l’hélium 4. Toutes ces paires de Cooper sont donc décrites par une unique fonction d’onde,
c’est un état quantique macroscopique. Il existe donc de nombreuses propriétés qui révèlent
cet état quantique à l’échelle du matériau.
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