Jean-Dominique Durand Table-ronde sur le livre de Oissila Saaïdia Algérie coloniale. Musulmans et chrétiens : le contrôle de l’État 1830-1914 Paris, 14 avril 2015 Le livre dont nous discutons est un livre important du point de vue historiographique. Pour plusieurs raisons. Une leçon de méthode Une leçon de rigueur. Maîtrise du sujet : histoire religieuse. Histoire culturelle et de la rencontre entre les cultures : le dialogue islamo-chrétien. Double maîtrise : du catholicisme et de l’islam : fois et pratiques. Mais aussi maîtrise du droit (OS est une juriste rentrée) et des règles administratives. Maîtrise des langues : l’arabe. Maîtrise de la période étudiée : le XIX° siècle, les débuts de la colonisation de l’Algérie, jusqu’à la Première GM. Maîtrise des mentalités, des cultures du temps, d’où une bonne compréhension, on pourrait dire de l’intérieur, des mécanismes de prises de décision ; cela aussi bien pour les mentalités des administrateurs, que pour les mentalités cléricales et religieuses. Maîtrise des sources : le culte du document. Leçons de Marrou bien assimilées. Ampleur de la documentation. Exploitation systématique des Archives d’Outre-Mer, Archevêché d’Alger, Archives Nationales, OPM. Archives qui rendent compte du terrain. Maîtrise du vocabulaire : avec OS, on sait toujours de quoi on parle. Définitions précises et nuancées, complexité des réalités : l’Algérie, à la fois la France et une colonie (p.18).D’où le concept d’un « Etat français colonial », car le contexte de conquête par la force, donc colonial, ne permet pas un transfert à l’identique Tout ceci, accompagné d’une grande fermeté de la pensée et d’une grande modestie dans la démarche, donne un grand livre, qui renouvelle l’historiographie - une historiographie du reste limitée, rare et de qualité inégale. 2 Une situation inédite « L’une des conséquences de la conquête de l’Algérie a été de mettre les autorités françaises dans la situation de devoir gérer simultanément deux religions, l’islam, qui prédomine au sein des populations soumises, et le christianisme, qui fait son retour après plusieurs siècles d’absence. » (p. 17) Oissila Saaïdia montre une administration française forte de sa longue tradition, sans l’administration la plus élaborée en Europe, renforcée par des pouvoirs forts (monarchie absolue, réformes napoléoniennes), qui doit se confronter à une culture quasi inconnue (expériences en Afrique, au Sénégal, mais limitées). Ce qui est passionnant, c’est que cette administration, ce sont des hommes, des anonymes, qui recherchent des solutions, non sans mal, non sans bien des tatonnements, malgré une méconnaissance impressionnante de l’islam, et toujours dans l’intérêt de la domination française. Il fallait contrôler, mais habilement, sans provoquer des réactions hostiles en retour (souvenir de l’administration napoléonienne imposée aux nations européennes ? cf Espagne, prusse, Tyrol…), dans un contexte globalement hostile, la situation se compliquant par l’arrivée de l’Eglise catholique et de ses missionnaires, forts de la protection du concordat. L’ouvrage montre une double structuration des cultes : l’islam mystérieux et inquiétant transformé justement en culte ; le catholicisme dont les fonctionnaires sont plus familiers, du moins en principe, qui devient un des piliers de la présence française, mais qui restera toujours la religion des occupants aux yeux des autochtones. On observe dans les esprits une sorte de superposition des deux religions : on cherche à transposer le catholicisme sur l’islam : La Mecque vue comme une sorte de Rome musulmane, la volonté de contrôler les pèlerinages comme on peut surveiller le pèlerinage de Lourdes. De même transposition sur l’islam des mentalités et des traditions administratives françaises sur l’islam : tradition du droit et force de l’écrit face à une culture où l’oralité « fait sens », volonté de trancher sur tout. L’Église concordataire Rome accepte d’ériger des diocèses, donc de ne pas considérer l’Algérie comme une colonie, comme une terre de mission. Rome entre ainsi dans les vues de la France. L’Algérie entre ainsi dans le système concordataire, et par conséquent, ensuite, dans celui de la Séparation. Cadre légal : trois départements et trois diocèses, création d’un réseau de paroisses, multiplication de lieux de culte (visibilité). Transposition du système des Fabriques. 3 Mais un catholicisme ou des catholicismes selon les origines, avec trois visages : métropolitain, colonial et missionnaire. Liens très forts avec la Métropole. Par exemple : la Vierge de Fourvière à Oran. Il faut faire des étrangers catholiques, des catholiques français. Sans oublier le judaïsme et les formes de contestation de la religion : franc-maçonnerie, Algérie terre de relégation. Un anticléricalisme colonial, mais pas de véritable Séparation (p. 156). En revanche, une tentative de concordatisation de l’islam (projet de consistoire, p. 50). Conclusion Identification d’un modèle algérien de gestion des religions, avec un islam « unique au monde » et un catholicisme transféré. Des leçons pour aujourd’hui, alors que l’islam est implanté en france ? recherche d’un islam français : chapitre 1 : « l’invention du culte musulman » La circulaire du 17 mai 1851 est présentée comme « l’acte de naissance » de ce culte (p. 48). On cherche à former des cadres, une hiérarchie, à créer des circonscriptions. Volonté de faire émerger un culte musulman sur le modèle catholique, dans le cadre de l’administration française en trois étapes : Identifier un personnel religieux ; Le rémunérer ; Le contrôler. Aujourd’hui on en est à la première étape.