MURIEL KLEIN-ZOLTY
Humour et religion
Dans les histoires
que racontent Juifs d'Alsace
et d'Europe de l'Est,
l'humour et la religion
ne s'opposent pas.
Au contraire,
ces deux éléments
sont indissociables.
Une interprétation
sociologique de l'humour.
Muriel Klein-Zolty
Chercheur, Laboratoire de Sociologie
de la Culture Européenne
J
udith Stora note que : «L'humour juif
est devenu à la mode en France ces
dernières années. C'est grâce au
cinéma américain et avant tout aux films de
Woody Allen que le public français découvrit
son existence... Les mass médias se sont
chargées de répandre l'expression et elle est
à présent sur toutes les lèvres... Malgré la
large diffusion du terme, il faut bien
reconnaître que la plupart de ceux qui
emploient le mot, même s'ils reconnaissent
le phénomène, seraient bien en peine de le
décrire et de l'analyser... Or peu d'études
approfondies furent consacrées à la des-
cription de l'humour juif »
Pour combler cette lacune, J. Stora a
écrit une monumentale étude de «l'humour
juif dans la littérature de Job à Woody
Allen».
Dans mon ouvrage, «Contes et récits
humoristiques du monde juif »*, je me suis,
en ce qui me concerne, intéressée aux «his-
© Dessins Maurice Sendak, HarperCollins publisher. I.B. Singer "Une histoire i
contes", Stock, 1978. Ì paradis et autres
Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, 1994 78
toires juives » qui ont vu le jour dans les
communautés d'Alsace et d'Europe de
l'Est, à ces récits oraux de type humoris-
tique, nommés Moschelich en Alsace et
witz en Europe de l'Est, dont Freud et Reik
ont effectué des interprétations psycholo-
giques ou psychanalytiques*2', mais dont
aucune interprétation sociologique n'avait
encore paru.
J'ai recueilli plusieurs milliers de ces
histoires auprès d'informateurs originaires
de ces communautés et installés actuelle-
ment dans l'Est de la France. Après les avoir
retranscrites et donc sauvées de l'oubli, j'en
ai tenté une interprétation socio-ethnogra-
phique. Je les ai considérées comme des
documents et ai eu le souci constant de les
rapporter au contexte culturel spécifique qui
les conditionne. Witz et Moschelich présen-
tent des divergences fondamentales dues à
l'originalité indéniable de chacune des deux
communautés. Mais ils ont également de
nombreux points communs. Ces derniers
s'expliquent par les analogies effectives que
présentaient, malgré leur spécificité non
moins réelle, ces deux communautés, mais
aussi par le contact qui n'a jamais cessé
entre celles-ci et qui a occasionné un échan-
ge et une circulation de récits. Une illustra-
tion probante de la ressemblance et des rap-
ports étroits entre ces deux yiddishkeit est
celle du parler juif : Yeddish-daitsch (judéo-
alsacien) et yiddish oriental, dont la com-
mune origine est bien connue. On retrouve
dans ces deux parlers de nombreux termes
similaires, qui ne diffèrent que par leur pro-
nonciation; or si le langage est un moule,
quoi d'étonnant en conséquence si l'esprit
judéo-alsacien et l'esprit yiddish se rejoi-
gnent à bien des égards ?
Mes témoins originaires de la campagne
alsacienne sont nés, en général, entre 1897
et 1923. Aujourd'hui, ils résident tous à
Strasbourg du fait de la disparition des com-
munautés juives villageoises. La date de
leur urbanisation se situe entre les deux
guerres ou à la fin de la seconde guerre
mondiale. Les histoires qu'ils m'ont con-
tées, ou Moschelich, reflètent le vécu des
Juifs de la campagne alsacienne avant leur
transplantation et mettent en scène les per-
sonnages marquants de la vie juive rurale
traditionnelle.
Mes interlocuteurs d'Europe de l'Est
sont les rescapés d'un monde englouti, le
«Yiddishland». Cadre socio-politique aux
frontières imprécises, le Yiddishland allait
de la Baltique à la Mer Noire et était le lieu
de résidence des Juifs de langue yiddish.
s pour la plupart au début du siècle, mes
interlocuteurs ont passé leur enfance et leur
adolescence dans ce milieu, marqué par son
unité géographique et sociologique
(shtetl<3), quartier juif de la grande ville).
Fuyant la misère et les persécutions, ils sont
arrivés dans l'Est de la France à l'âge adul-
te dans l'entre-deux-guerres. Agés à
l'époque de mon enquête d'environ quatre-
vingts ans (beaucoup d'entre eux sont décé-
s depuis lors), ils sont les dépositaires
d'un répertoire de witz considérable par son
ampleur et sa richesse. Véritables récep-
tacles des aspirations profondes des Juifs
d'Europe Orientale, reflets de leurs
angoisses et de leurs humiliations, ces récits
sont aussi le miroir de leurs conditions
d'existence.
Or la vie quotidienne des Juifs, aussi bien
dans la campagne alsacienne qu'en Europe
de l'Est, était marquée par la pratique reli-
gieuse. Dans ces sociétés où le sacré et la
profane était intimement mêlés, la religion
occupait une place prédominante.
Comment se conjuguent humour et reli-
gion? A première vue, ils semblent être
antinomiques. La religion, en particulier
quand elle se raidit et prend la forme d'un
intégrisme dogmatique, peut se sentir
menacée par l'humour, ne pas le tolérer.
Alors que la religion présuppose le sérieux
et une adhésion sans conteste à des normes
et des valeurs, l'humour est teinté de scep-
ticisme; il repose sur une vision ludique et
critique et sur un effet de distanciation.
Mais si humour et religion s'opposent, ils
sont pourtant aussi, comme le révèlent ces
histoires, complémentaires et indisso-
ciables.
La religion,
une toile de fond
La vie religieuse est le cadre implicite de
beaucoup de witz et de Moschelich même
lorsqu'elle n'en constitue pas le thème cen-
tral. Reflet d'un vécu, les récits mettent en
scène les personnalités indispensables à la
vie religieuse, rabatteur rituel, le chantre
(hazan), le bedeau (schamess), le rabbin...
Les histoires peignent le menu peuple de la
bourgade juive d'Alsace et d'Europe de
l'Est, petites gens à la foi naïve et sincère,
dont l'existence est rythmée par la vie reli-
gieuse et qui portent en eux ses valeurs. Le
temps est celui du calendrier liturgique, les
repères temporels sont en effet les princi-
pales fêtes (Shabbat, Pessah...), les lieux
sont ceux de la vie cultuelle (synagogue,
bain rituel). La religion est omniprésente et
même le langage yiddish et judéo-alsacien,
émaillé d'expressions hébraïques, en porte
la trace.
Cadre de vie de la communauté, la reli-
gion détient en outre une fonction de résis-
tance et de survie. Ainsi dans les histoires,
la fête de Shabbat et la fête de Pessah cris-
tallisent les aspirations du Juif en proie à la
misère ou à la persécution et lui permettent
d'y faire face dans la dignité, comme en
témoigne, par exemple, cette histoire savou-
reuse qui m'a été contée par un témoin ori-
ginaire de Pologne.
«C'est l'histoire d'un pauvre Juif qui
était colporteur et dans le courant de ses
pérégrinations, il était parfois amené à
s'arrêter le Shabbat dans un village. C'est
ainsi qu'un jour il arriva dans un village où
il n'y avait pas de Juifs, à l'exception d'une
seule famille. Comme il ne pouvait pas aller
plus loin parce que la nuit allait tomber, il
arriva dans la maison de la famille en ques-
Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, 1994
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tion et dit : «Voilà, je suis pris par le temps,
est-ce que je peux venir passer le Shabbat
chez vous ? »
Le maître de maison lui dit : «Oui, il n'y
a pas de problème mais cela va te coûter très
cher.
- Comment cela très cher ?
- Combien as-tu ? »
Il dut remettre toute sa fortune ; mais il
était très fâché parce qu'il s'est dit: «Les
lois de l'hospitalité auraient voulu qu'il
m'ouvre tout grand les bras, qu'il me reçoi-
ve, qu'il me traite comme il faut. Mais
puisque c'est comme cela, alors autant bien
faire; je vais profiter de ce Shabbat».
Alors on lui a servi à manger, on lui a
donné une chambre, il s'est mis à l'aise et il
s'est conduit comme en terre conquise. Le
Shabbat se termine et à la fin du Shabbat,
quand on fait la bénédiction de séparation
entre le sacré et le profane, le babelous
(maître de maison) vient avec la bourse, la
tend au colporteur et lui dit: «Reprends ton
argent».
Il lui dit: «Qu'est-ce que c'est, qu'est-
ce que cela signifie ?
- Tu vois, lui répond le maître de maison,
je voulais que tu te sentes à l'aise, si je
t'avais dit: «Viens vivre à mon compte
ici », tu aurais fait des manières, tu aurais
marché sur la pointe des pieds pour ne
pas déranger, comme cela, tu t'est senti
chez toi à la maison» et il lui a souhaité
bon voyage».
Shabbat est pour le pauvre une béné-
diction, sorte de manne qui compense pour
un moment toutes les privations dont il a
souffert. Cette bénédiction est souvent
dans les histoires présentée sous la forme
d'un succulent repas octroyé par un Juif
riche.
Parmi les personnages de la vie religieu-
se, celui dont la fonction par excellence est
d'aider le Juif dans la détresse est le rabbin.
Aussi bien dans les Moschelich que dans les
witz, il joue un rôle de consolateur; son but
est de soulager par des paroles réconfortantes.
«Rabbin, dit le pauvre petit tailleur,
donne-moi une «eitse» (un conseil). Je n'ai
plus de place à la maison nous n'avons
qu'une seule pièce qui sert à la fois d'ate-
lier pour travailler, de cuisine, et de cham-
bre à coucher, pour moi, ma femme, mes six
enfants. Et ma femme attend le septième.
Que faut-il faire ?
- Prends une chèvre à la maison et reviens
dans huit jours.
- Quoi?
- Oui, une chèvre à la maison ».
Huit jours plus tard, le pauvre petit
tailleur revient chez le rabbin en larmes :
«Mais c'est encore pire qu'avant, je suf-
foque.
- A présent, dit le rabbin, débarrasse-toi
de la chèvre».
« Merci rabbin, à présent que je n'ai plus
la chèvre, ma femme et mes enfants ont lar-
gement assez de place».
Dans cette histoire contée par un infor-
mateur d'Europe de l'Est, le rabbin par une
astuce, entreprend de surmonter la misère
du tailleur. Le fondement commun à l'atti-
tude humoristique et à la foi dans le surna-
turel est la substitution de l'imaginaire au
réel. Il s'agit dans les deux cas de tech-
niques de survie dont le but est de nier une
situation douloureuse. En un certain sens,
l'humour participe des attitudes magiques.
Cependant si le surnaturel suppose la
croyance en une transformation effective du
réel (sauf lorsque celui-ci est objet de scep-
ticisme et a perdu son pouvoir), l'humour
est un subterfuge. S'il transcende la réalité,
il ne la transforme pas pour autant. Certes
pour le petit tailleur, l'imaginaire a su
triompher du réel. Mais l'histoire nécessite
la présence d'un réfèrent (narrateur, audi-
teur, groupe social propagateur de l'histoi-
re), conscient de l'inefficacité du subterfu-
ge et de la non-efficience de son auteur.
Certes celui-ci n'en est pas moins valorisé
pour son esprit astucieux, pour son pouvoir
d'illusionner le petit tailleur, néanmoins sa
puissance est symbolique et non pas réelle;
l'humour est l'expression d'un doute, d'une
faille, sorte de déchirure de la toile de fond
où Dieu régnait en maître.
La religion dans les histoires ne saurait
se limiter à une toile de fond où à un rôle de
résistance face à l'usure du quotidien. Elle
est également objet de dérision.
La religion,
cible de la dérision
Une des particularités de l'humour de
ces histoires est d'être dirigé contre le Juif
lui-même et son univers culturel. L'image
du Juif qui ressort de certaines d'entre elles
n'est guère flatteuse. Ce sont ses défauts et
ses faiblesses qui y sont mis en scène de
manière parfois grandiose. Mais cette auto-
agression ne se départit pourtant jamais
d'une charge de sympathie et d'affection;
critique et tendresse se confondent, l'adhé-
sion et l'attachement aux valeurs se dou-
blent d'une vision ironique sur soi-même.
Comme le souligne Wladimir Jankélévitch :
Cet humour réflexif «n'est pas sans la sym-
pathie... L'humour compatit avec la chose
plaisantée, il est secrètement complice du
ridicule et se sent de connivence avec lui...
Au fond, l'humour a un faible pour ce qu'il
raille»(4).
En outre l'auto-critique, aussi acerbe
soit-elle, reste symbolique, l'humour sert en
effet de masque, il permet d'exprimer
l'inavouable sous une forme socialement
acceptable et de se libérer des étreintes
d'une culture qui est par ailleurs valorisée.
L'humour a ainsi un aspect libérateur mais
également catalyseur, les histoires n'ont pas
fonction de porter atteinte aux fondements
de la société juive, mais à la régénérer en
exorcisant les conflits.
Mais si l'humour permet une auto-cri-
tique sous une forme symbolique, sa fonc-
tion essentielle dans la plupart des histoires
est une fonction de revanche ou de défense.
Force des faibles, arme des désarmés, il
constitue une manière d'affronter un réel
Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, 1994
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invivable, de surmonter une situation dou-
loureuse en l'observant avec détachement
et même en l'utilisant comme facteur de
plaisir. Certes, l'humour des Moschelich
repose sur une vision plus optimiste que les
witz de l'environnement non-juif, plus tolé-
rant en Alsace qu'en Pologne. Le rire du
Juif alsacien n'exprime pas la même détres-
se lancinante que celui du Juif d'Europe de
l'Est. Mais s'il reste serein et enjoué, il
porte cependant aussi le poids de la souf-
france et de la négativité et joue son rôle de
revanche. Or si l'autodérision est un procé-
dé critique interne, elle permet aussi la sati-
re du monde environnant. En effet, dans
beaucoup de récits, aussi bien en Alsace
qu'en Pologne, la satire de l'environnement
non-juif passe par le biais de la dépréciation
du Juif lui-même.
Une des cibles préférentielles à l'auto-
ironie du groupe est précisément la religion.
Je mettrai ici en évidence quatre aspects de
la vie religieuse que les histoires tournent
en dérision.
La dérision du rituel
L'humour est un procédé de désacralisa-
tion, de désenchantement parodique, il
implique le doute, le scepticisme et la pré-
carité; pourtant il ne véhicule aucune inten-
tion sacrilège, ni blasphématoire; l'humo-
riste sait que sont sourire est innocent et ne
signifie pas une réelle remise en cause de
soi. Une méthode de dérision fréquente est
l'utilisation d'un rituel dans une significa-
tion symbolique déviée. De nombreuses
histoires en effet pervertissent le sens du
rituel religieux en l'appliquant à mauvais
escient. Le rituel est en outre un élément
constitutif de la « schlemiehlitude » du
schlemiehl. Personnage dont s'est volon-
tiers emparé le folklore juif, le schlemiehl
est l'éternel abonné à la guigne. Il souffre
par essence d'une incapacité chronique à
assurer son gagne-pain ou à réussir une
quelconque entreprise. Personnage ridicule
mais qui n'en conserve pas moins une cer-
taine grandeur, il est l'anti-héros par excel-
lence. En proie à la pitié, il est incapable de
toute action agressive, comme dans cette
histoire qui souligne avec complaisance sa
dévotion.
Elle m'a été contée par une informatrice
originaire de Gelniow en Pologne.
«Il y avait une fois un schlemiehl qui
n'avait plus de parnousse (gagne-pain), qui
n'avait pas d'argent. Il était misérable. Il
n'avait pas assez pour nourrir ses enfants et
sa femme lui reprochait sans cesse d'être un
schlemiehl. Il décida de devenir brigand et
peut-être fera-t-il ainsi fortune. Un matin, à
l'aube, il partit, prit son couteau, son talith
(châle de prière aux franges duquel sont
attachés quatre cordons, les tsitsi), ses
tephilin (petites boîtes de cuir noir conte-
nant des passages de la Bible, que les
hommes s'attachent sur les bras et sur la tête
à certaines prières ; on les appelle aussi par-
fois phylactères : mot chrétien) et s'en alla
dans la forêt. Il se cacha derrière un arbre et
attendit toute la journée. Finalement la nuit
commença à tomber, au moment où il
s'apprêtait à dire la prière du soir, un Juif
arriva.
Notre schlemiehl dit au Juif: «Je vais
prier maintenant, attends que j'aie fini».
Quand il eut fini sa prière, il prit son cou-
teau et lui dit d'un air menaçant : « Je suis un
brigand, donne-moi ton argent sinon je te tue.
- Pitié, répondit l'autre. Je suis un bon yid
(Juif), un père de famille, aie pitié de
mes enfants, je n'ai pas d'argent. Et si tu
me tues, mes enfants seront orphelins».
«Nebich (pauvre type), pensa le brigand.
C'est un pauvre homme». Il lui dit alors:
«C'est décidé, je ne te tue pas, mais donne-
moi dix roubles.
- Dix roubles, répondit sa victime en colè-
re, mais je ne suis pas riche.
- Alors un rouble.
- Non, je ne les ai pas.
- Deux kopecks? Insista le schlemiehl
timidement.
- Non.
- Alors, donne-moi une cigarette.
- Ah ! dit l'autre, tu aurais dû me le dire
tout de suite que c'était une cigarette que
tu voulais».
Et ils se quittèrent en se serrant la main ».
La dérision
des personnages
de la vie religieuse
Aussi bien les Moschelich que les witz
tournent en dérision les personnages de la
vie religieuse, comme par exemple le hazan
(chantre) dans le witz suivant.
«C'est Shabbat, un Juif est invité chez le
rabbin pour passer Shabbat, il demande au
rabbin de lui garder son portefeuille et ses
papiers.
Le rabbin lui répond: «D'accord, mais
moi, j'ai l'habitude que quand on me remet
des choses de cette importance, je ne les
prends pas sans témoin; qu'on m'amène le
hazan comme témoin ». Alors le hazan vient
et voit comment le Juif remet ses affaires au
rabbin. On met les affaires de côté, le
Shabbat se passe très bien ; enfin arrive la
fin de Shabbat; le Juif demande au rabbin
de lui rendre ses affaires. Il dit : «Tu ne m'as
rien donné du tout.
- Même que je t'ai donné mes affaires,
c'est que tu ne voulais pas les prendre
sans témoin, que tu as fait appeler le
hazan pour qu'il soit témoin».
Le rabbin répond: «Écoute, c'est très
simple; on va appeler le hazan et on va lui
demander s'il a vu ou s'il n'a pas vu, ven-
dredi après-midi, avant l'entrée du Shabbat,
si tu m'as remis quoi que ce soit».
On l'appelle, le hazan dit: «Bonjour»,
et en s'adressant au Juif : Mais je ne vous ai
jamais vu.
- Mais, vous ne vous rappelez pas de moi,
hier, avant l'entrée du Shabbat, j'ai
remis tous mes sous au rabbin?»
Le hazan dit: « Monsieur, vous diva-
guez, je n'ai rien vu». Et il s'en va.
Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, 1994 81
© Maurice Sendak, HarperCollins publisher. IB. Singer "Une histoire de paradis et autres contes", Stock, 1978.
Le Juif et le rabbin restent ensemble, en
tête à tête, à ce moment, le rabbin sort de
son tiroir la bourse et la remet au Juif.
Alors le Juif: «Mais qu'est ce que tu
m'as fait comme histoire,?
- Je voulais te montrer ce qu'on a comme
hazan, ici».
Mais si on se gausse du hazan, on le ridi-
culise avec délectation, il est aussi un humo-
riste de talent qui à travers ses sarcasmes
prend sa revanche, comme dans ce récit
relaté par une informatrice originaire
d'Obernai.
«A la Schul (synagogue), le hazan a dit :
«Imbécile», au président de la communau-
, ils se sont disputés, alors le rabbin est venu
chez le hazan, et lui a dit : «Écoutez, il faut
que vous vous excusiez devant toute la com-
munauté de ce que vous avez dit: «Im-
bécile», au président; vous direz: «J'ai dit
imbécile au président, je n'avais pas raison ».
Alors le vendredi soir, le hazan avant
l'office dit devant toute la communauté:
J'ai traité d'imbécile le président, je n'avais
pas raison?».
Si beaucoup d'histoires qui se moquent
des personnalités de la vie religieuse sont
communes à l'Alsace et à l'Europe de l'Est,
celles qui mettent en scène le personnage du
rabbin hassidique sont spécifiquement est-
européennes, le Hassidisme(5>, en effet, est
un mouvement qui s'est développé dans ces
contrées. La satire du Rebbe (rabbin hassi-
dique) est corrosive; dépourvu de toute
éthique et de pouvoir spirituel, il apparaît en
dernière instance comme un charlatan, se
présentant comme un Rebbe miraculeux.
Ces witz visent à démythifier son pou-
voir surnaturel en en montrant le caractère
manifestement absurde et tournent simulta-
nément en dérision la candeur et la créduli-
té de ses disciples.
«Un disciple se vantait des pouvoirs sur-
naturels de son Rebbe : «Toutes les nuits, il
a la révélation du prophète Elie», dit-il.
«Comment le sais-tu?» demande un
sceptique.
«Le Rebbe lui-même me l'a dit.
- Le Rebbe peut avoir menti.
- Comment oses-tu dire une chose pareille
sur mon Rebbe ? dit le disciple. Penses-
tu qu'un homme qui a chaque nuit la
révélation du prophète Elie ait besoin de
dire des mensonges ? »
La technique de la plupart de ces récits
consiste à mettre en évidence la contradic-
tion entre l'incapacité foncière du Rebbe à
Revue des Sciences Sociales de la France de l'Est, 1994 82
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