Les premiers résultats du LHC Deux ans après son démarrage, le plus grand collisionneur de particules du monde apporte de nouveaux éléments de réponse à des questions fondamentales encore non résolues, telles que « quelle est l’origine de la masse des particules ? ». Nous exposons ici les conclusions les plus marquantes d’une première moisson de résultats obtenus par les expériences ATLAS et CMS. L a physique des particules, encore appelée physique des hautes énergies, est l’étude des constituants élémentaires de la matière et de leurs interactions fondamentales. Dans ce domaine, l’outil expérimental principal est le collisionneur de particules, qui permet de produire des particules à volonté et à des énergies choisies. Le Large Hadron Collider (LHC) du CERN est la plus récente et la plus puissante de ces machines. Parallèlement à la recherche expérimentale, la description théorique des interactions fondamentales a longtemps représenté un défi pour les physiciens, jusque vers 1970, à la percée de ce que l’on appelle aujourd’hui le Modèle Standard de la physique des particules. La découverte d’une connection entre géométrie et dynamique, via l’introduction des symétries de jauge locales, a permis une compréhension unifiée des trois interactions fondamentales électromagnétique, faible et forte. Ces symétries conservent les équations du mouvement sous des transformations dont les paramètres dépendent du point de l’espace-temps où elles sont appliquées (voir l’article de J. Iliopoulos dans Images de la Physique 2005). En pratique, le Modèle Standard est basé sur le groupe de symétrie U(1) ⊗ SU(2) ⊗ SU(3), les deux premiers groupes décrivant les interactions électromagnétique et faible, unifiées en une interaction « électrofaible », le dernier l’interaction forte. Dans le cadre de cette théorie, la matière est composée de trois familles de fermions, c’est-à-dire six quarks et six leptons, ainsi que leurs anti-particules. Leurs interactions se font par l’intermédiaire de l’échange de bosons vecteurs (de spin 1), dits bosons de jauge, qui sont au nombre de douze : le photon pour l’interaction électromagnétique, les Z et W± pour l’interaction 3 familles de fermions quark up quark charm quark top gluons u c t g 0 quark down quark strange quark bottom d s b photon γ 0 neutrino e neutrino µ neutrino τ boson Z νe νµ ντ Z 0 0 0 0 électron muon tau bosons W e µ τ W -1 -1 -1 ±1 Higgs H 0 Figure 1 – Les particules du Modèle Standard. La première ligne de chaque cellule donne le nom de la particule, la deuxième ligne indique son symbole (en rouge) et la troisième ligne sa charge électrique (en vert). Les fermions possèdent chacun une anti-particule et sont classés en deux catégories : les quarks, qui s’assemblent en hadrons, états liés de trois quarks (appelés baryons) ou d’un quark et d’un antiquark (appelés mésons) ; et les leptons (neutrinos, électron, muon et tau). faible et huit gluons pour l’interaction forte. Les particules et les symboles utilisés pour les représenter sont donnés dans la figure 1. Un dernier élément vient compléter le contenu en particules du Modèle Standard, il s’agit du boson de Higgs, qui est un boson neutre scalaire (de spin 0). Son existence est prédite par le mécanisme de brisure de la symétrie électrofaible introduit en 1964 par les physiciens Brout, Englert et Higgs pour expliquer Article proposé par : Didier Contardo, [email protected] Institut de physique nucléaire de Lyon, Univ. Lyon 1/CNRS, Villeurbanne Fabienne Ledroit, [email protected] Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie, Univ. Grenoble 1/CNRS/INP Grenoble, Grenoble 44 bosons de jauge Les premiers résultats du LHC la masse non nulle des bosons Z et W±. C’est aussi le couplage du boson de Higgs aux fermions (quarks et leptons) qui leur confère une masse. La situation avant le démarrage du LHC était la suivante : toutes les particules du Modèle Standard ont été observées, sauf le boson de Higgs. De plus, toutes les mesures effectuées jusqu’ici, extrêmement précises pour certaines, confirment la pertinence du Modèle Standard. Le boson de Higgs est donc la dernière pièce du puzzle et sa découverte est nécessaire pour le valider définitivement. Sa masse est le seul des 19 paramètres du Modèle Standard qui demeure indéterminé, même si les recherches directes aux collisionneurs précédents ont imposé des contraintes sur sa valeur : le LEP1 a exclu une masse inférieure à 114 GeV/c2 et le Tevatron2 a exclu les valeurs de masse situées entre 156 et 177 GeV/c2. Gravité céleste Kepler (XVIIe) Gravitation universelle Newton (XVIIe), Einstein (XXe) Gravité terrestre Magnétique Galilée (XVIIe) Électromagnétisme Faible quantique Fermi (XXe) Modèle standard Forte Nucléaire ? Électrofaible Électrique Théorie Gravité Maxwell (XIXe) Interaction SUSY, Grande unification ? Rutherford (début XXe) Classique Relativiste / quantique Cordes ? Figure 2 – L’unification des interactions. Malgré ce succès quasi complet, le Modèle Standard laisse plusieurs questions sans réponse. Par exemple, la description unifiée de trois interactions ne signifie pas pour autant que celles-ci aient une même origine : leurs intensités restent trois paramètres indépendants. Un schéma théorique connu sous le nom de « Théories de Grande Unification » (TGU) permet d’obtenir la convergence des trois intensités à très haute énergie, tout en conservant le Modèle Standard aux énergies déjà testées. Une autre théorie, la supersymétrie, permet également cette convergence ; nous y reviendrons plus loin. Cette démarche d’unification des interactions ne s’arrête pas là, puisque des tentatives pour unifier la gravitation aux trois autres interactions existent également, en particulier avec la théorie des cordes, qui dépasse le cadre de cet article (voir l’article de C. Bachas dans Images de la Physique 2010 ; voir aussi La gravitation quantique par C. Rovelli, dans ce numéro). Ceci est illustré sur la figure 2 ; dans la partie gauche du schéma, on voit que l’unification des forces est un processus qui a déjà fait ses preuves dans le passé, par exemple avec la gravitation universelle de Newton unifiant les gravitations céleste de Kepler et terrestre de Galilée. Dans la partie droite du schéma, l’unification est encore spéculative et s’opérerait à des échelles d’énergie de plus en plus grandes. Le LHC et les détecteurs qui enregistrent les collisions qu’il produit sont donc conçus avant tout pour détecter le boson de Higgs. Avec son énergie inégalée, le LHC doit aussi nous permettre de répondre aux questions laissées ouvertes par le Modèle Standard, et de valider – ou non – la prochaine étape de l’unification. 1. Le LEP était un collisionneur d’électrons et positrons situé à l’emplacement actuel du LHC. 2. Le Tevatron était un collisionneur de protons et anti-protons situé aux environs de Chicago. Quatre détecteurs principaux sont installés aux points de collisions du LHC : ALICE, LHCb, ATLAS et CMS. Les deux premiers sont conçus pour étudier des sujets de physique spécifiques, respectivement l’équation d’état de la matière primordiale avec des faisceaux d’ions lourds et la production de quarks b avec des protons. Par opposition, ATLAS et CMS sont dits généralistes car capables d’aborder les sujets précédents tout en étant optimisés pour la recherche de phénomènes nouveaux. Seuls les résultats obtenus par ATLAS et CMS sont abordés ici. Le LHC et ses détecteurs Le LHC est un collisionneur de protons qui a été conçu pour utiliser les infrastructures existantes du CERN, en particulier la chaîne de pré-accélération de faisceaux et le tunnel du précédent collisionneur (LEP). L’utilisation de deux faisceaux de protons circulant en sens contraires permet de lever les limitations rencontrées au LEP et au Tevatron ; en effet au LEP, l’énergie des faisceaux était limitée par le rayonnement de freinage des électrons (la perte d’énergie par tour est inversement proportionnelle au carré de la masse de la particule accélérée), tandis que l’intensité du faisceau d’antiparticules constituait le facteur limitant au Tevatron. Ainsi, au LHC l’énergie atteindra 7 TeV par faisceau avec une luminosité nominale de collisions de 1034 Hz/cm2, soit environ 1 et 2 ordres de grandeur de plus que les valeurs atteintes au Tevatron. Le choix de particules de même charge circulant en sens inverse implique en revanche un concept de deux accélérateurs en un, avec des dipôles magnétiques à double bobine produisant des champs opposés pour courber la trajectoire des faisceaux dans la même direction. Le développement de ces dipôles supraconducteurs, opérant à 8,3 tesla, a été l’un des principaux défis technologiques du LHC. 45 Quelques caractéristiques nominales du LHC Le LHC est situé dans un tunnel de 27 km de circonférence enterré entre 50 m et 175 m de profondeur. Il comporte 1 232 dipôles supraconducteurs, refroidis à 1,9 K avec de l’hélium superfluide, et traversés par un courant de 11 850 A pour produire un champ magnétique de 8,3 tesla. Le vide dans les tubes de faisceaux atteint 10–10 torr. Les faisceaux sont constitués au maximum de 2 808 paquets de protons (∼ 1011 par paquet) de quelques centimètres de long et d’une quinzaine de microns de diamètre aux points de croisement au centre des détecteurs. L’énergie totale de chaque faisceau de protons est de 362 mégajoules et la puissance électrique consommée est de 120 MW. Le LHC est aussi capable d’accélérer des ions de plomb à 2,76 TeV et de les faire entrer en collision avec une luminosité de 1027 Hz/cm2. La construction de l’accélérateur a été approuvée en 1994 et il est entré en fonctionnement à l’automne 2008. Un incident provoqué par la défaillance d’une soudure d’un câble supraconducteur a retardé le programme d’un an et conduit à limiter le courant dans les dipôles, pour une première période de prise de données débutée en mars 2010 et qui se prolongera jusqu’à la fin de l’année 2012. L’énergie de fonctionnement actuelle est de 3,5 TeV par faisceau (soit une énergie dans le centre de masse s = 7 TeV) et la luminosité de collisions croît régulièrement avec les progrès effectués dans la compréhension de l’ensemble du complexe d’accélération. Jusqu’ici la plus haute luminosité instantanée atteinte est de 3,5 × 1033 Hz/cm avec des croisements de faisceaux toutes les 50 ns, produisant chacun en moyenne 17 interactions. Pour un processus de physique donné, le nombre d’événements observés est déterminé par le produit de sa section efficace (probabilité) de production avec la luminosité de collision intégrée au cours du temps et l’efficacité de détection. Dans la suite de cet article, les sections efficaces sont exprimées en picobarn (pb) ou femtobarn3 (fb) et la luminosité intégrée en temps est exprimée par l’inverse de ces unités. Les détecteurs ATLAS et CMS sont tous deux constitués d’un ensemble de couches de détection, successivement adaptées aux modes d’interactions principaux des différents types de particules à mesurer. Elles sont réparties cylindriquement dans une zone centrale (tonneau) et en disques (bouchons) pour la fermeture de l’angle solide. Les détecteurs sont baignés dans un champ magnétique pour la mesure de l’impulsion des particules chargées. Les technologies utilisées par ATLAS et CMS sont complémentaires et leur configuration est déterminée par le choix des aimants qui délivrent ce champ magnétique : 3. 1 fb = 10–39 cm2. 46 [pb] Encadré 1 105 Section efficace de production σtot Physique corpusculaire 104 CMS W Limite CMS à 95 % de confiance Mesure CMS (stat ⊕ syst) Z ≥ 1j 103 Prédiction théorique ≥ 1j ≥ 2j Wγ ≥ 2j ≥ 3j Zγ ≥ 3j 102 ≥ 4j WW ≥ 4j WZ ZZ 10 jet ET 1 10–1 |η > 30 GeV jet E Tγ | < 2.4 36 pb–1 H(140) → ZZ > 10 GeV R( γ ,l) > 0.7 36 pb–1 1.1 fb–1 1.7 fb–1 Figure 3 – Sections efficaces de production des processus impliquant la présence de bosons W/Z, mesurées par CMS, et comparaison aux prévisions théoriques du Modèle Standard. La notation ≥ nj est utilisée pour indiquer le nombre de jets4 accompagnant la production des bosons W/Z. La dernière colonne montre la prévision de section efficace pour un boson de Higgs de 140 GeV/c2 qui se désintégrerait en ZZ et la limite mesurée à 95 % de niveau de confiance. ATLAS est organisé autour d’un solénoïde central complété par des toroïdes ; CMS est équipé d’un seul solénoïde compact à plus fort champ. Les performances des détecteurs pour les deux premières années de prise de données sont remarquables : la fraction de canaux opérationnels est comprise entre 96 % et 100 % suivant les sous-détecteurs, et les résolutions atteintes, en cours d’optimisation, sont déjà proches des valeurs nominales. La prise de données fonctionne également de façon extrêmement satisfaisante, avec une efficacité d’environ 95 %. Quelques caractéristiques essentielles des détecteurs ATLAS et CMS, ainsi que les étapes majeures amenant aux résultats de physique, sont résumées dans les encadrés 2 et 3. La re-découverte du Modèle Standard La re-découverte des processus connus du Modèle Standard est une étape indispensable puisqu’elle permet de valider la chaîne complète de mesure et d’analyse. L’ensemble des processus de production de hadrons chargés, de mésons lourds, de jets4, de photons, de bosons W/Z, puis de quarks top et de paires de bosons a été étudié dès 2010, donnant lieu à plus d’une cinquantaine de publications ATLAS et CMS confondues. Un accord remarquable entre théorie et expérience a rapidement été démontré comme cela est illustré dans la figure 3. Au LHC, ce sont les partons (quarks et gluons) constituants des protons qui interagissent lors des collisions. Le calcul des sections efficaces de production des phénomènes observés demande donc la connaissance de leur fonction de densité à l’intérieur du proton. Avec les 4. Un jet est une bouffée de particules produite par la transformation en hadrons des quarks et des gluons. Les premiers résultats du LHC Encadré 2 Quelques caractéristiques d’ATLAS et CMS Muon Électron Hadron chargé (ex. Pion) Hadron neutre (ex. Neutron) Photon Légende : 4T Y 2T Z Trajectographe au silicium Calorimètre électromagnetique Calorimètre hadronique Y 0m 1m 2m Solénoïde supraconducteur 3m Culasse de retour de l’aimant avec des chambres à muons 4m 5m 6m 7m X Figure E1 – Vues longitudinale et transverse de CMS ; le parcours de mesure des différents types de particules est schématisé à droite dans la vue agrandie d’une section transverse Une particule rencontre depuis le point d’interaction : – le trajectographe, composé de détecteurs silicium à pixels puis à micropistes. Il fournit la mesure de l’impulsion des particules chargées la plus précise : typiquement de 1 à 10 % pour des particules de 1 à 103 GeV/c. Il permet aussi d’identifier le point d’interaction des protons et les points de désintégration des particules avec une précision de quelques dizaines de microns. – le calorimètre électromagnétique, utilisé pour l’identification et la mesure d’énergie totale des électrons et des photons, est constitué d’une alternance de couches d’absorbant en plomb et d’argon liquide dans ATLAS, et de cristaux de tungstate de plomb dans CMS. Les résolutions en énergie ultimes sont de 10(3)% / E(GeV) + 0, 7(0, 3)% pour ATLAS (CMS). – le calorimètre hadronique, pour la mesure d’énergie totale des hadrons, est constitué de couches de fer et scintillateurs (tonneau) et de cuivre et argon liquide (bouchons) dans ATLAS ; de couches de laiton et de scintillateurs dans CMS. Les résolutions en énergie attendues sont de 50(100)% / E(GeV) + 3(5)% pour ATLAS (CMS). données actuelles, la précision des mesures approche déjà les incertitudes théoriques et il est possible de commencer à contraindre les valeurs de ces fonctions de densité, ainsi que d’améliorer le calcul à des ordres élevés des processus de production du Modèle Standard. L’analyse combinée de l’ensemble des données de production de bosons vecteurs (W/Z) et des quarks top conduira à terme à une meilleure prévision des sections efficaces, et potentiellement à la mise en évidence de déviations expérimentales qui pourraient être significatives de processus physiques non prédits par le Modèle Standard. – les détecteurs de muons (seules particules traversant tous les détecteurs précédents) sont constitués de chambres à gaz de trois types, similaires dans ATLAS et CMS : les tubes à migration, les chambres à pistes de cathode et les chambres à plaques résistives. La résolution pour un alignement parfait est de 10 % pour des impulsions transverses1 de l’ordre du TeV/c. Le solénoïde d’ATLAS génère un champ magnétique de 2 tesla ; ses toroïdes dans le tonneau (et les bouchons) produisent un champ moyen de 0,5 tesla (et 1 tesla). Le champ du solénoïde de CMS est de 3,8 tesla (et de 1,8 tesla dans les entrefers de retour du champ à l’extérieur de la bobine). Le plus faible pouvoir de courbure de ATLAS est compensé par la plus grande distance parcourue par les muons dans le champ magnétique. 1. Dans un collisionneur de hadrons, qui ne sont pas des particules élémentaires, l’énergie de la collision est inconnue. Le bilan des impulsions est impossible à réaliser dans la direction longitudinale car les restes des hadrons n’ayant pas interagi s’échappent indétectés dans le tube à vide. La quantité intéressante, car correctement mesurable, est donc l’impulsion transverse. La dernière pièce du puzzle : le boson de Higgs-Englert-Brout La recherche directe du boson de Higgs s’effectue par l’intermédiaire de ses modes de désintégration dont les rapports d’embranchement sont entièrement prédits. De manière générale, la détermination des canaux les plus prometteurs fait appel à une simulation complète des topologies finales à mesurer, où sont pris en compte les sections efficaces des différents processus de production (figure 5) et 47 Physique corpusculaire Encadré 3 Du détecteur à l’analyse finale La mise en œuvre des détecteurs Les détecteurs comportent environ 80 millions de canaux ; leurs conditions de fonctionnement sont réglées souvent individuellement, et ils sont synchronisés avec une précision de l’ordre de la nanoseconde. Ces paramètres étant ajustés, la réponse de chaque canal doit être calibrée et la position de chaque élément de détection doit être déterminée avec une précision qui atteint une dizaine de microns pour les détecteurs les plus proches du point d’interaction. Pour une prise de données optimale, les performances des détecteurs sont surveillées en permanence et l’ensemble des paramètres de fonctionnement est ajusté en fonction de l’évolution des conditions de faisceaux et de l’état des détecteurs. La reconstruction des données L’analyse de physique Les particules produites dans les processus de physique recherchés se désintègrent majoritairement près du point de collision des faisceaux sans traverser les détecteurs. Leur masse est reconstruite à partir des caractéristiques cinématiques de leurs particules filles; elles apparaissent donc généralement comme une résonance superposée à un bruit de fond continu, dû à l’existence d’autres processus de physique ou aux fausses identifications par les détecteurs. De ce fait, la résolution de mesure est cruciale pour distinguer les résonances (figure E3). L’analyse finale des données consiste essentiellement à regrouper les événements par topologies de désintégration, en optimisant les critères de sélection cinématiques afin d’obtenir la meilleure signification statistique suivant le rapport entre le signal et le bruit de fond attendus. Pour ce faire, l’expérience est entièrement simulée par une procédure de Monte-Carlo. La comparaison entre les données réelles et simulées permet dans un premier temps de valider la description logicielle de la géométrie et de la réponse des détecteurs. La connaissance des processus engendrés dans la simulation permet ensuite d’évaluer les effets d’appareillage (acceptances, efficacités, fausses identifications) puis de fixer les échelles de calibration absolues des 48 Figure E2 – Visualisation d’un événement de production de 2 particules Z, à gauche en coupe transversale et à droite en coupe longitudinale. Le premier Z se désintègre en 2e (trajectoires vertes) et le second Z en 2µ qui voyagent plus loin (trajectoires rouges). Les autres traces de l’événement sont montrées seulement si leur impulsion transverse est supérieure à 1 GeV/c (en bleu). Evénements / GeV Les données enregistrées sont ensuite reconstruites pour remonter à la description complète d’un événement tel qu’il a été généré à l’origine lors de la collision des protons. Cette étape est réalisée par un ensemble de procédures informatiques adaptées à chaque type de particules produites en combinant au mieux les informations des différents sousdétecteurs. Sont ainsi reconstruits : les leptons (électrons, muons, taus) ; les photons ; les jets (bouffées de particules produites par la transformation en hadrons des quarks et des gluons) ; l’énergie transverse manquante, associée aux particules neutres sensibles uniquement à l’interaction faible (neutrinos ou nouvelles particules). Un exemple d’événement reconstruit est présenté dans la figure E2. 106 η ρ,ω φ J/Ψ Ψ 105 104 Y Z 103 102 CMS 10 s = 7 TeV 1 Lint = 40 pb–1 1 10 102 Masse des paires de muons GeV/c2 Figure E3 – Distribution en masse des paires de muons, mesurée dans CMS. Les résonances se désintégrant dans ce canal 2µ apparaissent à leur masse comme des pics sur un fond continu. variables cinématiques. La génération dans la simulation, pour chaque canal de physique, d’événements de signal et de ses bruits de fonds propres permet alors d’optimiser les critères de discrimination. La description des bruits de fond peut être obtenue à partir des générateurs de physique ou déduite des données. L’analyse finale met en œuvre des méthodes sophistiquées dans lesquelles les corrélations entre les observables sont prises en compte à divers degrés en utilisant différentes techniques (les réseaux de neurones par exemple). Les premiers résultats du LHC Rapports de branchement où il domine largement tous les autres ; la présence de deux neutrinos non détectés directement réduit néanmoins fortement son pouvoir de résolution (∼ 30 GeV/c2). La contribution du canal H → ZZ → 4 devient la plus importante au-delà de 180 GeV/c2, grâce à son excellente résolution en masse (∼ 2-3 GeV/c2). Individuellement, aucun des canaux étudiés ne montre un excès significatif d’événements. Il est néanmoins possible d’extraire pour chacun une limite supérieure sur la section efficace de production du boson de Higgs, puis de les combiner statistiquement, en prenant en compte l’ensemble de leurs incertitudes expérimentales et théoriques propres. Cette combinaison peut inclure les résultats indépendants d’ATLAS et de CMS, pour améliorer encore la sensibilité de la recherche. Figure 4 – Rapports d’embranchement de désintégration du boson de Higgs dans le Modèle Standard ; pour une masse donnée, les couples de particules les plus lourdes pouvant être produites sont favorisées du fait de leur plus fort couplage au boson de Higgs. La figure 6 montre la limite combinée (ATLAS plus CMS) obtenue à un degré de confiance de 95 % et normalisée à la section efficace de production du boson de Higgs prévue par le Modèle Standard (courbe solide en noir). L’allure générale de la courbe et les discontinuités sont déterminées par l’avènement des différents canaux de désintégration en fonction de la masse. à basse masse, entre ∼ 110 et 135 GeV/c2, le canal H → 2γ est le plus important malgré son faible rapport d’embranchement, compensé par une bonne résolution en masse (∼ 1,5-3,5 GeV/c2). Les canaux H → 2τ et H → bb couvrent un domaine de masse similaire. Mais leur contribution est moindre dans les expériences car il est demandé qu’ils soient associés à des productions de quarks ou de bosons W/Z, ce qui permet de réduire les contaminations par du bruit de fond, mais au prix d’une plus faible section efficace (voir figure 4). Dans les régions de masse où la limite est inférieure à 1, l’existence du boson de Higgs est exclue, dans les autres, la statistique d’événements est encore insuffisante pour se prononcer. Pour consolider ces résultats, il est important de comparer la limite expérimentale à sa valeur attendue dans l’hypothèse où il n’y aurait que du bruit de fond. Un tirage de pseudo-expériences toutes simulées avec la même statistique permet d’extraire une distribution de limites dont la valeur médiane est représentée en pointillé dans la figure 6, et les incertitudes à un et deux écarts standard sont reportées par les bandes vertes et jaunes. Les écarts entre limites attendue et observée apparaissent ainsi compatibles avec des fluctuations statistiques aux masses supérieures à 180 GeV/c2 ; en dessous, la limite expérimentale est systématiquement supérieure à la valeur attendue. Cet effet, observé à la fois dans ATLAS et CMS, peut être entièrement attribuable au canal H → WW → 22ν pour lequel une fluctuation statistique locale, quelle qu’en soit l’origine, peut affecter toute la région de masse considérée du fait de la faible résolution. Le canal H → WW → 22ν est significatif sur toute la plage de masse et en particulier entre 160 et 180 GeV/c2 En conclusion, la plage d’exclusion du boson de Higgs couverte au LHC avec 1 à 2 f b–1 s’étend de 141 à les rapports d’embranchement de désintégration (figure 4), ainsi que les bruits de fond et les effets d’appareillage. Finalement, huit topologies d’événements ont été retenues pour la recherche actuelle du boson de Higgs : (p + p → ) H → 2γ ; (p + p → )2q + H avec H → 2τ (processus de fusion de bosons ; q est un quark) ; (p + p → )W/Z + H avec H → bb (processus de production associée) ; (p + p →)H → WW → 22ν ; (p + p → ) H → ZZ → 4 ou 22τ ou 22ν ou 22q ( est un électron ou un muon). q g q t t H t g fusion de gluons q W,Z W,Z W,Z t g t H q W,Z q fusion de bosons q H H t g t production associée fusion top anti-top Figure 5 – Modes de production du boson de Higgs au LHC. La section efficace de la fusion de gluons est plus de dix fois supérieure à celle de la fusion de bosons, et de la production associée, et plus de cent fois supérieure à celle de la fusion de quarks top anti-top. 5. Les notations utilisées pour représenter les différentes particules sont celles de la figure 1 ; une flèche indique la désintégration vers d’autres particules, une barre au-dessus d’une lettre signale une anti-particule. 49 ATLA S 0 lepton 2011 combiné LHC excluded Exclusion LHC 1 CL s Limite à 95 % C.L. observée 1750 CL s Limite médiane attendue Limite attendue ±1 σ ∫ L dt = 1. 04 fb-1, s =7 TeV 1500 1250 1000 750 200 300 400 500 600 Masse du boson de Higgs (GeV/c)2 σSUSY = 0.01 pb D0, Run II Tluded excluded Tevatron Exclusion Tevatron 100 Modèle squark-gluino-neutralino, m (LSP) = 0 GeV/c2 Expected ± 2 σ Attendu LEP Exclusion excluded LEP 10 –1 2000 Teva tron, R un I 10 Observé Observed Expected ± 1σ Attendu CDF, Run II ATLAS + CMS Préliminaire, Preliminary , s = 7 TeV Lint = 1.0-2.3 fb –1-1/expérience /experiment Masse du squark [GeV/c2] Limite sur σ/σSM à 95 % de confiance Physique corpusculaire σSUSY = 0.1 pb σSUSY = 1 pb 500 σSUSY = 10 pb Figure 6 – Limite observée à 95 % de niveau de confiance sur la production du boson de Higgs, pour les données combinées d’ATLAS et de CMS et normalisée à la section efficace de production du Modèle Standard. Les plages d’exclusion, incluant les résultats antérieurs du LEP et du Tevatron, sont hachurées. GeV/c2. Le domaine non exclu aux masses les plus 476 basses coïncide avec la région favorisée par les mesures indirectes. Cette région est également privilégiée dans un autre contexte, celui de la supersymétrie, qui prédit l’existence de plusieurs bosons de Higgs dont la recherche est en cours même si elle n’a pas été abordée ici. Il existe donc une très belle perspective de découverte du boson de Higgs en 2012, lorsque 20 f b–1 de données auront été enregistrés6. Au-delà du Modèle Standard Nous avons évoqué en introduction la nécessité de découvrir une théorie plus large que le Modèle Standard. Parmi les stratégies explorées, une voie proposée dès les années soixante-dix, et extrêmement développée, consiste à introduire une structure algébrique reliant les champs bosoniques et fermioniques dans le contexte des théories des champs relativistes. Baptisée « supersymétrie », ou SUSY, cette algèbre relie de plus les transformations de spin et les translations d’espace-temps, ce qui permet d’introduire naturellement la gravité dans la théorie des champs. Elle a conduit à postuler l’existence de nouveaux partenaires, de spin différent d’une demi-unité, pour toutes les particules ordinaires : les particules supersymétriques ou « sparticules ». Ce doublement du nombre de particules permet la convergence des trois constantes de couplage à haute énergie, et résout également les difficultés théoriques rencontrées par le Modèle Standard dans le calcul des corrections quantiques à la masse du boson de Higgs. 250 0 LEP2 ~ q 0 250 500 750 1000 1250 1500 1750 2000 Masse du gluino [GeV/c2] Figure 7 – Masses des particules supersymétriques exclues par les résultats provisoires d’ATLAS (surface sous la courbe rouge). Les courbes bleues en tiretés et pointillés montrent la limite attendue et son incertitude à un écart standard. Les courbes noires en tiretés donnent une idée de la section efficace supersymétrique exclue. supersymétrique minimal (MSSM), très utilisé en vertu de sa simplicité). Plutôt que des modèles, on recherche donc des signatures, c’est-à-dire des états finals (produits de la collision qui sont mesurés dans le détecteur) ayant une topologie particulière. Si des particules supersymétriques sont produites lors de la collision, elles vont en général se désintégrer en un grand nombre de particules plus légères, supersymétriques ou non. Dans presque tous les modèles supersymétriques, quel que soit le détail des masses des sparticules et donc des désintégrations, il y a toujours au moins une particule supersymétrique qui, n’interagissant pas avec la matière du détecteur, reste invisible directement, mais est détectable indirectement par le bilan des impulsions dans le plan transverse au faisceau7. C’est ce qu’on appelle « l’énergie transverse manquante », qui est une signature typique de la supersymétrie. Dans sa version la plus générale, cette théorie comporte un grand nombre de paramètres libres qui peuvent donner lieu à plusieurs modèles différents (dont le modèle On s’attend à ce que les particules supersymétriques les plus abondamment produites au LHC soient les partenaires des quarks (les « squarks ») et ceux des gluons (les « gluinos »). Leur production en paires donnerait lieu à des états finals avec 2, 3 ou 4 jets et de l’énergie transverse manquante. Ce mode de production est celui qui a la section efficace la plus élevée et qui permet donc l’exploration la plus poussée de l’espace des paramètres (masse…). L’un des résultats les plus marquants du LHC est l’absence apparente de ces paires de particules dans les données analysées jusqu’à présent (soit environ 1 f b–1 de luminosité intégrée). Ce résultat est illustré sur la figure 7 : dans le plan (masse du squark versus masse du gluino), la 6. Au moment où nous mettons sous presse, de nouveaux résultats d’ATLAS et de CMS, non encore combinés, abaissent la limite inférieure de la fenêtre d’exclusion à environ 128 GeV/c2. 7. Il est à noter que cette particule, la plus légère des particules supersymétriques « LSP » en anglais), est également un excellent candidat pour expliquer le contenu en matière noire de l’Univers. 50 Les premiers résultats du LHC surface située sous la courbe rouge est exclue par les données du LHC. Ce résultat est valable dans le cadre d’un modèle simplifié dans lequel on néglige la masse de la particule supersymétrique la plus légère et on suppose que les squarks de la troisième famille sont beaucoup plus lourds que ceux des deux premières familles. Cette hypothèse légèrement restrictive permet d’obtenir un résultat général en terme de masse des sparticules plutôt qu’en fonction des paramètres du MSSM (une telle interprétation est néanmoins effectuée en parallèle, mais non reportée ici). L’étendue de l’exclusion est à comparer aux résultats des expériences précédentes (en vert, orange et jaune pour le Tevatron et en bleu pour le LEP) : le domaine exploré s’est considérablement élargi, bien que la quantité de données analysées ne représente encore qu’une petite fraction de ce qui devrait être collecté pendant la durée de vie complète du LHC. D’autres modes de production de particules supersymétriques ont été recherchés (sous d’autres hypothèses, ou avec d’autres objets dans l’état final), sans plus de succès pour l’instant. La conclusion est que la supersymétrie ne semble pas exister sous sa forme la plus simple ; il faut maintenant l’envisager dans d’autres configurations et concevoir des analyses pour les détecter, ce qui laisse encore un grand nombre de possibilités de découverte. résultats les plus attendus de la recherche du boson de Higgs standard et des particules supersymétriques. En parallèle, la recherche de nouvelles particules lourdes prédites par d’autres classes de modèles explore des plages de masse pouvant aujourd’hui atteindre plus de 2 TeV/c2. Ces mesures ne sont pas définitives mais elles repoussent déjà les limites de notre connaissance et écartent certaines hypothèses théoriques. Un accroissement significatif de la luminosité intégrée enregistrée est attendu en 2012, puis le LHC s’arrêtera pour environ dixhuit mois dans le but de consolider différents éléments de l’accélérateur. Cela permettra de redémarrer en 2015 avec l’énergie nominale des faisceaux, soit 7 TeV au lieu de 3,5 TeV, et à une luminosité instantanée d’au moins 1034 Hz/cm2. La quête de nouveaux phénomènes ne fait donc que commencer. POUR EN SAVOIR PLUS Iliopoulos J., « Le Modèle Standard : théorie géométrique des interactions », Images de la Physique, p. 64 (2005). Janot P. et Grivaz J.-F., « L’héritage des collisionneurs LEP et TeVatron », Images de la Physique, p. 73 (2005). Djouadi A., « Le boson de Higgs au LHC : la quête de l’origine de la masse », Images de la Physique, p. 100 (2008). Perspectives Bachas C., « Théorie des cordes et gravité quantique », Images de la Physique, p. 88 (2010). Après deux ans de fonctionnement, 1 à 2 f b–1 de données de grande qualité ont déjà été analysés par les expériences ATLAS et CMS. Nous avons présenté les http://atlas.ch/ http://cmsinfo.web.cern.ch/ 51