Dans l’acte expérimental, ce qu’on met en motion –qu’on le dise explicitement ou non
et que l’on en ait clairement la perception ou non- c’est l’idée que toute donnée ou tout
évènement empiriquement repérable (à ne parler que de ceux-là) a une cause qui renvoie à un
déterminisme de nature, fût-il puissamment informé par le contexte. Quand il s’agit d’une
donnée ou d’un évènement humains, ce déterminisme ne s’épuise pas dans la célèbre
distinction contrôle interne/contrôle externe (Rotter, 1966) ou facteur dispositionnel/facteur
situationnel (Dubois, 1987). Il renvoie à la nature de l’espèce : naturellement non
adéquatement identifiée au seul biologique. A toute fin de validation et d’authentification de
la connaissance de ce déterminisme, dans le cadre d’une théorie et à propos d’une hypothèse
qui en est déduite, la donnée ou l’évènement (même « humains ») qui est mis en cause peut
être et doit pouvoir être reproduit ou même produit par le chercheur, pour peu qu’il mette en
action la technologie convenable et scientifiquement accréditée. La validation expérimentale
débouche donc, en elle-même et par elle-même, sur une action, qui s’intègre au jeu des
pratiques sociales gérées ou contre-gérées par et dans un contexte social particulier.
Bien entendu, ceci est dit ici sans les nuances et sans les précautions verbales et
conceptuelles qui seraient trop longues à formuler : les opérations cognitives qui, chez le
chercheur comme chez l’auditeur ou le lecteur, se greffent sur cet arrière-fond
épistémologique prennent une infinité de tons et de sons qui permettent d’appliquer la
méthode à des données humaines qui, à première vue, semblent pourtant lui échapper. C’est
tout le problème de la créativité théorique et méthodologique : on l’a abordé ailleurs
(Deconchy, 1981). Il demeure que le recours à la méthodologie expérimentale renvoie
implicitement à ce « nerf cognitif ». Faut-il s’étonner qu’il suscite un certain nombre de
timidités et de censures ? Qui pourraient expliquer, au moins partiellement, la parcimonie de
la production que l’on essaie d’explorer et d’évaluer.
2.- Timidités et censures.
On peut distinguer au moins trois strates différentes dans ces censures éventuelles,
dont les effets interfèrent inévitablement entre eux.
a.- Au coeur-même de la psychologie sociale et à propos du projet
expérimental, le débat est intense. Est-il possible d’appliquer à des systèmes
d’interactions complexes une méthodologie sous-tendue et animée par l’épistémologie
dont nous venons d’esquisser les contours? Les objets sociaux qui, dans l’acte
expérimental, font l’objet d’une sorte de synthèse artificielle sont-ils « les mêmes »,
une fois «produits », que ceux que l’on observe dans la « réalité » ? La question vaut
pour tous les champs sociaux que, à toutes fins d’étude scientifique « rigoureuse », on
n’a pas socialement émasculés. Plus particulièrement et d’évidence, les interactions
sociales religieuses -à forte implication et à forts enjeux personnels- s’insèrent dans ce
que l’on a appelé une « enveloppe sociale globale » (Deconchy, 2002) elle-même
culturellement lourde et intrinsèquement marquée par l’historicité. On comprend que
l’on puisse être réticent au projet de les produire artificiellement : en tant que variables
dépendantes dans des plans expérimentaux inévitablement épurés et sous l’effet de
variables indépendantes manipulables et donc simples sinon élémentaires. On retrouve
ici tout ce qui fait débat et éventuellement combat dans le champ de la psychologie
sociale, en particulier de la psychologie sociale française. Devant la difficulté et à
toutes fins de vraiment l’affronter, ce champ tend à s’organiser autour de deux pôles.
Devant l’évidente complexité de l’opération et des problèmes épistémologiques,
conceptuels et technologiques qu’elle soulève, un premier pôle s’immunise contre