3
Cette thèse est, on le sait, une des plus courantes qui soient en Europe et a même acquis un statut de vérité
établie, de dogme pour la conscience collective européenne… Elle a été développée par d’innombrables auteurs
européens au dix-huitième et au dix-neuvième siècles qui pouvaient s’appuyer sur le spectacle de l’Empire
ottoman, le Maroc, l’Iran ». Les auteurs musulmans qui se référent aux fondements mêmes de la religion
soulignent, au contraire, la valorisation du travail dans le Coran, l’homme ayant pour mission de faire fructifier
les ressources naturelles, notamment la terre, mises à sa disposition par Dieu. Le travail est à la fois un acte aussi
pieux que la prière et la justification de tout accès à la richesse et à la propriété temporaire. Reconnu comme un
facteur de production, il doit être rémunéré : le salaire est alors accepté comme « cas particulier de loyer »
(ijara)
. L’Islam rejette l’esclavage, le servage et toute autre forme d’exploitation du travail jugée injuste et
condamne également certaines alternatives possibles au travail, comme l’oisiveté, considérée comme un péché,
ou la mendicité, dans la majorité des cas : par exemple, il propose l’expropriation de toute personne n’exploitant
pas sa terre, interdit les jeux de hasard, ainsi que la pratique de l’intérêt, qui peuvent apporter un enrichissement
sans travail et n’accorde aucune assistance aux personnes capables de travailler et leur interdit la mendicité,
même si l’Islam valorise, par ailleurs, l’acte de charité.
La notion de capital apparaît dans le Coran et la Sounna beaucoup moins explicitement que celle de travail. Le
capital, souvent exprimé sous forme de résultat d’un travail, peut engendrer des profits financiers (makâsib) et
donner lieu à une accumulation sous forme de « fonds » (riyâsh) ou de capital (mutamawwil). L’investissement
est recommandé, s’il ne constitue pas un abandon à la chance ou au hasard et une manière de refuser l’effort de
travail. Inséparable d’un calcul du risque et d’un effort permanent pour entreprendre et produire, la propriété du
capital ne doit jamais représenter une assurance ou une garantie, comme cela peut l’être, par exemple, lors d’un
prêt monétaire rapportant le riba, activité sans risque et sans travail, condamnée par le Coran.
1.2- Echanges et contrats
L’effort de production est considéré, d’un point de vue religieux, comme une lutte permanente contre le hasard.
L’augmentation de la production n’est qu’un objectif intermédiaire, puisque l’accroissement de la richesse doit
permettre le bien-être de tous, l’effort individuel et le bien-être collectif étant indissociables, grâce à une
répartition équitable des richesses. La satisfaction des besoins de tous est possible, si chacun fait fructifier les
ressources naturelles abondantes que Dieu lui aurait fournies
: « C’est lui qui a créé les cieux et la terre, et qui a
fait descendre du ciel une eau grâce à laquelle il fait pousser des fruits pour votre subsistance ».
Le Coran impose, d’autre part, à la puissance publique (l’imam ou le calife) de fournir du travail à tous « afin
que ce (les richesses) ne soit pas attribué à ceux d’entre vous qui sont riches » (sourate LIX, verset 7). Même si
l’accumulation des richesses est souhaitable et valorisée dans le Coran, elle doit être mesurée et ne doit pas se
faire au détriment de l’intérêt communautaire. Il est hasardeux, à partir du Coran, de déduire des normes
concernant une attitude particulière du musulman à propos de l’investissement, l’économie étant alors surtout
agricole et pastorale. Toutefois, certains auteurs comme ABD ASSAMI ALMISRY
ont pu percevoir une
GHAUSSY G., « Etude sur la théorie de l’ordre économique islamique », in BEAUGE G. (coord.), Les Capitaux de l’Islam, Presses du
C.N.R.S., 1990, pp. 35-47.
Coran, Sourate XIV, verset 32 : « C’est lui qui a créé les cieux et la terre, et qui a fait descendre du ciel une eau grâce à laquelle il fait
pousser des fruits pour votre subsistance ».
ABD ASSAMI ALMISRY, Islamic Economics in Sonnah, Cambridge P. E., 1983. L’auteur rapporte que le prophète Mahomet donna un
jour un dinar à Hakim Ibn Khouzam pour qu’il lui achète un agneau pour le sacrifice. Celui-ci l’acheta et trouva sur le chemin du retour
l’occasion de le revendre pour deux dinars, ce qu’il fit. Ayant racheté ensuite un autre agneau pour un dinar, il l’apporta à Mahomet et lui
proposa de sacrifier l’agneau et d’utiliser l’autre dinar pour faire la charité, ce que Mahomet approuva vivement. D’après l’auteur, cette
histoire nous enseigne que le commerce doit être valorisé, que l’on doit saisir l’opportunité du gain futur, quitte à se dessaisir d’une somme
immédiate et que le producteur doit être libre dans ses choix économiques, à condition qu’ils soient au service de Dieu et de la communauté.