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dans l’entretien de dizaines de puits
au bénéfice de la population locale.
«Lors d’une crise de malaria, il a dû
aller à l’hôpital. Quand il en est sorti,
il a trouvé ses puits ensablés, aban-
donnés. Les gens n’avaient rien fait. Il
s’est suicidé!»
«LES GENS VENDAIENT»
Une issue aussi tragique est rare, heu-
reusement, et il y a d’autres histoires.
Comme celle des 40’000 familles qui,
en 1995 encore, vivaient dans des ca-
banes pourries plantées sur des pieux
fichés dans la baie de Ribeira Azul, à
Salvador de Bahia. Risquant chaque
jour de basculer dans la boue et les
détritus. Dix ans plus tard, la favela a
disparu et les familles vivent dans des
maisons en dur. Il y a des écoles, des
locaux communs, des activités cultu-
relles. Et moins de drogue et de vio-
lence.
Ce happy end qui a retenu l’attention
de la Banque mondiale est l’un des
deux projets étudiés par Ilaria Schny-
der. Ayant vécu sur place pendant
plusieurs mois et accumulé des dizai-
nes d’entretiens, elle explique aujour-
d’hui ce qui a permis le succès: le
changement des personnes. C’est
aussi le témoignage de Cleuza Ramos
à São Paolo: «Le gouvernement cons-
truisait des maisons, il donnait un sa-
laire, mais il n’y avait pas de dévelop-
pement parce que les gens vendaient
la maison. Le développement social
passe par la personne. Si elle ne chan-
ge pas, rien ne chan-
ge». L’Association des
travailleurs sans ter-
re que préside Cleuza
a permis à quelque
20’000 familles de
construire leur mai-
son. C’est le deuxiè-
me projet étudié par Ilaria Schnyder.
Mais, encore une fois, pourquoi cer-
tains changent-ils et d’autres pas?
ELLE SE LÈVE LE MATIN
La première condition est la rencon-
tre: avant d’être un expert, le collabo-
rateur humanitaire est une personne
qui rencontre d’autres personnes. Le
déclic se fait ou ne se fait pas. Dans
ses livres «coup de poing», la journa-
liste genevoise Laure Lugon Zugravu
a dit le mur de verre qui sépare sou-
vent les humanitaires occidentaux de
la population miséreuse qu’ils veulent
aider (voir encadré).
Certains y réussissent pourtant, sans
doute parce qu’ils ont une humanité
forte et désintéressée. Dans ses inter-
views, Ilaria constate l’impact d’une
réussir
rencontre réussie: «La personne dé-
couvre qu’elle a une valeur, une di-
gnité qu’elle croyait avoir perdue pour
toujours». Et cela a un effet au quoti-
dien: des femmes qui traînaient en
peignoir jusqu’au mi-
lieu de l’après-midi se
lèvent et se maquil-
lent pour emmener
leurs enfants à l’école.
A ce stade se produit
ce qu’Ilaria appelle
une «auto sélection».
Parce qu’ils se méfient ou qu’ils ont
subi trop de désillusions – combien
d’ONG ou de projets gouvernemen-
taux se succèdent parfois sur le même
projet! –, certains renoncent. D’autres
se mettent en mouvement.
UNE LONGUE PATIENCE
Ce processus éducatif – car c’est bien
de cela dont il s’agit – demande du
temps, beaucoup de temps. Trop de
projets humanitaires visent un résul-
tat à court terme qui est plus facile à
obtenir en bâtissant des routes ou une
école. Le changement de la personne
demande une patience à toute épreu-
ve, et cela pendant des années.
Ce temps long fait que le rapport avec
la population locale devient un rap-
port d’amitié et plus seulement d’as-
Des femmes qui
traînaient en
peignoir se lèvent
pour emmener leurs
enfants à l’école.
DR
Ilaria Schnyder
a enquêté
longuement
sur le terrain.