TRAITS DE LUMIÈRE Forum Med Suisse No 1/2 9 janvier 2002 13 Oto-rhino-laryngologie 2001: Dépistage auditif généralisé pour nouveau-nés R. Probst, N. Schmid, A. Zehnder Introduction Prof. Dr R. Probst Service universitaire d’ORL Hôpital cantonal CH-4031 Bâle Le dépistage est une intervention médicale spécifique ayant pour but de dépister une maladie ou un trouble fonctionnel chez des personnes qui ne le suspectent même pas [1]. Comme n’importe quelle autre intervention médicale, le dépistage doit être aussi sûr qu’efficient. Toute mesure médicale, le screening y compris, présente des lacunes et des risques, même si absolument minimes. Et comme le screening s’adresse à des personnes en bonne santé, il doit être particulièrement sûr et avoir fait la preuve de son efficience. Depuis plus de 40 ans, des tentatives de dépistage de l’audition généralisé à tout nouveau-né ont été entreprises [2]. L’efficacité du dépistage auditif généralisé chez le nouveau-né a été controversée pendant des années. Il y a quelques années encore, le dépistage auditif généralisé chez le nouveau-né était considéré comme difficile non dépourvu de risque, pas absolument nécessaire et pas justifié [3]. Les risques portaient moins sur les méthodes diagnostiques que sur la morbidité psychique des parents après un résultat faux positif, avec le stress inutile qui en résultait sur la relation parents–enfant à cet âge. Les nouvelles connaissances en physiologie de l’oreille, avec les perfectionnements techniques, ont amené ces dernières années des tests permettant de prouver l’efficience d’un dépistage auditif généralisé chez le nouveau-né [4]. Lors d’une conférence-consensus à Milan, en mai 1998, l’introduction d’un dépistage auditif généralisé a été recommandée chez tous les nouveau-nés [5, 6]. Le dépistage auditif généralisé chez le nouveauné s’installe donc toujours plus au niveau international. Des bases légales sont prévues pour cela dans de nombreux pays, ou ont été adoptées. Les possibilités de réalisation et l’efficience de cette mesure ont été démontrées en Suisse aussi [7]. Nouveau-né et problèmes d’audition 1–2 enfants sur 1000 naissances normales présentent un trouble auditif bilatéral non négligeable. Les prématurés courent un risque nettement plus grand. Les troubles auditifs du nouveau-né, congénitaux ou périnataux, sont presque toujours la conséquence d’une atteinte de l’oreille interne et rarement seulement de l’oreille moyenne, du nerf auditif ou du système nerveux central. Les troubles auditifs ne sont pas perceptibles, et le nouveau-né ne présente la plupart du temps aucune caractéristique particulière; il a un comportement parfaitement normal, au début tout au moins. La surdité congénitale n’est donc pas manifeste, et sans examen dirigé, elle ne se diagnostique qu’après plusieurs années, par un retard de langage. L’âge du diagnostic d’un trouble auditif du petit enfant est de 2,5 ans et même plus en Suisse [8]. Ce qui fait qu’un temps précieux est perdu pour la stimulation et le développement de l’audition. L’effet positif d’une stimulation et d’un traitement précoces par prothèses acoustiques est prouvé par rapport à une intervention plus tardive [9]. Dépistage auditif généralisé Pour qu’un dépistage soit efficient, il faut avoir des tests adéquats, simples, ne stressant pas l’enfant et si possible avantageux. Ces tests doivent en outre permettre de séparer pratiquement tous les nouveau-nés présentant un trouble auditif de ceux qui entendent normalement. Avec la mesure des émissions sonores de l’oreille interne dans le conduit auditif (émissions otoacoustiques – EOA), ou la mesure plus simple, également automatisée des potentiels nerveux et cérébraux (potentiels évoqués acoustiques – PEA), nous avons actuellement de telles méthodes. Un tel dépistage permet d’assurer en toute sécurité que la fonction cochléaire est normale quelques jours après la nais- TRAITS DE LUMIÈRE sance déjà. En l’absence d’une telle preuve, il est indiqué de passer à un diagnostic plus poussé dans un centre d’audiologie pédiatrique. Dépistage auditif en Suisse Les moyens techniques de dépistage auditif généralisé existent donc. Il s’est agi d’établir l’organisation et l’information nécessaires en Suisse, de collecter les expériences et d’en démontrer la faisabilité de principe. Sous la supervision d’un «Groupe de travail suisse dépistage auditif chez le nouveau-né», un dépistage auditif généralisé chez le nouveau-né a été introduit en 1999. Ce groupe de travail, composé de représentants des sociétés suisses d’ORL, de Pédiatrie et de Néonatologie et dirigé par le Dr M. Vischer, Service universitaire d’ORL de l’Hôpital de l’Ile, Berne, a établi les bases nécessaires à un dépistage auditif généralisé chez le nouveau-né en Suisse. A partir de l’été 1999, plusieurs grands services d’obstétrique ont démarré le dépistage auditif. Le groupe de travail a continué à suivre le dépistage auditif. En Suisse, c’est surtout la mesure hyperautomatisée des émissions otoacoustiques qui est effectuée. Ce test est totalement inoffensif pour le nouveau-né, et il s’effectue entre les 2e et 4e jour de vie. Il prend quelques minutes et permet de dire si la fonction acoustique du nouveau-né est normale. Ce test peut être effectué en toute sécurité par une personne dûment formée mais n’ayant aucune connaissance spécifique, p.ex. par une infirmière en néonatologie. A la fin 2000, plus de 16 600 nouveau-nés ont été examinés, soit 90% des enfants nés dans les services effectuant ce dépistage. 2% des nouveau-nés n’ont pas passé ce test, c.-à-d. qu’aucune émission n’a été enregistrée au niveau des deux oreilles. Les expériences étrangères se sont ainsi vues confirmées: le dépistage et les examens complémentaires sont adéquats pour dépister les troubles de l’audition chez le nouveau-né. Le prochain objectif est de pouvoir effectuer un dépistage auditif sur l’ensemble du territoire et dans toutes les unités d’obstétrique de Suisse. Forum Med Suisse No 1/2 9 janvier 2002 14 Suivi Chez ces 2% de nouveau-nés n’ayant pas passé le test de dépistage, il n’y a qu’une suspicion de trouble auditif, et pas une certitude. En fait, avec les chiffres que nous connaissons de l’incidence, 1 seulement sur 10 tels nouveau-nés présente un trouble auditif majeur et permanent. Il est donc important de bien faire la différence entre trouble auditif et échec au test de dépistage. Un examen audiologique pédiatrique des nouveau-nés n’ayant pas passé le dépistage doit se faire dans les 4 semaines qui le suivent. Dans le collectif ci-dessus, 14 nouveaunés ont présenté un trouble auditif significatif confirmé par un tel examen. Traitement Un diagnostic précoce des troubles auditifs n’a de sens que si après les démarches diagnostiques ultérieures, il est possible de prendre des mesures efficaces. Dans les troubles auditifs du nouveau-né, cette condition est remplie par la possibilité d’avoir des appareils, prothèses acoustiques ou implants cochléaires, avec une stimulation spécifique, multidisciplinaire, bien établie en Suisse. Avec une stimulation adéquate, de nombreux enfants malentendants développeront des fonctions auditives leur permettant d’avoir une bonne communication verbale, et facilitant considérablement leurs possibilités de formation. Troubles auditifs ultérieurs Le dépistage auditif généralisé chez le nouveauné ne permet pas de diagnostiquer tous les troubles auditifs. Même les meilleures méthodes passent à côté de quelques troubles auditifs, et une proportion non négligeable ne se manifestera que plusieurs mois ou années plus tard [10]. Un contrôle régulier de l’audition des nourrissons et petits enfants par le pédiatre est donc toujours important et indispensable, même après un dépistage auditif chez le nouveau-né. S’il y a par la suite suspicion de trouble auditif, il faut absolument demander un examen d’audiologie pédiatrique, même si le test de dépistage du nouveau-né a été normal. TRAITS DE LUMIÈRE Forum Med Suisse No 1/2 9 janvier 2002 15 Références 1 Frankenburg WK, Chen J, Thornton SM. Common pitfalls in the evaluation of developmental screening tests. J Ped 1988;113:1110–3. 2 Ewing IR, Ewing AWG. New opportunities for deaf children. London: University of London Press; 1961. 3 Bess FH, Paradise JL. Pediatrics 1994;98:330–4. 4 Wessex Universal Neonatal Hearing screening Trial Group. Controlled trial of universal neonatal screening for early identification of permanent childhood hearing impairment. Lancet 1998;352:1957–64. 5 The European Consensus Development Conference on Neonatal Hearing Screening, Milan, May 15–16, 1998. Arch Otolaryngol Head and Neck Surg 1999;125:118. 6 Welzl-Müller K. Neugeborenen-Hörscreening: Siebtest nach Hörstörungen bei Neugeborenen. Bericht über die European Consensus Development Conference on Neonatal Hearing Screening, Mailand, Mai 1998. HNO 1998;46:704–7. 7 Zehnder A, Probst R, Vischer M, Linder T. Erste Resultate des allgemeinen Neugeborenen-Hörscreenings in der Schweiz. SMW 2000;49 (Suppl 125):71–4S. 8 Hoffmann M. Die Früherfassung kindlicher Hörstörungen: Eine Illusion auch in der Ostschweiz? ORL, Aktuelle Probleme der Otorhinolaryngologie 1997;20:239–43. 9 Yoshigana-Itano C. Benefits of early intervention for children with hearing loss. Otolaryngol Clin North Am 1999;32(6):1089–102. 10 Fortnum MH, Summerfield AQ, Marshall DH, Davis AC, Bamford JM. Prevalence of permanent childhood hearing impairment in the United Kingdom and implications for universal neonatal hearing screening: questionnaire based ascertainment study. BMJ 2001; 323: 1–6.