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Les fonctions exécutives chez l’enfant : Des considérations
développementales et cliniques à la réalité scolaire
Arnaud Roy
Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire, EA4638, LUNAM, Faculté des Lettres, Langues, et Sciences
Humaines, Université d’Angers, France
Centre Référent des Troubles d’Apprentissage et Centre de Compétence Nantais de Neurofibromatose, Hôpital
Femme-Enfant-Adolescent, CHU de Nantes, France
arnaud.roy@univ-angers.fr
Résumé
Les fonctions exécutives occupent une place centrale et déterminante dans le développement
psychologique de l’enfant, que ce soit pour la mise en place des apprentissages, la régulation du
comportement ou l’intégration des connaissances sociales. Elles renvoient à des processus de
contrôle de haut niveau permettant à l’enfant de s’adapter à son environnement et d’organiser son
comportement dans la vie quotidienne, en particulier à l’école. Les données empiriques et les
modélisations théoriques récentes favorisent l’idée selon laquelle les habiletés exécutives sont
caractérisées par une émergence précoce et une maturité tardive, les exposant à une vulnérabilité
particulière chez l’enfant en cas de troubles neurodéveloppementaux ou de lésion acquise affectant
les réseaux fronto-sous-corticaux du cerveau. S’il n’existe pas de critères diagnostiques établis et
consensuels, les symptômes caractéristiques du syndrome dysexécutif susceptibles d’être observés
au sein de la population pédiatrique sont désormais mieux décrits et peuvent s’exprimer à travers
diverses formes de tableaux cliniques. L’évaluation des fonctions exécutives doit, dans ce contexte,
s’ajuster au plus près des particularités développementales et cliniques qui caractérisent ces
processus, tout en intégrant leur retentissement dans la vie quotidienne. Les travaux internationaux
réalisés dans ce domaine ces dernières années alimentent la nécessité d’une démarche
d’investigation intégrative, combinant tests psychométriques classiques basés sur la performance et
approche du comportement de l’enfant au plus près de ses contextes de vie, en particulier à l’école.
Mots clés
Fonctions exécutives, lobe frontal, régulation comportementale, vulnérabilité précoce,
neuropsychologie et école.
Adresse
Université d’Angers,
Faculté des Lettres, Langues et Sciences Humaines,
Laboratoire de Psychologie des Pays de la Loire,
11, boulevard Lavoisier,
49045 Angers cedex 01, France
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Abstract
The executive functions (EF) occupy a central and determining place in the psychological
development of the child. They are essential for setting up apprenticeships, behavior control, and
social knowledge integration. EF refer to high-level control processes allowing the adaptation of the
child to his environment and the organization of his behavior in the everyday life, in particular at the
school. Empirical data and recent theoretical modeling support the idea that executive skills are
characterized by an early emergence and a late maturity, which make them vulnerable in the child
due to the dysfunction of the frontal-subcortical circuits of the brain in various acquired and
neurodevelopmental contexts. Despite lacking established and consensual diagnostic criteria for the
dysexecutive syndrome, its characteristic symptoms that are likely to be observed in the pediatric
population are now better described, and can be expressed through various clinical pictures. EF
assessment should, in this context, be adjusted as close as possible to the developmental and clinical
specificities that characterize these processes, while integrating their impact on everyday life. Recent
international works in this field point out the need for an integrative research process, including
traditional performance-based psychometric tests, and adapted approaches to child behavior in his
life contexts, in particular at the school.
Keywords
Executive functions, frontal lobe, behavior regulation, early vulnerability, neuropsychology and
school.
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Introduction
« Mon enfant a des difficultés pour s’organiser, il est brouillon, dépassé s’il a plusieurs choses à faire,
estime mal le temps nécessaire pour réaliser une activité et la commence au dernier moment, il ne sait
pas s’arrêter, coupe la parole, fait des fautes d’étourderie, et s’énerve facilement,… ». Comment
interpréter ces difficultés - si tant est qu’il faille les considérer comme telles -, dont les manifestations
sont fréquemment rapportées lors de l’entretien clinique avec les parents et/ou signalées par les
enseignants ? Doivent-elles être analysées comme le reflet de l’immaturité légitime qui caractérise les
enfants en général ? Ou au contraire signent-elles l’expression d’une déviance en regard du
comportement attendu pour l’âge, susceptible d’impacter le développement ultérieur ?
D’un point de vue phénoménologique, ces « difficultés » renvoient à la problématique de contrôle
et de régulation de son comportement par l’enfant, dont la conceptualisation en neuropsychologie a
été formalisée autour des fonctions exécutives (FE). La métaphore du chef d’orchestre est
communément utilisée pour définir le rôle central de ces processus de haut-niveau et des structures
cérébrales qui les sous-tendent, à savoir le cortex préfrontal et ses multiples interconnexions avec
l’ensemble du cerveau. Considérées dans ce contexte théorique, les FE sont essentielles au sens
elles contribuent à ajuster en permanence le comportement de l’enfant en fonction des contingences
internes et environnementales. Elles contribuent à déterminer la manière de s’adresser à quelqu’un,
le fait de parler au moment approprié, de récupérer les informations utiles en mémoire, ou encore
d’organiser les étapes nécessaires pour choisir ses vêtements ou prendre son repas (par quoi
commencer, etc.). Sans chef d’orchestre, le comportement s’expose à une désorganisation
importante, un manque de cohérence apparent dans les choix réalisés et l’incapacité d’atteindre les
objectifs d’une action.
Malgré l’émergence tardive des travaux dans ce domaine chez l’enfant, leur amplification ces 30
dernières années a ouvert de nouvelles perspectives de lecture clinique des possibles difficultés
comportementales évoquées plus haut. Les arguments empiriques témoignent désormais du rôle
déterminant des FE pour la réussite scolaire et professionnelle, la qualité de vie, la santé mentale et
physique, et plus globalement le développement psychologique, cognitif et social (voir Diamond,
2013). Leur proximité avec d’autres concepts fondamentaux tels que l’attention, la mémoire,
l’intelligence, la théorie de l’esprit et la cognition sociale, ou encore les praxies, contribuent aussi à
conférer de facto aux FE un rôle essentiel pour approcher le comportement de l’enfant et ses
perturbations en cas d’anomalie cérébrale.
Dans cet article de synthèse, nous revenons sur les grandes étapes du développement des FE,
avant d’aborder les particularités cliniques qui caractérisent leur perturbation précoce et les
contours sémiologiques du syndrome dysexécutif chez l’enfant. La question de l’évaluation sera
abordée dans un dernier temps, sur la base des considérations développementales et cliniques, et
dans une perspective globale intégrant le retentissement des symptômes dans la vie quotidienne. La
considération des FE dans le contexte scolaire, esquissée dans cette synthèse, sera reprise et
approfondie dans le chapitre de V. Lodenos et E. Alix. (voir cet ouvrage).
DEVELOPPEMENT DES FONCTIONS EXECUTIVES ET DU LOBE FRONTAL
Les fonctions exécutives et leur réalité chez l’enfant
Les FE renvoient habituellement à un terme « parapluie » englobant un ensemble d’habiletés
cognitives de haut niveau nécessaires à la réalisation d’un comportement dirigé vers un but (Luria,
1966). Elles permettent de faciliter l’adaptation à des situations nouvelles, notamment lorsque les
routines, les automatismes ou les habiletés cognitives sur-apprises deviennent insuffisantes pour
réaliser une action ou une activité de manière appropriée. Cette spécificité implique que les FE sont
requises dès lors que la mise en œuvre de processus contrôlés (« top-down ») est nécessaire,
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illustrant ainsi leur rôle central de supervision du comportement au sens large (Seron, Van der Linden
& Andrès, 1999).
Plusieurs facettes des FE sont distinguées, en particulier en fonction du type de contexte dans
lequel elles sont engagées (Zelazo & Müller, 2002). Le versant cognitif ou la composante « cold »
(froide) du fonctionnement exécutif, habituellement associé aux régions préfrontales dorsolatérales
du cerveau, concernerait les situations qui n’impliquent pas au premier plan d’état émotionnel
particulier, sous-tendant plutôt une certaine logique, abstraite et décontextualisée. Les principaux
processus regroupés derrière ce concept et retrouvés dans la plupart des modélisations théoriques-
sont la planification, l’inhibition, la flexibilité mentale, et les capacités de mémoire de travail (voir
Tableau 1, pour une description plus précise). L’initiation (aptitude à s’engager dans une tâche,
générer des idées), le contrôle ou « monitoring » (habitudes de vérification de son travail par
l’enfant) ou encore la vitesse de traitement, sont également associés aux FE (voir par exemple Gioia,
Isquith, Guy & Kenworthy, 2000).
Le versant affectif ou « hot » (chaud) des FE, davantage associé aux régions orbitaires et ventro-
médianes du cortex préfrontal, correspond aux contextes dans lesquels sont impliqués de manière
prépondérante des aspects affectifs, émotionnels et/ou motivationnels (Bechara, Damasio &
Damasio, 2000). On considère dans ce registre les aptitudes de prise de décision dans des situations à
l’issue incertaine et impliquant un enjeu affectif (gratification, punitions, danger,…), qui conduisent
l’enfant à analyser les risques et choisir entre plusieurs alternatives en compétition (voir Roy &
Lancelot, 2013). Les capacités d’autorégulation et de contrôle de ses émotions (aptitude à moduler
ses réponses émotionnelles de manière adéquate) sont également associées au versant « hot » des
FE, et renvoient à l’ajustement de son propre comportement à l’autre et à la cognition sociale (voir
Lancelot, Speranza & Roy, 2013). Le développement des aptitudes de contrôle exécutif doit ainsi
progressivement conduire l’enfant à adopter un comportement approprié en fonction du contexte,
grâce à une forme de synthèse et de compromis- entre son état affectif interne (ses ressentis
émotionnels) et l’analyse cognitive de la situation.
Insérer Tableau 1 ici s’il vous plaît
L’émergence progressive des processus exécutifs
Le statut développemental particulier du lobe frontal et de ses réseaux, siège biologique principal
des FE, alimente de manière fondamentale les enjeux scientifiques inhérents à l’étude de ces
processus chez l’enfant. Il s’agit d’une problématique essentielle dans la mesure où elle contribue à
guider l’expertise clinique en cas de développement atypique.
Du fait de la maturation caudo-rostrale du cerveau, la maturation physiologique du cortex
préfrontal est plus longue que celle des autres régions corticales (Dennis, 2006). En particulier, le pic
de l’élimination synaptique et la fin de la myélinisation sont plus tardifs, et se prolongent jusqu’au
début de l’âge adulte, contribuant à expliquer que le développement des FE et du contrôle du
comportement est particulièrement long et progressif. La maturité ontogénétique tardive du cortex
préfrontal est à rapprocher des données phylogénétiques, montrant un développement
proportionnellement plus important du cortex préfrontal depuis les premiers hominidés, il y a six
millions d’années. Plus spécifiquement, la taille accrue de certaines zones d’association multimodale,
ainsi que l’augmentation de la substance blanche préfrontale, nous différencieraient des grands singes
africains (Risberg, 2006) et seraient à l’origine des progrès spectaculaires réalisés par notre espèce
dans le traitement de l’information et les apprentissages. Dans la perspective évolutionniste, ces
éléments témoignent d’une réorganisation fonctionnelle progressive du cerveau qui positionne le
cortex préfrontal et les FE au cœur de la spécificité de l’être humain.
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Le développement long et prolongé du lobe frontal et des FE ne doit pas occulter leur émergence
précoce et leur rôle essentiel dès le début de la vie. La performance au paradigme A-non-B (Piaget,
1936) est souvent considérée comme un des premiers signes de l’émergence des FE chez le
nourrisson. L’erreur A non B est caractérisée par le fait que l’enfant retourne chercher un objet dans
une cachette antérieure alors qu’il n’y est plus. Pour ne plus commettre cette erreur, il lui faut
maintenir à l’esprit l’endroit où la récompense vient d’être cachée, et inhiber une réponse
précédemment renforcée. L’émergence de ces aptitudes et leur maîtrise, à travers la réussite à cette
tâche chez le tout-petit (entre 6 et 12 mois) a fait l’objet de corrélations anatomofonctionnelles avec
la maturation précoce du cortex préfrontal dorsolatéral, en particulier sur la base d’études
lésionnelles chez le macaque et d’études électrophysiologiques chez le nourrisson (Diamond, 2004).
Plusieurs études empiriques, conduites à la fin des années 1980 auprès de cohortes d’enfants
d’âge préscolaire et scolaire à partir de tâches « frontales » dérivées de l’adulte, ont confirmé le
caractère actif et prolongé des processus exécutifs tout au long de l’enfance et de l’adolescence (par
exemple, Levin et al., 1991 ; Welsh, Pennington & Groisser, 1991). La multiplication des travaux ces
15 dernières années a aussi permis l’émergence de modèles théoriques basés sur les analyses
factorielles, rejoignant la dynamique enclenchée chez l’adulte et la conception plurielle des FE. La
nature et le nombre de facteurs, à l’instar des calendriers développementaux, varient
considérablement (voir Lee, Bull & Ho, 2013). La conceptualisation des FE a néanmoins
progressivement pris forme autour de l’inhibition et de la moire de travail, recoupant les
propositions néo-piagétiennes ou le modèle interactif de Roberts et Pennington (1996), tout en les
élargissant à d’autres processus comme la flexibilité et la planification. Les données issues de ces
études suggèrent que les FE sont indifférenciées jusqu’à la fin de la période préscolaire (prévalence
des modèles unitaires jusqu’à 5 ans), après quoi émergent différents facteurs de plus en plus
spécialisés et indépendants. L’inhibition et la mémoire de travail seraient les premiers à se
différencier, à partir de 6-7 ans, avant que la flexibilité, longtemps tributaire de l’inhibition, ne se
dissocie à son tour (cette individualisation ne serait consolidée qu’en fin d’adolescence : Lee et al.,
2013). La place de la vitesse de traitement fait débat, certains auteurs l’identifiant comme un facteur
indépendant, alors que pour d’autres elle sous-tendrait la variance partagée entre les FE (par
exemple, Lee et al., 2013).
Deux modèles intégratifs et hiérarchisés spécifiques à la structure et au développement des FE
ont récemment été proposés (Dennis, 2006 ; Diamond, 2013). Dotés d’une vision plus large et
interactive des concepts liés aux FE, leur conceptualisation modulaire est imprégnée de l’approche
factorielle et découle des conceptions néo-piagétiennes. Le modèle de Diamond (2013) concrétise
plus particulièrement l’idée d’une ontogénèse hiérarchisée des diverses composantes exécutives,
assujetties à la fois à un développement différencié avec l’âge et à des interrelations
progressivement plus complexes. Le contrôle inhibiteur et la mémoire de travail (premières à se
différencier d’après les études factorielles) seraient les précurseurs du développement ultérieur de la
flexibilité, puis des FE de plus haut-niveau dont la planification et la résolution de problèmes, rendant
compte de calendriers développementaux différentiels.
Considérations sociodémographiques, environnement et culture
L’effet potentiel du genre et du statut socio-économique, mais aussi plus largement celui de la
culture sur le développement exécutif, constitue un questionnement central, interrogeant le
caractère universel des modélisations envisagées. L’étude de ces dimensions reste partielle et n’a pas
été formellement envisagée dans les propositions théoriques existantes.
Des différences structurelles évolutives importantes tout au long de l’enfance ont été identifiées
entre le cerveau des garçons et des filles, constituant une forme d’ancrage biologique aux différences
liées au genre mises à jour en psychologie (voir par exemple, Belfi, Conrad, Dawson & Nopoulos,
2014). Plusieurs données empiriques relatives à l’effet du genre sur les FE de l’enfant
transparaissent, qui favorisent l’idée d’un développement plus rapide chez les filles à partir de tests
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