L’abandon des Juifs pendant la Deuxième Guerre Mondiale Compilation historique par Henri Sobowiec En 1945, David Wyman, professeur à Massachussets university, a établi un acte d’accusation détaillé dans son livre ‘’The abandonment of Jews : America and the Holocaust 1941-1945 . Il a placé sur le banc des accusés sa propre patrie( y compris les organisations juives américaines) et l’Angleterre. On avait rien fait ne fût-ce que pour limiter l’ampleur de la « solution finale », on a abandonné les Juifs aux hitlériens et pourtant les possibilités existaient de sauver une partie des victimes. On justifiait ce geste de Pilate avec l’argument obstinément répété que toute action « marginale » porterait nécessairement atteinte à l’effort de guerre « global » contre le Troisième Reich. La faiblesse de cet argument apparaît dans le plus poignant chapitre du livre de Wyman : The bombing of Auschwitz : A partir du mois de mai 1944, les bombardiers américains, ayant depuis le mois de décembre de l’année précédente leurs bases en Italie du sud, disposaient d’un rayon d’action suffisant pour commencer un bombardement systématique des objectifs industriels en Europe centrale et orientale. Auschwitz s’est trouvé à leur portée ; la destruction des lignes de chemin de fer par lesquelles on transportait les Juifs hongrois à l’époque, était devenu possible et relativement facile. Le projet suggéré aux Alliés ( par le canal diplomatique polonais) prévoyait le bombardement des chambres à gaz et des fours crématoires. Les états-majors ont refusé, partant du principe que les bombardements devaient être exclusivement dirigés contre des « objectifs industriels », au nombre desquels Auschwitz ne pouvait être compté. En réalité, il aurait pu l’être puisque, dans le voisinage immédiat du camp, on avait désigné comme objectif, un grand centre de production d'essence synthétique. Et on l’a bombardé le 20 août 1944, à une distance de moins de 8 km, à l’est des chambres à gaz. L’attaque aérienne a été renouvelée le 13 septembre, puis à deux reprises en décembre de la même année. On n’a pas touché aux installations de l’industrie allemande de la mort, sans doute en partant du principe qu’elle n’était pas une industrie dans le sens traditionnel du terme. Dans ce sens là, en effet, elle ne l’était pas. Dans une note du même chapitre, Wyman cite des témoignages de prisonniers d’Auschwitz, recueillis après la guerre, où il est question de déportés priant en vain le Ciel que les Alliés bombardent le centre principal de production de la mort industriellement organisée. Aujourd’hui, nous savons que de nombreuses photos aériennes d’Auschwitz ont été prises durant cette période. Le Haut Commandement anglo-américain était donc parfaitement au courant de la situation d’autant qu’en juin 1943, il avait été informé par Jan Karski, émissaire de la Résistance polonaise et témoin oculaire de l’horreur des camps nazis. Les témoignages de ce grand résistant ont été publiés dès novembre 1944 aux Etats Unis et ils sont enregistrés dans les archives de la BBC sous forme sonore et écrite. En effet, Jan Karski a donné également une série d’entretiens à la radio anglaise, en juillet/août 1943. En fin 1944, la Grande Bretagne et les Etats Unis étaient parfaitement informés. Comment donc expliquer leur attitude ? George Orwell nous apporte des éléments de réponse dans un article publié en 1945 dans « Contemporary Jewish Record » et intitulé : « Antisemitism in Britain ». Ses conclusions peuvent être résumées en quatre points : D’abord, l’antisémitisme en Grande Bretagne est moins rare qu’on ne le pense et qu’on ne veut bien le reconnaître, et la guerre l’a encore renforcé. Deuxièmement, l’antisémitisme ne mène pas aujourd’hui à des persécutions flagrantes mais il rend les Anglais moins sensibles aux souffrances des Juifs dans d’autres pays. Troisièmement, les monstruosités hitlériennes auxquelles on ne croyait pas tout à fait et qui avait été la cause du suicide de Chmoul Zygielboïm à Londres, ont eu pour seul effet que maintenant on dissimule les sentiments antisémites. Quatrièmement, l’antisémitisme est un phénomène irrationnel, il résiste aux arguments. Dans son « Journal écrit la nuit » Gustaw Herling Grudzinski raconte avoir vu à Paris, dans une minuscule salle du quartier latin, un film de plus de quatre heures de Marcel Ophuls, Le Chagrin et la pitié (les tentatives de le faire passer, à sa sortie, dans les grandes salles et à la télévision avaient échoué).C’est une description minutieuse, pour une bonne part documentaire, de la vie quotidienne à Clermont-Ferrand sous Vichy. Assez effroyable. Sans aucune pression particulière de la part des Allemands, le Français moyen plongeait de son propre chef et avec délices dans l’antisémitisme décrété par le gouvernement Pétain : il pistait, flairait, rapportait. La version avancée après la guerre d’une politique antisémite imposée par les Allemands aux autorités de Vichy est une légende. Hannah Arendt en parle dans The origins of Totalitarism, en se basant sur des recherches d’archives françaises. A un spectateur originaire d’Europe centrale, le film d’Ophuls suggère une seule réflexion : si la « solution finale » hitlérienne avait été mise à exécution en France, avec l’emploi des méthodes de terreur utilisées à l’Est, la participation française à l’opération aurait réjoui le cœur de Himmler. Quant à l’Angleterre, dans l’hypothèse où elle aurait été occupée par les Allemands, il faudrait l’imagination de l’auteur de 1984 pour se mesurer avec un tel sujet. Dans les quatre conclusions de l’article d’Orwell, ce qui frappe le plus, c’est l’affirmation que la guerre (et l’Holocauste en cours) avait renforcé l’antisémitisme britannique qui, à son tour, avait insensibilisé les Anglais aux souffrances des Juifs dans d’autres pays. On serait en droit de supposer l’inverse. Mais la psychologie des phénomènes irrationnels, résistant aux arguments, possède ses propres mécanismes. En Pologne aussi, la guerre et l'extermination massive des Juifs avaient renforcé l’antisémitisme de certains groupes sociaux ; et les relents empoisonnés de ce processus traînent encore au-dessus des nécropoles de trois millions de victimes. Cependant, ce qui mérite d’être souligné, c’est le fait en général passé pudiquement sous silence en Occident, que le venin du « racisme mystique » s’était répandu pendant la guerre, pratiquement dans toute l’Europe. Il n’empêche qu’après la guerre, c’est à sa variété polonaise qu’on a attribué le caractère de l’antisémitisme par excellence, patenté et classique. Pour un peu, même les Allemands se mettraient à susurrer avec un clin d’œil complice que l’antisémitisme polonais… A l’occasion de l’affaire du nazi Darquier, on a évoqué le spectre de l’antisémitisme des bords de la Vistule pour remplacer et conjurer celui du beau pays de France. Sources : -‘’The jewish mass execution’’(Script) Account by an eye-witness, Jan Karski News-talk on European Service of the British Broadcasting Corporation- July /August 1943 -‘’Story of a secret state’’ by Jan Houghton Mifflin Company, Boston- November 1944 Karski -‘’Tajne panstwo’’ Jan Karski Twoj styl- Warszawa 1999 ‘’Journal écrit la nuit’’- Gustaw Herling-Grudzinski L’Arpenteur- Gallimard- traduction de Thérèse Douchy 1989 - ‘’Dziennik pisany Czytelnik- Warszawa 1998 noca’’ pisma zebrane - Gustaw Herling-Grudzinski