CRAAQ Colloque Fertilisation, agriculture de précision et agrométéorologie 1
L’agriculture face au changement climatique
BERNARD SEGUIN1 et GAETAN BOURGEOIS2
1INRA, mission ‘Changement climatique’, site Agroparc, CS 40509, 84914 Avignon cedex 9
(France)
2Agriculture et Agroalimentaire Canada, Centre de recherche et développement en horticulture,
Saint-Jean-sur-Richelieu, QC
Mots-clés : agriculture, impact du changement climatique, production alimentaire
Introduction
L’agriculture moderne doit faire face à des défis variés : assurer la production d’aliments en
quantité et en qualité, mais ceci en réduisant les intrants pour sauvegarder les ressources
naturelles, limiter les atteintes à l’environnement et façonner les paysages en préservant la
biodiversité, etc. Le tout est à assurer dans un contexte économique en évolution incertaine et
avec la perspective d’avoir à produire l’alimentation pour 8 à 10 milliards d’habitants à l’horizon
2050.
Les priorités sont, bien sûr, à évaluer pour chaque région et secteur de production, mais il faut
maintenant considérer en plus en toile de fond la probabilité de plus en plus affirmée d’une
évolution du climat. Or, parmi toutes les activités humaines et malgré l’augmentation spectaculaire
de sa productivité dans le cas des pays développés, en particulier, l’agriculture reste une de celles
qui est le plus directement influencée par le climat. L’ensemble des facteurs climatiques qui
régissent le fonctionnement des écosystèmes est amené à se modifier, ce qui aura un impact
marqué, aussi bien sur la production agricole que sur les différentes composantes du paysage qui
l’accompagnent (Seguin 2010).
Quels impacts sont à attendre ?
Les conséquences du changement climatique varient beaucoup en fonction du type de couvert
végétal et des conditions climatiques associées aux conditions culturales pour les plantes
cultivées. On peut schématiquement considérer des composantes élémentaires aux effets
contrastés : du côté positif, l’effet stimulant de l’augmentation du CO2 atmosphérique sur la
photosynthèse et, par la suite, la production de biomasse (plus marqué pour les cultures en C3 des
climats tempérés que pour celles en C4 des climats chauds) et celui d’une élévation modérée des
températures; du côté négatif, la réduction du temps de travail de la culture due au
raccourcissement de son cycle, ainsi que le basculement plus fréquent du fonctionnement
photosynthétique vers des gammes thermiques défavorables. Il faut aussi prendre en compte les
conséquences majeures d’une possible modification des conditions d’alimentation hydrique, en
particulier avec l’intensification des sécheresses. Au-delà des valeurs moyennes des facteurs
climatiques, il faut aussi considérer l’éventualité d’évènements extrêmes : de façon plus large, la
prise en compte de la variabilité de ces facteurs pourrait conduire à des impacts différents de ce
réchauffement moyen continu par le dépassement de valeurs-seuils encore mal cernées. C’est
assez évident pour les sécheresses ou les fortes pluies (qui affectent l’agriculture par l’érosion et
l’inondation des parcelles), mais c’est également vrai pour la température. D’abord par ses valeurs
basses pour les gels d’hiver, de printemps ou d’automne, à des stades phénologiques
particulièrement sensibles de la culture. Ensuite par les températures élevées : la fréquence des
températures dépassant les 30, 35 ou même 40 °C suivant les zones géographiques, est prévue
comme devant fortement s’élever, et la tolérance des écosystèmes agricoles est bien mal connue.
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L’intégration de ces composantes conduit à la tendance globale suivante : si les régions
tempérées peuvent s’attendre à des effets tantôt positifs, tantôt négatifs sur le rendement, le
changement climatique aura quasi-systématiquement des effets négatifs dans les zones
tropicales. C’est effectivement ce qui ressort du grand nombre d’études consacrées aux
projections de l’impact du réchauffement climatique sur l’agriculture à l’échelle mondiale (voir
Easterling et al., 2007 dans le 4ème rapport de l’IPCC, et Porter et al., 2014 pour l’actualisation des
connaissances dans le plus récent 5ème rapport). Bien évidemment, c’est à la première catégorie
que l’on sera confronté dans nos contrées de l’hémisphère nord, mais le sort a priori peu enviable
des producteurs des régions (déjà !) chaudes doit être aussi pris en considération pour le contexte
géoéconomique du futur.
L’adaptation : changer sur place… ou se déplacer ?
Les projections disponibles sont essentiellement basées sur des simulations à partir de modèles
informatiques des cultures (voir l’exemple de Brisson et Levrault, 2010 pour le cas de la France),
en considérant implicitement les systèmes tels qu’ils sont pratiqués actuellement. Une marge
appréciable d’adaptation, également quantifiable par l’utilisation des mêmes modèles de culture,
apparaît possible en mobilisant l’expertise agronomique au sens large (recours au matériel
génétique approprié, mise au point d’itinéraires techniques adaptés, ajustement de la fertilisation et
de l’irrigation, prise en compte des effets sur la santé des plantes, etc..).
De façon générale, on peut estimer que l’adaptation des grandes cultures pourrait s’effectuer sans
trop de problèmes, dans la mesure où les années passées ont montré, dans le cas de la France, la
capacité des agriculteurs à les faire évoluer rapidement en fonction des contraintes de tous ordres.
Il faut cependant relativiser cette vision optimiste sur une capacité d’ajustement rapide (quelques
années), en soulignant une fois de plus les incertitudes actuelles des scénarios du futur sur la
pluviométrie et le bilan hydrique, et ceci joue particulièrement pour la prairie et l’élevage. Pour les
cultures pérennes, si le diagnostic reste identique dans ses grandes lignes, la capacité
d’adaptation nécessite de prendre en compte une durée plus longue, de l’ordre de dix à vingt
années. D’ores et déjà, devant les évolutions constatées du calendrier (avancée des stades
phénologiques, par exemple de la floraison pour les arbres fruitiers, ou de la date des vendanges
et des moissons, pouvant atteindre jusqu’à deux à trois semaines), on a pu constater une
interrogation généralisée des acteurs de terrain sur le choix du matériel végétal adapté.
Par ailleurs, il faut évidemment envisager un déplacement géographique des cultures pratiquées,
en accord avec celui de leurs potentialités. A l’heure actuelle, il n’apparaît pas encore de signe
tangible d’évolution, y compris sur le territoire français alors que, dans ce cas, le réchauffement
observé de l’ordre de 1 °C équivaut à un déplacement vers le nord de l’ordre de 180 km ou en
altitude de l’ordre de 150 m. Ce qui traduit la plasticité des systèmes de production, mais jusqu’où
ou jusqu’à quand ? Que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord, mais évidemment avec des
nuances très diverses, on peut légitimement envisager l’éventualité de la remontée vers le nord ou
en altitude de certaines cultures, ou l’introduction de nouvelles cultures au sud. Pour celles-ci, c’est
plutôt la menace sur la ressource en eau qui représente le déterminant essentiel: si la tendance
des scénarios à une diminution de la pluviométrie estivale et/ou l’augmentation de la demande en
eau des cultures est confirmée dans le futur, elle pourrait entraîner un recours accru à l’irrigation,
dans un contexte de compétition accrue sur l’utilisation de l’eau entre les différents utilisateurs.
Dans l’hypothèse de déplacements géographiques, la nature du lien avec le caractère local jouera
un grand rôle, la notion de terroir impliquant évidemment un risque de fragilité particulière par
rapport à une évolution du climat (Seguin et Garcia de Cortazar, 2005). Si l’adéquation à la stricte
typicité traditionnelle parait encore pouvoir être assurée pour un échauffement modéré (2 à 3 °C),
en conjuguant des efforts sur le mode de conduite et le microclimat, elle paraît difficilement
possible au-delà.
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Une vision plus large
Le changement climatique ne sera évidemment pas le seul facteur déterminant de l’agriculture du
futur. Son impact climatique sera hautement systémique, et il dépendra avant tout de l’action de
l’homme. Pour chaque écosystème agricole, dans chaque filière, une cascade de répercussions
doit être envisagée sur les modes d’utilisation des terres, sur les besoins en eau, sur la qualité des
sols, sur la pression de ravageurs des cultures (insectes, maladies, etc.), sur les besoins en
intrants et en énergie, sur l’origine, la qualité et la typicité des produits. Il faudra aussi prendre en
compte tout particulièrement les rétroactions sur les émissions de gaz à effet de serre (GES), sur
les ressources naturelles et sur la biodiversité. Les dynamiques socio-économiques sont difficiles à
prévoir à court terme, mais elles seront fortement structurées à long terme par des tendances
lourdes, comme l’augmentation de la population mondiale, la raréfaction des énergies fossiles, des
matières premières et des ressources naturelles. Selon le scénario du futur considéré, l’équilibre
entre offre et demande alimentaire mondiale, la malnutrition, les tensions sur les ressources et
l’intensité de la réduction des émissions anthropiques de GES peuvent varier considérablement
(Schmidhuber et Tubiello, 2007).
Références
Brisson, N., et Levrault, F. 2010. Le livre d’or du projet Climator, ADEME Ed., 336 p.
Easterling, W., Aggarwal, P., Batima, P., Brander, K., Erda, L., Howden, M., Kirilenko, A., Morton,
J., Soussana, J., F., Schmidhuber, J., Tubiello, F.N. 2008. Food, fibre, and forest products in
"Climate Change 2007: Climate Change Impacts, adaptations and vulnerability, IPCC Working
Group II", Cambridge University Press, 273-314.
Porter, J., Xie,L., Challinor, A., Cochrane, K., Howden, M., Iqbal, M.M., Lobell, D., Travasso, M.I.
2014. Food security and food production systems in "Climate Change 2014: Climate Change
Impacts, adaptations and vulnerability, IPCC Working Group II", Cambridge University Press, à
paraitre.
Schmidhuber, J., et Tubiello, F.N., 2007, Proceedings of the National Academy of Sciences, 104,
19703-19708.
Seguin ,B., et Garcia de Cortazar,I. 2005. Acta horticulturae 689, 61-71
Seguin, B. 2010. Coup de chaud sur l’agriculture, ed. Delachaux et Niestlé, 224 p.
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