CRAAQ – Colloque Fertilisation, agriculture de précision et agrométéorologie 2
L’intégration de ces composantes conduit à la tendance globale suivante : si les régions
tempérées peuvent s’attendre à des effets tantôt positifs, tantôt négatifs sur le rendement, le
changement climatique aura quasi-systématiquement des effets négatifs dans les zones
tropicales. C’est effectivement ce qui ressort du grand nombre d’études consacrées aux
projections de l’impact du réchauffement climatique sur l’agriculture à l’échelle mondiale (voir
Easterling et al., 2007 dans le 4ème rapport de l’IPCC, et Porter et al., 2014 pour l’actualisation des
connaissances dans le plus récent 5ème rapport). Bien évidemment, c’est à la première catégorie
que l’on sera confronté dans nos contrées de l’hémisphère nord, mais le sort a priori peu enviable
des producteurs des régions (déjà !) chaudes doit être aussi pris en considération pour le contexte
géoéconomique du futur.
L’adaptation : changer sur place… ou se déplacer ?
Les projections disponibles sont essentiellement basées sur des simulations à partir de modèles
informatiques des cultures (voir l’exemple de Brisson et Levrault, 2010 pour le cas de la France),
en considérant implicitement les systèmes tels qu’ils sont pratiqués actuellement. Une marge
appréciable d’adaptation, également quantifiable par l’utilisation des mêmes modèles de culture,
apparaît possible en mobilisant l’expertise agronomique au sens large (recours au matériel
génétique approprié, mise au point d’itinéraires techniques adaptés, ajustement de la fertilisation et
de l’irrigation, prise en compte des effets sur la santé des plantes, etc..).
De façon générale, on peut estimer que l’adaptation des grandes cultures pourrait s’effectuer sans
trop de problèmes, dans la mesure où les années passées ont montré, dans le cas de la France, la
capacité des agriculteurs à les faire évoluer rapidement en fonction des contraintes de tous ordres.
Il faut cependant relativiser cette vision optimiste sur une capacité d’ajustement rapide (quelques
années), en soulignant une fois de plus les incertitudes actuelles des scénarios du futur sur la
pluviométrie et le bilan hydrique, et ceci joue particulièrement pour la prairie et l’élevage. Pour les
cultures pérennes, si le diagnostic reste identique dans ses grandes lignes, la capacité
d’adaptation nécessite de prendre en compte une durée plus longue, de l’ordre de dix à vingt
années. D’ores et déjà, devant les évolutions constatées du calendrier (avancée des stades
phénologiques, par exemple de la floraison pour les arbres fruitiers, ou de la date des vendanges
et des moissons, pouvant atteindre jusqu’à deux à trois semaines), on a pu constater une
interrogation généralisée des acteurs de terrain sur le choix du matériel végétal adapté.
Par ailleurs, il faut évidemment envisager un déplacement géographique des cultures pratiquées,
en accord avec celui de leurs potentialités. A l’heure actuelle, il n’apparaît pas encore de signe
tangible d’évolution, y compris sur le territoire français alors que, dans ce cas, le réchauffement
observé de l’ordre de 1 °C équivaut à un déplacement vers le nord de l’ordre de 180 km ou en
altitude de l’ordre de 150 m. Ce qui traduit la plasticité des systèmes de production, mais jusqu’où
ou jusqu’à quand ? Que ce soit en Europe ou en Amérique du Nord, mais évidemment avec des
nuances très diverses, on peut légitimement envisager l’éventualité de la remontée vers le nord ou
en altitude de certaines cultures, ou l’introduction de nouvelles cultures au sud. Pour celles-ci, c’est
plutôt la menace sur la ressource en eau qui représente le déterminant essentiel: si la tendance
des scénarios à une diminution de la pluviométrie estivale et/ou l’augmentation de la demande en
eau des cultures est confirmée dans le futur, elle pourrait entraîner un recours accru à l’irrigation,
dans un contexte de compétition accrue sur l’utilisation de l’eau entre les différents utilisateurs.
Dans l’hypothèse de déplacements géographiques, la nature du lien avec le caractère local jouera
un grand rôle, la notion de terroir impliquant évidemment un risque de fragilité particulière par
rapport à une évolution du climat (Seguin et Garcia de Cortazar, 2005). Si l’adéquation à la stricte
typicité traditionnelle parait encore pouvoir être assurée pour un échauffement modéré (2 à 3 °C),
en conjuguant des efforts sur le mode de conduite et le microclimat, elle paraît difficilement
possible au-delà.