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Café géographique du jeudi 20 mars 2008
Réchauffement climatique :
du développement durable à la décroissance ?
Frédéric DURAND est Maître de conférences en géographie à l’Université de
Toulouse II - Le Mirail et membre du Centre CNRS Asie du Sud-Est, équipe Lasema. Il
travaille notamment sur Timor, l’Indonésie et l'Asie du Sud-Est, mais aussi sur la question du
développement : son ouvrage "La décroissance : rejet ou projets, croissance et développement
durable en questions" vient de sortir en mars 2008 (Editions Ellipses).
INTRODUCTION
C’est aujourd’hui le premier jour du printemps : alors que le refrain populaire tente de nous
convaincre « qu’il n’y a plus de saisons », le calendrier les rythme avec constance. C’est sur
une idée que nous avons articulé les deux thèmes « réchauffement climatique et
développement durable/décroissance ». Envisagée sous cet angle, la question est doublement
polémique ; en ce qui me concerne, elle coïncide au parcours de mes activités de recherche.
En effet j’ai été conduit à travailler sur la décroissance à partir de recherches menées sur le
réchauffement climatique.
I DÉVELOPPEMENT DURABLE ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE ?
En préambule, je citerai Edgar Morin qui écrivait en 1981, dans un ouvrage qui s’intitulait
« Pour en finir avec le 20° siècle » :
«…le monde va-t-il imperturbablement vers le développement et le progrès à travers
seulement soubresauts temporaires et crises locales ou bien, les idées de progrès et de
développement nous ont-elles égarées et nous conduisent-elles au désastre ? …»
Il y a 25 ans, Edgar Morin s’interrogeait sur les effets du « développement » et des traces
laissées par « le progrès ».
En 2003, le Monde publiait un article du même Edgar Morin qui énonçait que : « L’idée de
développement même réputé durable donne pour modèle notre société en crise, celle
même qu’il faudrait réformer, elle empêche le monde de trouver des formes d’évolution
autres que celles calquées sur l’Occident ». Ainsi, après avoir constaté un certain nombre de
dysfonctionnements, des auteurs comme Edgar Morin, Yvan Ilitch, Serge Latouche, Albert
Jacquart, René Passet, Gilbert Ris et un nombre croissant de chercheurs remettent en question
notre modèle de société.
En 2008, le Président de la République avance dans les médias le principe d’une « politique
de civilisation » qui viserait à conserver les bienfaits de la civilisation occidentale en se
débarrassant des maux qu’elle génère ! Mais en même temps, il sollicite Jacques Attali en vue
d’un rapport qui donnerait les clés de la croissance, allant dans le sens de « toujours plus de
libéralisme et d’abandon du principe de précaution ».
Confrontée à ces contradictions, notre société apparaît de plus en plus schizophrène :
soucieuse à la fois des problèmes d’environnement mais en même temps fortement
préoccupée par la croissance et notamment par la croissance économique.
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Confrontés à cette notion de croissance économique quatre grandes objections s’imposent :
1. Il n’y a pas de croissance infinie dans un monde fini ; une croissance infime engendre
des conséquences éminemment néfastes. L’objectif actuel de croissance est de 2% (taux
qui peut paraître faible) or 2% de croissance suppose une multiplication par deux de la
production en 35 ans. Atteindre des taux similaires à ceux d’un pays comme la Chine
(10% de croissance) signifierait doubler en 8 ans non seulement notre production mais
aussi d’une certaine manière les nuisances et notamment les pollutions. Des taux de
croissance même « faibles » (2 à 3%) représentent à terme des croissances
exponentielles qui ne sont pas supportables dans un monde fini.
2. La croissance et le développement sont des menaces sur le « vivant ». Notre planète
est en train de vivre la sixième grande phase de disparition des espèces ; la dernière,
remontant à 65 millions d’années, était la conséquence des actions conjuguées de
changements climatiques et du choc d’une météorite ; aujourd’hui, par ces incidences sur
le milieu, la civilisation humaine agit comme une force géologique capable de produire
des effets similaires.
3. La croissance et le développement font peser une menace sur la diversité des sociétés.
En effet, le seul modèle d’une société dite « développée » serait celui d’une société de
production et de consommation de masse ; les mesures du type « empreintes
écologiques » montrent pourtant que, si l’ensemble des habitants de la planète
consommait comme les Américains ou même comme les Européens, quatre ou cinq
planètes seraient nécessaires pour faire face à la demande.
4. La quatrième critique repose sur la notion d’entropie qui rappelle que les systèmes
organisés tendent à devenir avec le temps, de moins en moins stables et organisés. Elle
ramène aussi directement le débat vers le sujet du réchauffement climatique à savoir que
« la chaleur ne s’écoule d’elle-même que du corps le plus chaud vers le corps le plus
froid ». Cela pose problème est l’accroissement de la quantité des gaz à effet de serre qui
piègent cette énergie solaire et qui entraînent un réchauffement global de la Terre.
Il y a une quinzaine d’années ces deux questions du développement durable et du
réchauffement climatique étaient abordées sous un angle relativement positif. Suite au
Protocole de Kyoto, le concept des « puits de carbone », se présentant comme des réservoirs
naturels piégeant les concentrations élevées de CO2 atmosphérique, avait conduit les
chercheurs vers des solutions qui se sont avérées rapidement biaisées. On avait imaginé
qu’il suffisait de planter des arbres pour, à la fois, lutter contre la déforestation, contre la
« pauvreté » de certains pays dits « en développement » et contre le réchauffement
climatique. Ces politiques de reboisement devaient résoudre ces problèmes de l’épuisement
des forêts et du réchauffement, mais le discours scientifique a très rapidement mis à mal.
Les forêts tropicales ont été présentées par certains comme « en équilibre », ne captant plus
de carbone. Considérées comme « inutiles », certaines de ces forêts ont été coupées pour
planter des espèces à croissance rapide comme l’eucalyptus ou l’acacia. En conséquence au
lieu d’aboutir à la reforestation de ces espaces fragiles on a assisté à une sorte
d’instrumentalisation du réchauffement climatique qui revenait à couper des forêts denses
pour en exploiter le bois et en tirer des bénéfices au nom du reboisement et de la lutte contre
l’effet de serre et notamment de l’application du Protocole de Kyoto. Une telle
instrumentalisation de ces phénomènes sur l’environnement est grave et interpelle le
chercheur.
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Par delà les discours laudatifs relatifs aux Européens qui tentent de promouvoir le Protocole
de Kyoto, on estime que les engagements quantitatifs préconisés dans ce protocole ne
correspondraient qu’à 3% de l’effort nécessaire pour résoudre le problème du réchauffement
climatique. Le chiffrage de ce protocole, qui, par ailleurs, apparaît comme extrêmement
contraignant, a résonné mondialement alors que les Américains refusant de l’appliquer
étaient soumis à l’opprobre général, on prenait conscience combien sa part dans la lutte
contre le réchauffement climatique était minime.
Cela dit, la position américaine, même si elle apparaît cynique voire même très risquée au
vu des conséquences à venir, n’en est pas moins cohérente : le Protocole de Kyoto n’étant
pas appelé à résoudre le problème, vu son coût, il apparaît inutile d’investir dans une
opération qui de toutes façons ne changera pas significativement le problème.
II – LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE
C’est un sujet controversé. Quand on parle de changement climatique il faut distinguer 4
grands phénomènes :
1 Les variations de températures depuis plusieurs milliards d’années qui ont des
causes multiples (solaire, tectonique, volcanique, biologique…) ;
2 La succession d’époques glaciaires tous les 100 000 ans depuis environ deux
millions d’années, avec des interglaciaires chauds comme on en connaît sur Terre
depuis 12 000 ans, largement dus à des phénomènes astronomiques ;
3 La variabilité au sein d’un interglaciaire, surtout lié à des fluctuations de l’activité
solaire ou volcanique, pouvant amener des périodes chaudes (Optimum médiéval)
ou de petits âges glaciaires (cf. Le Roy-Ladurie) ;
4 L’impact du rejet des gaz à effet de serre (et notamment du CO2) sur
l’échauffement de la température planétaire.
Ces 4 phénomènes sont clairement identifiés et validés scientifiquement. Cependant, c’est de
leur amalgame que découlent des discours semant la confusion sur le rôle de l’homme. Un
argument souvent avancé remet en question le quatrième phénomène qui serait présenté
comme un discours « catastrophiste ». Or le rôle des gaz à effet de serre a été découvert au
18° siècle ! L’impact d’une augmentation du CO2 atmosphérique est calculé dès 1896 par le
Prix Nobel de chimie, le suédois Svante Arrhenius : il démontre que le doublement de la
concentration en CO2 provoquerait un réchauffement de la Terre de 4 à 6°C. Or à l’époque on
considérait que ce phénomène était une bonne chose pour la conquête de nouveaux espaces
agricoles, qui permettrait la colonisation des terres du Grand Nord canadien et de la Sibérie.
On pensait alors que cette expansion agricole faciliterait la lutte contre la famine et
favoriserait une meilleure productivité végétale.
Si ces raisonnements nous paraissent aujourd’hui très naïfs, les études ultérieures, avec des
moyens de plus en plus performants, ont confirmé l’ordre de grandeur du réchauffement
envisagé dès 1896. En 2007, le GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution
du Climat) avance des chiffres relativement précis : un doublement par rapport au niveau
préindustriel se traduirait par une hausse de 3,2 à C. La concentration en CO2 atteint 385
ppm (parties par million) en 2007 et augmente en moyenne de 2,4 ppm/an. Or il y a un large
consensus scientifique pour reconnaître qu’au-delà d’un accroissement des températures
moyennes terrestres de C les conséquences seraient graves. Pour être sûr de ne pas les
dépasser il faudrait rester en dessous de 400 ppm, un niveau que l’on devrait atteindre d’ici
2015, dans moins de 8 ans.
Pour limiter le réchauffement, il faudrait diviser par 2 la production de gaz à effet de serre à
l’échelle de la planète, ce qui veut dire une division par 4 ou 5 pour l’Europe ou le Japon et
par 8 ou 10 pour les Etats-Unis. On prend la mesure de l’ampleur des efforts si on souhaite
renverser la tendance.
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Y-a-t-il vraiment polémique ?
Il existe quelques polémistes sur la question, notamment Claude Allègre qui avance les 3
arguments suivants :
« …je doute que le gaz carbonique d’origine anthropique soit l’unique responsable du
changement climatique, je crois que les causes sont multiples… » : certes d’autres
facteurs interviennent comme le soleil, mais personne n’en disconvient, y compris les
tenant d’une cause majoritairement anthropique.
Deuxième argument : « … j’ai peine à croire que l’on puisse prédire avec tant de
précision le temps qu’il fera dans un siècle alors qu’on ne peut pas prévoir celui qu’il
fera dans une semaine…. » Cette phrase illustre la confusion faite entre météorologie
et climatologie ; personne ne prétend pouvoir prédire « avec précision » le temps qu’il
fera dans un siècle. Mais cela n’empêche pas de pouvoir prédire de grandes
conséquences climatologique à l’échelle de la planète.
Troisième argument « …je ne pense pas que la notion de température moyenne de la
terre soit un paramètre valable pour décrire un climat tant la variabilité
géographique est considérable… » Tout le monde est d’accord pour reconnaître
qu’une augmentation moyenne ne donne qu’une indication ; toutefois une entente
existe entre tous les climatologues pour admettre que ces variations seront importantes
et qu’elles se traduiront par des zones l’on constatera un refroidissement alors
qu’ailleurs des réchauffements importants seront enregistrés et ce notamment dans
l’hémisphère nord. Claude Allègre poursuit « …je pense et je répète que les émissions
de CO2 ne sont pas une bonne chose pour l’atmosphère… l’urgence pour la France et
pour l’Europe, ce n’est pas la réduction soudaine des émissions de CO2 car le prix à
payer sur le plan économique et social serait trop grand… » On a affaire ici à un
argument économique qui porte d’autant plus que l’on n’a aucune indication sur
l’attitude future des Etats-Unis, de la Chine et de l’Inde. « …dans ce cadre la
proposition de la Commission Européenne de duire les émissions de CO2 de 20%
en 20 ans est à mon avis une excellente proposition à laquelle j’adhère … »
Réduire les émissions de CO2 de 20% en 20 ans est une réduction quatre fois plus importante
que celle préconisée en 1997 dans le Protocole de Kyoto, Claude Allègre considère donc cette
affaire comme sérieuse. La question que l’on se pose est : pourquoi ne va-t-il pas plus loin ?
Le principal argument avancé est un calcul économique ; comme les Américains, il pense que
le coût en serait trop élevé pour les résultats attendus. Ce qui montre bien que le débat ne
porte pas tant sur l’origine et les causes du réchauffement climatique (il y a très large
consensus scientifique) que sur les moyens à mettre en œuvre pour réduire les gaz à effet de
serre.
Des prises de décisions s’imposent et les déclarations des politiques se multiplient pour
demander que des efforts soient entrepris.
s 2005 au G8 de Gleneagles (Royaume Uni), les représentants des onze académies des
sciences (Allemagne, Chine, France, Inde, Japon, R.U, Russie, USA, etc.) adjurent toutes les
nations d’entreprendre rapidement des actions pour réduire les causes du changement
climatique. En 2007, l’AGU (Union Géologique Américaine), qui compte plus de 50 000
chercheurs dans 137 pays, adopte une résolution soutenant les conclusions du GIEC sur la
cause majoritairement anthropique du réchauffement : pour ne pas dépasser le seuil critique
de plus de 2°C, il faut réduire nos émissions de gaz à effet de serre de plus de 50%, c’est-à-
dire bien plus que ce qui demandé par le protocole de Kyoto.
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En 2003 J.P. Raffarin déclare devant le GIEC : «.Les objectifs sont connus, ils sont précis. Il
s’agit de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre avant 2050 à l’échelle de la
planète. Pour nous pays industrialisés, cela signifie une division par quatre ou par cinq… »
Suite à cette déclaration un groupe de travail associant deux ministères de l’Economie et de
l’Environnement est mis en place : Facteur 4 ; il vise à diviser les émissions de gaz à effet de
serre par 4 d’ici 2050, mais la réalité est inquiétante : on ignore comment réduire les gaz à
effet de serre sans réduire en même temps la croissance.
Certaines études en cours ont tenté de modéliser à l’échelle française des procédures pour
obtenir une réduction par 4 des émissions de gaz à effet de serre. Trois types d’actions :
Appliquer toutes les solutions de réductions connues, c’est-à-dire améliorer l’isolation,
utiliser des appareils électriques moins consommateurs, etc.
Développer l’innovation technique qui permettra de régler un certain nombre de problèmes.
Transformer les modes de vie, c’est le paramètre le plus conflictuel dont on ne peut pas faire
l’économie.
III LA DÉCROISSANCE
1 - Combattre des idées reçues : six ont été retenues.
Beaucoup de pays du Sud sont en situation difficile, on ne peut pas leur
demander de décroître. Il n’est pas question d’arrêter la croissance dans les pays du
Sud. La priorité d’une décroissance s’applique en premier lieu aux pays du Nord
sachant que 20% de la population mondiale consomme plus de 80% des ressources de
la planète. La mise en œuvre d’une nouvelle politique remettant en question les abus
du Nord permettrait aux pays du Sud d’accéder à un « mieux vivre ».
Notre mode de vie n’est pas négociable : on ne peut pas changer. C’est
l’argumentation d’une économie ultra libérale. On a pris l’habitude d’un confort de vie
qu’il est difficile de remettre en question. L'économiste anglais Nicholas Stern a
publié en 2006 une étude indiquant que le réchauffement climatique pourrait coûter
d’ici 2050 plus de 20% de PNB mondial, soit l’équivalent des effets de la crise de
1929 et des deux guerres mondiales réunies : ce serait un effondrement du monde
démocratique.
« On ne peut pas revenir à la bougie » donc on ne pourrait pas décroître et on
devrait continuer. Il ne s’agit pas de revenir à la bougie. Pour que le niveau des
émissions de gaz à effet de serre durables n’ait pas un impact sur le réchauffement
climatique, il faudrait qu’il revienne à celui des années 1960 ! En outre, on peut
intégrer des innovations techniques survenues depuis. Ce n’est donc pas un « retour en
arrière », mais la construction d’un autre mode de vie, tenant vraiment compte des
limites environnementales.
La science va nous sauver. Trois révolutions scientifiques seraient nécessaires dans
les prochaines décennies :
Une « révolution énergétique » qui permettrait de remplacer les hydrocarbures par
des énergies non-polluantes.
Une nouvelle « révolution agricole » qui permettrait de nourrir les 9 milliards
d’hommes en 2050 sur la planète.
Une « révolution plus globalement technique » qui réussirait à pallier les problèmes
d’épuisement des ressources naturelles, des pollutions et de la durée d’exploitation des
ressources en eau.
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