Identification d`un embryon humain - Le site de Benoit Bayle

Benoît Bayle, Psychologie, grossesse et naissance. http://benoit.bayle1.free.fr/
Identification d’un embryon humain
par Benoît Bayle
Université de Moncton (Canada), session de formation
à l’éthique médicale, septembre 2004
Pour ne pas prêter à confusion, je préfère commencer cet exposé en
précisant d’emblée que le terme d’« identification » est entendu ici dans son
sens le plus large, et non dans le sens psychologique auquel certains d’entre
nous sont peut-être habitués : identification signifie tout simplement « l’action
d’identifier ». Comment identifions-nous l’embryon humain ?
Trois aspects vont ainsi retenir notre attention. En effet, identifier
l’embryon humain a d’abord consisté à déterminer son corps biologique, sa
matérialité. Cette première étape a recouvert de nombreux siècles et n’a pas
seulement amené l’homme à comprendre le mystère de sa conception, mais
aussi à intervenir sur celle-ci. Parallèlement, les philosophes puis les théologiens
se sont interrogés sur l’âme de l’embryon. Cependant, au fur et à mesure que
l’attention s’est concentrée sur ces découvertes biologiques, la question de
l’animation de l’embryon humain s’est effacée et l’intervention sur l’embryon
humain est devenue un enjeu majeur pour la science comme pour la société,
concourant à la fois à la compréhension cellulaire de notre corps et à la maîtrise
de la procréation.
Ces interventions biomédicales autour de la procréation de l’être humain
ont alors entraîné une véritable révolution conceptionnelle qui repose
notamment sur une logique de surproduction, de surconsommation et de
sélection des embryons humains. Les embryons humains sont surproduits et
détruits en masse, ils sont aussi « sélectionnés » selon divers critères. Ce
nouveau rapport social à l’embryon marque notre capacité à identifier celui-ci:
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d’un côté, l’embryon humain tend à devenir objet d’expérimentation, et son
identification matérielle, biologique, s’en trouve facilitée ; d’un autre côté, la
réification de l’embryon obscurcit notre capacité à identifier l’embryon humain
au niveau philosophique, tant éthique qu’ontologique. Dans la deuxième partie
de mon intervention, je montrerais donc que les conditions sociologiques
actuellement réunies autour de l’embryon humain sont peu favorables à son
identification ontologique.
Enfin, la troisième partie, la plus importante, sera consacrée à
l’identification psychologique de l’embryon humain, voie qui constitue à mon
avis une occasion privilégiée de surmonter les difficultés évoquées.
I La lente identification du corps biologique de l’embryon
humain : rappel historique
1.1 De l'antiquité au XVIIème siècles: l'observation des liquides
Trois périodes historiques, d’inégales durées, se succèdent et permettent
de mieux comprendre la lente identification du corps biologique de l’embryon
humain. La première époque s’étend de l’Antiquité jusqu’au dix-septième siècle.
Médecins et philosophes tentent de penser la conception biologique de l’être
humain à partir de l’observation macroscopique des liquides procréateurs. Trois
grandes figures de l’Antiquité dominent les débats : Hippocrate, Aristote et
Galien. L’influence de leur travaux s’exerce jusqu’à la Renaissance, sinon
jusqu’au dix-septième siècle.
A la différence d’autres traditions qui considèrent la femme comme un
champs se développe la semence déposée par l'homme, qui ainsi, est seule à
se continuer dans l'enfant, Hippocrate, Aristote et Galien admettent à juste titre
que les deux semences parentales, masculines et féminines, participent à la
génération. Cependant, leur vision de la procréation humaine reste erronée sur
bien des points. En effet, ils observent les semences à l’œil nu : ils en ont une
vision macroscopique. Ils attribuent aisément le pouvoir fécondant masculin au
sperme, mais ils l’envisagent tout naturellement comme un liquide, et non
comme l’émission de cellules reproductives transmettant la vie. L’observation
de la semence féminine s’avère plus difficile encore. Au cours de cette période
étendue, le choix n’a jamais été pertinent : le plus souvent, le sang menstruel
s’est trouvé assimilé à la semence ; ailleurs, ce sont d’autres sécrétions
féminines externes. La notion d’ovule reste inconnue durant de nombreux
siècles. La composition du corps se trouve également envisagée selon la
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physique de l’époque, c’est-à-dire à partir des quatre éléments fondamentaux :
l’air, le feu, la terre et l’eau.
Il est néanmoins remarquable de constater les efforts déployés par les
médecins et les philosophes de l’Antiquité pour appréhender ce sujet en faisant
preuve d’une admirable capacité de réflexion et d’une véritable rigueur, malgré
les errements. Certes, ils pensent la conception de l’être humain à partir de la
réunion de deux liquides, comme le sperme et le sang menstruel, mais ils
cherchent aussi à rendre compte des nombreuses observations qu’ils ont
recueillies, et tentent d’expliquer le développement embryonnaire, les règles de
l'hérédité, la différenciation sexuelle, les monstruosités, etc.
J’illustrerais ce propos en résumant les théories des deux auteurs les plus
marquants : Hippocrate et Aristote, l’un médecin, l’autre philosophe.
Pour Hippocrate (v.460-v.377), la conception de l'enfant a lieu au sein de
la matrice utérine, réceptacle conçu à la manière d'un récipient qui ne doit guère
laisser échapper les liquides. Les semences sont produites grâce au mouvement
des corps lors de l'étreinte amoureuse. L'humeur s'échauffe et forme une écume
qui se pare du corps pour donner le sperme ou le sang menstruel. Les
semences des parents, qui ont même valeur, se mélangent et forment une seule
semence qui en s'échauffant se condense et s'épaissit, prend le souffle de la mère,
gonfle et s'entoure de membranes successives. La chair se divise alors en
membres. L'enfant est formé en trente à quarante jours (selon qu’il s'agit d'un
garçon ou d’une fille). La ressemblance de l'enfant à ses parents est expliquée
par la théorie, alors répandue, de la panspermie. Chaque semence provient de
l'ensemble du corps, dont elle apporte les diverses parties.
Aristote (388-324) écrit son traité sur La génération des animaux vers
330 avant notre ère. Il s'oppose au courant hippocratique sur deux points
essentiels : il assigne un rôle différent aux deux semences, et réfute la théorie de
la panspermie. Fidèle à sa théorie de l’hylémorphisme
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, il pense que le sperme
est animé et transmet le mouvement au sang menstruel contenu dans la matrice.
Il agit comme une présure sur le lait. Quant aux règles, elles sont une semence
imparfaite, dépourvue d'âme ; elles constituent une matière inerte à laquelle le
sperme communique la forme et le principe du mouvement. Le développement
embryonnaire est alors déclenché. Le coeur se forme en premier, car c'est le
principe de l'être, puis les autres parties se différencient sous l'influence du froid
et de la chaleur. Cette vision préfigure la théorie de l’épigenèse.
Ces idées sur la génération issue de l'Antiquité évolueront assez peu
jusqu'au 17ème siècle. Ce qui fait défaut durant ces siècles, c'est une conception
biologique, c'est-à-dire cellulaire, du corps. La composition du corps est pensée
à partir des quatre éléments : la terre, l'eau, le feu et l'air. Ces éléments se
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Tout être comprend une matière et une forme.
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mélangent, et coagulent sous l'effet de la chaleur corporelle ou précipitent par le
froid.
1.2 Du XVIIème au milieu du XXème siècle : observation microscopique
et expérimentation
Les progrès de l’anatomie puis la mise au point du microscope
bouleversent peu à peu cet ordre. Une deuxième période s'ouvre alors, durant
laquelle l'observation microscopique et l'expérimentation jouent un rôle
prépondérant.
Pendant cette période, les partisans de la préformation semblent
l’emporter. Cette théorie envahit la pensée biologique, dès le XVIIème siècle
jusqu'au début du dix-neuvième siècle. Dans cette vue, il n'y a plus de véritable
génération, mais un simple agrandissement, qui fait passer sur le plan visible un
être jusque là trop petit pour être aperçu. Cette théorie renoue ainsi avec une très
vieille tradition, qui avait été battue en brèche par les philosophes et médecins
de l’Antiquité. Les partisans de l’épigenèse existent, mais ils restent en marge.
De grandes découvertes se succèdent qui ne peuvent encore être interprétées
avec justesse. Les théoriciens s’affrontent. Voici quelques dates.
En 1670, Swammerdam et de Graaf rapportent l'existence des follicules
dans les ovaires.
En 1677, Louis de Hamm, aperçoit pour la première fois les
spermatozoïdes humains au microscope : il fait part de sa découverte à Van
Leeuwenhoek qui voit à travers les "animalcules" les véritables germes de
l'homme. La querelle entre les ovistes, partisans du germe maternel, et les
"animalculistes", partisans du germe paternel, éclate.
En 1672, Malpighi publie ses travaux d'embryologie sur le
développement de l'oeuf fécondé, mais ses observations renforcent
paradoxalement l'idée de préformation.
Un siècle plus tard, vers 1780, Spallanzani réussit les premières
fécondations artificielles chez la grenouille et la première insémination
artificielle chez la chienne.
En 1839, Schleiden et Schwann énoncent la théorie cellulaire : "tous les
organismes sont constitués de cellules" ; "chaque cellule possède en elle-même
les attributs du vivant".
En 1850, Newport observe enfin la pénétration du spermatozoïde dans
l'oeuf de grenouille.
Peu à peu, les notions de fécondation et de développement embryonnaire
deviennent intelligibles. L'embryologie progresse. La découverte des
chromosomes a lieu au début du XXème siècle. Durant la seconde guerre
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mondiale, Avery identifie les acides nucléiques comme support de l'information
génétique. Watson et Crick exposent la structure de l'ADN dans un article paru
en 1953.
Le mystère de notre origine biologique est désormais élucidé. Le nouvel
être est issu d'une cellule unique, le zygote, formé par la fusion de deux cellules
sexuelles, l'ovule et le spermatozoïde, respectivement émises par la mère et par
le père. Chaque gamète apporte l'information génétique nécessaire à la
constitution du génome.
1.3 XXème siècle à nos jours : l'intervention sur la scène conceptionnelle
L'intervention sur la procréation humaine connaît alors un essor
considérable. Déjà, à la fin du XVIIIème siècle (en 1799), Hunter avait
appliqué l'insémination artificielle à l'espèce humaine, injectant du sperme à une
femme dont le mari était atteint d'une malformation du pénis (hypospadias).
En 1928, Graffenberg publie le premier article scientifique sur le stérilet.
A la fin des années 50, Pincus expérimente les hormones progestatives
synthétiques dans le contrôle du cycle féminin, et met au point la pilule
contraceptive. Une dizaine d'année plus tard, c'est l'essor de la contraception
hormonale et du stérilet. Ces techniques anticonceptionnelles ou anti-
gestationnelles représentent autant d'interventions sur les gamètes humains ou
sur l'embryon humain. La contraception hormonale bloque l'ovulation, coagule
la glaire cervicale, et modifie la muqueuse utérine qui devient atrophiée. D'un
côté, l'ovule est retenu ; de l'autre, les spermatozoïdes ne peuvent franchir la
barrière du col utérin ; enfin, en cas de conception accidentelle, l'embryon ne
peut pas se développer dans le réceptacle maternel. Quant au stérilet, il s'oppose
surtout à la nidation des embryons dans la muqueuse utérine.
En 1969, Edwards réussit officiellement la première fécondation extra-
corporelle humaine. En 1978, après plusieurs années d'expérimentation, il
obtient la première grossesse humaine menée à terme après fécondation externe
et transfert utérin de l'embryon. Peu à peu, la FIVETE est proposée aux couples.
En 1982, Amandine naît en France, issue d'une fécondation externe menée par
Testart et Frydman. En 1984, Zoé, naît en Australie après fécondation externe,
congélation au stade embryonnaire, décongélation et transfert intra-utérin. A son
tour, la pratique de la congélation embryonnaire s'étend. En 1992, l'on compte
près de 60.000 embryons humains congelés en France. Parallèlement, les
recherches se poursuivent, en particulier sur le diagnostic génétique pré-
implantatoire ou sur la congélation et la culture d'embryons à des stades plus
tardifs. De nouvelles pratiques apparaissent. Les biologistes savent désormais
"assister" la fécondation humaine par diverses techniques de micro-injection,
faisant ainsi pénétrer eux-mêmes le spermatozoïde au sein de l'ovule humain.
Les médias évoquent avec fracas la possibilité de cloner l’œuf humain. Les
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