résistance ou un consentement qui sont actifs »13. Et c’est cette endurance qui fait que dans le
sentir, dans l’expérience pathique, il en va de nous-mêmes, que notre moi est engagé
(Weizsäcker qualifie ainsi le mode d’être des vivants de pathique et de personnel) et que nous
ressortons changés de cette épreuve (Nous apprenons par l’épreuve : pathei mathos, selon le
célèbre vers d’Eschyle). C’est cette idée d’épreuve qu’exprime la racine per*, du terme
expérience, qui signifie « à travers », et le préfixe « ex », qui veut dire « hors de ».
L’expérience est ainsi, comme l’écrit Maldiney dans « La rencontre et le lieu »14« ce que nous
extrayons ou qui ressort, à titre de résultat ou d’acquis d’une traversée (…) », avec tout ce que
cette traversée comprend de dangereux15.
Ainsi, pour Maldiney comme pour Weizsäcker avant lui, l’expérience sensible est
moins Erleben, Erlebnis, expérience vécue, qu’épreuve, Erleiden, avec toute la part de risque
que cette dernière exprime.
La*transpassibilité*:*trait*distinguant*essentiellement*le*sentir*humain*
du*sentir*animal*
Mais Maldiney s’émancipe de Straus et de Weizsäcker, en ce que, selon lui, la
différence du vivant et de l’existant se décèle dès le niveau du sentir (alors que pour Straus,
c’est par l’attitude cognitive du percevoir que l’homme se distingue de l’animal, tandis que
Weizsäcker ne trace pas entre eux de limite stricte, mais conçoit entre eux seulement une
différence de degré). Maldiney réinvestit au contraire la thèse heideggérienne d’une scission
(radicale) entre le vivant et l’existant, et souligne en outre que la transcendance humaine se
manifeste dans sa manière même de sentir. C’est cette transcendance inhérente à notre
réceptivité, qu’exprime la notion de transpassibilité.
L’homme est en effet non seulement à même d’ouvrir son champ de réceptivité, mais
de l’ouvrir au rien. C’est parce que seul l’existant est capable, à même son sentir, de faire
l’expérience de l’étant en tant que tel, et donc du rien en tant que non être, comme le souligne
Maldiney, qu’il est capable de transpassibilité. Contrairement au vivant, qui est incapable
d’en faire l’expérience, de même qu’il ne peut se rapporter à l’étant en tant que tel16. Ce à
13 Ibid., p. 382.
14 Henri Maldiney, « La rencontre et le lieu » in Chris Younès, dir., Henri Maldiney. Philosophie, art et
existence, Paris, Les Éditions du Cerf, 2007, p. 164.
15 « Experior » est lié à « expertus », « experientia », mais aussi « peritus », « periculum », qui signifie d’abord
« essai, épreuve », puis « risque ». Le sanskrit « para », qui marque l’autre côté, donc l’ennemi, la menace,
véhicule la même idée (Henri Maldiney, « À l’écoute de Henri Maldiney » in Chris Younès, Philippe Nys et
Michel Mangematin, dir., L’Architecture au corps, Bruxelles, Ousia, 1997, p. 14).
16 Cet en tant que n’est pas, bien entendu, le fruit d’un acte thématisant, objectivant, mais une explicitation de la
compréhension, une compréhension explicitante dit Heidegger. L’en tant que considéré ici est herméneutique-
existential, antéprédicatif (il est la condition de possibilité de la prédication). Cf Martin Heidegger, Être et temps,
1976, trad. François Vezin, Paris, nrf Gallimard, 1986, §32, pp. 193-199. Dans la préoccupation, j’appréhende
d’emblée tel étant comme maison (c'est-à-dire endroit où habiter), comme table (endroit où manger) sans que
ceci passe par une explicitation thématisante, par un énoncé (où l’en tant que est apophantique, prédicatif et