
plus étroite que ne laisse suggérer le titre de son livre et ignore toute
une série de disciplines couvertes par ces départements, pour se
concentrer sur l’islamisme et l’islam politique. Il nous faut noter aupa-
ravant que Martin Kramer a probablement un agenda politique bien
déterminé. Sa double appartenance israélo-américaine et la publica-
tion de son livre par une institution très proche des milieux pro-
Likoud peuvent soulever de sérieuses réserves quant à l’objectivité de
son analyse. De plus, Kramer vient de créer sur Internet un site9ayant
pour objectif la dénonciation de tous les professeurs critiquant Israël
et la politique des Etats-Unis. Un nouveau maccarthysme académique
est en place accompagnant l’influence israélienne dans tous les
rouages de l’administration américaine. Nous avons malgré cela
décidé de le citer en tout état de cause car une partie de ses critiques
rejoint les nôtres, même si les objectifs diffèrent et que nous ne parta-
geons pas ses conclusions. En fin de compte, Kramer n’est qu’une
version de l’orientaliste décriée par Saïd dans laquelle on peut aussi
classer tous les post-orientalistes.
Selon Kramer, la prolifération des chaires de l’islam est le résultat
pervers de la critique de l’orientalisme10 développée par Edward
Saïd11, éminent professeur de littérature comparée à la prestigieuse
université de Columbia. Jusqu’à la parution du livre de Saïd, l’orien-
talisme était défini comme l’ensemble des études académiques dans la
tradition européenne sur le monde arabo-islamique. Depuis, et grâce
à la virtuosité de Saïd dans son maniement de la polémique, l’orien-
talisme a été redéfini dans le sens d’une idéologie de la suprématie et
de la différence, promue par l’Occident pour justifier sa domination
de l’Orient. Selon lui, l’orientalisme n’est qu’un racisme subtil basé
sur l’européo-centrisme des experts12. L’objet de notre étude n’est pas
de procéder à l’analyse de sa thèse mais de montrer les effets pervers
qu’elle a entraîné sur les études du Proche-Orient. Le sous-titre du
livre de Kramer est en ce sens particulièrement révélateur, à savoir
L’Echec des Etudes Moyen-Orientales aux Etats-Unis. Selon ce dernier,
ces études durant les vingt dernières années ont été des usines à fabri-
quer de l’erreur13. Les spécialistes, aveuglés par leurs préjugés et des
habitudes bien ancrées, n’ont pu anticiper l’avènement des crises
majeures qui ont secoué le Proche-Orient14. Leur peur de se voir
accuser d’orientalisme les a amenés à une complaisance vis-à-vis de
l’islamisme et de l’islam politique qui les a empêchés de voir le danger
qu’ils constituent. De plus, selon Kramer, une espèce de diktat inter-
disant toute critique des mouvements islamiques sous le risque d’être
CONFLUENCES Méditerranée - N° 44 HIVER 2002-2003
120