Quelles perceptions du changement climatique par les professionnels Etienne Neethling1,2, Geneviève Teil3, Gérard Barbeau2 1LETG‐COSTEL, UMR 6554 CNRS, Université Rennes 2, Rennes 2INRA UE 1117, Unité Vigne et Vin, UMT Vinitera², Beaucouzé 3INRA UMR 1048 SADAPT, AgroParisTech • Etat de l’art • Enquêtes au niveau d’AOC (producteurs) ‐ G. Barbeau; E. Neethling • Enquêtes au niveau de Bassins de production (vignerons, responsables professionnels, prescripteurs, …) ‐ G. Teil Etat de l’art - Enquête internationale PIK (2002) Battaglini et al. 2009. European winegrowers’ perceptions of climate change impact and options for adaptation (Regional Environmental Change) • Allemagne (70), Italie (72), Afrique du Sud (23), France (113), dont : Val de Loire (57), Côtes du Rhône (35), Bordelais (18) • 85% ont noté un changement climatique • Principaux éléments cités en tant que changement perçu • • • • Augmentation périodes de sécheresses / sécheresse estivale Températures plus élevées Augmentation de pluviométrie / inondations Automnes et Hivers plus chauds • Principaux effets perçus sur la vigne • Avancée des stades phénologiques • Effets sur quantité, qualité des baies et les maladies, • Position différente des pays quant aux stratégies d’adaptation / lien avec réglementations en vigueur Etat de l’art – Enquête nationale IFV (2009) Rochard et al. 2010. Evolution du climat et viticulture. Analyse de la perception des professionnels et des experts. (Congrès OIV) • France (242) dont PdL (19%), PACA (14%), Midi‐Pyrénées (13%), Aquitaine (12%) • Plus de 50% estiment que les changements significatifs sont apparus au cours des quinze dernières années. • Principaux éléments cités en tant que changement perçu – augmentation de la sécheresse / accentuation des conditions de stress hydrique (71%) – variation de fréquence des orages et pluies intenses (65%) – Aucune variation concernant la fréquence de grêle (50%) – Faible incidence sur l’apparition du gel de printemps • Principaux effets perçus sur la vigne • • • • • • Augmentation du taux de sucre (de + 0,5 à 2°) Précocité des dates de vendanges (de + 8 à 11 j) Modifications du processus de maturation Raccourcissement du cycle Diminution du taux d’acidité (de 0 à – 0, 9g/L) impact significatif sur les maladies et parasites (65%) Enquêtes locales approfondies, indépendantes Site d’étude Effectifs Objectif Méthode 1. Enquête (2011) 2. Enquête (2012) 3. Enquête (2013) Anjou et Saumur Coteaux du Layon Saumur Champigny 15 viticulteurs • 3 C – 6 R – 6 B sensibilité des pratiques annuelles aux conditions climatiques Semi‐directive 15 viticulteurs • 4 C – 8 R – 3 B 15 viticulteurs • 5 C – 7 R – 3B capacité d’adaptation des viticulteurs capacité d’adaptation des viticulteurs Semi‐directive Semi‐directive Pratiques et périodes de travail Questions et thèmes abordés Techniques et équipements impliqués Variables climatiques favorables et défavorables Comment les pratiques ont évolué Comment les pratiques ont évolué Conditions climatiques caractérisant « bons » et « mauvais » millésimes Conditions climatiques caractérisant « bons » et « mauvais » millésimes Stratégies d’adaptation Stratégies d’adaptation Résultats enquête 1. Sensibilité des pratiques culturales aux variables climatiques Barbeau C. et al., 2014. Analyzing the sensitivity of viticultural practices to weather variability in a climate change perspective. An application to workable‐days modelling (JISVV). Unfavorable weather conditions that influence 21 annual viticultural practices 35 Low Humidity 30 25 Strong wind 20 Wet Soil 15 Dry soil 10 Heavy Rainfall 5 Harvest Cluster thinning Lateral cluster thinning Pest and disease control Topping Leaf thinning Shoot thinning Bud-removal Cover crop management Post-emergent weed control Pre-emergent weed control Trellising Shallow tillage Earthing-down Soil organic fertilization Foliar mineral fertilization Crushing pruned vine-wood Winter pruning Pre-pruning Soil mineral fertilization Rain 0 Earthing-up Number of unfavorable weather conditions : Conditions météorologiques défavorables qui influencent 21 pratiques viticoles High Temp. Snow Frost Résultats enquêtes 2 et 3 : capacité d’adaptation des viticulteurs Pratiques annuelles • Maitrise de la vigueur Taille Ebourgeonnage Effeuillage Rognage Fertilisation Entretien du sol • Maitrise du rendement • Maitrise de la qualité La protection phytosanitaire La date de vendange L’éclaircissage Les pratiques œnologiques Le facteur climatique est pris en compte dans la mise en œuvre et l’adaptation des pratiques, au même titre que plusieurs autres facteurs Exemple de l’évolution de l’entretien du sol dans les inter‐rangs Prix du marché et demandes de la clientèle Mécanisation Contraintes du milieu naturel Réglementation environnementale Portance du sol Diminution du rendement Enherbement trop concurrentiel Conditions climatiques Diminution de l’érosion sur les fortes pentes Diminution des produits chimiques Diminution des ressources en eau Climat millésime Problème de surproduction Désherbage chimique 1975 1980 Passage à l’enherbement dans tous les inter‐ rangs 1985 Conditions climatiques défavorables : • Gel au printemps (1991) • Vendange très humide (2012) 1990 Passage à l’enherbement maitrisé Enherbement dans tous les inter‐rangs 1995 Années sèches et chaudes (2003‐2010) 2000 2010 2005 ? Retour à l’enherbement dans tous les inter‐rangs ? Résultats enquêtes 2 et 3 : capacité d’adaptation des viticulteurs Pratiques pérennes • Les pratiques pérennes (porte‐greffe, cépage, orientation des rangs, aménagements anti‐gel, densité de plantation) ne prennent pas en compte le facteur climatique. Dans un futur proche, l’adaptation devrait concerner principalement les pratiques annuelles mais ne pas affecter les pratiques pérennes Caractéristiques des bons et mauvais Millésimes Années considérées comme de « très bons millésimes » : 1989‐1990‐1995‐ 2003‐2005‐2009‐2010‐2011 ‐ Années sèches, avec des températures estivales importantes ‐ Nombreuses durant la dernière décennie • Années considérées comme de « très mauvais millésimes »: 1991‐1992 ‐ Années de gel (1991) et post‐gel (1992) ‐ Années pluvieuses comme 1994, 2012, ont aussi été mentionnées • Le changement climatique apparait comme une opportunité pour les vignerons des deux appellations – difficulté à se projeter dans l’avenir Perceptions du CC et de ses effets « Cycle climatique » Systèmes d’adaptations Gestion des raisins récoltés en priorité Limite de la réglementation Stratégies d’adaptation au changement climatique selon les réponses des vignerons Les stratégies diffèrent selon la nature du sol, le cépage (sensibilité au stress hydrique) et le système de commercialisation, d’où l’intérêt des études aux échelles locales Adapted from Nicholas et Durham, 2012 Irrigation Adaptation strategy New grape varieties Long Term Changes in row orientation Changes in site selection at local scales Rootstock changes Medium Term Soil management Vigor control Winemaking Short Term Harvest management Changes in climatic conditions 11 Des pratiques à leur « logique » • Première partie de l’enquête fournit une cartographie de « ce qui se fait ». • Il manque : – le « pourquoi » des pratiques, leur finalité – la « logique » technique, économique, esthétique… dans laquelle elles s’inscrivent – leur évaluation par leur usager (bien, à améliorer, à changer…?) • Nécessité d’un approfondissement par entretiens ouverts Enquête : les problèmes que vous pose le changement climatique • Echantillon : 49 entretiens Alsace, Pays de Loire, Languedoc (en cours), (1 ent. Argentine, 2 ent. au Maroc). • Ciblage de l’échantillon auprès de personnes « sensibles » : – – – – – Producteurs indépendants, Directeurs de coopératives, interprofession Négoce et cavistes indépendants Responsables ODG, INAO, certification d’AOC Expertise technique et de recherche Journaliste, conseil stratégique commercial • Entretiens‐discussions libres – – – – Comment se manifeste le Changement climatique chez vous? Quels sont les problèmes qu’il vous pose? Comment y répondez‐vous? Quelles difficultés rencontrez vous dans cette adaptation? Les vignerons observateurs et générateurs de changement • Les vignerons – sont des observateurs précis des changements climatiques annuels, souvent notés année après année dans les cahiers de cave – parfois, mais pas toujours des climatosceptiques : • L‘histoire comme leurs cahiers consignent déjà nombre de millésimes exceptionnels. Ce n’est pas un fait nouveau • La météo a ses cycles avec lesquels ils doivent sans cesse composer • Ils observent que la vigne et les vins changent – mais les causes ne sont pas que climatiques : • une forte baisse des rendements • un grand changement dans les techniques de culture et de vinification • Les vignerons sont aussi des experts en adaptation – Les variations annuelles sont plus importantes que les variations lentes du Changement climatique => pas très mobilisés par le CClim – Ils font évoluer leurs techniques, mais tous les changements ne sont pas également acceptables – Ils réfléchissent l’évolution du goût de leurs vins et le rôle des AOC Des changements unanimes • « Remontée » de la date des vendanges ces dernières décennies et de tout le cycle végétatif – Pas que la température… et l’augmentation du CO2 ? • A la vigne: – – – – – – • En cave – – – – • Augmentation des phénomènes extrêmes ou hors de saison Grillures et coups de soleil Stress hydriques Décalage des travaux de taille Belles arrière‐saisons qui rattrapent des été pourris ou trop chauds L’esca progresse, avec d’autres maladies (blackrot) Une plus grande maturité des raisins Une augmentation de l’alcool Une diminution de l’acidité La fermentation malolactique tend à se généraliser Des compromis de maturités à revoir pour la vendange « Bon » ou « pas bon »? • Dans le Nord: – Une augmentation du risque climatique – Globalement favorable pour les rouges et les liquoreux • Pinots et cabernets enfin mûrs! – Problématique pour les blancs • Gewurz, Riesling : déviations aromatiques • Chenin et pinot gris : trop d’alcool • De nouveaux équilibres gustatifs à trouver S’adapter à la vigne • À faire : – Repenser le matériel végétal et sa diversité • p. ex : Porte greffe moins vigoureux (Riparia en pays de Loire) • p. ex : Retour aux sélections massales pour une plus grande biodiversité du matériel végétal • p. ex : Retour aux cépages oubliés ou secondaires • p. ex : Utilisation des assemblages de cépages • … – Maîtriser la baisse de l’acidité et l’acide malique • La viticulture revisitée – Repenser les compromis arômes, polyphénols et sucre à la vendange S’adapter • Ne pas faire (presque unanime) – L’introduction de nouveaux cépages non traditionnels – La délocalisation des AOC • Controversées – La chaptalisation : « Plus nécessaire donc à interdire pour redonner confiance dans les AOC » – La malolactique en débat (renforce la baisse d’acidité) Un problème crucial pour les AOC Une augmentation de la variabilité des vins – « Chaos climatique » intermillésime – Variabilité accrue des cépages – Variabilité accrue des techniques vitivinicoles – Variabilité accrue de la typicité Question : Faut‐il et comment chercher à réduire la variabilité ? Deux stratégies technico‐économiques de réduction de la variabilité Œno vs viti • Œno : Relâcher les contraintes techniques et rigidifier les styles de vin – Il faut faciliter le travail du consommateur pour mieux vendre – L’œnologie permet de rattraper les caprices de la vigne • Viti : Brider les techniques et débrider le goût – La standardisation des vins est un danger – Les vins d’AOC sont des expressions du terroir Les rattrapages de l’œnologie masquent le terroir Deux stratégies en opposition à faire cohabiter Une enquête qui se poursuit… Merci