220 Cahiers de Linguistique Française 15
Si
Ton
admet ainsi,
à
la suite de Searle, qu'aucune convention n'interdit
de présenter dans un discours les objets de ce discours (et si l'on adopte la
conception de la mention qui découle d'une
telle
hypothèse), faut-il pour autant
en conclure qu'en dehors des complications pratiques, rien n'interdit de men-
tionner
n'importe
quel objet du monde, plutôt que de le
nommer
par le moyen
d'une expression du langage ? En écartant les objets abstraits comme l'amour,
la beauté ou la méchanceté qui relèvent
peut-être,
comme le dit Ducrot d'une
"illusion référentielle" et sont de toute façon matériellement insaisissables, et
les objets trop encombrants comme le ciel, les
arbres,
les lions et les tigres qui
sont difficiles à
extraire,
pour diverses
raisons,
de leur environnement
mondain,
reste en effet de nombreux objets comme le sable ou les allumettes que l'on
pourrait fort bien coller sur le papier si l'envie saugrenue nous prenait de re-
courir
à
une telle pratique. Peut-on ainsi assimiler à une forme de mention le
fait d'incorporer à son discours du sable ou des allumettes ? Comment saisir,
dans ce cadre,
ce
qui caractérise les faits de mention habituellement évoqués,
qui semblent bien posséder certaines propriétés communes, tout à fait étran-
gères aux conditions d'interprétation d'un discours incorporant du sable ou des
allumettes ?
Ces propriétés me semblent tenir avant tout non au procédé de la mention
mais à la nature
de
l'objet mentionné. Il faut admettre notamment qu'un objet
ne saurait être mentionné dans un discours que s'il est lui-même un discours,
ou tout au moins s'il existe une
certaine
ressemblance, une analogie entre
l'objet mentionné et le discours qui le mentionne. Pour être reproduit dans un
discours, l'objet de la mention ne peut en être matériellement tout à fait étran-
ger,
car le procédé de la mention consiste à
contrefaire,
à reproduire l'objet
mentionné pour y faire écho, et non pas simplement à le produire "en chair et
en os" comme le dit Récanati. S'il est possible, à la rigueur, de mentionner
le
cri du geai de Californie, le hennissement d'un cheval, le vrombissement d'un
moteur ou le claquement d'une porte, cela tient au fait que les
cris,
hennisse-
ments,
vrombissements et autres claquement, contrairement au sable et aux al-
lumettes,
sont des phénomènes acoustiques, susceptibles d'être reproduits mi-
métiquement dans
le corps même du discours, sous formes d'onomatopées.
Une allumette ou du sable collé sur le papier, même un dessin représentant une
allumette en lieu M place du mot allumette ne serait qu'une forme de rébus,
possible uniquement à
l'écrit,
qui n'a qu'un lointain rapport avec les procédés
du discours en général et avec les faits de mention en particulier.
Or quelles sont les dimensions matérielles du discours qui rendent pos-
sible le procédé de la mention ? Outre sa dimension
acoustique,
le discours a
d'une pan une dimension linguistique, il est constitué de mots et de phrases qui