Le patient obligé de se soigner: Les traitements sous mandats

Le patient obligé de se
soigner:
Les traitements sous
mandats judiciaires
Bruno Gravier
Mars 2006
UNIL B. Gravier 23 mars 2006 2
Bien différencier
Obligation de soin (mandat
judiciaire)
Soins sous contrainte (loi sur la
santé publique)
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Contexte actuel
Augmentation du nombre de mesures
prononcées par les autorités judiciaires
Exigences accrue en matière de sécurité
Constat de la récidive de certains types de
délinquance
Demande de judiciarisation des patients
psychiatriques
Mise en œuvre du nouveau code pénal (2007)
Votation sur l’internement à vie
Ambiguïté quant au rôle de la psychiatrie: soin
ou normativité sociale
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Le cadre légal
Fixé par l’action judiciaire
Les partenaires judiciaires et pénitentiaires ont
des préoccupations parfois différentes suivant le
stade du parcours pénal.
Certaines dispositions sont plus contraignantes
que d’autres
Importance de bien connaître notre niveau
d’intervention
Importance de définir un mode de travail avec
les partenaires qui doivent gérer les peines et
mesures.
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Le secret médical en Suisse
• La finalité du secret n’est pas de protéger
la vie privée du patient ,mais de
sauvegarder sa santé
• L’obligation de respecter le secret tient
compte également de la santé de la
collectivité
• Le patient est le maître et le bénéficiaire
du secret médical, le médecin en est le
dépositaire
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Le secret médical en Suisse
Si le patient donne son autorisation, le médecin
ne sera pas puni. Il reste cependant libre de ne
pas révéler l’information
Si le patient ne possède pas son discernement
ou qu’il refuse son consentement, le médecin
peut être relevé de son devoir de discrétion par
l’autorité supérieure
Obligation de renseigner: capacité de conduire,
maladies transmissibles
Obligation de témoigner en justice
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Les étapes de la procédure
enquête et instruction
•arrêt de renvoi
• jugement
recours (tribunal cantonal et
tribunal fédéral)
exécution de la peine
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Articles de loi
Art. 10 : Responsabilité et irresponsabilité
Art. 11: Responsabilité restreinte
Art. 13 : Expertise
Art. 43: Mesures concernant les délinquants
anormaux
Art. 44: Traitement des alcooliques et
toxicomanes
Art. 100bis: Placement en maison d’éducation
au travail
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Les peines de prison
Réclusion: de 1 à 20 ans
Arrêts: de 1 jour à 3 mois
Emprisonnement: de 3 jours à 3 ans
Les peines s’effectuent dans des
établissement distincts
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Ne pas confondre
Liberté provisoire (détention
préventive)
• Liberté conditionnelle
• Semi-liberté
•Semi-détention
•Sursis
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article 43 CPS
• ch 1 al 1 : renvoi dans un hôpital ou
traitement ambulatoire, si le délinquant
n’est pas dangereux
• ch 1 al 2: internement dans un
établissement approprié si le danger est
associé à la pathologie
• la peine est suspendue
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L’établissement approprié
n’existe pas en Suisse
Les sujets « internés » sont incarcérés dans des
établissements pour peine ou dans de rares
établissements semi-ouverts
Les structures de psychiatrie légale comme en
Allemagne ou en Hollande n’existent pour, ainsi
dire, pas
Il n’existe que quelques petites structures
(unités de psychiatrie en prison)
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Un article de loi qui
entraîne la confusion
• Il concerne à la fois:
les malades mentaux qui commettent des
petits délits et qui sont rejetés des hopitaux
ou des structures de soins pour lesquels il
constituera un cadre relativement souple et
évolutif
Les grands criminels ou les délinquants
sexuels pour lesquels il constitue avant tout
une mesure de sureté indéterminée
permettant de pallier à l’indulgence des
peines
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Un mandat peut être confié
au psychiatre en cas de:
• Internement suivant art 43 CPS
• Hospitalisation suivant art.43 CPS
• Traitement ambulatoire art. 43 CPS (en
détention ou non)
• Libération conditionnelle
•Sursis
MAIS PAS DANS LE CADRE D’UNE LIBERATION
PROVISOIRE
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Structures consultatives
ou décisionnelles
Office de l’exécution des peines
Commission interdisciplinaire
consultative
Commission de libération
conditionnelle
• Conseil d’Etat
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Ce partenariat bouleverse les règles
de l’exercice thérapeutique
• Choix du thérapeute limité par le mandat
• La contrainte faite au patient
• Perte apparente de la nature
contractuelle du traitement
• Atteinte au secret médical
• Le non respect du cadre n’est pas sans
conséquences sur le le devenir et la
réalité du patient
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Peut-on concilier
Le pronostic criminologique
et
La position thérapeutique ?
directives de l’Académie Suisse des Sciences Médicales:
«hormis les situations de crise ou d’urgence, le médecin
ne peut cumuler à la fois l’identité de médecin
thérapeute et de médecin expert »
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Pourquoi ce juge ne veut-il pas m’imposer
de me soigner?
M. A poursuivi pour exhibitionnisme
Refus du juge d’ordonner une obligation de soin
en raison des démarches spontanées déjà faites
par le patient
M. A s’inquiète de l’aggravation de son
comportement, a peur de se réveiller un jour
après avoir commis un acte grave
Il a peur, il boit, il vient en consultation chaque
fois qu’il n’en peut plus
Il ne s’engagera dans un soin que s’il y est
contraint, dit-il
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Quelques questions clés
Faut-il construire un partenariat
avec l’autorité
judiciaire/pénitentiaire?
Comment conserver des espaces de
confidentialité thérapeutique?
S’agit-il d’une nouvelle clinique?
Peut-on soigner dans ce contexte?
Les préalables:
Construire un partenariat
Définir confidentialité et
échanges
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Indications de soin et
décisions de justice
• Que demande un juge lorsqu’il enjoint
quelqu’un à se soigner?
Il ne vise, légitimement, que la prévention de
la récidive
Le soin n’est alors conçu que comme élément
de contrôle social
• Il existe souvent un écart important entre
les recommandations des experts et les
attendus du juge
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Des différences qui ne sont pas que
sémantiques
Soins recommandés (consentement indispensable, pas de
cadre pénal formel, réponse pénale future, ex instruction)
Soins enjoints (consentement préalable non formalisé
mais indispensable, réponse pénale hypothétique, ex:
sursis)
Soins obligés (consentement fortement sollicité, réponse
pénale forte, ex: libération conditionnelle, art.43)
Soins contraints (absence de consentement, LSP)
Cf X. Lameyre, « une poetique des soins pénalement
obligés »
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un changement fondamental
dans nos rapport au tiers légal
Comment faire pour que ce cadre puisse
s’intégrer dans un véritable dispositif
thérapeutique?
Comment permettre que le partenaire légal (qui
n’est pas là pour rien!) soit existant dans cet
accompagnement sans être persécuteur, ni pour
le médecin , ni pour le patient?
Comment peut-il incarner la place qui lui est
assignée par l’acte judiciaire?
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Enjeux
• Digérer psychiquement une double
mission de soin et de sécurité publique
pour ne pas nous retrouver dans le
clivage:
Comment intégrer ces éléments de la réalité
dans la relation thérapeutique?
Comment différencier ce qui ressort du
contrôle social et ce qui ressort du soin?
Comment différencier imminence du danger
et pronostic de la dangerosité?
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Le travail interdisciplinaire dans un tel
contexte instaure un autre mode de
relation au patient et à l’autorité
A la place de: « tout ce que vous me direz
restera garanti par le secret médical , et donc
protégé »
S’instaure: « Mettons nous d’accord, en
préalable, sur ce qui sera transmis à l’autorité
dans le cadre des rapports réguliers »
Et : « voici quelle sera mon attitude si dans le
cadre de notre travail commun survient un
événement qui me donne une certaine
inquiétude
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la structure psychique de ces patients impose, plus
qu’ailleurs, une clarification de la situation
légale
• A quel moment de son parcours pénal se
trouve le patient?
• Qu’en est-il de sa rencontre avec la loi?:
– Dénonciation
Enquête
–Jugement
Exécution de peine
Sursis, etc.
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clarification des enjeux particuliers
Pour éviter la confusion il faudra
aussi clarifier certains éléments:
– Enjeux personnels (pressions de la
famille, du conjoint, …)
– Enjeux sociaux ( pressions sur son
emploi, remise en question, ex activité
exposée, etc.)
– Enjeux culturels (implications de l’acte
dans le groupe d’origine du patient)
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Le travail interdisciplinaire dans le contexte
d’un soin ordonné impose de différencier
• La mise en commun de certaines
informations
de
• La recherche de médiations permettant
de traiter des informations dont la
divulgation pourrait nuire à la qualité de
la relation thérapeutique
• Attention à la « confusion de langues »
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l’échange d’information se fera
suivant trois modalités
Rapports réguliers à l’autorité
Rencontres de réseau
Commissions spécialisées
Toutes les situations ne relèvent pas
de ces trois modalités!
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L’échange d’informations impose
au thérapeute d’être attentif à
La qualité du consentement du patient
Aux attentes des autorités vis-à-vis du
traitement et à nos attentes par rapport aux
possibilités de l’autorité
La nature de l’engagement thérapeutique
possible
La manière dont seront traités certains points
cruciaux de la problématique du patients (p. ex:
la reconnaissance du délit)
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Les bénéfices
• Clarté du cadre
• Travail constant sur la position tierce
• Identification d’un Moi auxiliaire qui a
valeur de suppléance
• Meilleure compréhension et donc respect
des missions et surtout des limites des
uns et des autres en dépassant les
attentes magiques
Une clinique qui nécessite
certains aménagements
Comment soigner dans ce
contexte?
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L’attitude du patient face à
l’obligation
•Refus ou repli
•Adhésion
soit ils reconnaissent, soit ils « épousent
la construction du mandataire et finissent
par se découvrir un problème »
•Adhésion stratégique
Il est souvent impossible de distinguer ces
deux dernières modalités
(cf Guy Hardy)
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Avec les délinquants, un travail
psychothérapique est possible, mais nécessite
Allègement de l’espace et des règles (fréquence
et longueur des séances)
Aménagement du mode d’intervention (moins
axé sur les conflits ICS, travail dans l’ici et
maintenant)
Techniques plus actives et travail en équipe
pluridisciplinaire sur le modèle de la
psychothérapie institutionnelle
(Cornet, Giovannangeli, Mormont, 2003)
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L’obligation de soins : un
effet pare-excitatoire?
Le mandat social présentifié à
travers l’obligation de soins ne
constitue-t-il pas une certaine
protection autant vis-à-vis du
patient que du thérapeute face au
risque de déchainement que peut
constituer un transfert réveillant la
destructivité?
Le soin sous contrainte
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La loi Vaudoise sur la Santé
Publique
(mise à jour 1/10/2003)
Droit à l’information
Consentement libre et éclairé
Directives anticipées et représentant thérapeutique
Mesure de contrainte (art 23d):
Par principe, toute mesure de contrainte à l’égard des patients est
interdite. (…). A titre exceptionnel et, dans la mesure du possible, après
en avoir discuté avec le patient, son représentant thérapeutique,
respectivement son représentant légal ou ses proches, le médecin
responsable d’un établissement sanitaire peut, après consultation de
l’équipe soignante, imposer pour une durée limitée des mesures de
contrainte strictement nécessaires à la prise en charge d’un patient:
A) si d’autres mesure moins restrictives de la liberté de la liberté personnelle ont
échoué ou n’existe pas
B) si le comportement du patient présente un danger grave pour sa sécurité ou
sa santé ou celle d’autres personnes
La prise de décision clinique
La décision d’entreprendre un traitement sous contrainte se
fonde sur une évaluation soigneuse:
–des critères médicaux (auto ou héréro-agressivité, l’agitation
psychomotrice, discours délirant).
–de la capacité de discernement
éléments mentionnés dans le Protocole
évaluation médicale et multidisciplinaire et décision concertée
garantissent une plus grande rigueur dans les procédures.
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En droit suisse:
La faculté d’agir raisonnablement (le
discernement) comprend deux éléments
Un élément intellectuel
faculté d’apprécier le sens et la portée d’un acte
déterminé.
l’aptitude d’une personne à savoir et à comprendre
ce qu’elle fait.
le patient doit pouvoir comprendre l’information fournie, utiliser cette information
rationnellement, et se rendre compte des conséquences de ses actes
Un élément volontaire
faculté d’agir en fonction de d’une appréciation
raisonnable d’un acte déterminé, selon sa libre
volonté.
capacité d’une personne de résister normalement
aux tentatives d’influencer sa volonté
le patient doit pouvoir communiquer ses choix et résister de manière adéquate à la
pression exercée par autrui sur lui-même
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Vignette
• M. A : incarcéré pour des coups de
couteau dans un contexte délirant
persécutoire, intentionalité meurtrière
délirante exprimée
• agitation croissante mais respecte plus
ou moins le cadre , menaçant
• décision de traitement fondée sur la
clinique, l’anamnèse, le risque
• Validée par médecin cantonal
• Amélioration clinique
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• Un traitement contraint reste une
mesure exceptionnelle et ponctuelle.
• Cette démarche thérapeutique vise avant
tout une amélioration clinique des
ressources du patient, dont sa capacité
de discernement.
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Eléments conclusifs
• Notre surprise: certains ne peuvent
s’autoriser à consentir à la relation
thérapeutique que parce qu’ils y sont
contraints, comme s’il fallait l’alibi de
l’obligation pour mentaliser à travers les
failles de la pensée.
• Elle facilite l’attitude active qui sollicite
de la pensée
UNIL B. Gravier 23 mars 2006 43
Éléments conclusifs
La loi vient psychiquement s’insérer
dans le cadre mental du thérapeute
à travers l’obligation de soins
Celle-ci permet l’expression
formelle du tiers au travers de la
contrainte (Ciavaldini)
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