152]Idées de physique
© Pour la Science - n° 373 - Novembre 2008
Regards
152]Idées de physique
Dun geste anodin et routi-
nier, vous appuyez sur
un interrupteur et tout
s’éclaire. Mais vous avez
rarement conscience que l’énergie élec-
trique qui allume votre lampe a été produite
à plusieurs dizaines, centaines ou mil-
liers de kilomètres de distance – et facile-
ment acheminée par des lignes aériennes,
souterraines ou sous-marines.
Le plus souvent, les lignes sont à haute
tension et à courant alternatif. Pourquoi
une haute tension ? Pour limiter les pertes,
comme nous le verrons. Et pourquoi du cou-
rant alternatif et non du courant continu?
Cette prédominance est avant tout la consé-
quence d’une guerre industrielle livrée à
la fin du
XIX
esiècle aux États-Unis entre
les compagnies de Thomas Edison et de
George Westinghouse. À l’époque, le cou-
rant alternatif promû par Westinghouse
était techniquement plus mûr et triompha.
Aujourd’hui, des considérations environ-
nementales et économiques relancent le
courant continu.
Hautes tensions
pour moins de pertes
Voyons d’abord pourquoi l’utilisation de
hautes tensions réduit les pertes d’éner-
gie dans le transport de l’électricité. Lors-
qu’un courant électrique circule dans un
câble, celui-ci s’échauffe : une partie de
l’énergie électrique est dissipée par « effet
Joule », dû à la résistance qu’oppose la
matière au mouvement des charges élec-
triques. Cette dissipation croît comme le
carré de l’intensité du courant. Or la puis-
sance électrique transportée est égale au
produit de la tension entre les câbles par
l’intensité du courant. Par conséquent, à
puissance constante, on peut augmenter
la tension tout en abaissant l’intensité du
courant électrique, ce qui diminue la dis-
sipation d’énergie. Pour transporter une
puissance électrique de l’ordre de deux giga-
watts – la production de deux cœurs de
centrale électronucléaire –, on utilise ainsi
couramment des tensions et intensités
atteignant 735 kilovolts et 3 000 ampères.
IDÉES DE PHYSIQUE
Des lignes à courant continu ou alternatif?
Le courant alternatif est plus facile à produire, à transformer et à utiliser.
Mais pour le transporter, c’est une autre histoire...
Jean-Michel COURTY et Édouard KIERLIK
1. DEUX CONDUCTEURS
PROCHES où circule
un courant interagissent
électriquement
et magnétiquement.
Qu’il s’agisse de courant
continu (en rouge)
ou alternatif (en vert),
la paire de câbles
équivaut à un circuit
où se succèdent
résistances, inductances
et capacitances.
Résistance
Inductance
Capacitance
++
–– ++
––
++
––
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Idées de physique [153
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Mais les hautes tensions ne sont adap-
tées ni à la production de l’électricité ni,
surtout, à sa consommation. Elles nécessi-
tent ainsi des dispositifs capables de les
convertir en basses tensions (telle la tension
domestique de 220 volts) et inversement.
Contrairement au cas du courant continu, il
existe pour les tensions alternatives des
convertisseurs simples, par exemple le trans-
formateur composé d’un noyau en acier
laminé autour duquel sont enroulés deux fils
de cuivre: ce système multiplie la tension
d’entrée par le rapport des nombres de spires
des deux enroulements.
La nécessité de convertir les tensions
confère donc un avantage au courant alter-
natif. Qui plus est, la plupart des machines
électriques fonctionnent grâce à un champ
magnétique tournant, qu’il est facile de créer
avec un courant alternatif (triphasé).
Le retour en grâce
du courant continu
Toutefois, pour le transport, le courant alter-
natif a quelques inconvénients, dus au fait
que les câbles parallèles qui composent une
ligne de transport interagissent électrique-
ment et magnétiquement. La différence
de tension entre les divers câbles de la ligne
provient de la présence de charges élec-
triques situées sur ceux-ci en vis-à-vis. Autre-
ment dit, chaque portion de ligne se comporte
comme un condensateur qui stocke des
charges et de l’énergie électrostatique. Cet
effet capacitif est faible dans les lignes
aériennes, où les câbles sont relativement
espacés. Il est en revanche particulièrement
marqué dans les lignes souterraines ou sous-
marines, où les câbles sont groupés.
Le courant qui circule dans chaque câble
crée par ailleurs un champ magnétique.
Si le courant varie, il en est de même pour
le champ magnétique, et cette variation
induit un courant supplémentaire dans les
câbles voisins : c’est l’effet d’inductance
mutuelle, qui est prédominant dans les
lignes aériennes.
Pour les lignes à courant continu, une
fois le courant établi, les câbles sont char-
gés une fois pour toutes et le champ magné-
tique, constant, n’induit aucun courant :
l’énergie électrique et l’énergie magnétique
stockées dans le câble restent constantes.
Ce nest pas le cas pour un courant alter-
natif. Même si aucun appareil ne consomme
de la puissance à l’autre bout de la ligne, le
générateur d’électricité charge et décharge
périodiquement le câble, d’où des pertes
par effet Joule. De plus, le générateur doit
alternativement céder de l’énergie à la ligne
durant la moitié du temps, puis la récupé-
rer durant l’autre moitié du temps. Pour
les lignes aériennes, où les effets sont prin-
cipalement inductifs, on peut placer pério-
diquement de gros condensateurs qui
échangent leur énergie avec les câbles et
soulagent ainsi les générateurs. En
revanche, pour les câbles sous-marins, où
les effets sont surtout capacitifs, il faudrait
des impédances de compensation dont les
tailles seraient déraisonnables.
Le courant continu n’a pas ces incon-
vénients, et lui seul peut transporter la puis-
sance électrique en sous-sol sur de longues
distances. Ainsi, le câble sous-marin
IFA
2000
transporte deux gigawatts sur 78 kilomètres
entre la France et la Grande-Bretagne.
Pour les lignes aériennes aussi, le continu
a ses avantages : une ligne à courant continu
est en général constituée de deux câbles
soumis à des tensions opposées, tandis
qu’une ligne à courant triphasé nécessite
quatre câbles (avec un câble neutre), voire
cinq (avec un câble de mise à la terre). La
construction d’une ligne à courant continu
exige donc moins de cuivre et des pylônes
moins larges: elle est moins onéreuse.
Comme le coût des convertisseurs alter-
natif-continu demeure important, le trans-
port en courant continu ne devient avantageux
qu’au-delà de 600 kilomètres environ.
C’est le cas de la ligne aérienne Cahora Bassa
entre le Mozambique et l’Afrique du Sud, qui
achemine une puissance de 1,9 gigawatt sur
1 420 kilomètres. Notons qu’on utilise aussi
le courant continu pour transférer la puis-
sance électrique entre réseaux alternatifs
2. LE TRANSPORT DE L’ÉLECTRICITÉ à longue distance, au-delà d’environ 600-800 kilomètres, se
révèle moins coûteux en courant continu. Pour des distances plus courtes, le courant alternatif est
favorisé, en raison du coût supérieur des équipements nécessaires aux deux extrémités d’une ligne
à courant continu (convertisseurs continu/alternatif, transformateurs en basse tension, etc.).
Coût d’investissement
Environ
600-800 km
Ligne
(alternatif)
Ligne
(continu)
Distance
ALTERNATIF
Terminaux
(alternatif)
Terminaux
(continu)
CONTINU
Dessins de Bruno Vacaro
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qui ne sont pas synchronisés, comme le sont
les réseaux de diverses régions d’Europe
ou des États-Unis.
Le choix semble donc clair : courant
continu pour de grandes distances de trans-
port, courant alternatif pour les courtes dis-
tances. Mais c’est sans compter sur les
goulots d’étranglement, zones du réseau
électrique où doivent circuler des puissances
considérables. Par exemple, pour alimen-
ter des zones urbaines très denses, qu’il
s’agisse de courant continu ou alternatif, les
solutions classiques restent encombrantes
et sources de perturbations.
Pour ces situations particulières, on
commence à faire appel aux matériaux
supraconducteurs à haute température
découverts dès 1987. Jusqu’à récemment,
la supraconductivité, c’est-à-dire la conduc-
tion d’un courant électrique sans aucune
résistance, donc sans pertes, était réser-
vée à des applications très spécifiques : elle
exigeait un refroidissement à l’hélium liquide,
à des températures proches du zéro absolu
(–273 °C). Or les nouveaux supraconduc-
teurs conservent leur propriété jusqu’à la
température de l’azote liquide (–196 °C),
fluide beaucoup moins cher et plus facile à
obtenir que l’hélium liquide.
Pour un encombrement inférieur, une
ligne supraconductrice peut transporter près
de cinq fois plus de puissance qu’une ligne
classique. Une telle ligne, à 138 kilovolts, a
été réalisée par la compagnie américaine
Nexans. Longue de 600 mètres, elle vient
d’être mise en service à Long Island, dans
l’État de New York (États-Unis) et intégrée
au réseau de distribution. À plein régime, elle
devrait transporter 574 mégawatts, de quoi
alimenter 300000 foyers.
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BIBLIOGRAPHIE
L. Ruby, Why DC for long-
range power transmission,
The Physics Teacher,
vol. 40(5), pp. 272-274, 2002.
Th. Wildi et G. Sybille,
Électrotechnique,
De Boeck Université
(4eédition), 2005.
Jean-Michel COURTY
et Édouard KIERLIK
sont professeurs de physique
à l’Université Pierre
et Marie Curie, à Paris.
LES AUTEURS
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