Natures
Sciences
Sociétés
Éditorial
Sciences EN sociétés, pour une logique du care
Natures Sciences Sociétés, 21, 361-362 (2013)
© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2014
DOI: 10.1051/nss/2014005
Disponible en ligne sur :
www.nss-journal.org
Alors que les relations sciences-société ont été
réduites à la portion congrue lors de la préparation de la
loi « Fioraso », le sujet est à l’agenda des grands acteurs
européens, comme en témoigne le récent rapport de la
Fondation européenne de la science1(ESF). Il ne s’agit
pas de revenir sur l’éternelle question de la défiance de
nos concitoyens à l’égard de la science mais de faire le
point sur les enjeux contemporains des relations
sciences-société dans une dimension large.
Le rapport de l’ESF n’arrive pas sur un terrain vierge.
Les questions qu’il pose ont fait l’objet de nombreux tra-
vaux et expériences au cours des vingt dernières années.
Un seul exemple : pour la Commission européenne, le
paradigme « sciences EN sociétés » doit se substituer aux
rapports entre « science ET société ». Il s’agit de considé-
rer que la science est une activité humaine, donc sociale
de part en part, que les sciences et les techniques concou-
rent constamment à recomposer le social, l’économique
et l’environnement, que nous vivons dans des sociétés où
la production de connaissances est intimement liée aux
pouvoirs de tous types.
Pourtant, le renouveau du discours ne règle pas tout
et le rapport de l’ESF pointe trois raisons essentielles de
maintenir une attention renouvelée aux relations
sciences-société. En premier lieu, importe la façon dont
les institutions conçoivent à la fois « la science » et « la
société ». S’agit-il de « la Science » neutre, production de
vérité, de connaissances objectives et universelles ou
« des sciences », production de connaissances dans des
contextes d’action dont les méthodes, normes de preuve,
pratiques, valeurs et objets sont divers et changent au
cours du temps ? Dans la première acception, l’activité
scientifique est rarement questionnée et le souci principal
concerne l’acceptation sociale des applications des
connaissances scientifiques. Dans la seconde acception,
la science est considérée comme une activité de
1Felt, U. (Chair), Barben, D., Irwin, A., Joly, P.-B., Rip, A.,
Stirling, A., Stöckelová, T., 2013. Science in Society: Caring for
our Futures in Turbulent Times, ESF Science Policy Briefing, 50,
http://www.esf.org.
représentation et d’intervention sur le monde ; elle est
souvent inter- ou transdisciplinaire ; elle produit en
même temps des connaissances et de l’ordre social. Cette
seconde acception est en principe celle du paradigme
« sciences EN sociétés » et conduit à une reconnaissance
de la diversité des lieux et des acteurs de production de
connaissances, à une approche large de ces rapports, en
termes de politique de la science et de gouvernance de
l’innovation. Néanmoins, le comportement de nom-
breuses institutions montre que la première acception
prévaut encore très souvent.
Les discours changent plus rapidement que les pra-
tiques qui restent ancrées dans un rapport instrumental,
managérial, dans une logique de contrôle. C’est la
seconde raison pour laquelle il faut maintenir ouvert le
chantier des relations sciences-société. On observe que,
dans de nombreux pays européens, l’impératif de la par-
ticipation des « publics » (parties prenantes, citoyens
« concernés » ou « ordinaires », etc.) s’est imposé ; les
responsables des politiques de recherche et d’innovation
affirmant la nécessité d’organiser des débats publics en
amont des décisions. Néanmoins, cette ouverture se situe
trop souvent dans une logique de contrôle, dans une
logique de légitimation de décisions déjà prises plutôt
que dans une logique d’exploration collective et de
construction d’espaces de créativité. Si le nombre et la
diversité des activités sciences-société ont considérable-
ment augmenté depuis une vingtaine d’années, les exer-
cices se réduisent trop souvent à un rituel qu’il faut
accomplir, une tâche dont il faut s’acquitter dans le cadre
des procédures de la « bonne gouvernance ». De plus, du
côté de la recherche, l’ouverture des relations sciences-
société est limitée par la référence croissante à l’excel-
lence, par la gouvernance de la recherche par les indica-
teurs de performance, par la marchandisation de la
connaissance.Ainsi,l’impératifdeparticipationsetrouve
réduit à un exercice formel où les futurs sont donnés plu-
tôt que construits, où la diversité des attachements et des
valeurs ne trouvent pas d’espace d’expression.
Enfin, la troisième raison tient au sentiment d’austé-
rité et de crise qui marque actuellement différentes
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