Congrès national des Observatoires régionaux de la santé 2008 - Les inégalités de santé
Marseille, 16-17 octobre 2008
G3 - Facteurs socio-économiques et géographiques de participation au
dépistage organisé du cancer colorectal. Analyse multiniveaux
C. Pornet, O. Dejardin, F. Morlais, V. Bouvier, G. Launoy
INSERM « Cancers et Populations », CHU de Caen, France
RESUME
Introduction. La participation au dépistage organisé du cancer colorectal demeure peu élevée en
France (42%). Les études portant sur les facteurs socio-économiques liés à la participation,
procèdent majoritairement par questionnaire et se heurtent systématiquement au biais de
participation. L’utilisation de données socio-économiques agrégées à un niveau infra-communal,
l’Iris (Ilots regroupés pour l’information statistique) combinées aux données individuelles de la
population cible permet d’envisager une approche agrégée non biaisée.
L’objectif de notre étude est de déterminer les facteurs socio-économiques de participation à une
campagne de dépistage sur un échantillon non biaisé.
Méthodes. La population cible de l’étude est la population âgée de 50 à 74 ans habitant dans le
département du Calvados (N=180 045). Les données individuelles étaient fournies par la structure
responsable de l’organisation du dépistage du cancer colorectal dans le Calvados. Pour apprécier
de façon pertinente le niveau socio-économique des Iris, l’indice de précarité de Townsend,
largement utilisé dans les pays anglo-saxons, a été utilisé. Cet indice a été calculé grâce aux
données de l’INSEE issues du recensement de la population de 1999. L’offre de soins a été
appréciée par la densité de médecins généralistes. Devant la non indépendance des observations
des sujets de la même unité géographique due à la structure hiérarchique des données
individuelles et des données socio-économiques agrégées, l’analyse a utilisé un modèle logistique
hiérarchique à 2 niveaux à intercept aléatoire.
Résultats. Le taux de participation de la population cible était de 34.5%. L’analyse univariée a
retrouvé des liens significatifs connus de la littérature, entre la participation et, d’une part le sexe
(les femmes participant plus que les hommes, OR=1,33 (1,21-1,45) et d’autre part, l’âge (les sujets
d’âge « moyen » participant plus que ceux aux âges « extrêmes », OR=1,42 (1,30-1,56).
Concernant les régimes d’assurance maladie, ce sont les sujets avec des régimes spéciaux qui
participaient le plus [OR=1,78 (1,39-2,29)]. Après ajustement sur les variables individuelles,
l’analyse multiniveaux a révélé une différence de la probabilité de participer de 32% entre les Iris
les plus aisés et les Iris les plus précaires [OR=0,68 (0,59-0,79)]. Cette relation entre la
participation et l’indice de précarité prenait la forme d’un gradient continu linéaire concernant
l’ensemble des Iris (p-trend <0.0001). Aucune influence significative de la densité de médecins
généralistes n’a été retrouvée (p=0,42).
Discussion et conclusion. L’analyse multiniveaux a permis de détecter des zones géographiques
de faible participation corrélées à des zones de forte précarité sociale. Ces analyses suggèrent
l’importance d’actions de promotion du dépistage organisé ciblées sur les populations à risque
identifiées socialement et géographiquement dans notre étude.
Mots-clés : Cancer, Colorectal, Dépistage, Facteurs socio-économiques, Analyse multiniveaux
Keywords: Cancer, Colorectal, Screening, Socioeconomic factors, Multilevel analysis
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1. INTRODUCTION/OBJECTIF
1.1 Introduction
En France, plus de 36 000 nouveaux cas de cancers colorectaux sont diagnostiqués chaque
année, entraînant environ 16 000 décès par an (Remontet, 2003) ; alors que l’instauration d’un
programme de dépistage organisé tous les deux ans par recherche de sang dans les selles
permettrait de réduire de 15 à 33 % la mortalité par cancer colorectal (Mandel, 1993 ; Hardcastle,
1996 ; Kronborg, 1996). Avec environ 42%, la participation au dépistage organisé reste peu élevée
en France (Goulard, 2007) . Cette participation est faible comparée aux pays du Nord de l’Europe
pour lesquels le taux de participation dépasse les 60% (Hardcastle, 1996 ; Kronborg, 1996).
De nombreuses études internationales ont mis en évidence que la faible participation au dépistage
était étroitement liée à un faible niveau socio-économique. Néanmoins, ces études qui portent sur
ces facteurs procèdent classiquement par questionnaire et se heurtent systématiquement au biais
de participation. (McCaffery, 2002 ; Swan, 2003 ; Seef, 2004 ; Ramji, 2005 ; Meissner, 2006).
L’utilisation de données socio-économiques agrégées à un niveau géographique suffisamment
précis, combinée aux données individuelles de la population cible (incluant la connaissance du
domicile des patients) permet d’envisager une approche agrégée non biaisée au sein de la totalité
de la population cible.
Par ailleurs, l’approche contextuelle des facteurs socio-économiques s’est révélée influente non
seulement sur la santé de la population (Pickett, 2001) mais aussi sur l’utilisation des systèmes de
soins (Chaix, 2005 ; Blais, 2006). Dans le domaine du dépistage du cancer colorectal, ces facteurs
contextuels ont rarement été étudiés, alors même que l’approche géographique qu’ils proposent
dans l’identification des populations particulières (Diez-Roux, 1998), peut être directement
opérationnelle dans la mise en place d’un programme de prévention.
1.2 Objectifs
Les objectifs de cette étude sont de vérifier l’existence d’une influence socio-économique sur la
participation au dépistage organisé du cancer colorectal, et d’en déterminer les caractéristiques
socio-économiques, sur un échantillon non biaisé.
2. MATERIELS/METHODES
2.1 Population et données
La population cible de l’étude est l’ensemble de la population âgée de 50 à 74 ans habitant dans le
Calvados (N=180 045) entre juin 2004 et juin 2006. Les données individuelles de la population
cible ont été fournies par l’association « Mathilde », organisatrice du dépistage des cancers du sein
et colorectal dans le département du Calvados. Ces variables individuelles (de niveau 1) étaient le
sexe, l’âge à l’invitation au dépistage, le régime d’assurance maladie et le statut de participant ou
non participant au dépistage.
Afin de suppléer le manque de données socio-économiques individuelles, l’environnement social
de chaque sujet a été apprécié en intégrant les données agrégées (Krieger, 1992) à l’échelle infra-
communale : l’IRIS 2000 (Ilots Regroupés pour l’Information Statistique). Les IRIS 2000, zones
d’environ 2000 habitants, représentent la plus petite unité statistique pour laquelle les données du
dernier recensement exhaustif de l’INSEE de 1999 sont disponibles. Parmi le grand nombre
d’indicateurs socio-économiques produits par l’INSEE, il est difficile de sélectionner les variables
pertinentes pour déterminer le niveau social des IRIS. Nous avons utilisé un indice composite de
précarité, outil approprié pour mesurer de manière agrégée les niveaux socio-économiques en
l’absence de données individuelles suffisantes (Krieger, 1997). Afin de rendre comparables nos
résultats au niveau international, nous avons calculé l’indice de Tonwsend largement utilisé dans
les pays anglo-saxons (Townsend, 1987).
L’offre de soins a été appréciée par la densité de médecins généralistes / 100 000 habitants par
IRIS.
Les procédures de géocodage à partir de l’adresse des sujets n’étant pas automatisées, il était
déraisonnable que l’étude porte sur l’ensemble de la population. Nous avons donc procédé à un
échantillonnage de 10 000 sujets, par tirage aléatoire simple sans remise selon une loi de
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distribution uniforme (échantillon bien représentatif de la population cible, en termes de taux de
participation, âge et sexe). Les sujets pour lesquels l’adresse était imprécise pour le géocodage en
IRIS (n=135), des données individuelles manquaient (n=67), et/ou exclus médicalement du
dépistage organisé (n=1107) ont été exclus des analyses. Au total, les analyses ont porté sur 8691
sujets.
2.2 Analyses statistiques
Devant la structure hiérarchique des données, les sujets constituant les unités de niveau 1
regroupés au sein d’IRIS, unités de niveau 2, un modèle hiérarchique à 2 niveaux a été utilisé. La
variable d’intérêt étant la participation au dépistage d’un sujet, variable binaire, nous avons utili
un modèle logistique, à intercept aléatoire permettant à la probabilité de participer au dépistage de
varier d’un IRIS à l’autre. L’influence de l’indice de précarité, variable agrégée de niveau 2, sur la
participation a été étudiée par la tendance linéaire pour des variables catégorielles. Les analyses
statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel S.A.S. version 9.1., les analyses multiniveaux par
la procédure NLMIXED.
3. RESULTATS
Le taux de participation brut de notre échantillon estimé à 30.6% était non différent
significativement de celui de la population cible dans son ensemble (30.1%).
L’analyse univariée a retrouvé des liens significatifs connus de la littérature, entre la participation
et, d’une part le sexe [les femmes participant plus que les hommes, OR=1.33 (1.21-1.45)] et
d’autre part, l’âge [les participants étaient plus âgés que les non participants, et la probabilité de
participer était plus élevée chez les sujets d’âge moyen qu’aux âges « extrêmes » OR=1.42 (1.30-
1.56)]. Concernant les régimes d’assurance maladie, leur répartition était significativement
différente chez les participants et les non participants (p-value=0.0004), les participants ayant plus
souvent des régimes spéciaux [OR=1.78 (1.39-2.29)].
Après ajustement sur les variables individuelles, l’analyse multiniveaux a révélé une différence de
la probabilité de participer de 32% entre les IRIS les plus aisés (IRIS appartenant au quintile 1 de
l’indice de précarité; OR=1) et les IRIS les plus précaires [IRIS appartenant au quintile 5 de l’indice
de Townsend OR=0.68 (0.59-0.79)]. Cette relation entre la participation et l’indice de précarité
prenait, par ailleurs, la forme d’un gradient continu linéaire concernant l’ensemble des IRIS (p-trend
<0.0001). Aucune influence significative de la densité de médecins généralistes n’a été retrouvée
(p=0.42).
4. DISCUSSION/CONCLUSION
Cette étude basée sur un échantillon représentatif de la population cible a confirmé l’hypothèse
selon laquelle les caractéristiques socio-économiques avaient une influence sur la participation au
dépistage organisé du cancer colorectal. Grâce à l’approche agrégée des données socio-
économiques à un niveau infra-communal, notre étude a permis d’identifier des populations à
risque de faible participation définies non seulement socialement mais aussi géographiquement.
L’analyse multiniveaux a mis en évidence que la participation était la plus faible dans les IRIS où la
précarité était la plus forte avec une tendance linéaire significative.
Ces résultats permettraient de proposer de nouvelles formes d’organisation du dépistage visant à
l’amélioration de la participation concernant les zones défavorisées et qui, de ce fait, permettraient
de limiter les inégalités sociales et géographiques de participation.
Même si nos résultats s’adressent à la population cible du département du Calvados, cette
stratégie d’analyse pourrait aussi être applicable dans d’autres pays où sont déjà, ou vont être,
implantés des programmes de dépistage organisé du cancer colorectal.
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