Dynamique de la Biodiversité des zones humides d`Afrique du Nord

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Dynamique de la Biodiversité
des zones humides d’Afrique du Nord
Institut des Sciences de l’Evolution
Université Montpellier-2
Le séminaire « Dynamique de la Biodiversité des zones humides d’Afrique du
Nord » est un séminaire de clôture de trois projets Hubert Curien (PHC) menés
conjointement au Maroc, en Tunisie et en Algérie sous la direction de S.D. Muller
(UM2) :
- PHC franco-tunisien Utique (2007-2010)
- PHC franco-marocain Volubilis (2007-2010)
- PHC franco-algérien Tassili (2009-2012)
Il a pour objectifs :
(1) de présenter les principaux résultats obtenus dans le cadre de conférences
publiques,
(2) d’établir un bilan des travaux réalisés dans le cadre de ces projets,
(3) de préciser les perspectives et les enjeux de recherche concernant les zones
humides d’Afrique du Nord,
(4) de poser les bases de projets futurs à l’échelle de l’Afrique du Nord.
Programme des conférences
Lundi 28 Novembre 2011 – Faune et flore : diversité et menaces
11-12h – Quelques aspects de la phytogéographie de la Tunisie : diversité et
dynamiques des terres humides de la Tunisie du Nord
14-15h – Les mystérieux et méconnus Cryptogames des zones humides d’Afrique
du Nord
Mardi 29 Novembre 2011 – Relations nature-sociétés : usages et conservation
9-10h – Usage et conservation des mares temporaires méditerranéennes : cas des
mares temporaires de la région de Benslimane (Maroc occidental)
14-15h – La végétation des zones humides en Tunisie septentrionale : dynamique
et conservation
Mercredi 30 Novembre 2011 – Phylogéographie et paléoécologie
9-10h – Les aulnaies de Numidie : biodiversité floristique, vulnérabilité et
conservation
14-15h – Dynamiques temporelles à court et long terme d’une mare temporaire
méditerranéenne et implications pour la conservation (Maroc occidental)
Résumés des conférences
Lundi 28 Novembre, 11h : Quelques aspects de la phytogéographie de la Tunisie :
diversité et dynamiques des terres humides de la Tunisie du Nord, par Amor M.
Gammar (Université de la Manouba, Tunis, Tunisie)
La Tunisie du Nord présente des bioclimats méditerranéens typiques allant de
l’humide au semi-aride. Alors que les plaines sont presque entièrement défrichées et
cultivées, les montagnes conservent d’importantes surfaces couvertes de formations
forestières plus ou moins dégradées. Les milieux et les formations humides ont une
répartition diffuse aussi bien dans les paysages forestiers de montagne que dans les
paysages à dominante rurale et urbaine des plaines. Ce sont les pluies abondantes de
l’hiver qui entretiennent ces milieux humides de types variés. L’aggravation de la
sécheresse estivale dans le domaine semi-aride favorise l’endoréisme avec son lot de
sebkhas et de garaas. La configuration du relief favorise aussi leur extension le long
des côtes, dans les plaines et au fond des bassins intérieurs.
Le relief de la Tunisie du Nord est le résultat des structures plissées telliennes et
atlasiques, qui donnent des massifs montagneux (ou jebels) correspondant à des
monts, des écailles et des vals perchés renforcés par des affleurements résistants de
calcaire et de grès. L’ensemble est cependant bien aéré par des dépressions de type
combe, des vallées et surtout des bassins correspondant à des synclinaux en paquet
ou bien à des fossés d’effondrement remblayés par des alluvions récentes et donnant
de petites plaines intérieures. Les terres humides les plus vastes se trouvent dans ces
plaines notamment à l’est du pays où les plaines sont larges et ouvertes sur la mer.
En montagne et sur les piémonts, les terres humides ont une répartition ponctuelle,
mais leur conservation est meilleure. La partie humide du pays se distingue par ses
lacs et mares acides et par ses forêts ripicoles variées à saule, peuplier, aulne,
frêne… La partie semi-aride présente des sebkhas, des lagunes, des Merja et des
garaas non salées ou légèrement salées. Les formations ripicoles des cours d’eau
secondaires à écoulement intermittent sont peu variées, dominées par les lauriers
roses et les tamaris. Par contre les sources perchées et les principaux cours d’eau
renferment une plus grande diversité, mais les destructions anthropiques y sont
catastrophiques. Tout en restant particulièrement sensibles aux irrégularités et
variations climatiques, les dynamiques récentes de ces milieux humides sont dans
leur ensemble marquées par l’impact des actions humaines.
Les nombreux édifices humides des plaines littorales (lagunes, sebkhas) sont
fortement influencés par le développement des périmètres irrigués et des
concentrations urbaines voisines, qui entraînent une suralimentation en eau avec
extension des steppes et des prairies humides en compétition avec les implantations
urbaines et l’artificialisation des rives. Cette dynamique est aussi marquée par les
phénomènes de pollution, d’eutrophisation et de prolifération des plantes
nitratophiles. Les rives des cours d’eau comme les garaas et les zones marécageuses
non salées ou légèrement salées, à l’origine étendues au fond de chaque bassin sont
presque entièrement « bonifiées » au profit de l’agriculture, avec une perte grave de
la biodiversité. La seule exception importante est constituée par le lac et les marais
de l’Ichkeul (8000 ha). Le cas des petites garaas de montagnes est particulièrement
intéressant par les conditions de leur formation et leurs dynamiques originales. Elles
subissent en particulier l’impact des défrichements et des dégradations qui affectent
le couvert végétal de leurs bassins versants, modifient le bilan hydrique et
sédimentaire et perturbent les milieux et la végétation.
Dans le cas de la Tunisie du Nord, le lancement des actions de conservation des
terres humides parait assez tardif par rapport au développement des mutations
rurales et urbaines majeures responsables d’importantes destructions et d’une forte
anthropisation des milieux humides. Dans ce contexte, les petits sites en bon état
qu’on découvre dans les montagnes prennent une grande valeur pour la conservation
de la biodiversité.
Lundi 28 Novembre, 14h : Les mystérieux et méconnus Cryptogames des zones
humides d’Afrique du Nord, par Ingeborg Soulié-Märsche (CNRS Montpellier) et
Serge D. Muller (Université Montpellier-2)
Les cryptogames des zones humides d’Afrique du Nord n’ayant pas été étudiés
depuis plusieurs décennies, leur diversité et leur distribution y sont très mal connues.
Les prospections réalisées entre 2006 et 2010 ont permis d’y découvrir plusieurs
espèces rares et de préciser la systématique des Charophytes et des sphaignes du
Maghreb.
(1) Les Charophytes sont représentées par 16 espèces qui montrent des fréquences
très différentes de celles observées dans le sud de la France. En particulier,
l’espèce vernale Nitella opaca a été identifiée dans 38 % des stations visitées.
Nos prospections ont permis de retrouver Chara oedophylla, créée par Feldmann
en 1940 sur la base d’un échantillon d’herbier collecté par Gauthier en 1925.
Pour ce taxon typiquement méditerranéen et rare au plan mondial, il s’agit de la
localité-type : la dépression de Sejenane, Tunisie. La nature du substrat apparaît
comme le facteur majeur qui gouverne la distribution des espèces. Les
populations se caractérisent par une abondante reproduction sexuée, essentielle
pour la survie de plantes aquatiques en milieux temporaires. La morphologie
spécifique des fructifications trouvées dans des sondages permettra, à l’avenir,
de documenter les changements floristiques survenus au cours des derniers
millénaires.
(2) Les sphaignes sont connues en Afrique du Nord depuis les herborisations de
Trabut et de Cosson entre 1860 et 1890. Nos prospections, en complément de la
vérification des échantillons d’herbier existants, ont révélé l’existence de deux
espèces : S. auriculatum, relativement abondant dans le massif Numidie-
Kroumirie et dans le nord du Maroc, et S. subnitens, limité au complexe humide
de Krimda (région de Larache), sur la côte atlantique nord-ouest du Maroc, où il
est extrêmement menacé par la dégradation rapide du site.
(3) La pilulaire menue (Pilularia minuta, Marsileaceae) est une Ptéridophyte
caractéristique des mares temporaires et endémique du bassin méditerranéen.
Cette espèce extrêmement rare et sporadique n’est actuellement connue qu’en
une quinzaine de localités. Nos prospections ont permis de la découvrir en
Tunisie où elle était inconnue, de la retrouver en Algérie (Numidie) où elle
n’avait plus été revue depuis plus de 50 ans et de découvrir une nouvelle station
marocaine (Rharb). Ces découvertes constituent un réel espoir pour la survie de
cette espèce.
Mardi 29 Novembre, 9h : Usage et conservation des mares temporaires
méditerranéennes : cas des mares temporaires de la région de Benslimane (Maroc
occidental), par Siham Bouahim (Université Hassan II-Aïn Chock, Casablanca,
Maroc)
La relation “Homme-Mare temporaire” a été étudiée dans la région de Benslimane,
au Maroc occidental, à travers la perception de ces écosystèmes par la population
locale, et l’évaluation de l’impact des activités anthropiques sur leur diversité
floristique. Une approche pluridisciplinaire intégrant l’écologie et la sociologie a été
adoptée, afin d’apporter des réponses adaptées aux problématiques liées à ces
habitats et de permettre leur développement durable. Le travail réalisé a révélé :
(1) l’influence prédominante des facteurs locaux (hauteur d’eau, conductivité et
phosphore du sol) sur la richesse des mares. Les activités anthropiques
apparaissent avoir des effets variables selon le type d’usage.
(2) la prédominance d’une perception anthropocentrique des mares temporaires,
aussi bien dans la population que dans les administrations locales. L'évaluation
des menaces, qui indique que 45% des mares sont vulnérables ou menacées de
destruction à court terme, souligne le besoin urgent de nouvelles politiques
environnementales et d’approches innovantes de gestion des mares temporaires.
(3) l’impact du pâturage sur la végétation des mares, à l’échelle régionale et locale,
sur la richesse et sur l’abondance des espèces préférentielles. Ces résultats sont
interprétés comme résultant de l’effet sélectif des herbivores et la tolérance
différentielle des espèces aux perturbations.
Au terme de cette étude, la gestion intégrée des mares temporaires apparaît comme
le moyen le plus approprié pour le développement durable de cet "éco-sociosystème" complexe, en conciliant développement économique et bon état écologique
des ressources, et en liant les questions environnementales, économiques et sociales.
Mardi 29 Novembre, 14h : La végétation des zones humides en Tunisie
septentrionale : dynamique et conservation, par Amina Daoud-Bouattour (Faculté
des Sciences de Tunis, Tunisie)
Les zones humides temporaires d’Afrique du Nord représentent un patrimoine
écologique inestimable et menacé. En Tunisie, le manque de connaissances de ces
milieux a conduit à développer, dans la région Kroumirie-Mogods, une étude axée
sur des problématiques de conservation qui s’intéresse :
(1) à la biodiversité végétale exceptionnelle de ces habitats, avec un accent plus
particulier donné à Pilularia minuta, Ptéridophyte endémique menacée des
mares temporaires méditerranéennes acides, afin de contribuer à une meilleure
connaissance de son écologie, de son statut et de sa répartition, dans le but
d’améliorer la conservation de ses populations ;
(2) à l’implication des données historiques et paléoécologiques pour comprendre le
fonctionnement et la dynamique des habitats humides méditerranéens, et
contribuer ainsi à affiner les politiques de gestion conservatoire.
Ces travaux ouvrent d’importantes perspectives de recherche, notamment pour la
reconstitution des dynamiques écologiques passées des zones humides à grande
valeur patrimoniale de Tunisie septentrionale, dans l’optique d’apporter les éléments
historiques nécessaires à leur gestion conservatoire.
Mercredi 30 Novembre, 9h : Les aulnaies de Numidie : biodiversité floristique,
vulnérabilité et conservation, par Djamila Belouahem-Abed (Institut National de
Recherches Forestières, El Kala et Université Badji Mokhtar, Annaba, Algérie)
La Numidie (Nord-Est algérien) rassemble un vaste ensemble de zones humides
réparties en deux complexes, celui d’Annaba-El Kala et celui de Guerbès-Senhadja.
Ces deux complexes humides abritent des aulnaies glutineuses qui ont fait l’objet
d’une étude phytoécologique sur une période de 14 ans. Durant cette étude, 35 sites
inexplorés pour la plupart ont été visités dans des conditions de travail et de sécurité
souvent difficiles. L’étude réalisée révèle que ces habitats d’affinité septentrionale
présentent une très grande richesse spécifique (> 400 espèces) et des structures
complexes qui plaident pour leur origine ancienne. Sur le plan phytosociologique,
elles sont rattachées principalement à deux syntaxons : le Campanulo alataeAlnenion glutinosae (aulnaies riveraines) et le Rusco hypophylli- Alnetum glutinosae
(aulnaies marécageuses).
Leur état de dégradation et leur dynamique régressive, observées au cours des 14
années de l’étude, révèlent leur statut extrêmement précaire et leur déclin rapide sous
l’influence de perturbations anthropiques incontrôlées (défrichement, incendies,
drainage, pollution…). Au vu de leur importance (écologique, historique et
patrimoniale), ces écosystèmes particuliers du bassin méditerranéens, doivent
rapidement faire l’objet de mesures de protection, dans le but d’assurer la pérennité
des cortèges floristiques exceptionnels qui les constituent.
Mercredi 30 Novembre, 14h : Dynamiques temporelles à court et long terme d’une
mare temporaire méditerranéenne et implications pour la conservation (Maroc
occidental), par Btissam Amami (Université Hassan II-Aïn Chock, Casablanca,
Maroc)
La conservation à long terme des mares temporaires implique la connaissance et la
prise en compte, à la fois de leur fonctionnement et de leurs dynamiques
temporelles, à court et long terme. L’absence totale de données concernant
l’évolution de ces habitats et leur déclin au Maroc a suscité l’étude d’une mare
temporaire forestière du plateau gréso-quartzitique de la région de Benslimane
(Maroc occidental). Le travail a été mené dans une optique multiscalaire, dans le but
d’intégrer à la fois les dynamiques végétales et sédimentaires, et la relation aux
perturbations, sur le long et le court terme. L’origine et l’histoire de la mare ont été
reconstituées en associant les données de la littérature (géologie, géomorphologie) et
les données paléoécologiques et radiométriques obtenues à partir d’un sondage de
1,30 m de profondeur. Les résultats obtenus ont permis de dater l’origine de la mare
entre 1 million et 700 000 ans et de révéler la menace que constitue l’intensification
croissante des activités humaines. Enfin, l’étude des processus mis en jeu dans la
régénération de la végétation après micro-perturbation a montré une restauration
rapide des microsites perturbés par dispersion proximale et effet de bordure. Les
résultats obtenus s’accordent au paradigme de la théorie de la hiérarchie, et relient
l’échelle des perturbations à celle de leurs conséquences (conséquences locales pour
les micro-perturbations et régionales pour l’agropastoralisme). La multidisciplinarité
de ce travail révèle ainsi la nécessité de la prise en compte à la fois des données
historiques et actuelles, dans un cadre multiscalaire, pour développer une gestion
conservatoire à long terme des zones humides temporaires.
Potamon algeriense, Crabe d’eau douce, endémique de Numidie-Kroumirie
Marsilea minuta, Ptéridophyte rare des zones humides du Maroc
Organisation
S.D. Muller ([email protected]), S. Ben Saad-Limam ([email protected]), M. Benslama
([email protected]), L. Rhazi ([email protected]), I. Soulié-Märsche ([email protected])
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