Le texte coranique semble être fixé à la fin du VIIe siècle sous les Omeyyades de Damas. Ces
califes qui construisent la coupole du Rocher à Jérusalem y inscrivent dans la mosaïque le
nom de Mahomet comme successeur de Jésus. C'est un islam politique qui s'affronte aux
Byzantins.
Le processus de sacralisation commence avec les Abbassides, descendants de Mahomet par
un oncle. Ils vont commander une Sîra, c'est-à-dire une vie du Prophète, qui va leur permettre
de se donner le beau rôle, à la fois contre les Omeyyades mais aussi contre leurs cousins
directs descendants des petits-fils de Mahomet. Le chiisme historique va naître de cette
rupture.
La tradition prophétique, soit le hadith (dits et faits de Mahomet supposés rapportés par ses
compagnons), est encore plus tardive. C'est là, entre la seconde moitié du IXe siècle et le
début du Xe, entre l'Irak et l'Iran, qu'apparaît le sunnisme comme «voie prophétique». On a
alors complètement changé de sociologie. C'est la grande hybridation sur le plan culturel et
religieux. Les convertis interprètent le Coran à partir de leurs ascendances antérieures,
chrétienne, juive, zoroastrienne. C'est aussi le début de la dogmatisation de l'islam.
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D’où vient la version hyperviolente de l’islam qui s’exprime aujourd’hui ?
Elle naît bien sûr à la faveur des conflits du monde contemporain. Mais d'un point de vue
idéologique, elle est issue de la tendance la plus littéraliste du sunnisme du IXe siècle, le
Hanbalisme, par l'intermédiaire de la pensée d'Ibn Taymiyya, idéologue du XIIIe siècle, qui
voulait revenir à ce qu'il considérait comme étant la lettre du texte, notamment contre les
mystiques.
Cette tendance a connu une étonnante résurgence à la fin du XVIIIe siècle en Arabie
orientale. La tribu des Saoud suivit alors le prédicateur Ibn Abd al Wahhab qui prônait
«l’excommunication», le takfir, soit le fait de déclarer impie et de pouvoir mettre à mort ceux
qui n'étaient pas d’accord avec eux. En 1801, les Saoud vont ainsi s’attaquer à l’Irak et
prendre la ville chiite de Kerbala en y perpétrant un massacre. Un peu plus tard, ils iront piller
La Mecque et Médine.
Les Ottomans vont alors mandater le khédive d’Egypte pour arrêter ces fous furieux. Les
villes saintes seront libérées et le chef des Saoud envoyé à Constantinople où il sera exécuté
en place publique. Je dirai donc que la phase Daech a déjà préexisté au XIXe siècle, avec une
idéologie aussi délirante.
Les salafistes disent imiter l'exemple de Mahomet. Mais que savons-nous de lui?
Presque rien. C'est seulement dans la tradition prophétique qu'on décrit sa barbe, comment il
se lavait les dents, etc. De même que l'histoire du pays du Sham, qui revient sans cesse dans le
discours de Daech, n'apparaît pas davantage dans le Coran. Tout cela appartient au champ
imaginaire du IXe siècle.
C'est pourquoi on pourrait dire aux salafistes qui prétendent imiter un Prophète fantomatique :
vous n'êtes pas les petits-fils de Mahomet, vous êtes les petits-fils du IXe siècle, et plus encore