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constitutionnelle postérieure
), celui de la République de Weimar (le gouvernement et une minorité
d’auteurs avaient admis que le traité de Versailles rendait inapplicable en particulier l’art. 61 de la
Constitution du Reich de 1919
) et celui de la Serbie (avant la Constitution de 2006, la doctrine
affirmait le rang constitutionnel, voire supra-constitutionnel des traités
).
À l’inverse, dans le reste du monde, que ce soit en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, en
Europe centrale et orientale, aux États-Unis, en Amérique latine, en Chine, en Asie et en Afrique,
etc., l’idée d’une telle ouverture de l’ordre juridique domestique à l’égard du droit international
suscitait et suscite encore en général une réaction d’étonnement, voire de rejet viscéral, car une telle
vision va à l’encontre des représentations les plus profondément ancrées dans le droit positif et
dans l’esprit des juristes de ces pays
.
2. L’articulation hiérarchique des différentes strates du droit reflète, en effet, des choix
fondamentaux de nature politique. Qu’une loi votée par un parlement démocratiquement élu soit
en général (mais pas toujours) supérieure à un règlement du chef de l’État et/ou du gouvernement,
qu’une norme individuelle soit subordonnée aux normes générales, que les règles du Fürstenrecht
(droit princier) soient tantôt au-dessus de la Constitution tantôt en dessous
, que, dans un tout
autre contexte, « Dieu » (tel dieu) soit supérieur à toute norme dite d’origine humaine, que, dans le
contexte d’un système fédéral, le droit de l’entité fédérale (« le grand tout ») prime sur celui d’une
entité fédérée (« une partie »), ou que, dans tel État membre de l’UE, la Cour constitutionnelle
estime que certaines normes constitutionnelles nationales l’emportent sur celles du droit de l’UE,
etc., à chaque fois l’échafaudage de la hiérarchie des sources du droit est informé par une vision
politique de la vie en société dont les acteurs sont, plus ou moins, conscients
. À chaque fois se
pose la question de ce qui justifie, à l’égard des normes érigées en normes « suprêmes/supérieures »,
et à l’égard de ceux qui en sont les auteurs, une telle subordination, une telle confiance. Au-delà du
V. H. VALLADAO, « International and Internal Law », in Essays in Jurisprudence in honor of Roscoe Pound, Indianapolis,
1962, p. 588 et Revista da Faculdade de Direito de Pelotas, vol. VII, n°9, 1962, p. 46 s.
Sur ces points très controversés, v. G. ANSCHÜTZ, Die Verfassung des deutschen Reiches, 14e éd., Berlin, Stilke, 1933, sub.
art. 61 (al. 2), art. 178 (al. 2) et art. 4 ; M. FLEISCHMANN, « Die völkerrechtliche Stellung des Reichs und der Länder »
in G. ANSCHÜTZ, R. THOMA (dir.), Handbuch des deutschen Staatsrechts, Mohr, Tübingen, t. 1, 1930, p. 218 ss.
S. DJAJIC, « Serbia », in D. SHELTON (dir.), op. cit., p. 544.
Pour des consécrations explicites de la supériorité de la Constitution sur les (des) normes du droit international, v.
Const. Paraguay 1992, art. 141 et 137 ; Const. Estonie, 1992, art. 123 ; Const. Fédération de Russie 1993, art. 79 ;
Const. Biélorussie 1996, art. 116 al. 4 ; Const. Géorgie 1995, art. 6 ; Const. Serbie 2006, art. 16 et 194. Dans nombre
de pays (États-Unis, Allemagne, France, etc.), cette supériorité a été dégagée par les juges ; v. la littérature citée supra
note 1.
Au-dessus : le Liechtenstein actuel, où les normes de la maison princière se situent au-dessus de la Constitution et
au-dessus des traités (art. 18 du Hausgesetz des Fürstlichen Hauses Liechtenstein du 26 octobre 1993). En dessous : le
Luxembourg, à l’heure actuelle (art. 49 du décret grand-ducal du 11 juin 2012 portant coordination du pacte de famille
du 30 juin 1783 et § 13 du décret grand-ducal du 18 juin 2012 portant coordination du statut de famille du 5 mai 1907,
Mémorial B, n°51, 23 juin 2012, p. 829 ss ; sur le statut supra-constitutionnel du droit princier luxembourgeois au XIXe
siècle, v. infra n°28 et 43).
Ainsi, aux yeux de nombre d’acteurs et d’auteurs, la primauté des normes générales sur des normes individuelles fait
presque figure d’évidence. Qui y serait opposé ? Pourtant, à travers son régime idéal du roi-philosophe, théorisé dans
La République et, surtout, dans Le Politique, où il développe de manière plus précise le système de l’anomie, Platon a
développé une critique radicale de cette subordination. Au nom de la recherche du juste, Platon prône une totale
libération des normes individuelles par rapport aux normes générales. Si ce modèle philosophique n’a jamais été mis
en œuvre à 100 % (l’anomie totale est, tout simplement, impraticable), le discours platonicien permet toutefois de
justifier que, dans tel cas d’espèce, la norme individuelle, censée être plus juste, car plus adaptée à la situation concernée,
déroge à la norme générale, rejetée comme injuste. Un tel discours n’est pas resté sans échos dans la pratique, en
particulier dans les dictatures à l’instar du IIIe Reich où la « justice (raciale) particulière » devait, selon les juristes nazis
les plus critiques à l’égard du Gesetzesstaat (le gouvernement des lois), l’emporter sur les lois, y compris, parfois, les lois
promulguées par Hitler et son gouvernement. V., par ex., de manière très concise, G. DAHM, K.A. ECKHARDT, R.
HÖHN, P. RITTERBUSCH, W. SIEBERT, « Leitsätze über Stellung und Aufgaben des Richters », Deutsche Rechtswissenschaft,
1936, p. 123 s (directives n°3 et n°4); et pour une mise en perspective : L. HEUSCHLING, État de droit, Rechtsstaat, Rule
of Law, Paris, Dalloz, 2002, p. 516-570.