La mobilisation de ressources au profit des activités

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Organisation
des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
CLT-98Konf.21 O/Ref. 7
Paris, décembre 1997
Original : anglais
CONFERENCE INTERGOUVERNEMENTALE
SUR LES POLITIQUES
CULTURELLES POUR LE DEVELOPPEMENT
(Stockholm, Suède, 30 mars - 2 avril 1998)
LA MOBLISATlON DE RESSOURCES AU PROFIT
DES ACTIVITES CULTURELLES
Michihiro
CLT-98/Conf.21O/CLD.8
Watanabe
NOTE EXPLICATIVE
Pour approfondir sur le plan intellectuel la préparation de la Conférence de
Stockholm, l’UNESCO a demandé à d’éminents spécialistes de rédiger de brèves
communications faisant le point de la situation en ce qui concerne les thèmes
secondaires inscrits à son ordre du jour préliminaire. Chacun de ces spécialistes
a été prié de prendre pour point de départ les idées exposées dans le rapport de
la Commission mondiale de la culture et du développement, Notre diversité
créatrice. Chaque auteur a également été invité à soumettre librement les
nouvelles idées, les analyses et les recommandations qui lui paraissent de nature
à améliorer ou renforcer la définition et la mise en oeuvre des politiques relatives
au thème dont l’examen lui est confié. Ces contributions, commandées grâce au
soutien financier du Ministère suédois de l’éducation, seront diffusées aux
participants, et le Secrétariat de l’UNESCO s’en inspirera pour rédiger le
document de base de la Conférence. Chaque auteur est responsable du choix et
de la présentation des faits mentionnés dans sa communication ainsi que des
opinions qui y sont exprimées, lesquelles ne sont pas nécessairement celles de
l’UNESCO et n’engagent pas l’Organisation.
N.B.
Ces communications pourront également être consultées sur I’lnternet au
site suivant: http://www.unesco-sweden.org/conference/papers.htm
Résumé
1.
Les ressources
publiques
La plupart des budgets gouvernementaux consacrés à la culture sont aujourd’hui en
stagnation. La situation est particulièrement critique dans les anciens pays socialistes
d’Europe orientale et d’Asie centrale et dans les pays les moins avancés d’Asie,
d’Afrique et d’Amérique latine, où le secteur culturel souffre toujours d’un grave
manque de fonds chronique. Les responsables de la planification et de l’exécution
des politiques culturels se montrent pessimistes sur la possibilité de réunir assez de
ressources publiques.
Partout, les politiques culturelles semblent frappées d’ambiguïté et d’illogisme.
L’examen et la comparaison à l’échelle internationale de l’efficacité de ces politiques
permettrait aux gouvernements de renforcer leur propre position en mobilisant un
soutien aux dépenses culturelles. II est urgent de trouver des façons plus cohérentes
et coordonnées de collecter et d’analyser l’information disponible dans ce domaine.
Les pratiques administratives existantes encouragent fréquemment l’autosatisfaction
et l’inefficacité. Une solution pour les améliorer consiste à donner aux artistes et aux
organisations artistiques bénéficiaires une autonomie accrue qui leur permettra
d’utiliser librement leur budget de la façon la plus efficace.
La mise en commun de fonds publics
Ii.
L’association de fonds de différents ministères et organismes publics apparaît comme
une tendance mondiale. la coopération interministérielle prend ainsi de plus en plus
d’importance. Dès lors qu’une telle coordination est mise en place, il est probable que
les gouvernements
trouvent beaucoup plus de ressources disponibles pour le
développement
culturel qu’ils ne l’envisageaient. Depuis quelques années, les
dépenses culturelles des pouvoirs publics régionaux et locaux ont nettement
mais la décentralisation
du financement
de la culture n’est
augmenté,
malheureusement pas une panacée, car la plupart des collectivité locales affrontent
elles-mêmes des difficultés financières.
Les fonds privés
Ill.
Le financement privé des dépenses culturelles est en augmentation régulière partout
dans le monde. Dans certains cas, cette augmentation a cependant suscité de faux
espoirs en débouchant sur une réduction de l’apport de l’Etat. Les fondations peuvent
être utiles, sous réserve d’une législation soigneusement conçue au niveau national
et local. Les dons des particuliers sont importants non seulement par le volume de
financement potentiel considérable qu’ils représentent, mais parce qu’ils impliquent
une participation et un engagement des personnes vis-à-vis de la cause des arts et
de la culture. Le retard de nombreux pays dans la mobilisation des dons individuels
doit être rattrapé dès que possible.
Les clubs, les associations professionnelles, les associations d’anciens élèves, les
syndicats et les groupes d’amateurs peuvent également fournir une contribution. Le
rôle des établissements d’enseignement supérieur dans la promotion des activités
créatives a été excessivement
négligé par les responsables
politiques. Les
patronages traditionnels tels que ceux des institutions religieuses, des familles
-2dirigeantes, des communautés villageoises, des confréries, des corporations et des
associations, peuvent encore jouer un rôle significatif et constructif dans le soutien
des activités culturelles.
La privatisation des équipements et des institutions et le passage de leur gestion
entre des mains privées peuvent être le meilleur moyen d’attirer l’argent privé dans
le secteur culturel. II est irréaliste de croire que dans l’économie privatisée
d’aujourd’hui, les arts et la culture peuvent rester exclusivement planifiés et gérés par
l’Etat. Néanmoins, des initiatives non commerciales telles que celles visant à
démocratiser les arts, à maintenir un niveau minimal d’accès à la culture, à
encourager l’expérimentation et à préserver le patrimoine culturel continuent à
requérir l’appui de l’Etat. Ce qu’il faut, c’est identifier le rôle respectif des secteurs
public et privé dans le développement culturel et arriver à concevoir clairement il
peuvent se partager les responsabilités.
IV.
Autres ressources
La création de fonds ou fondations dotés d’un budget permanent est un autre choix
qui mérite considération. Peu de gouvernements, toutefois, sont dans les conditions
budgétaires actuelles en mesure d’investir assez de fonds. Les artistes et les activités
artistiques aux abois demanderont plutôt une aide immédiate qu’une promesse de
revenu à long terme. Une façon de trouver des fonds est d’augmenter le prix d’entrée
des institutions et des équipements culturels. Cependant, ce prix ne peut suffire à
couvrir les coûts de production, sauf à fixer des niveaux astronomiques qui mettraient
de nombreux spectacles hors de portée du plus grand nombre. Beaucoup
d’institutions culturelles prennent des mesures pour créer leurs propres recettes, en
louant des locaux à des commerces, des bureaux, des cafés ou des galeries, en
mettant en place des activités économiques ou en créant des fondations qui s’en
chargent pour elles. Les pourcentages prélevés sur les coûts de construction, les
films, les nouvelles chaînes de télévision payantes, les ventes d’oeuvres d’art et de
billets de théâtres, entre autres, sont quelques exemples de taxes spéciales perçues
à des fins culturelles. Néanmoins, ces taxes peuvent se heurter à l’opposition des
législateurs et des financiers, car elles leur retirent la maîtrise des budgets culturels.
L’utilisation des recettes des loteries et jeux d’argent soulève une question politique
délicate. Loteries et jeux sont surtout pratiqués par les catégories à faible revenu
alors que beaucoup d’amateurs d’arts appartiennent aux couches fortunées de la
société. Le risque est réel de financer le plaisir des riches avec l’argent de pauvres.
On constate depuis quelques années une tendance à verser les recettes des droits
d’auteur sur des fonds spéciaux destinés aux prestations sociales des membres des
sociétés de recouvrement ainsi qu’à d’autres fins sociales ou culturelles. Une autre
possibilité réside dans des sommes versées par les consommateurs aux sociétés de
recouvrement des droits d’auteur en compensation de l’utilisation de bandes audio
et vidéo vierges.
Des mécanismes de prêts adaptés peuvent aider les artistes et les organisations
artistiques à mieux exercer leur activité dans le système d’économie de marché
aujourd’hui prédominant.
-3V.
Le tourisme, source de financement
Les arts, les installations artistiques et le patrimoine culturel attirent davantage de
touristes et les incitent à prolonger leur séjour. Les arts, artisanats et produits locaux
les amènent à dépenser plus. II est dans l’intérêt de l’industrie du tourisme d’investir
dans les arts et la culture. L’argent du tourisme peut être mis à profit sous forme
d’une taxe demandée soit aux touristes, soit aux hôtels et aux restaurants.
VI.
Les fonds internationaux
Dans les pays en développement dont l’économie ne peut faire face aux dépenses
culturelles,
il peut être opportun de consacrer des efforts spécifiques à la
mobilisation de ressources étrangères sous forme d’assistance internationale et
d’investissements internationaux afin d’assurer un niveau minimal de financement
culturel, même si une dépendance trop grande à l’égard de cette source risque de
compromettre l’intégrité culturelle du pays bénéficiaire.
VII.
La diversification
des sources de financement
Aujourd’hui, le financement de la culture tient surtout à une combinaison dynamique
de revenus et de contributions du secteur public et privé. Ce système mixte de
financement constitue la meilleure garantie pour la liberté de création, en laissant le
choix aux créateurs et à la population plutôt qu’aux bailleurs de fonds.
VIII.
De l’aide à l’investissement
Ce sont les investissements et les revenus commerciaux qui peuvent fournir assez
de capitaux pour financer les arts et la culture. Les possibilités d’attirer des
investissements importants dans les activités créatives sont de beaucoup supérieures
à ce qu’on pensait auparavant, car les arts et la culture sont en train de devenir l’une
des plus grosses industries de nombreuses sociétés. Les formes d’arts qui sont à ce
jour l’apanage d’actions non lucratives peuvent s’ouvrir à des initiatives
commerciales. Les organisations à but non lucratif peuvent apprendre des entreprises
comment mieux réussir sur le plan commercial et, en retour, les secondes peuvent
apprendre des premières à devenir plus raffinées et moins superficielles.
IX.
L’argent des médias
La seule quantité d’argent nécessaire aujourd’hui à la production de programmes
pour les médias va ouvrir de nouvelles voies à toutes formes d’expression. La
créativité et l’industrie des médias sont liées par des intérêts communs.
X.
Une meilleure gestion de l’industrie créative
II est urgent de former des gestionnaires culturels capables, comme dans d’autres
domaines d’activité, de définir plus précisément leurs buts et leurs objectifs, de
commercialiser plus efficacement leurs produits et de mieux satisfaire au principe de
responsabilité en adoptant des méthodes de mesure des résultats et d’évaluation du
rendement.
XI.
La mobilisation
de la population
Partout, les politiques culturelles se préoccupent essentiellement du travail des
artistes professionnels, en écartant l’apport créatif de la population elle-même. La
création n’est aucunement le monopole des professionnels. Chacun porte en soi un
-4potentiel de créativité qui n’attend que d’être éveillé. La création devrait être l’effort
de tous, accompli pour et par tous. Les personnes âgées, les minorités, les
catégories urbaines et rurales marginalisées par la pauvreté, les handicapés, les
femmes et les jeunes sont souvent exclus des politiques culturelles. Gouvernements
et organisations artistiques devraient instaurer une démocratie culturelle dans laquelle
tous aient accès à la création sur une base égalitaire.
Politique artistique et politique en faveur des artistes
XII.
Une politique en faveur des artistes mettant l’accent sur l’excellence devrait
s’accompagner de mesures visant à élargir l’accès à l’art et à toucher des groupes
sociaux jusqu’alors exclus de la poursuite de cette excellence.
XIII. Rassembler les arts divisés
Pour mobiliser davantage de ressources en vue d’une renaissance créative, nous
devons redonner pleinement leur place non seulement aux arts nobles mais au
divertissement, aux artisanats, aux arts locaux et aux arts des minorités ainsi, et non
des moindres, qu’aux arts commerciaux, notamment l’architecture, le design et la
production de tous articles de haute qualité. Seul ce rapprochement de toutes les
formes de création nous permettra de mobiliser nos ressources dans notre marche
vers une société créative.
*****
-5La mobilisation
de ressources
au profit des activités
culturelles
Antécédents
La Commission mondiale de la culture et du développement souligne dans son
rapport la nécessité d’encourager les Etats membres à adopter des politiques de
financement culturel qui reflètent le rôle spécifique et nécessaire des sources
publiques, privées et commerciales. En ce sens, la Commission appelle à rechercher
des modalités novatrices de mise en commun des ressources de l’Etat, du secteur
privé et de la société civile. Le présent document se propose de suivre cette
approche. Après évaluation des mesures actuellement mises en oeuvre pour financer
les activités culturelles et identification des tendances qui se dessinent, il suggère des
innovations et explore de nouvelles ressources possibles ainsi que des voies
originales pour les mettre en commun. L’auteur est particulièrement redevable aux
trois publications suivantes :
Des Marges au Centre, rapport élaboré par le groupe de travail spécial du Conseil
de l’Europe sur la culture et le développement, Strasbourg, 1996.
Mode/s of Financing Developmenf in Culfural Policy and fhe Arts, cc/csp/op/O6
préparé pour l’UNESCO par Andreas Johannes WIESAND, octobre 1986, notamment
le chapitre C “Supplementary Financial Support to Cultural Activities - Challenges to
Public Policy” (financement additionnel des activités culturelles, les défis posés aux
politiques publiques)
Report on fhe Unifed Sfafesklapan Comparative Culfural Policy Projecf, UCLA, dir.
publ. Archie Kleingartner et Michihiro Watanabe, à paraître prochainement chez Alta
Mirra Publishing Company, New York.
1.
Les ressources publiques
La sfagnafion des dépenses publiques
La question du financement d’activités créatives en expansion est la plus urgente qui
se pose aujourd’hui en matière de politique culturelle, car les fonds disponibles ne
peuvent suivre la demande croissante de culture de la population. Au cours des
années 70 et 80, les dépenses publiques consacrées à la culture ont progressé dans
un grand nombre des pays avancés. La prospérité générale a permis à la société, un
peu partout dans le monde, de supporter l’affectation de ces ressources à des fins
culturelles. Dans les pays en développement, la culture s’est vu attribuer un poste
budgétaire et un rôle dans le processus de développement. Maintenant, l’âge d’or est
révolu. Le budget affecté à la culture par la plupart des gouvernements stagne ou
diminue, face à la concurrence d’autres secteurs économiques et sociaux dans un
contexte budgétaire qui ne cesse d’empirer. Le problème est encore plus sérieux
dans les anciens pays socialistes d’Europe orientale et d’Asie centrale, où
l’infrastructure culturelle, les cadres normatifs et les mécanismes de financement se
sont effondrés, sans que l’on ait trouvé encore de solutions de rechange. Dans les
pays pauvres d’Asie, d’Afrique et d’amérique latine, le secteur culturel souffre d’un
grave manque de fonds chronique.
-6Avec la généralisation du concept jeffersonnien de “gouvernement limité”, axé sur le
transfert du pouvoir de décision et des ressources du gouvernement central aux
collectivités locales et au secteur privé, il est encore plus difficile aux gouvernements
d’augmenter leur budget culturel. Ils ont réduit leur dépenses non seulement dans le
domaine culturel, mais dans celui de l’aide sociale et de l’éducation, considérés
récemment encore comme des secteurs intouchables de l’Etat-providence. Dans ces
conditions, il serait irréaliste de s’attendre pour les années à venir à une hausse
substantielle des dépenses publiques affectées à la culture. Les responsables de la
planification et de la mise en pratique des politiques culturelles se montrent
pessimistes quant à la possibilité de réunir assez de fonds publics pour promouvoir
les activités créatives qui répondent à la demande croissante de culture parmi les
populations du monde entier.
La nécessité de polifiques publiques plus perfinenfes
Afin d’éviter une nouvelle baisse des fonds publics consacrés à la culture, il faudrait
redoubler d’efforts pour développer un nouveau climat de compréhension. Plutôt que
de plaider pour la culture en insistant sur sa nature et ses valeurs spécifiques sans
point commun avec d’autres facteurs d’ordre économique et social, décideurs et
responsables de l’application des politiques culturelles doivent la considérer comme
partie intégrante des objectifs de la gouvernante. Malheureusement, les politiques
culturelles semblent partout frappées d’ambiguïté et d’illogisme. Selon les termes de
Colin Mercer, ” Le plus gros problème auquel nous devons faire face, dans le
domaine de la politique culturelle, ne provient pas, je le crois, d’un manque de
ressources, d’un manque de volonté, d’un manque d’engagement, ni même d’un
manque de coordination de politiques à ce jour. II vient plutôt d’une mauvaise
appréhension ou même d’une formulation et d’une reconnaissance incomplète de
l’objet même de nos réflexions : la culture ” (1). C’est particulièrement vrai dans le
cas des politiques de financement de la culture.
L’aide publique doit reposer sur un raisonnement plus acceptable, non seulement
pour les artistes et les organisations artistiques, mais pour le public en général. La
démocratisation de l’accès aux arts et à la culture a souvent servi de justification pour
employer l’argent des impôts à des activités artistiques. II est devenu évident,
néanmoins, que l’objectif de mettre les arts à la portée de tous n’est pas atteint de
façon convaincante. Un autre argument consiste à dire que les arts et la culture sont
bons pour l’individu et pour la société ou, comme l’a écrit Ronald Berman, ancien
président de la National Endowment for the Humanities, que les arts et les sciences
humaines sont socialement utiles et recèlent en puissance la panacée contre le
crime, les tensions des quartiers pauvres et le malaise économique (2). D’autres
assimilent l’apport des arts à l’identité d’un pays et au prestige national, aux recettes
d’exportation, à la croissance économique, en particulier au niveau des communautés
locales, à la régénération urbaine et à l’amélioration de la qualité de la vie, pour ne
citer qu’un échantillon. Les arguments relatifs aux répercussions économiques sont
utilisés depuis quelques années maintenant par les partisans des dépenses
culturelles, notamment dans les pays en développement. Toutefois, le fait que les
arts et la culture soient économiquement importants n’entraîne pas automatiquement
une augmentation des dépenses publiques consacrées au secteur culturel, compte
-7tenu du principe admis dans de nombreux pays selon lequel l’intervention
dynamique de l’économie de marché est chose déconseillée.
dans la
La libéralisation politique n’est possible que dans un contexte garantissant la liberté
d’expression et de création et dans lequel la volonté créatrice aille de pair avec la
mise en question des valeurs existantes. Voilà un argument en faveur de l’aide
publique à l’art. En examinant et en comparant à l’échelle internationale la validité de
tels raisonnements, un gouvernement peut clarifier le rôle de la culture pour le mieuxêtre de la communauté et, en retour, renforcer sa position en mobilisant des fonds
pour les dépenses culturelles.
Quoique de tels raisonnements soient essentiels pour obtenir un soutien public de
ces dépenses, on risque en mettant trop l’accent sur des raisons extérieures et
principalement
utilitaires de subordonner
la valeur créative à des aspects
extrinsèques. D’autre part, il ne suffit pas pour convaincre d’affirmer que les arts et
la culture sont en soi, sans doute possible, des biens publics. On prouvera
difficilement que des arts et une culture subventionnés font mieux que des arts et une
culture sans subvention. Nous savons tous que certains des meilleurs artistes du
monde et de l’histoire ont réussi sans aucune aide publique. Pressés de justifier
l’engagement des pouvoirs publics en matière d’activité créative, les tenants de l’aide
publique cherchent souvent à démontrer que les résultats sont meilleurs dans les arts
qui en bénéficient que dans les autres. Le problème est justement là. Pour confirmer
leurs dires, les défenseurs des arts subventionnés ont tendance à rejeter ou à
déprécier les activités créatives qui ne le sont pas, telles que les arts populaires,
commerciaux et folkloriques, comme vulgaires et de basse qualité, ou à les accuser
d’être purement mercantiles. C’est l’une des fautes tactiques courantes et souvent
fatales commises par les artistes et les planificateurs de politiques. Ces créations non
subventionnées
représentent
habituellement
la culture d’une majorité de la
population, particulièrement de sa jeunesse, et les ignorer est le plus sûr moyen de
rendre le public étranger à la cause de la création. Aucun politicien, dans une société
démocratique quelle qu’elle soit, ne peut se permettre une telle attitude de rejet à
l’égard de la culture de toute une population et s’attendre à survivre à une élection.
La seule façon de faire d’une politique culturelle l’axe d’une stratégie nationale est
de démontrer que les arts subventionnés sont aptes et disposés à coopérer avec les
activités créatives de la population en général, qu’il s’agisse d’arts populaires,
commerciaux ou folkloriques.
La nécessifé de développer les bases de données ef la recherche
L’une des raisons pour lesquelles les politiques culturelles ont partout échoué à
produire un schéma logique de financement de la culture est l’insuffisance des
données disponibles et de la recherche. Nous savons tous, par exemple, que les
industries culturelles sont en train de devenir dans beaucoup de pays l’un des
secteurs économiques les plus importants, mais nous ne disposons ni de statistiques
et d’études sur la dimension exacte de ces industries, ni d’une méthodologie
commune pour aborder de telles études. II est urgent de mettre au point une façon
plus cohérente et coordonnée de collecter les données et de les analyser. Seules ces
données et les résultats de la recherche nous aideront à élaborer une politique
culturelle plus pertinente et plus efficace.
-8L’amélioration des pratiques budgétaires
Un autre problème est celui de l’amélioration de la gestion financière dans le secteur
public. Un financement régulier encourage l’esprit d’autosatisfaction et l’inefficacité
en diminuant la motivation à rechercher d’autres fonds ou une audience plus
importante. De nombreux responsables gouvernementaux sont en particulier enclins
à se concentrer sur l’augmentation de leur budget et le maintien de leur volume de
dépenses en faisant à peine attention à l’utilisation qui est faite de l’argent ainsi
distribué. En fait, les financements réussis sont souvent pénalisés par une réduction
des subventions, et les échecs récompensés par une aide publique accrue. La
tendance à dépenser des fonds dans des projets de prestige spectaculaires prive
également les activités créatives de ressources précieuses. Pareilles pratiques,
économiquement discutables, étaient tolérables lorsqu’on pouvait compter sur une
hausse budgétaire continue. Or, les budgets tendent plus aujourd’hui à diminuer qu’à
augmenter. Une façon de remédier à la situation est d’accorder plus d’autonomie aux
organisations artistiques, afin qu’elles soient libres d’employer leur budget de la
manière la plus efficace. Elles ne devraient pas, lorsqu’elles réussissent à augmenter
leurs recettes ou à collecter d’autres fonds, être pénalisées par une réduction de
leurs subventions.
Actions
proposées
par l’UNESCO
7
Renforcer la fonction de centre de documentation de /‘UNESCO dans le
domaine des poiifiques cuifureiies publiques des Efafs membres, afin que ceux-ci
profitent de /‘expérience des aufres dans la mise au point de politiques cuifureiies
plus pertinenfes.
2
Meffre en réseau à l’échelle mondiale les universités, les insfifufs de
recherche, les académies et les services gouvernementaux chargés des poiifiques
cuifureiies, en vue de l’échange d’informations.
4
Organiser des réunions d’experts pour étudier les façons de mobiliser et de
meffre en commun les ressources publiques destinées aux activités cuifureiies dans
les Efafs membres.
5
Préparer à i’infenfion des Etats membres des principes directeurs pour
améliorer la recherche et /a compatibilité de l’information en vue de la planification
de politiques.
Organiser
des ateliers et accorder des bourses aux responsables
6
gouvernementaux
de /a culture afin de leur permeffre d’acquérir de meilleures
prafiques de gesfion.
La mise en commun de fonds publics
II.
Associer les budgefs de différents organes publics
Devant la baisse des fonds gouvernementaux, le besoin se fait mondialement sentir
de diversifier les sources publiques de financement. Le premier élément est
l’association des fonds de différents ministères ou organismes de l’Etat, ainsi que de
différents secteurs au sein d’organismes culturels. II est bien connu que le budget
-9des ministères de la culture ne représente qu’une partie des dépenses publiques
consacrées à la culture, et qu’il existe de nombreux budgets culturels déguisés dans
d’autres secteurs. Le budget de change des ministères des affaires étrangères,
l’argent régional des organismes de développement,
les budgets d’éducation
artistique et de formation d’artistes et de publics des ministères de l’éducation, les
budgets de prestations sociales pour les artistes des départements d’aide sociale, les
fonds destinés à la promotion du tourisme culturel par les organismes touristiques,
en sont quelques exemples. Par ailleurs, les liens entre les arts et la culture et
d’autres domaines tels que les communications, l’industrie, l’aménagement urbain,
l’éducation et la sécurité sociale augmentent la portée de la politique culturelle. La
coopération interministérielle, par conséquent, prend de plus en plus d’importance.
II est souhaitable que les gouvernements élaborent des stratégies culturelles globales
reliant tous les programmes relatifs à la culture. Dans les pays en développement,
il est particulièrement important de lier la politique culturelle à la politique générale
de développement en ce qui concerne l’emploi, le tourisme, les médias et les
industries audiovisuelles, etc.. Dès lors qu’une telle coordination aura été mise en
place, les gouvernements trouveront probablement beaucoup plus de ressources
disponibles pour le développement culturel qu’ils ne l’avaient envisagé.
Cette coordination est d’autre part déterminante pour donner à la culture une place
centrale dans l’administration générale. Elle peut mettre fin à l’isolation de la politique
culturelle en créant des réseaux permanents entre les différents départements
ministériels, et permettre aux gouvernements d’assurer la plupart des multiples
interactions entre la culture et les facteurs de développement social et économique.
Mobiliser les fonds des coiiecfivifés régionales ef locales
Une autre approche consiste à mobiliser les fonds des collectivités régionales et
locales. Même dans des pays où l’administration centrale a joué un rôle essentiel
dans le développement culturel, le budget de l’Etat diminue ou du moins ne
progresse plus aussi vite. Pour remédier à cette stagnation de leur budget, les
autorités nationales s’efforcent de transférer les dépenses relatives aux arts et à la
culture aux régions et aux municipalités. Celles-ci ont de bonnes raisons d’accroitre
leur action en matière culturelle. Les paysages urbains et l’architecture urbaine ont
besoin des arts et des artistes qui les conçoivent. Le patrimoine contribue largement
à l’économie locale en développant l’emploi, le tourisme culturel et l’artisanat. De
façon plus importante, les arts et la culture donnent aux communautés locales leur
identité, sont source de fierté pour les habitants et peuvent réduire l’exode rural,
notamment chez les jeunes. Ils ouvrent aussi une porte à l’industrie extérieure en
rendant la région plus attrayante pour les travailleurs et leur famille.
Le transfert du financement de l’Etat aux régions et aux municipalités exige des
responsabilités et un pouvoir de décision accrus chez les secondes. On constate
ainsi un processus graduel mais sûr de décentralisation vers les collectivités locales,
même dans des pays dotés d’une forte administration centrale. La participation
accrue de ces collectivités aux dépenses publiques est l’un des phénomènes les plus
encourageants de ces dernières années et il devrait encore s’accélérer. Outre la
possibilité d’appliquer des ressources inexploitées au développement culturel, la
décentralisation
permet d’employer les fonds au plus près des besoins de la
-lOpopulation. Elle contribue aussi à la diversité de ce développement culturel face à
une “culture nationale” à sens unique, encourage à plus de participation, atténue le
risque d’un détournement de la culture à des fins politiques et favorise les activités
populaires. Malheureusement, la décentralisation du financement culturel n’est pas
une panacée : les pouvoirs publics locaux doivent eux-mêmes faire face à des
difficultés financières...
Actions
proposées
par /‘UNESCO
1
Entreprendre des éfudes de cas sur les expériences réussies de mise en
commun de fonds publics, enfle organismes fédéraux ainsi qu’à fous les niveaux
administratifs.
2
Encourager la décentralisation des politiques
décisions vers les coilecfivifés régionales et locales.
culturelles
et de la prise de
3
Demander aux Etats membres d’identifier des municipalités modèles ayant
réussi à intégrer les activités créatives dans leur plan de développement global.
Ill.
Les fonds privés
La collecte de fonds privés
De plus en plus, il apparaît que même les efforts ajoutés des différents pouvoirs
publics ne suffisent pas à répondre à la demande croissante d’activités culturelles.
Pour certains, la situation actuelle est temporaire : il faut attendre que les économies
émergent de la récession. Néanmoins, chacun ou presque sait que dans le monde
d’aujourd’hui, les arts sont au service d’une fraction seulement de la population,
quand la démocratisation appelle à la participation populaire. Cela signifie qu’il faudra
nettement plus d’argent pour soutenir les activités artistiques naissantes, ce qui
suppose de renoncer à la dépendance exclusive à l’égard des finances publiques.
Ainsi, la tendance générale est de rechercher des sources de financement
additionnelles dans le secteur privé. Pour encourager les dons privés, de nombreux
pays suivent l’exemple des Etats-Unis, où des avantages spécifiques sont accordés
aux organisations à but non lucratif : déductibilité des dons, tarifs postaux réduits,
baisses de l’impôt sur le revenu, etc.. En conséquence, les dépenses culturelles des
sources indépendantes privées telles qu’organismes commanditaires, fondations,
associations et autres, sont partout en augmentation régulière.
Compte tenu de l’importance de ces sources privées, la Commission mondiale de la
culture et du développement recommande une action à l’échelle mondiale pour
promouvoir le rôle du financement indépendant et établir des liens avec les
organismes de ce secteur. (3)
La participation accrue de l’entreprise, des fondations et des personnes physiques
est l’un des fait nouveaux les plus prometteurs de ces dernières années en matière
de financement de la culture. Cependant, l’augmentation des dons privés suscite
parfois de faux espoirs. Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, ce financement privé a
conduit à une diminution notable des dépenses de l’Etat. Une façon d’éviter l’effet de
vases communicants entre le public et le privé est de mettre en place un mécanisme
-lld’ajustement des dons privés aux fonds publics. II est évident toutefois que ce
mécanisme ne contribue réellement à une augmentation du financement que si le
secteur public manifeste la volonté de maintenir son niveau d’aide à l’activité
artistique.
Les sources de financement privées sont essentiellement au nombre de cinq :
entreprises, fondations, personnes physiques, organisations autres et patronages
traditionnels. Leur soutien est fourni en numéraire, en main-d’oeuvre ou en nature ou
bien sous forme de prêts d’espace ou d’équipements.
Les entreprises
Le concours des entreprises ne se résume pas aux dons mais comprend aussi la
promotion, la vente et la publicité. Toutefois, le secteur culturel apprécie surtout les
donations sans conditions. Les entreprises patronnent depuis longtemps les arts et
la culture, mais c’est la généralisation de notions telles que celle d’l’entreprise
citoyenne” qui a entraîné dans de nombreux pays l’augmentation régulière de leurs
dons. La création du Business Committee for the Arts (BCA) aux Etats-Unis et
d’organismes similaires dans beaucoup d’autres pays y a contribué. Le fait que ces
organismes constituent un réseau international pour coordonner leurs efforts est bon
signe. Certains relèvent des inconvénients à l’aide accordée par des entreprises et
mettent en garde les artistes contre une trop grande dépendance à son égard. Ils font
observer que les entreprises évitent fréquemment de financer des programmes
controversés ou impopulaires qui ne favoriseront pas leur visibilité et leur image de
marque, ce qui peut compromettre la qualité et les aspects novateurs des productions
artistiques. L’aide des entreprises varie également en fonction des conditions
économiques : il est donc difficile aux organisations artistiques de tabler en
permanence sur un niveau d’aide donné. Cependant, ces inconvénients ne sont pas
spécifiques aux entreprises. Les fonds publics comportent des risques similaires. Ces
problèmes peuvent être atténués si les associations, côté entrepreneurs, imposent
à leurs membres des codes de conduite ou mettent en oeuvre des programmes
éducatifs à l’intention des chefs d’entreprise intéressés par la protection des arts.
D’autre part, les organisations artistiques peuvent collaborer plus efficacement avec
les entreprises si elles comprennent leurs principes de financement et leurs objectifs
commerciaux liés, en dernière analyse, à la réalisation de bénéfices. Le secteur
artistique devrait comprendre
aussi que les entreprises sont aujourd’hui des
institutions responsables devant leurs actionnaires et leurs employés, et que cette
responsabilité est essentielle dans tout programme auquel elles apportent leur
soutien. Cela peut être mis en pratique en rendant compte aux sociétés de la
réalisation des objectifs fixés et de ce qui a pu être fait grâce à leur aide.
Les fondations
Les fondations sont des institutions expressément créées pour financer certaines
causes. Aux Etats-Unis, elles constituent la deuxième grande source de dons pour
les arts et la culture, à côté des dons individuels. II en existe quatre sortes. Les
fondations familiales ont été créées par un particulier disposant d’une fortune propre
pour soutenir un petit nombre d’activités relevant des centres d’intérêt du fondateur.
Les fondations à vocation générale, qui couvrent une vaste gamme d’activités, sont
habituellement gérées par des professionnels. Certaines sont très importantes,
-12comme le Lila Wallace Reader’s Digest Fund, le plus grand donateur privé des EtatsUnis avec plus de 30 millions de dollars de dons par an (4). Les fondations
d’entreprise appliquent des politiques de don généralement cohérentes avec les
intérêts des sociétés qui les ont créées. Enfin, les fondations “communautaires”
regroupent les legs de nombreuses sources privées, particuliers, entreprises,
fondations et autres ; elles sont administrées par un conseil de représentants de la
collectivité. Si les fondations d’entreprise et, dans une certaine mesure, les dons
individuels, sont sujets à de fortes fluctuations liées aux conditions économiques et
aux résultats financiers, les fondations peuvent limiter au maximum les effets négatifs
de circonstances extérieures telles que les faibles taux d’intérêt et la stagnation
boursière. Pour qu’elles soient utiles aux arts et à la culture, elles requièrent une
législation soigneusement conçue au niveau national ou local. En contrepartie
d’exonérations fiscales et d’autres avantages, celle-ci doit exiger que leur dotation
soit employée à des fins publiques et non lucratives, distribuée de la façon la plus
ouverte et équitable et non soumise à la volonté arbitraire des fondateurs, et que leur
gestion soit assurée par un conseil d’administration désigné publiquement.
Les particuliers
Les particuliers représentent aux Etats-Unis la source de dons la plus importante, soit
83% du chiffre total. En 1992, leur contribution à la cause des arts, de la culture et
des sciences humaines s’élevait à 8,81 milliards de dollars (5). Dans la plupart des
autres pays, cette ressource reste à développer, en partie parce qu’on a tendance
à oublier que la collecte de fonds est une forme de marketing. II ne suffit pas, comme
on l’imagine couramment dans le secteur culturel, que le produit ou la cause soient
bons. Seuls des experts possédant des compétences spécifiques peuvent faire appel
à la générosité individuelle. II y a aussi méprise, de la part des artistes et des
organisations artistiques, sur les raisons pour lesquelles un individu donne. Des
mobiles altruistes tels que le sens de la responsabilité collective et l’amour des arts
et de la culture sont souvent considérés à tort comme les plus importants. On tend
à occulter des motivations plus complexes, rarement débattues au grand jour, comme
le besoin d’estime de soi, le désir d’obtenir la reconnaissance d’autrui ou des
avantages personnels, la fierté d’appartenir à une association et des considérations
financières, par exemple les réductions d’impôt. Toutes ces motivations devraient être
étudiées de près lorsqu’on met au point des stratégies de collecte.
Les dons individuels, en particulier les petites contributions du grand public, peuvent
représenter la plus importante des quatre sources de financement privées, non
seulement par leur volume, comme aux Etats-Unis, mais parce qu’elles implique
l’adhésion et l’engagement des personnes. II s’agit là d’une forme de participation
populaire essentielle pour l’accès aux arts et à la culture. Outre les dons en argent,
cette contribution peut aussi revêtir la forme du bénévolat, individuel ou par groupe,
dans n’importe quelle activité réalisée auprès d’organisations artistiques, dans le
cadre de l’exécution de programmes ou dans celui d’activités créatives, les bénévoles
payant de leur poche.
Autres organisations et groupes
D’autres organisations ou groupes peuvent fournir une contribution aux arts et à la
culture, par exemple les clubs, les associations professionnelles, les associations
- 13d’anciens élèves, les syndicats et les groupes d’amateurs. Les décideurs ont
excessivement négligé le rôle des établissements d’enseignement supérieur dans la
promotion des activités créatives. La collaboration entre artistes, organisations
artistiques et groupes de ce type peut apporter aux premiers de nouveaux publics et
des dons éventuels, et permettre aux membres des seconds d’assister à des
spectacles et des événements spéciaux et de découvrir des possibilités de s’instruire.
Les patronages traditionnels
Les activités culturelles ont toujours bénéficié, dans de nombreuses parties du
monde, du patronage de personnes ou de groupes traditionnellement investis d’un
statut particulier dans la communauté. Les institutions religieuses, les familles
dirigeantes, les communautés villageoises, les confréries, les corporations et les
associations en sont quelques exemples. Selon un rapport réalisé en Gambie,
“récemment encore, l’art et l’artisanat étaient patronnés par les grandes maisons, les
familles commerçantes établies et les communautés villageoises, et reconnus en tant
qu’activités économiques, religieuses, éducatives et de loisirs ” (6). Le lien entre les
activités culturelles et certains de ces patronages traditionnels peut présenter le
risque d’associer la culture au système politique traditionnelle, et doit être abordé
avec précaution lorsque celui-ci se trouve en conflit avec les processus de
modernisation. Malgré tout, ces patronages ont contribué dans de nombreux pays au
développement des arts et de la culture, comme c’est le cas pour les institutions
religieuses, et certains continuent à jouer un rôle significatif et constructif dans l’aide
aux activités culturelles.
La privatisation de l’activité créative
Les gouvernements qui s’efforcent de transférer une part plus importante des
dépenses artistiques et culturelles sur le secteur privé, en particulier sur les
entreprises, ont découvert qu’il n’est pas facile de persuader celles-ci de compenser
la réduction des dépenses publiques. Cela se comprend dans les pays où l’activité
créative est gérée essentiellement par un Etat qui demande au secteur privé de
l’argent, mais pas une participation ou des initiatives. On ne peut attendre de
concours de la part d’entreprises et de personnes dont le rôle se limitera à compléter
le financement de programmes qui restent sous le contrôle de la bureaucratie
culturelle. La privatisation des équipements et des institutions et le passage de leur
gestion entre des mains privées peut être le meilleur moyen de susciter à plus forte
dose l’aide privée à la culture.
On peut douter toutefois que ce transfert des responsabilités de l’Etat au secteur
privé se fasse sans résistance dans des pays où le gouvernement
a
traditionnellement joué un rôle central dans les arts et la culture. II rencontrera
l’opposition de la bureaucratie et de la classe politique, désireuses de conserver leur
influence sur l’activité créative, et celle des artistes, des organisations artistiques et
des institutions culturelles, craignant de perdre leur stabilité financière. Ceux-ci
argumenteront contre la privatisation en déclarant qu’elle risque d’encourager les arts
les moins exigeants, les moins risqués et les plus commerciaux, et de défavoriser les
programmes les moins populaires, les moins viables sur le plan commercial et les
moins orientés vers la création.
-14Certes, les acteurs économiques recherchent le meilleur rapport financier et le
meilleur rendement quantitatif. II est vrai aussi que les oeuvres nouvelles ou difficiles
ne trouvent pas immédiatement un écho dans le public ou n’ont pas une audience
assez vaste et, en ce sens, attirent moins les investisseurs privés. Mais cela ne doit
pas exclure la possibilité d’introduire la gestion privée dans certains aspects de la
culture. La gestion privée réussit généralement mieux que l’administration publique
dans la réalisation de programmes et d’équipements culturels. Parce qu’elle implique
d’accepter l’opposition consciente et inconsciente à l’art officiel cautionné et
subventionné par l’Etat et au mode de vie socialement admis, la privatisation de
certains aspects de l’activité culturelle apparaît de ce point de vue comme une
condition préalable à la démocratisation des politiques culturelles. II est irréaliste de
croire que dans l’économie privatisée d’aujourd’hui, les arts et la culture peuvent
rester exclusivement planifiés et gérés par l’Etat.
Le partage des responsabilités entre /‘Etat et le secteur privé
II va sans dire que toutes les activités culturelles ne sont pas adaptées au patronage
privé, ni à même de survivre sans protection dans une économie de marché. Certes,
le libre jeu des mécanismes de marché s’avère répondre à toute une série de
besoins mieux que tout autre système inventé jusqu’à présent. Mais la culture touche
non seulement les aspects matériels mais également spirituels, intellectuels et
émotionnelles de la vie humaine. La conception périmée de l’Etat-providence, dans
laquelle les pouvoirs publics étaient garants de la sauvegarde de la qualité et de la
diversité de la vie culturelle, ne convient plus à de nombreux gouvernements.
Néanmoins, des initiatives non commerciales telles que celles visant à démocratiser
les arts, à maintenir un niveau minimal d’accès à la culture, à encourager
l’expérimentation et à préserver le patrimoine culturel, tant matériel qu’immatériel,
continuent à requérir l’appui de l’Etat. Les dépenses publiques représentent aussi une
mise de fonds initiale efficace pour stimuler l’investissement privé. Les subventions
affectées à ces objectifs sont socialement et économiquement profitables et devraient
augmenter, ou du moins se maintenir, indépendamment de la hausse du financement
privé. Ce qu’il faut, c’est identifier le rôle respectif du secteur public et privé dans le
développement culturel et arriver à concevoir clairement il peuvent se partager les
responsabilités. Autrement, on ne pourra éviter la redondance des efforts et le
gaspillage inutile de ressources.
Actions
proposées
par /‘UNESCO
fixer des lignes directrices à /‘intention des administrateurs et gestionnaires
?
sur les façons et les moyens de mobiliser des fonds privés au profit de la culture et
des activités créatives.
2
Créer des réseaux mondiaux d’organismes
de financement
Encourager la création de réseaux entre les organisations
3
soutien de l’art par l’entreprise.
indépendants.
qui promeuvent
Mettre en place un mécanisme mondial permettant aux particuliers
4
entreprises de soutenir à l’échelle internationale /es activités créatives.
le
et aux
- 155
Réaliser des études de cas sur la privatisation des activités culturelles afin
d’identifier ses mérites et ses inconvénients ainsi que les difficultés qu’elle aurait à
affronter.
Organiser des réunions d’experts pour débattre sur le partage
6
responsabilités entre /‘Etat et le secteur privé dans le domaine culturel.
des
IV.
Autres ressources (7)
Le besoin de ressources additionnelles a conduit à rechercher des modes de
financement nouveaux et à tirer parti au maximum des fonds disponibles. En voici
quelques exemples.
Les dotations
La création de fonds ou fondations dotés d’un budget permanent destiné à soutenir
les arts est un choix à considérer de près. Ce type d’organisme présente sur le
subventionnement direct par l’Etat, surtout si celui-ci est fixé ” selon les conditions
normales de la concurrence “, l’avantage de posséder un haut degré d’autonomie et
son propre pouvoir de décision hors du contrôle de l’Etat. Un tel système permet de
réduire le risque d’intervention des pouvoirs politiques et bureaucratiques dans la
répartition des subventions, inévitable même dans le régime le plus démocratique.
II garantit en outre une source de revenu stable aux organisations artistiques et
culturelles, en échappant aux fluctuations des budgets nationaux.
Cependant,
ces dotations sont depuis quelques
années devenues
moins
intéressantes. Tout d’abord, peu de gouvernements sont à même, dans les conditions
budgétaires actuelles, d’investir assez de fonds. Ensuite, une dotation impropre,
inapte à générer les revenus nécessaires, n’a qu’un impact limité sur le
développement
culturel. D’autre part, les taux d’intérêt connaissent dans de
nombreux pays une baisse historique. Les organisations artistiques et culturelles aux
abois peuvent exiger que l’argent soit dépensé immédiatement et non utilisé comme
un placement.
Le système de la dotation présente un mérite certain si un financement additionnel
des collectivités locales et du secteur privé vient compléter les fonds fournis par
l’administration centrale. Un exemple est celui du Japan Arts Fund, créé en 1990. Le
gouvernement du Japon a doté cet organisme de 50 milliards de yens et des
entreprises ont apporté 12 milliards de yens. Les recettes du Fonds, soit environ 3
milliards de yens, servent à financer des activités culturelles. Encouragés par cette
initiative gouvernementale, les préfectures avaient créé 57 dotations similaires et les
municipalités 86 en 1993. Le montant total de ces dotations dépassait en 1992 177
milliards de yens (8). En Argentine, un fonds national pour les arts a été mis en place
en 1958 pour soutenir le développement culturel. L’apport initial du gouvernement est
complété par une part prélevée sur les recettes des stations de radio et de télévision,
des billets d’entrée et des cagnottes des événements sportifs. (9)
La majoration des droits d’entrée
L’un des moyens les plus simples d’augmenter les fonds disponibles est de majorer
le prix d’entrée des équipements et institutions culturels tels que musées et théâtres.
-16Tandis qu’un public plus nombreux s’intéresse aux arts et à la culture, certains signes
montrent qu’il est prêt à payer plus cher, en particulier pour des “événements
spéciaux” et des “expositions populaires”. Néanmoins, une étude récente sur le
monde du spectacle indique que les prix d’entrée perçus pour les événements
culturels couvrent diffkilement des coûts en hausse, la productivité offrant une
croissance très limitée dans ce domaine. Le montant des billets d’entrée ne peut
donc suffire à faire face aux coûts de production, sauf à fixer des prix astronomiques
qui rendraient beaucoup d’événements inaccessibles au plus grand nombre. Certains
argueront que le but des activités et des installations culturelles n’est pas d’obtenir
le maximum d’argent des visiteurs, mais de fournir au public une possibilité de
s’instruire et d’apprécier l’art et la culture. On peut répondre à cet argument en
élargissant l’éventail des prix d’entrée. Dans certains musées américains, par
exemple, chaque visiteur est tenu de payer son entrée, mais le montant en est laissé
à sa discrétion. Un tel système de contribution volontaire peut augmenter les recettes
sans heurter le public.
Créer de nouvelles sources de revenu pour les institutions culturelles
L’Etat ne pouvant plus prendre en charge tous les aspects de l’activité culturelle, les
institutions, notamment dans les anciens pays socialistes d’Europe orientale et d’Asie
centrale, commencent à être privatisées, tandis que celles qui restent publiques sont
encouragées à devenir financièrement plus autonomes. Pour y faire face, de
nombreuses institutions de ces pays prennent des mesures visant à augmenter leurs
revenus propres. En Pologne, ces mesures consistent notamment à ” donner à bail
une partie des locaux à des boutiques, des bureaux, des cafés, des galeries ; les
louer pour différents types d’événements et de réceptions ; louer l’espace publicitaire
des murs de l’immeuble, lancer des activités commerciales ou créer des fondations
qui s’en chargent. Les institutions créent des agences de voyage, des parcs de
et offrent des services
stationnement
payants, des agences commerciales,
d’impression et de télécopie “. (10) La modernisation et le développement des
boutiques de musées et de théâtres, qui se sont avérées remarquablement
fructueuses dans beaucoup de pays, constituent une autre source prometteuse de
revenus additionnels.
Récemment encore, les institutions culturelles étaient peu incitées à entreprendre des
activités génératrices de revenus. Non seulement de telles activités n’étaient pas
nécessaires lorsque le secteur public couvrait tous les frais mais, dans de nombreux
cas, toutes les recettes provenant de la vente de billets, de cartes et de catalogues
allaient directement aux coffres de l’Etat. Dans ces conditions, il importait peu aux
administrateurs des institutions de faire des gains qui ne leur apportaient pas de
ressources supplémentaires. La situation est différente aujourd’hui où les institutions
culturelles sont encouragées à devenir autonomes tant sur le plan administratif que
financier.
L’institution de taxes spéciales
Une taxe spéciale pour la culture peut prendre la forme d’un “impôt culturel” ou bien
de recettes reversées, des fonds d’une source spécifique étant alors explicitement
affectés à une utilisation précise. Les exemples sont nombreux :
- 17taxes sur les coûts de construction, à l’instar du projet “Arts for Public Places”
adopté par de nombreux pays ou du “Federal Art Project” (FAP) aux Etats-Unis,
permettant de recueillir des fonds sur la construction d’édifices publics au profit de
commandes ou d’achats d’oeuvres d’art :
taxes sur les films dans certains pays tels que le Danemark, la France et
l’Allemagne, où une partie du montant des ventes de billets est allouée à la
réalisation. Des taxes complémentaires sont quelquefois perçues auprès d’autres
ayants droit d’oeuvres filmiques, notamment dans l’industrie vidéo ;
taxes sur la télévision (par exemple en Australie, au Canada, en France ou en
Suisse) : les chaînes payantes récemment apparues reversent une partie de leurs
bénéfices au profit de la production de longs métrages, d’émissions spéciales de
télévision et radiodiffusion, de créations musicales, etc. ;
taxes sur les ventes d’oeuvres d’art comme dans le système appliqué en
Norvège, où 3% du montant de chaque vente sont versés sur un fonds au profit des
artistes norvégiens ;
taxes sur les billets de théâtre et de concert et les billets d’entrée des musées
et des expositions, permettant de financer des fonds à vocation culturelle générale
en Allemagne, en Italie et en Suisse. Au Ghana, un pourcentage de la taxe sur les
spectacles est affecté au financement de la création artistique (11). Dans certains
cas, les sommes servent également à compléter les pensions versées aux artistes.
De tels dispositifs font appel à des sources de financement jusqu’alors inexploitées.
Ils éliminent par ailleurs les incertitudes liées au contrôle parlementaire de l’argent
public et donnent plus d’autonomie aux autorités culturelles compétentes. Néanmoins,
ils vont à l’encontre de la pratique générale en matière fiscale prévalant dans de
nombreux pays, qui veut que la perception de l’impôt et son utilisation restent
séparées. Ce type de taxe repose en fait sur la méfiance envers la solidité et la
fiabilité de l’aide de l’Etat dans le domaine des arts et de la culture, et sur la
présomption que dans la lutte annuelle pour l’affectation des crédits budgétaires, la
culture sera supplantée par d’autres secteurs. Ces taxes obtiendront difficilement
l’appui des législateurs et des responsables des finances, car elles leur retirent la
maîtrise des budgets culturels. Le système n’est applicable que dans des
circonstances particulières, lorsque la somme perçue, par exemple, est employée à
remédier aux dommages causés par une activité donnée, sur laquelle elle est
prélevée.
Taxes sur les loteries et les jeux d’argent
De nombreux pays utilisent les recettes de la loterie effou des jeux pour financer des
organisations artistiques, des musées, etc. A Ontario (Canada), les billets de loterie
reçoivent une valeur au comptant égale à la moitié de leur prix d’achat pour
l’acquisition de livres canadiens, de disques, de tickets de cinéma, etc. Des efforts
de ce type devraient être encouragés car ils contribuent à renforcer l’assise
financière de l’activité créative. Toutefois, outre le fait d’associer le jeu et la culture,
ils soulèvent des questions politiques épineuses et fondamentales. La loterie et les
- 18jeux d’argent sont essentiellement dans les habitudes des catégories à faibles
revenus, alors qu’une bonne part des personnes qui apprécient les arts appartiennent
aux couches favorisées de la société. II existe donc un risque réel de prendre l’argent
des pauvres pour financer le plaisir des riches, à moins que les sommes ainsi
perçues ne soient appliquées avant tout à des activités culturelles qui concernent la
population toute entière.
Les droits d’auteur
Un autre mode de taxation est lié plus ou moins directement à la législation sur le
droit d’auteur. Dans la procédure normale, les droits sont distribués aux créateurs
individuels des oeuvres. Toutefois, il existe des cas dans lesquels il est impossible
de retrouver l’auteur, ou bien dans lesquels la rémunération directe entraîne une
inégalité sociale inacceptable. Même dans le cadre des dispositions actuelles sur le
droit d’auteur, on observe depuis quelques années une tendance croissante à verser
des recettes de droit d’auteur sur des fonds spéciaux destinés aux prestations
sociales des membres des sociétés de recouvrement ou à d’autres fins culturelles ou
sociales. Dans les pays scandinaves, de tels fonds sont institués dans le cadre des
organismes de recouvrement des droits d’auteur et peuvent être employés au
financement de certains projets. Certaines sociétés de droit d’auteur sont également
en train d’expérimenter des systèmes de planchers, en versant à chaque titulaire une
somme de base à laquelle vient s’ajouter un montant additionnel en fonction des
droits d’auteur réels sur son oeuvre. En France, en Italie et en Pologne existe le
système du “domaine public payant”, une taxe étant perçue sur les oeuvres d’art
après expiration des droits d’auteur.
Une autre possibilité relative aux droits d’auteur concerne les sommes payées par
le consommateur aux sociétés de recouvrement des droits d’auteurs pour l’utilisation
de cassettes audio et vidéo vierges, en compensation des pertes potentielles sur ces
droits occasionnées par la copie privée de bandes originales. Dans de nombreux
pays, ces sommes sont affectées à des objectifs publics, selon le choix des sociétés
de recouvrement.
Ces systèmes
aux pratiques
des membres
considérable,
conséquence
davantage de
sont tous contraires au principe de la rémunération directe inhérent
internationales en matière de droit d’auteur, et exigent le plein accord
des sociétés de recouvrement.
Ils représentent
un potentiel
sachant que le développement
des nouveaux médias aura pour
une énorme augmentation du volume des droits d’auteur et que
titulaires de ces droits seront à l’avenir sensibles à de telles mesures.
Prêts et avances
Les activités culturelles peuvent également être financées au moyen de prêts ou
d’avances. La nécessité d’un programme de crédits est patente dans des pays où la
majeure partie de l’activité créative relève d’organismes privés indépendants des
institutions ou des finances publiques. Cela s’impose dans le cas de projets à long
terme qui ne sont pas économiquement rentables avant un certain temps, ou de
projets qui exigent une mise de fonds importante comme certains spectacles ou
certaines grandes expositions. Malheureusement, les systèmes de prêt sont dans de
nombreux pays défavorables aux artistes et aux petites entreprises culturelles, dont
- 19les garanties sont considérées dans la plupart des cas comme insuffisantes. II existe
quelques exemples intéressants de crédits et de prêts accordés à des artistes et des
projets culturels. Aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, des organismes culturels publics
avancent des fonds sur les recettes des spectacles ou la vente des oeuvres d’art. La
Fondation nationale argentine pour les arts, organisme indépendant créé en 1958,
joue le rôle d’une “banque de la culture” en finançant toute une gamme de projets
culturels sous condition que la responsabilité en soit partagée par l’emprunteur et
“d’authentiques sources de financement”.
Dans une économie de marché, le système des prêts ou des avances présente un
net avantage sur les subventions et les donations. II incite les emprunteurs à compter
davantage sur eux-mêmes et les aide à devenir financièrement indépendants, là où
les subventions tendent à faire des bénéficiaires des assistés. Un mécanisme de prêt
approprié peut permettre aux artistes et aux organisations artistiques de mieux
fonctionner dans le système économique à prédominance libérale du monde
d’aujourd’hui. II va sans dire que prêts et avances présentent pour les emprunteurs
certains risques. II est essentiel, par conséquent, qu’ils s’accompagnent
d’une
information complète à l’intention de ces derniers sur la situation du marché et sur
les techniques de comptabilité et de gestion.
Actions
proposées
par l’UNESCO
1
Réaliser des études de cas sur les nouvelles ressources offertes aux activités
créatives, dans le but d’aider les responsables gouvernementaux et les organisations
artistiques à explorer les possibilités de mobilisation de fonds additionnels.
2
Organiser des consultations avec I’OMPI et les sociétés de recouvrement de
droits d’auteur pour étudier la possibilité d’appliquer les recettes du droit d’auteur à
d’autres activités créatives.
V.
Le tourisme, source de financement
Ce secteur de l’industrie encore en expansion est grandement dépendant de la
culture pour son développement. Les arts et les équipements culturels tels que
théâtres, opéras et musées, et le patrimoine culturel matériel (vestiges et édifices
historiques, objets d’art, etc.) aussi bien qu’immatériel
(musique et danses
traditionnelles, festivals, alimentation, modes de vie, etc.) attirent de plus en plus les
touristes. II est donc de l’intérêt de l’industrie touristique d’investir dans ces aspects,
d’où l’idée d’une taxe demandée soit aux touristes, soit aux hôtels et aux détaillants.
Les touristes peuvent être également sollicités en vue d’une contribution volontaire
destinée à la protection et à la restauration du patrimoine culturel qu’ils viennent voir
ou bien à la reproduction des oeuvres qu’ils admirent. Ces mécanismes sont plus
acceptables pour l’industrie s’ils sont liés à des efforts internationaux de préservation
tels que ceux réalisés par l’UNESCO dans le cadre de son programme sur le
patrimoine mondial.
- 20 Actions
proposées
par l’UNESCO
1
Mettre sur pied des projets expérimentaux visant à développer le tourisme
culturel en faisant appel aux biens du patrimoine local tels que monuments, musique
et danses folkloriques, métiers traditionnels, festivals, etc., pour attirer davantage de
touristes et les inciter à prolonger leur séjour.
instaurer, en consultation avec la Commission du patrimoine mondial, un
2
mécanisme destiné à encourager les dons des visiteurs des sites figurant sur la liste
du Patrimoine mondial.
VI.
Les fonds internationaux
Dans les pays en développement, dont l’économie peut difficilement faire face aux
dépenses culturelles, il peut être opportun de consacrer des efforts spécifiques à la
mobilisation de ressources étrangères afin d’assurer un niveau minimal de
financement culturel, même si une dépendance trop grande à l’égard de cette source
risque de compromettre l’intégrité culturelle du pays bénéficiaire.
Assistance internationale
L’assistance
internationale
sur le plan économique
et technique,
d’origine
gouvernementale
ou non gouvernementale,
apportée
directement
ou par
l’intermédiaire des organisations internationales, est aujourd’hui une caractéristique
permanente du système mondial. Selon un rapport de Indonésie, par exemple, ” A
côté des sources de financement nationales, il existe aussi des organismes étrangers
qui collaborent avec le gouvernement indonésien. Des projets particuliers et des
aides ont conclus avec le PNUD, l’UNESCO, la SPAFA et I’ASEAN. ” Le fonds
culturel de I’ASEAN a été créé en 1978 pour mettre en oeuvre des activités
culturelles grâce à des dons du Japon et de pays d’Europe et d’Amérique du Nord.
” Une aide étrangère au profit des activités culturelles a été obtenue également dans
le cadre d’accords bilatéraux avec des organismes comme I’Asian Foundation, le
British Council, l’East West Center, la Fondation Ford, le Fulbright Fellowship
Programme, le Ministère de l’assistance technique et le Ministère de l’éducation et
des sciences des Pays-Bas. ” (11)
investissements internationaux
Avec la prédominance
des rapports de libre-échange
et des entreprises
multinationales, les investissements internationaux sont devenus chose courante
partout dans le monde. Les fonds peuvent être apportés par des particuliers, des
sociétés, des banques, des gouvernements ou des organisations internationales,
différant de l’assistance internationale en ce qu’un bénéfice est attendu du capital
investi. La Chine indique que ” l’utilisation de capital étranger est l’une des principales
façons de réunir des fonds (pour la culture) “, et mentionne le cas des stations de
radio et de télévision de Shanghai, qui feraient appel à un emprunt à l’étranger pour
construire une tour de télévision de 450 mètres de haut. Elle cite aussi l’exemple
d’une troupe de marionnettistes qui tire des profits de l’exportation de marionnettes.
(12)
-2lActions
proposées
par /‘UNESCO
1
Organiser des réunions d’experts pour étudier la possibilité d’accroître
recours à l’assistance
internationale
et à l’investissement
étranger pour
développement des activités culturelles, y compris le tourisme culturel.
2
Etudier en consultation avec des organisations de développement
des Nations Unies l’investissement accru dans le secteur culturel.
le
le
du système
VII.
La diversification
des sources de financement
On vient de voir qu’il est possible de diversifier les sources de financement des
activités culturelles. Un bon exemple de cette diversification est celui du Ghana, où
ces activités bénéficient d’une gamme de ressources parmi lesquelles figurent :
le budget de l’Etat ;
les contributions
d’organisations
non gouvernementales
(commerciales,
financières, industrielles, etc.) ;
un fonds national pouvant être alimenté par l’Etat, les organisations et les
particuliers ;
un pourcentage de la taxe sur les spectacles ;
une dotation spéciale à l’intention des institutions menant des projets de
recherche et d’autres organismes privés du secteur du commerce et de l’industrie ;
une part obligatoire des budgets de construction affectée à l’aménagement du
paysage et de l’environnement ;
les recettes publiques des activités culturelles. (11)
II existe encore des nostalgiques des politiques culturelles du passé, lorsque l’Etat
assurait seul la stabilité financière de l’activité culturelle. Mais nous devons
reconnaître que même les pays où l’aide publique est une tradition sont contraints
de rechercher d’autres modes de financement. Par ailleurs, un système mixte de
financement constitue la meilleure garantie pour la liberté de création, en laissant le
choix aux créateurs et à la population plutôt qu’aux bailleurs de fonds. L’expérience
prouve qu’un développement culturel fortement dépendant d’une source unique de
financement, qu’elle soit ou non gouvernementale,
court le risque de se voir
influencé, intentionnellement ou non, par cette source, au détriment de la liberté de
la culture.
VIII.
De l’aide à l’investissement
Développer l’investissement dans la création
II faudra des fonds sans précédent pour financer les arts et la culture si l’on veut
répondre aux besoins non pas de quelques-uns, comme c’est le cas dans de
nombreuses sociétés aujourd’hui, mais de toute la population. Seul l’investissement,
tant public que privé, peut apporter ces fonds. A cet égard, les chances d’attirer un
fort montant d’investissements dans l’activité créative sont bien supérieures à ce
qu’on pensait auparavant. En effet, les arts et la culture sont en train de devenir dans
beaucoup de pays l’un des secteurs industriels les plus importants. Ils contribuent au
bien-être économique en créant à la fois des emplois et des recettes : chaque dollar
dépensé dans les arts en produit plusieurs dans la restauration, l’hôtellerie, la vente
- 22 au détail, les transports, etc. Aux Etats-Unis, l’industrie du spectacle est la quatrième
exportatrice après l’aérospatiale (14). Avec l’avènement du multimédia et sa demande
accrue de programmes d’art et de loisir, on attend un essor vaste et rapide de ces
deux secteurs industriels partout dans le monde.
Pour certains, ces arguments économiques dépendent souvent d’une définition très
large de la culture et d’hypothèses très optimistes sur ses effets multiplicateurs.
Néanmoins, il semble y avoir de bonnes raisons de croire que les arts de la culture
vont jouer à l’avenir un rôle de plus en plus important dans le développement
économique. On constate une demande croissante de produits et de services plus
raffinés, distinctifs, à haute valeur ajoutée. Là où les besoins fondamentaux sont
satisfaits, la préférence des consommateurs se diversifie et s’aiguise. Dans une
économie de ce type, c’est la qualité accompagnée d’un haut degré de sensibilité qui
permet de produire des articles vendables, auxquels la création artistique est tout
aussi indispensable que la science et la technologie.
L’investissement accru dans la culture ne fournit pas seulement une source de
revenu supplémentaire aux créateurs. II encourage aussi le secteur culturel à s’initier
à la culture industrielle et, en retour, incite le secteur économique à apprécier les
talents créatifs présents dans le premier. Cela peut apporter un changement
d’attitude des deux côtés. Le secteur culturel peut devenir plus efficace et plus attentif
aux réalités du marché, et l’industrie plus sensible aux besoins créatifs. Une telle
interaction sera d’un énorme profit pour les deux.
Resserrer la marge entre art commercial et art non lucratif
II est généralement admis qu’investir dans les arts et la culture coûte cher. Les
organisations artistiques à but non lucratif, quelle que soit leur réussite sur le plan
artistique, perdent généralement de l’argent : elles sont, selon l’expression de Baumol
et Bowen, “malades de leurs coûts”, et l’écart entre leurs recettes et leurs dépenses
ne fait que grandir (15). C’est pourquoi l’art est habituellement confié à des
organismes publics ou à but non lucratif.
Avant d’entériner cette théorie, il convient d’examiner les raisons pour lesquels les
spectacles, par exemple la musique pop et les comédies musicales de style
américain, rassemblent des publics énormes et connaissent de gros succès
commerciaux, alors que les arts non lucratifs n’attirent que des publics réduits et sont
déficitaires. Doit-on considérer que les arts populaires ne sont pas de l’art, sous
prétexte qu’ils sont produits en quantité massive par des chefs d’entreprise pour faire
des bénéfices ? Allons-nous conclure que l’art ne devrait pas être trop accessible ni
commercialement rentable et que moins on est nombreux à aimer un produit culturel
et plus ses créateurs perdent de l’argent, meilleur il est ?
En fait, la différence entre ces deux façons d’aborder l’art est souvent liée au statut
social du public plutôt qu’à la nature intrinsèque de l’art lui-même. Prenons le kabuki
japonais, considéré aujourd’hui comme une forme d’art extrêmement raffinée, et qui
était au départ une distraction vendue aux couches sociales défavorisées.
Pareillement, la Flûte enchantée de Mozart, donnée aujourd’hui devant l’élite, a été
- 23 commandée
ordinaire.
à l’origine par un théâtre dans un but commercial pour distraire un public
De même, le temps viendra tôt ou tard où des formes d’arts qui sont à ce jour
l’apanage d’actions non lucratives s’ouvriront aux initiatives commerciales et aux
entreprises. Certaines expériences peuvent être tentées, par exemple, pour faire
produire des oeuvres par des sociétés commerciales. Des théâtres plus grands, des
saisons plus longues, un plus grand nombre de représentations d’une même création
permettraient aux artistes de rencontrer de plus vastes publics sans augmentation
significative des coûts et sans nuire à la qualité du produit. L’informatisation et
l’acquisition par les directeurs d’un esprit d’entreprise se traduisent par une rentabilité
accrue. Grâce au créneau des médias, les oeuvres seront plus accessibles, donc
généreront plus de recettes. Enfin et surtout, une attention meilleure aux préférences
des consommateurs permettra d’attirer des publics plus vastes.
Nous ne pouvons pas prédire à quel point l’application à l’activité créative du système
commercial sera une réussite, ni si elle portera préjudice ou non à la qualité des
créations. Le spectacle et les activités artistiques commerciales ont remarquablement
réussi à plaire au public tout en rendant leur opérations rentables. II est temps pour
les organisations à but non lucratif d’apprendre des entreprises comment mieux
réussir sur le plan commercial. En retour, les secondes peuvent apprendre des
premières à devenir plus cultivées et moins superficielles.
Actions
proposées
par /‘UNESCO
Réaliser des projets expérimentaux
visant à lancer dans les pays en
1
développement des industries créatives et de loisir faisant appel aux biens du
patrimoine culturel matériel et immatériel existants, notamment artisanats locaux ou
traditionnels, motifs et techniques décoratifs, enregistrement pour la vente de danses
et musiques locales, etc..
Entreprendre à l’échelle internationale des études sur l’impact des activités
2
créatives sur le développement
économique et social et sur leur apport aux
nouveaux médias, dans le but d’encourager l’investissement dans ces activités.
En consultation avec d’autres institutions des Nations Unies responsables du
3
développement industriel, mettre au point des stratégies pour les industries créatives
dans le monde.
4
Encourager les Etats membres à améliorer leur compétences en matière de
gestion, de financement et de marketing, afin de mieux adapter le secteur créatif à
l’économie de marché.
L’argent des médias
IX.
Planificateurs et exécutants s’accordent à penser que le développement des médias
et des nouvelles technologies représente une ouverture sans précédent pour les arts
et la culture. Ce développement va remodeler en profondeur l’application de la
technologie à la création comme à sa consommation. Par exemple, les récentes
- 24 avancées en matière de diffusion et d’enregistrement télévisés, tels que CD et
vidéos, fournissent une infrastructure qui permet à l’activité créative d’élargir sa
portée et son champ d’action en rendant ses produits plus accessibles au public.
Aujourd’hui, avec le multimédia, 500 canaux de transmission, de communication
interactive entre publics et diffuseurs et entre publics eux-mêmes deviennent une
réalité. Outre l’accélération de la diffusion de l’information et de la culture qu’ils
autorisent, la seule quantité d’argent nécessaire à la production de programmes pour
tous ces multicanaux va ouvrir de nouvelles voies à toutes formes d’expression. On
s’attend que les ventes de multimédia augmentent rapidement, et d’aucuns pensent
que ce secteur pourrait représenter dans un proche avenir presque la moitié du PNB
de certains pays. En outre, beaucoup prévoient que la majeure partie de ces ventes
viendront des logiciels plutôt que des matériels. Or, les arts et les loisirs constituent
la majorité du contenu des programmes télévisés, bien plus que les émissions
d’information, de sports et d’éducation réunies (16).
Certaines voix reprochent au développement des médias de se faire au détriment de
la créativité en répandant l’uniformité et en imposant des goûts communs et de bas
étage. Résister à la nouvelle réalité médiatique, cependant, ne semble pas un choix
viable. L’alternative est la suivante : ou bien on laisse jouer le marché et on accepte
l’investissement de l’industrie des médias pour développer l’activité créative, ou on
refuse l’argent des médias et on court le risque de rester en arrière. La réponse
semble évidente si nous voulons donner à l’activité créative la place qui lui revient.
Mais l’argent n’est pas la seule raison pour laquelle les arts et la culture devraient
prendre part au développement médiatique ; l’autre est le maintien de la qualité du
contenu des médias. Le niveau des programmes soulève partout de graves
interrogations.
La violence injustifiée, la pornographie et la médiocrité sont
omniprésentes.
Seuls les arts et la culture peuvent relever le niveau des
programmes. La crainte d’une “homogénéisation” de la culture mondiale s’avère
excessive. La diversification des goûts et des valeurs est en effet essentielle aux
médias eux-mêmes, tant pour remplir les programmes que pour fidéliser les
spectateurs. Les arts et la culture peuvent générer la diversité nécessaire. Puisque
créativité et industrie des médias sont liées par des intérêts communs, elle n’ont
aucun motif pour ne pas travailler la main dans la main, à leur avantage mutuel.
Actions
proposées
par /‘UNESCO
-i
Constituer un groupe de travail chargé d’étudier l’impact du multimédia sur les
activités créatives, notamment :
1) le rôle du multimédia dans le développement des activités créatives ;
2) la garantie du libre accès aux multimédias ;
3) la protection des droits culturels dans le contexte du multimédia ;
4) l’utilisation des capitaux des médias au profit des activités créatives.
Mettre en oeuvre dans les pays en développement des projets expérimentaux
2
de production de logiciels multimédias afin d’encourager la participation de ces pays
au dialogue culturel mondial grâce à ce support.
- 25 Former des groupes de consultation régionaux qui s’occuperont collectivement
3
de la situation du multimédia.
Une meilleure gestion de l’industrie créative
X.
Pour attirer davantage d’investissements, le secteur culturel doit devenir plus efficace.
II y a encore dans le monde beaucoup d’artistes qui voient l’avancée des valeurs
économiques comme une menace pour leur dignité. Pourtant, il nous faut bien
admettre que l’art possède des aspects commerciaux depuis qu’il est apparu dans
l’histoire de l’humanité, et que la plupart des pays, dans le monde d’aujourd’hui, se
sont mis à l’économie de marché. L’art ne saurait rester à l’écart : comment affirmer
raisonnablement
que les créateurs ne doivent pas gagner leur propre vie en
rémunération légitime de ce qu’ils apportent à l’humanité ? II est urgent pour le
secteur culturel de former des gestionnaires capables, comme dans d’autres
industries, de définir plus précisément leurs buts et leurs objectifs, de commercialiser
plus efficacement leurs produits et de mieux satisfaire au principe de responsabilité
en adoptant des méthodes de mesure des résultats et d’évaluation du rendement.
Beaucoup d’activités créatives sont actuellement dirigées par des artistes qui n’en
sont pas nécessairement les meilleurs administrateurs. Sachant qu’une bonne gestion
est indispensable à la croissance de toute industrie, la condition sine qua non au
développement des arts dans l’actuelle économie de marché est de former du
personnel de direction et d’administration auquel confier la conduite des activités
artistiques.
Actions
proposées
par l’UNESCO
1
Etablir des principes directeurs à /‘intention des Etats membres pour les aider
à former des administrateurs et des gestionnaires culturels.
2
Multiplier les programmes de bourses pour administrateurs et gestionnaires
culturels dans les pays en développement et les pays d’Europe orientale et d’Asie
centrale.
Créer des réseaux d’institutions concernées par l’éducation et la formation
3
d’administrateurs et de gestionnaires dans le domaine des arts et de la culture.
XI.
La mobilisation
de la population
L’échec de la mobilisation des ressources créatives
Nous ne devons pas oublier qu’aucun volume de ressources matérielles ne rendra
une société tout à fait créative sans la pleine participation de ses membres de toutes
conditions sociales. Malheureusement, l’enthousiasme et les talents n’ont pas été
pleinement mobilisés pour développer la culture. Partout, les politiques culturelles
s’intéressent essentiellement à l’activité créative des artistes professionnels, en
écartant la contribution de la population elle-même. C’est aller à l’encontre de
l’aspiration indéniable de tous ceux qui jouent dans des théâtres de quartier, chantent
dans des chorales d’amateurs, barbouillent des toiles en vacances et remettent en
honneur les chants et les danses traditionnels de leur communauté longtemps
méprisés par les groupes culturels dominants. La création n’est aucunement le
monopole de professionnels. C’est une dimension inhérente à la condition humaine.
Chacun porte en soi un potentiel de créativité qui n’attend que d’être éveillé. Nombre
- 26 de personnes ne veulent plus être des consommateurs passifs d’oeuvres d’art, mais
des acteurs de la création. Les progrès des médias et des nouvelles technologies
sont en train de multiplier les formes d’expression créatrice, telles que dessin
graphique, composition musicale assistée par ordinateur, etc., effaçant les frontières
entre professionnels et amateurs. II est vrai que les artistes professionnels incarnent
les formes les plus élevées du talent créatif. Leur autorité dans le domaine des arts
et leur rôle en tant qu’inspirateurs doivent être reconnus. Mais cela ne justifie pas que
la société soit exclue de l’activité créative. La création devrait être un effort de tous,
accompli pour et par tous.
Pour pousser l’argument plus loin, les gens ont besoin, selon les mots de
psychologues, d’exprimer leur emprise sur le monde des sens, que ce soit par le
chant, la danse, le théâtre, la musique, la peinture ; que l’expression en soit
individuelle ou collective, qu’on appelle cela art ou rituel, c’est quelque chose auquel
chacun a besoin de participer, et qui ne doit pas être simplement le fait de
“professionnels” (17). Si tel est le cas, omettre ce besoin fondamental de tout être
humain n’est pas seulement une grave injustice, c’est la façon la plus sûre de perdre
l’appui du public à la cause de la création.
Mettre fin à l’exclusion dans le domaine des activités créatives
Les politiques culturelles excluent souvent des activités culturelles des secteurs
entiers de la collectivité. Parmi les groupes concernés figurent les personnes âgées,
les minorités, les populations urbaines et rurales marginalisées par la pauvreté, et les
handicapés. Plus grave, cependant, est l’exclusion des femmes et des jeunes,
majoritaires dans toute société. Dans un régime démocratique, toute activité qui
échoue à gagner le soutien de la majorité n’a aucune chance d’être reconnue. II n’est
pas donc surprenant que les arts et la culture, qui ne sont pas réellement
démocratisés,
continent à occuper une place secondaire dans les politiques
nationales de développement. Pour remédier à une telle situation, les gouvernements
et les organisations artistiques devraient adopter des mesures et des pratiques visant
à éliminer l’exclusion et à instaurer une démocratie culturelle dans laquelle tous aient
accès à la création sur une base égalitaire. Dans une société démocratique, il
appartient à l’Etat de répondre, du moment que l’intégrité culturelle du pays n’est pas
compromise, à l’ensemble des activités culturelles de ses communautés.
Elargir le soutien aux arts et à la culture
Réussissons à mobiliser un plus grand nombre autour de la cause créative, et les
gouvernements trouveront beaucoup plus facile de dépenser l’argent des impôts pour
les arts et la culture. Les entreprises jugeront plus intéressant d’investir dans les
activités créatives, et les citoyens auront plus envie d’apporter leur soutien moral et
de donner leur temps et leur argent. Les médias, toujours conscients de leurs taux
d’audience, se tourneront davantage vers la création et les politiciens, préoccupés
avant tout de leur nombre de voix, seront plus disposés à soutenir les arts. Enfin, ce
qui est le plus important, l’activité créative, assise sur la pleine participation de la
majorité,
deviendra
une
grande
industrie
appelant
d’elle-même
plus
d’investissements.
Les festivals, organisés au niveau local, national et régional, contribuent à rendre les
habitants conscients du pouvoir de la culture et fiers de la leur propre. Nul ne
- 27 conteste le rôle décisif des Jeux olympiques dans la popularisation des sports et de
l’éducation physique. L’organisation d’événements de ce genre dans le domaine
artistique et culturel produirait des effets analogues qui aideraient eux-mêmes à
mobiliser les appuis populaires à la cause créative. Cela permettrait également de
faire connaître au monde les oeuvres de personnes et de domaines moins connus.
L’UNESCO pourrait étudier la possibilité d’organiser de tels événements à l’échelle
internationale, ou bien de désigner une capitale culturelle mondiale, comme il a été
fait dans l’Union européenne.
Actions
proposées
par /‘UNESCO
1
Organiser des forums pour examiner les façons de mettre fin à l’exclusion de
certaines catégories, notamment les jeunes, les femmes, les personnes âgées, les
handicapés, les populations urbaines défavorisées et les minorités, en matière
d’activités créatives.
2
Patronner
des événements
culturels mondiaux
similaires aux Jeux
olympiques, où seront présentés des activités créatives et des arts traditionnels.
Encourager les Etats membres à organiser des événements
3
niveau régional, national et local.
analogues
au
XII.
Politique artistique et politique en faveur des artistes
La question de la mobilisation de la majorité autour de la cause créative nous amène
à la distinction nécessaire entre politique artistique, destinée à promouvoir l’activité
créative en général, et politique visant à améliorer directement la condition
économique et sociale des artistes. Aux termes de la Recommandation relative à la
condition de /‘artiste de l’UNESCO, l’artiste devrait ” bénéficier de tous les avantages
juridiques, sociaux et économiques afférents à la condition de travailleur, compte tenu
des particularités
qui peuvent s’attacher
à sa condition
d’artiste “. La
Recommandation énonce d’autre part ” la nécessité d’améliorer les conditions de
travail et de sécurité sociale, ainsi que les dispositions relatives à la fiscalité, qui sont
faites à l’artiste, qu’il soit salarié ou non, compte tenu de la contribution qu’il apporte
au développement culturel “.
II est à l’évidence essentiel de protéger et de favoriser le statut des artistes qui
représentent l’excellence dans leur domaine. Cependant, un équilibre doit toujours
être conservé entre politique artistique et politique en faveur des artistes. Le
développement de l’activité créative repose à la fois sur une offre, représentée par
les artistes, et une demande, représentée par des consommateurs qui veulent
participer plus et être davantage satisfaits. Que l’une ou l’autre l’emporte, un
préjudice sera porté au développement créatif. Cela n’implique pas qu’il faille
abandonner les normes, comme le soutiennent certains artistes. Cela signifie qu’il
existe de nombreux types d’activités artistiques d’une grande diversité d’objectifs. En
fait, la plupart des artistes qui vivent aujourd’hui de leurs oeuvres travaillent dans des
domaines populaires ou dans les médias, où la part financière de l’Etat est
généralement minime. Investir uniquement dans des artistes professionnels de
disciplines subventionnées comporte un risque, celui de dévaluer des artistes plus
accessibles, artistes de variétés, artistes régionaux ou locaux, créateurs commerciaux
- 28 et amateurs, plus proches de la vie de leur communauté, sans lesquels nous
n’obtiendrons jamais la pleine participation de la population. Ainsi que le souligne la
Commission mondiale de la culture et du développement, ” le prestige accordé aux
arts ne doit pas faire négliger d’autres entreprises imaginatives, plus modestes
certes, mais qui, dans le monde entier, insufflent vie au corps social “. (18)
Nous constatons le soutien très limité accordé aux arts dans nos sociétés, que
reflètent le niveau de ressources octroyé, et le public restreint attiré par les créations
des artistes professionnels. L’enjeu de la réconciliation des politiques artistiques, qui
ont constitué l’axe de certaines politiques culturelles européennes, et de la politique
des artistes exigée par la démocratisation, est au coeur de toute politique culturelle.
II n’existe pas de réponse facile capable de satisfaire tout le monde. Cependant, le
principe de l’égalité appelle des stratégies qui ne favorisent pas des formes
d’expression ou des catégories de créateurs particulières, mais qui prennent en
considération tout l’éventail des activités et des demandes culturelles. Les mesures
en faveur des artistes mettant l’accent sur l’excellence devraient s’accompagner de
mesures visant à élargir l’accès à l’art et à toucher des groupes sociaux jusqu’alors
exclus de la poursuite de cette excellence.
Actions
proposées
par /‘UNESCO
1
Renforcer les programmes de /‘UNESCO de façon à promouvoir les activités
créatives de la population en générai, y compris les activités d’amateurs et
communautaires.
2
Encourager les Etats membres à renforcer l’éducation
population en générai dans le but de développer sa créativité.
Réaliser des études de cas sur le rôle
3
l’amélioration de la qualité de la vie.
des activités
artistique
créatives
de la
dans
XIII.
Rassembler les arts divisés
Le problème de la mobilisation de la population nous amène aussi à une autre
question cruciale : comment réunir des activités créatives qui ont été divisées, depuis
une période récente, entre arts soi-disant “purs” ou “nobles”, correspondant à des
formes d’expression plus raffinées étroitement liés au mode de vie des groupes
culturels dominants des grandes villes, et formes créatives plus humbles telles que
divertissements, arts locaux et communautaires et arts commerciaux comme le
design et les métiers d’artisanat ? Cette frontière artificielle a gravement porté
préjudice à la cause de la création, en isolant les arts dits nobles de l’énergie des
masses, et en privant les formes plus populaires de la possibilité d’atteindre à
l’excellence.
Malheureusement,
on constate encore dans beaucoup de pays une tendance
indéniable à privilégier les arts nobles en reniant ou en dépréciant la valeur culturelle
des formes de création plus modestes. Même les mesures de démocratisation prises
par de nombreux gouvernements restent axées sur la diffusion massive des oeuvres
représentatives des premiers, sans tenir compte de la richesse du tissu culturel
communautaire. La question prend une signification particulièrement aiguë lorsqu’il
- 29 s’agit de la culture des jeunes, puissant alliage de musique populaire, de théâtre
underground, de mode sport, de jeux vidéo, CD et dessins animés, d’lnternet et de
cinéma américain, qui leur apporte un fort sentiment d’identité. Les adolescents qui
se précipitent vers ces cultures souvent nées à l’étranger le font parce qu’il n’existe
pas de culture indigène qui réponde à leurs valeurs ni à leur sensibilité. C’est peutêtre parce que l’art et la culture officiels ou destinés aux adultes ne les satisfont pas
qu’ils accourent vers des cultures essentiellement tournées hors de leurs frontières.
Nier la valeur de cette culture jeune, comme celle d’autres groupes marginaux minorités ou communautés locales - équivaut à nier les droits culturels des
populations concernées à forger leur propres valeurs et modes de vie. Le risque est
réel de voir certaines populations, en particulier les jeunes, les groupes minoritaires
et les populations locales, de plus en plus conscients de l’intérêt de leurs propres
créations indigènes, développer des sentiments d’hostilité contre les éléments
imposés par une culture extérieure à leur style de vie et leur système de valeurs.
Pour employer toutes les ressources de la société à une renaissance créative, nous
devons redonner leur place à toutes les formes de création, non seulement celles de
l’art noble mais celles du divertissement, des artisanats, des arts locaux et des arts
des minorités, et enfin et non des moindres, des arts commerciaux, notamment
l’architecture, le design et la production de tous articles de haute qualité. Grâce à ce
rapprochement de toutes les formes de création, nous pourrons mobiliser des
ressources considérables sur notre marche vers une société créative.
Actions
proposées
par /‘UNESCO
1
Etablir des contacts avec les secteurs des arts populaires, y compris les
industries du loisir et les arts commerciaux, dans le but de promouvoir leur
contribution au développement des activités créatives dans le monde.
2
Organiser des forums afin d’encourager
les autres formes d’activité créative.
le dialogue entre /es arts nobles et
3
Réaliser des études de cas destinées à identifier les contributions que peut
apporter le secteur des arts nobles à l’amélioration du niveau des autres secteurs
créa tifs, y compris l’industrie culturels.
*****
L’auteur
Michihiro Watanabe est doyen du Département d’administration de la musique et des
arts de la Showa University of Music, Japon. Il a travaillé dans le service public
pendant 33 ans. Le dernier poste gouvernemental qu’il a occupé, jusqu’en 1991,
était celui de Directeur général du département culturel de l’Agence japonaise des
affaires culturelles, dans le cadre duquel il était responsable du développement
global des politiques culturelles nationales. Avant de prendre ses fonctions actuelles
en 1996, il a été codirecteur de l’étude comparative sur les politiques culturelles des
Etats-Unis et du Japon réalisée à I’UCLA. Parmi ses principaux ouvrages figure la
trilogie philosophique Striving for Eternity.
- 30 Notes
(1)
Colin Mercer, Institute for Cultural Policy Studies, Griffith University, Australie.
Cité par Notre diversité créatrice, rapport de la Commission mondiale de la
culture et du développement, Editions UNESCO, 1996.
(2)
Cité par Margaret Wyszomirski dans Controversies in Arts Policymaking,
Mulcahy Swain, Public Policy and the Arts, Westview Press, Boulder,
Colorado, 1982, p. 12.
(3)
Notre diversité créatrice, rapport de la Commission mondiale de la culture et
du développement, Editions UNESCO, 1996, p. 273.
(4)
Philip Kotler et Joanne Scheff, Standing Room Only - Strategies for Marketing
the Performing Arts, Harvard Business School Press, Boston, Massachusetts,
1997, p. 492.
(5)
Kotler & Scheff, ibid., p. 478.
(6)
The financing of Culture in the Gambia, Culturelink, Cultural Policy Data
Bank, Guide to Current State and Trends in Cultural Policy and Life in
UNESCO Member States, Africa, p. 91, Zagreb, 1992.
(7)
Les exemples de ressources cités sont tirés en grande partie du chapitre C du
rapport d’Andreas Johannes Wiesand : ” Supplementary Financial Support to
Cultural Institutions and Activities “.
(8)
Michihiro Watanabe,
1996, p. 162.
(9)
Financing of Cultural Activities in Argentina, Culturelink, Cultural Policy
Databank, Guide to Current State and Trends in Cultural Policy and Life in
UNESCO Member States, p. 191, Zagreb, 1992.
(10)
Preservation and Development of Cultural Life in Roland, rapport du ministre
de la Culture et des Arts à la Conférence internationale de l’UNESCO sur la
préservation et le développement de la vie culturelle en Europe centrale et
orientale, Budapest, 23-25 janvier 1997, p. 12.
(11)
Financing of Cultural Activities in Ghana, Culturelink, Cultural Policy Data
Bank, Guide to Current State and Trends in Cultural Policy and Life in
UNESCO Member States, Africa, p. 101, Zagreb, 1992.
(12)
Rapport de la réunion régionale d’experts sur le développement des industries
culturelles en Asie, New Delhi, 23-27 juin 1992, Annexe 7(a), rapport de la
Chine présenté par Ilan Ximing, p. 30.
Towards a Cogent Cultural Policy, Culturelink,
mars
-31 (13)
Financing of Cultural Activities in Indonesia, Culturelink, Cultural Data Bank,
Guide to Current State and Trends in Cultural Policy and Life in UNESCO
Member States, Asia and the Pacifie, p. 78, Zagreb, 1992.
(14)
des
Margaret Wyszomirski, document d’information
StatesIJapan Comparative Cultural Policy Project, 1996.
(15)
Wiliam J. Baumol et William G. Bowen, Anatomy of the Income Gap in
Performing Arts : The Economie Dilemma, New York, Twentieth Century Fund,
1966.
(16)
Watanabe,
(17)
Cité par Robert Hutchison, The Politics of The Arts Council, Sinclaire Browne,
1921, p. 55.
(18)
Notre diversité créatrice, ibid., p. 87.
Etats-Unis,
United
ibid., p. 28.
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