Mind And Life XXVI – Esprit, cerveau et matière Monastère Drepung

Mind And Life XXVI – Esprit, cerveau et matière
Monastère Drepung, à Mundgod, en Inde
18 Janvier 2013 – Matin du deuxième jour
Michel Bitbol
Dissiper les propriétés intrinsèques et l'existence intrinsèque
Votre Sainteté, c'est une joie et un honneur d'être ici et de vous parler de la philosophie de la
mécanique quantique, même si c'est un vrai défi pour moi parce que je sais que vous en savez
beaucoup à ce sujet. Le défi sera de creuser dans la philosophie de la mécanique quantique et de
comprendre quelque chose de très important sur la différence entre la physique classique et la
physique quantique. Vous savez que la physique classique pouvait fonctionner en supposant que les
corps avait une existence intrinsèque, et des propriétés intrinsèques comme la masse, ou étendue, et
ainsi de suite. Mais en physique quantique, cette idée que les corps ont une existence intrinsèque et
que les propriétés sont intrinsèquement attribuées aux particules devient un défi. Cela devient très
difficile à soutenir en mécanique quantique, même si certains physiciens sont encore très désireux
de garder cette ancienne idée, cette ancienne idée absolutiste de la physique classique. Et ils
rencontrent tellement de difficultés que quelquefois ils renoncent. Alors ici je vais insister sur ceci,
sur la critique de l'idée d'existence intrinsèque des corps, et sur l'idée qu'ils ont des propriétés
intrinsèques.
De l'absolu au relatif
Pour commencer, pour illustrer cette idée, je voudrais prendre un exemple très simple montrant
comment la compréhension d'une certaine situation peut être grandement améliorée en renonçant à
l'idée de propriétés intrinsèques. Mon exemple vient de ma propre vie. Quand j'étais un enfant,
j'avais peut-être six ans, peut-être sept ou huit ans, je ne me souviens plus, je roulais sur un vélo sur
la route la nuit, et je voyais la lune sur ma droite, et aussi une lignée d'arbres. Et un phénomène
étrange se déroula : quand je roulais sur mon vélo, je voyais que la lune me suivait, et quand je
m'arrêtais, je voyais que la lune s'arrêtait avec moi. Et j'étais surpris, je pensais : « Qu'est-ce qu'il y
a de si spécial avec moi, pour que la lune me suive ? Qu'y a-t-il de si spécial avec la lune pour
qu'elle sache ce que je fais ? » Donc je pensais aux propriétés intrinsèques de la lune et de moi-
même qui pourraient expliquer ce phénomène étrange. Puis, quand j'étais un peu plus grand, quand
j'avais, disons, douze ans, je compris soudainement : cela n'avait rien à voir avec moi ou avec la
lune, mais avec la relation entre moi et la lune. La lune était très loin, ainsi l'angle sous lequel je la
voyait changeait très peu alors que je bougeais, et donc j'avais l'impression qu'elle était toujours
avec moi, tandis que les arbres étaient très proches de moi, et ainsi l'angle sous lequel je les voyais
allait de ce côté, et ainsi j'avais l'impression qu'ils allaient en arrière. Ainsi, j'avais l'impression,
j'avais l'apparence que la lune me suivait. Mais ce n'était pas le cas. L'explication complète était
claire pour moi aussitôt que je changeais des propriétés intrinsèques aux relations. Je pense que c'est
quelque chose de très important pour la science. La science dans son ensemble, et spécialement la
physique, a fait beaucoup de progrès quand il était clair que l'on devait penser en termes de relation
plutôt que de propriétés intrinsèques.
La révolution de Copernic et Galilée
Laissez-moi vous donner un autre exemple, qui ne concerne pas cette fois de mon enfance, ce qui
est un petit peu trivial. Pensons à Copernic et à son astronomie. Vous savez qu'il y a eu un
incroyable changement entre l'astronomie du temps ancien, l'astronomie de Ptolémée, qui était telle
que le soleil tournait autour de la Terre, et que toutes les autres planètes tournaient autour de la
Terre. Dans ce système, comment pouvez-vous comprendre le mouvement apparent de planètes
dans le ciel étoilé ? Vous voyez ici le mouvement de Mars dans le ciel étoilé entre Avril 2007 et
Août 2007, donc une année, en haut sur l'image. Et vous voyez la planète Mars, qui va en avant vers
la gauche, puis allant en arrière vers la droite, et ensuite allant en avant de nouveau vers la gauche.
Donc pour expliquer cet étrange phénomène de Mars allant apparemment parfois en avant, parfois
en arrière, quelquefois en avant de nouveau, Ptolémée inventa une explication qui avait à voir avec
le mouvement intrinsèque de Mars. Il attribua à Mars un mouvement intrinsèque qui était fait de
deux cercles. Mars, selon lui, tournait premièrement autour de la Terre par un cercle, et dans ce
grand cercle autour de la Terre, il y avait ce qu'il appelait un épicycle, c'est-à-dire un petit cercle qui
tournait aussi alors que Mars tournait autour de la Terre. Ainsi, comme vous voyez sur l'image à
gauche, il y avait des boucles, et ces boucles, quand elles sont vues dans le ciel étoilé, apparaissent
de cette façon, avec ces étranges allées et venues en avant et en arrière. Donc, selon Ptolémée,
c'était simple, vous pouviez l'expliquer par un cercle et un épicycle. Ok. Mais quand il étudia cela
un petit peu plus profondément, il découvrit, afin d'expliquer les détails du mouvement apparent de
Mars dans le ciel étoilé, qu'il devait non seulement ajouter un épicycle, mais une série d'épicycles
qui n'avait aucune fin. Donc c'était un problème, c'était très artificiel : pourquoi dix, ou douze
épicycles, plutôt que vingt ? Personne ne le savait.
Ensuite vint Copernic, au seizième siècle, beaucoup plus tard, peut-être après quinze siècles après.
Et il dit : « Ok, supposons qu'en fait à la fois la Terre et Mars tournent autour du soleil. Et
supposons aussi que la Terre tourne plus vite que Mars sur son orbite inférieure, et que Mars aille
plus lentement sur son orbite supérieure. » Alors essayez d'imaginer ce que c'est qu'être un
astronome sur la Terre et de regarder Mars, et vous verrez que puisque Mars va plus lentement alors
que la Terre va plus vite, nous avons la sensation que Mars va en arrière, relativement à nous, et
ainsi cela explique pourquoi Mars semble qu'elle va en arrière. Ce n'est pas parce
qu'intrinsèquement elle va en arrière, mais parce que la relation entre nous et Mars est telle que
nous la voyons comme si elle allait en arrière. Donc ici encore, c'est un pas très important : la
science a fait un pas en avant considérable dès qu'elle a compris que certaines explications devaient
être données en terme de relations plutôt qu'en termes de propriétés absolues.
Être en relation avec le monde : la généralisation quantique
Maintenant, la mécanique quantique. Qu'est-ce que la mécanique quantique ? Je dirais que c'est une
généralisation de cette idée. En physique classique, seulement certaines propriétés étaient supposées
être relatives à l'observateur, seulement, disons, la vélocité et la position. Rien de plus. La masse
était absolue, et d'autres étendues de corps étaient absolues, et ainsi de suite. Donc seulement deux
types de propriétés étaient relatives à l'acte d'observation, tandis qu'en mécanique quantique, c'est
général. Toute propriété, quelle qu'elle soit, est relative à un acte d'observation. Le spin est relatif à
un acte d'observation, la vélocité, la position, les « couleurs » des particules, l' « étrangeté » des
particules, tout est relatif à un acte d'observation. Nous disons que toutes les propriétés sont
remplacées par des observables. Plus des propriétés, seulement des observables, c'est-à-dire des
caractéristiques relationnelles. Revenons-en à la formidable citation de Richard Feynman, qui était
cité par John. Il a dit : « Personne ne comprend la mécanique quantique. » Ok, et puisque c'était
Feynman qui disait cela, c'était sérieux, parce qu'il était le meilleur des physiciens américains,
probablement un des meilleurs physiciens du monde. Donc c'était sérieux, mais peut-être, peut-être
qu'il avait tort, je suis désolé. Et peut-être que Bohr avait raison, parce que Bohr a dit : « C'est vrai
que toutes ces choses semblent si étranges Mais peut-être, afin de les transformer en quelque chose
de moins étrange, nous devons changer notre concept même de compréhension. » Et l'idée qui était
derrière cela, l'idée de Bohr, était que nous devions changer notre idée de compréhension du monde
en une idée de compréhension de notre relation avec le monde. Et c'était exactement ce que Niels
Bohr a dit par la suite, quand il a dit : « Nous sommes à la fois spectateurs et acteurs dans le grand
drame de l'existence. » Nous ne pouvons pas nous soustraire, nous ne pouvons pas décrire le monde
comme il est en lui-même indépendamment de nous. Nous devons comprendre que nous sommes
acteurs dans le drame du monde. Werner Heisenberg a dit aussi cela, il a dit : « La théorie quantique
ne nous fournit pas une image de la nature, mais une image de notre relation avec la nature. » Dès
que vous avez compris cela, et c'est assez facile après tout, beaucoup de choses en mécanique
quantique qui n'était pas claires auparavant le deviennent. Avant cela, je voudrais faire une sorte de
pause à ce point.
Bien sûr, vous pouvez vous plaindre, vous pouvez dire : « Oh non, c'est une régression, la physique
classique me promettait une image complète du monde, et maintenant lacanique quantique n'est
plus une telle image du monde, c'est une image de ma relation avec le monde, de notre relation
collective avec le monde. Cela semble une régression, je veux plus. Je veux revenir au bon vieux
temps de la mécanique classique. » Et beaucoup de physiciens sont comme cela, me Einstein
était comme cela en fait. Il a dit : « Je n'aime pas la mécanique quantique, elle a tellement d'images
étranges, je veux l'abandonner et trouver une meilleure théorie qui est en accord avec l'idéal
classique. » Donc manifestement ce point de vue ne peut pas être abandonné facilement, parce que
si même Einstein y tenait tant, alors c'est une chose sérieuse. Pourtant, si on accepte les points de
vue de Bohr et de Heisenberg, et qu'on essaye de les approfondir, alors quelque chose peut changer
complètement dans notre compréhension. Nous pouvons comprendre plus, nous pouvons rendre
plus clairs beaucoup de paradoxes, soi-disant paradoxes, de la mécanique quantique, et c'est ce que
je voudrais faire maintenant : vous montrer que si nous acceptons que toutes les caractéristiques qui
sont traitées en mécanique quantique doivent en fait être comprises en termes de relations entre
nous et le micro-environnement, alors beaucoup de paradoxes apparents deviennent moins
paradoxaux.
Le chat de Schrödinger sans contradiction
Premier exemple, le chat de Schrödinger. Je suis sûr que vous connaissez cela très bien.
L'expérience de Schrödinger se déroule dans une boîte. Vous voyez en haut Schrödinger à gauche et
Bohr à droite qui regardent l'expérience. Et l'expérience consiste en ceci : vous avez une boîte, et à
l'intérieur de la boîte, vous avez un morceau de matériau matériel qui a la probabilité ½ de se
désintégrer. Maintenant, avec l'étrange formalisme de la mécanique quantique, nous disons qu'il y a
une superposition, qu'en fait l'état du morceau de matériau radioactif est en superposition entre être
désintégré et ne pas être désintégré, juste comme ce que Arthur expliquait : superposition. Les deux
choses sont au même moment, de la même manière que les photons d'Arthur prenaient les deux
chemins en même temps. Alors, si le morceau de matériau radioactif se désintègre, il y a un
compteur qui détecte la désintégration, et soudainement il clique. Et quand il clique, il envoie le
signal qu'il a cliqué à l'ordinateur, qui est au milieu, qui a ces deux yeux. Et l'ordinateur, qui est un
robot, a un marteau, et s'il y a le signal que le matériau radioactif a cliqué, il tombe sur la bouteille
et casse la bouteille. La bouteille contient du poison, et ainsi, si la bouteille est cassé, alors le chat
meurt. Alors, un problème survient : le fameux problème du chat de Schrödinger. Donc le chat de
Schrödinger est ici, et le problème est très sérieux parce que vous vous souvenez que nous avons dit
que le matériau radioactif était en superposition, à moitié désintégré, à moitié non-désintégré. Ainsi,
avec cette chaîne d'événements, le chat doit être à moitié mort et à moitié vivant, parce que si le
matériau radioactif se désintègre, il est mort, et s'il ne se désintègre pas, il reste vivant. Donc
apparemment, et selon la mécanique quantique, il devrait être à moitié mort et à moitié vivant, mais
cela semble absurde, parce que quand vous ouvrez la boîte et regardez dans la boîte, ce n'est pas le
cas, vous voyez soit un chat mort, soit un chat vivant. Donc il y a un paradoxe. Ce que vous
pourriez accepter pour un atome, vous pouvez difficilement l'accepter pour un chat. Vous pourriez
peut-être accepter qu'il était à moitié désintégré et à moitié non désintégré, mais comment pourriez-
vous accepter que le chat est à moitié vivant et à moitié mort ? Il y a un problème, c'est le fameux
paradoxe du chat de Schrödinger.
John Durant : Et peut-être devrions-nous ajouter qu'il n'y a aucune cruauté impliquée ici, parce que
c'est une expérience de pensée.
Michel : Exactement. Merci John, oui, c'est parfaitement vrai, et je dois dire, je suis
personnellement allé dans la maison de Schrödinger, à Alpbach et j'ai vu dans sa maison qu'il avait
beaucoup de chats. Donc il adorait les chats.
Donc, maintenant, nous avons un paradoxe terrible, nous avons nos cheveux hérissés sur notre tête.
Mais y a-t-il vraiment un problème ? Lisons les deux phrases ici : « Après la préparation de
Schrödinger, le système atome + chat est dans un état de superposition », c'est-à-dire qu'il est à
moitié vivant et à moitié mort. L'état du chat est à moitié vivant et à moitié mort. En revanche, il y a
une autre phrase ici qui dit : « On trouve que le chat est soit dans l'état vivant soit dans l'état mort. »
Cela semble être une contradiction : une phrase dit que le système est à moitié vivant et à moitié
mort, l'autre dit que c'est soit l'un soit l'autre. Maintenant y a-t-il vraiment une contradiction ? Je
voudrais faire remarquer que sans le mot « état », les deux phrases n'auraient aucune contradiction.
Si vous compreniez cet étrange symbole comme une expression de l'information que nous avons à
propos de l'état du chat, alors il n'y aurait pas de contradiction, parce que dans un cas, l'information
que nous avons à propos du chat est incomplète, dans l'autre cas l'information que nous avons à
propos du chat est plus complète, parce que nous avons ouvert la boîte et nous avons regardé à
l'intérieur, et maintenant nous avons une information complète. Donc, l' « état quantique »
n'exprime rien du chat mais exprime un état d'information qui a à voir avec la relation entre nous et
le chat. De cette façon, vous comprenez parfaitement qu'il n'y a pas de contradiction, parce que la
relation entre nous et le chat a changée quand nous avons ouvert la porte de la boîte, et vu à
l'intérieur. Le point très difficile, le seul point difficile dans ce cas, est, comme Arthur a dit, que ce
n'est pas seulement une question d'ignorance, il n'y a personne qui regarde en dehors avec une sorte
de vision d'oiseau, qui dirait : « Oh, en réalité, le chat est mort, ou en réalité le chat est vivant. » Il
n'y aucune possibilité de faire cela. Ce que nous avons n'est aucune propriété absolue sur quelque
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