dossier/ L’évolution digitale au Luxe un projet politique En automne 2014, le gouvernement luxembourgeois faisait part de sa stratégie qui ne vise rien de moins que la transformation du pays, s’appuyant sur les opp gence numérique et les nouvelles technologies. Il montrait sa détermination d’ celle de développer un secteur croissant de l’économie, mais également de met qui peuvent découler des nouvelles technologies au niveau de toutes les dimen constituantes du pays. Le digital pour l’économie, mais aussi et surtout le digita Georges Pasquier B énéficiant depuis plus de dix ans d’un coup d’accélérateur important dans le domaine ICT avec des développements majeurs dans le secteur du commerce électronique, des contenus numériques, du cloud computing, du big data, etc., le Luxembourg a consenti à beaucoup d’efforts et d’investissements au niveau des grandes infrastructures de communication. Les gouvernements successifs en ont fait leur première priorité et ont agi en conséquence. Aujourd’hui, le Luxembourg prétend offrir une des meilleures infrastructures digitales au monde! Mais avoir une bonne infrastructure n’est pas suffisant. La transformation digitale touche à tous les aspects de la vie publique et privée et les entreprises et les citoyens ont besoin que le pays aille plus loin dans la voie engagée, que la législation soutienne leur développement et que les services publics s’adaptent à leurs besoins. Ainsi, après avoir posé les fondations et pour assurer la pérennité du changement, le gouvernement luxembourgeois a voulu donner un «toit commun aux innombrables initiatives publiques et privées» propres à l’économie et à la société numériques. C’est dans cet esprit que le gouvernement a franchi le pas pour «faire du Luxembourg une Smart Nation, et donner un visage résolument nouveau à ce pays, où il fait bon vivre et travailler», en optant pour la stratégie «Digital Lëtzebuerg», qui se donne pour mission l’utilisation des technologies, non pas pour qu’elles dominent l’homme, mais pour remettre celui-ci, ainsi que ses besoins, au cœur des préoccupations. Qu’est-ce que «Digital Lëtzebuerg»? Au moment d’expliquer sa stratégie, le gouvernement luxembourgeois a dit son ambition de «renforcer et de consolider à terme la position du pays dans le domaine de l’ICT et de hisser le Luxembourg en réel centre d’excellence high-tech». C’est donc par une action numérique globale et cohérente, allant de l’informatisation des services de l’État, aux compétences numériques (e-skills), à l’adaptation des instruments de soutien financier et à la poursuite cohérente de tous les efforts 12 | déjà engagés, que les autorités allaient pouvoir donner l’impulsion nécessaire à la nation pour que tous ensemble puissent relever le défi. Ainsi plus qu’un projet gouvernemental imposé, «Digital Lëtzebuerg» s’est voulu «une action stratégique cohérente, déterminée et conséquente, l’affirmation d’un nouveau visage assumé du pays». Il s’agissait donc d’abord de bâtir sur le travail déjà amorcé et d’identifier, afin de les valoriser, les initiatives déjà en cours dans les différents secteurs. Étant donnée l’omniprésence des TIC, tous les secteurs de l’État bénéficiaient déjà de nombreuses avancées digitales, et un inventaire s’imposait. Il fallait ensuite identifier d’éventuels nouveaux axes de développement, préciser des objectifs à moyen terme et œuvrer à mettre en place, de manière systématique, l’ensemble des arguments indispensables pour y arriver. Il apparaissait en effet au gouvernement que pour la réussite d’un plan national de cette envergure, la mise en place d’arguments forts et de messages clairs était indispensable. Ainsi, après un inventaire de l’existant et des projets en cours et planifiés, la stratégie a dû être définie et adoptée grâce à des concepts de communication soignés. Une méthode de travail et une gouvernance ont été mises en place pour Educateur 6 | 2016 Un enjeu économique mbourg: «Digital Lëtzebuerg» ortunités offertes par l’intelliafficher une volonté politique, tre à profit les opportunités sions socio-économiques l pour tous. Digital Lëtzebuerg n’est pas qu’une stratégie top down imposée par le Gouvernement, mais elle vise la création d’un mouvement général de modernisation sur base d’un effort collectif. Je constate que beaucoup d’acteurs ont d’ores et déjà exprimé leur envie de s’associer à l’initiative. Je me réjouis de cet engagement! Xavier Bettel, Premier ministre dépasser les cloisonnements des différents champs de compétence et de responsabilité ministériels et éviter d’instaurer des comités ou groupes de travail lourds ou redondants à ceux qui existaient déjà. La présidence du projet était exercée conjointement par le Premier ministre, le Vice-Premier ministre et Ministre de l’Économie et le Ministre des Finances de manière à définir les orientations politiques. Une plateforme «Digital Lëtzebuerg» a été créée pour rassembler autour de la stratégie les différents acteurs et contribuer à sa promotion à l’intérieur même du pays, ainsi que vers l’extérieur. Une cellule de coordination et de développement a été mise sur pied comme comité exécutif pour prendre en charge le travail de coordination, de définition et de mise en œuvre de la stratégie. Enfin des action teams, ou cellules thématiques, ont été imaginées pour faire partie intégrante de l’élaboration de la stratégie et de sa mise en œuvre (acteurs publics (ministère, administration…) ou privés (association sectorielle…), ou mélanges des deux, en fonction • du sujet et des besoins)1. Les mesures prises en Europe de l’ouest contre la crise économique peuvent se résumer comme suit: réforme de la protection sociale (c’est-à-dire coupes sombres dans les dépenses sociales), augmentation de l’âge à la retraite, flexibilisation croissante du marché du travail, baisse des prestations de chômage, privatisations, réduction du nombre de fonctionnaires, mise en compétition dans les domaines sanitaires et sociaux, gel des salaires, etc. (...) Les politiques sociales sont considérées comme un poids pour l’économie empêchant investissements et création d’emplois. (...) Le défi futur du Luxembourg est moins une définanciarisation qu’une réindustrialisation. Finalement, ne peut-on pas parler de dumping social, d’un appauvrissement de l’État? Selon B. Palier «il faut investir dans le capital humain, dans l’accueil et les capacités des jeunes enfants, dans l’éducation et la formation tout au long de la vie, dans les politiques permettant une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle». Institut national de la statistique et des études économiques (STATEC) cahier 113, p. 202 Le Luxembourg, à la pointe de l’Europe En inaugurant l’European Data Forum 2015, le 16 novembre dernier au centre de Conférences du Kirchberg à Luxembourg devant quelque neuf-cents experts de toute l’Europe, le Premier ministre Xavier Bettel a plaidé pour que l’on aide l’UE à mener la révolution digitale. «Le focus ne devrait pas seulement être sur l’infrastructure, mais aussi sur la recherche, la formation ou le recrutement de profils à haute valeur ajoutée.» Il a profité de l’occasion pour montrer tous les atouts de la connectivité luxembourgeoise. «Être petit ne devrait pas être un frein, a poursuivi Xavier Bettel. Avec des acteurs majeurs comme RTL ou SES, le Luxembourg a toujours vu grand. Il a aujourd’hui les atouts pour être un hub technologique au cœur de l’Europe. «Digital Lëtzebuerg» en est un autre exemple, même si le gouvernement ne peut pas travailler seul. Accélérer la transition nécessite une coopération public/privé renforcée. Nous devons casser les silos et avancer sur tous les fronts. Les entrepreneurs ont besoin de plus d’Europe.» 1 Pour plus d’informations, voir la conférence de presse du 20 octobre 2014 : www.gouvernement.lu/4441131/dossier-de-presse-digital-letzebuerg-20141017.pdf Educateur 6 | 2016 | 13 dossier/ «Le Luxembourg est un pays unique au monde. Nous avons notre propre histoire, notre culture et nos habitudes. Nous sommes un pays où un grand nombre de nationalités et de cultures existent les unes à côté des autres et les unes avec les autres. Nous savons créer des liens et unir, construire des ponts, et regarder en avant. Nous sommes un pays de renouvellement et nous avons surmonté des crises dont nous sommes sortis renforcés pour construire l’avenir. Voilà ce que nous sommes et si nous voulons rester ce que nous sommes, il faut nous engager ensemble pour atteindre cet objectif.» Déclaration du gouvernement sur la situation économique, sociale et financière du pays, 11 mai 2015 Encore faut-il trouver les personnes compétentes pour occuper les postes et promouvoir l’entrepreneuriat dans ce nouveau secteur économique. Actuellement, une grande partie de la main d’œuvre souvent hautement spécialisée est «importée» d’autres pays, parfois éloignés. La durabilité du secteur de l’ICT dépend donc aussi de la capacité du Luxembourg de développer un vivier national de compétences et de ressources humaines adaptées à la diversité des métiers de l’ère numérique. Digital (4) Education, Dossier de presse, MEN, 20 mai 2015 Le défi EduSphère «La société s’est mise au digital, l’école doit s’y mettre aussi», c’est par ces mots que le 12 mars 2016, le ministre de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, Claude Meisch, a présenté le projet eduSphere, «nouvel environnement d’enseignement et d’apprentissage en ligne pour enseignants et élèves» avec l’ambition d’améliorer la qualité de l’enseignement et de mieux préparer les élèves aux défis de notre société moderne. L’eduSphere est construit comme une plateforme numérique permettant non seulement le partage des ressources pédagogiques de toutes sortes, mais offrant aussi un espace personnalisable et intuitif, un accompagnement des enseignants dans leur formation, une fonction de coaching pour les établissements, enseignants et directeurs, pour les utilisations numériques et un centre de communication pour tous les acteurs de l’école. L’eduSphere résulte de la collaboration entre de nombreux partenaires et sa coordination est assurée par un service du ministère. Trois phases sont prévues, qui promettent aux enseignants une progression dans l’utilisation des ressources digitales. Première phase (2015-2016): enseigner de la même façon avec des ressources digitales existantes; deuxième phase (2016-2017): enseigner mieux avec des outils digitaux appropriés; et troisième phase (2017-2018): enseigner différemment, «avec la mise en place d’une approche pédagogique nouvelle et prometteuse favori• sant davantage la différenciation, l’autonomie et la créativité des élèves».1 1 Plus d’informations, voir www.men.public.lu/catalogue-publications/themes-transversaux/dossiers-presse/2015-2016/160312-edusphere.pdf 14 | Educateur 6 | 2016 Développer un vivier national La question de savoir comment préparer les enfants et les jeunes aujourd’hui à ce qui les attendra au cours du prochain demi-siècle, comment les outiller pour un monde où le changement permanent domine, le Luxembourg la considère comme un sérieux défi pour l’école et le monde périscolaire. Le Statec (voir page précédente) indique que certes un très grand nombre de ménages sont équipés d’outils informatiques et d’internet. Mais les personnes à faible niveau d’instruction, les personnes inactives et celles de plus de 55 ans sont les plus nombreuses à ne jamais avoir utilisé l’internet, par exemple (plus de 30% des femmes et 13% des hommes qui ont un faible niveau de formation). Le numérique peut être un facteur important de réduction des inégalités, en donnant accès à tous à des informations et des ressources culturelles et pédagogiques de qualité et en diversifiant les méthodes d’apprentissages pour mieux adapter l’enseignement aux besoins et au rythme de chacun. Qu’est-ce que DIGITAL (4) EDUCATION? Dans sa conférence de presse du 20 mai 2015, le ministre de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, Claude Meisch, a insisté sur le fait que le nom de la stratégie Digital (4) Education permet une double lecture qui illustre parfaitement les deux objectifs prioritaires: – digital education: la préparation des jeunes à un environnement de travail complexe et en mutation permanente, et à leur rôle de citoyen dans le domaine privé et public, – digital for education: la promotion de nouvelles stratégies d’apprentissage et de projets pédagogiques innovants, utilisant le numérique à l’école et dans le monde périscolaire. Et pour répondre à la question évoquée dans le chapeau de cette page, le Ministre a jugé que les compétences indispensables au XXIe siècle portent sur deux volets: D’abord préparer le jeune à vivre dans un environnement de travail complexe et en mutation permanente; l’école et le monde périscolaire doivent développer des compétences dans quatre domaines essentiels qu’il appelle les 4C: la communication, la collaboration, la créativité et l’esprit critique. Préparer ensuite le jeune à assumer son rôle dans le domaine privé et public, l’école et le monde périscolaire doivent proposer des situations d’apprentissages qui favorisent la compréhension du monde et de la société, l’épanouissement et le bien-être personnel. Les projets phares La stratégie Digital (4) Education se décline en plusieurs dimensions concrètes appelées projets phares: un programme qui vise à promouvoir une utilisation plus sûre des TIC à travers une information cohérente et des conseils aux citoyens, sous le nom de BEE SECURE. Un portail pour enseignants destiné à soutenir l’enseignement et l’apprentissage (EduSphere). Un outil numérique d’apprentissage des mathématiques pour le cycle 4 de l’enseignement fondamental (MathemaTIC). Un programme de développement de compétences techniques et technologiques (avec l’introduction générale de Office 365 for Education, et un projet de tablettes numériques en classe), programme appelé DCL (Digital Classroom Lëtzebuerg). Un programme qui vise à améliorer les compétences numériques (programmation, sécurité, design, communication…) des jeunes résidants luxembourgeois et à contribuer à Educateur 6 | 2016 l’instauration d’une culture numérique au Luxembourg. Dans ce cadre devaient notamment être mis en place des Maker-Space, lieux de découverte, mais surtout espaces de création où les jeunes peuvent mettre au point leurs propres outils numériques (BEE CREATIVE).1 Cinq dimensions spécifiques À noter encore que la stratégie Digital (4) Education s’articule autour de cinq dimensions pour lesquelles les outils nécessaires (logiciels, hardware, ressources pédagogiques, scénarios pédagogiques, lieux d’apprentissage…) sont mis à la disposition des acteurs scolaires ou périscolaires pour créer des situations d’apprentissage qui favorisent le développement des compétences pour le XXIe siècle. La dimension citoyenne, qui doit permettre de former des citoyens à l’aise dans le monde digital. La dimension éthique et sociale: qui permet l’utilisation des TIC de manière plus sécurisée et plus responsable. La dimension de soutien à l’apprentissage, pour créer des situations d’apprentissage qui développent des compétences du XXIe siècle. La dimension productive et opérative, pour mettre en place les compétences technologiques. La dimension créative ou innovatrice, avec les espaces dits Maker-Space pour stimuler les talents et contribuer à former les futurs spécialistes de l’économie numérique. • L’initiative DIGITAL (4) EDUCATION 1 Pour le détail de ces projets phares, voir la conférence de presse du Ministère de l’Éducation nationale de l’Enfance et de la Jeunesse du 20 mai 2015 (http://www.men.public.lu/catalogue-publications/themes-transversaux/dossiers-presse/2014-2015/150520-digital-4-education.pdf) | 15