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MÉTHODOLOGIE
SOINS ET ANTHROPOLOGIE
UNE DÉMARCHE RÉFLEXIVE
Cécilia ROHRBACH VIADAS,
Anthropologue infirmière
« toute réflexion importante,
loin de clore le débat,
au contraire commence
par l’ouvrir »
Yvonne Preiswerk
RÉSUMÉ
A B S T R AC T
Soigner l’être humain en respectant l’égalité des
cultures et en reconnaissant leurs différences
culturelles, appelle à relier unité et diversité. Les
publications récentes dans le domaine des soins
culturels privilégient pourtant la différence culturelle, fondée sur le relativisme culturel délaissant le postulat de l’unité de l’humanité, comme
c’est le cas pour les soins infirmiers transculturels. C’est ainsi que quelques éléments historiques relatifs aux théories fondatrices de l’anthropologie sont inclus dans ce texte, pour
comprendre les implications philosophiques et
éthiques de la théorie de soins infirmiers transculturels. L’objectif de cet article est d’analyser
six publications récentes dans le domaine des
soins et de l’anthropologie, à travers une
méthode réflexive pour identifier deux traditions de soigner différentes en démontrant leur
portée philosophique et éthique dans la pratique de soins infirmiers.
Caring for human beings, calls for relating unity
and diversity in order to respect the equality of
cultures and to recognize their cultural differences. Cultural difference is, however, privileged by recent publications within the culture
caring domain, based on cultural relativism and
disregarding the unity of humanity, transcultural
nursing theory is the case. For this reason, some
historical elements related to the two original
anthropological theories are included in this
text to understand the philosophical and ethical implications of transcultural nursing theory.
The objective of this article is to analyse six
recent publications within the caring and
anthropology field, through a reflexive method
identifying two different caring traditions and
demonstrating their philosophical and ethical
reach for caring practice.
Mots clés: soigner, être humain, unité de l’humanité,
Key words: caring, unity of humanity, equality of cul-
égalité des cultures, reconnaissance de leurs différences culturelles, soins infirmiers transculturels,
portée philosophique et éthique, méthode réflexive.
tures, recognition of their cultural differences, caringanthropology, philosophical and ethical reach, reflexive
method.
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007
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MÉTHODOLOGIE
SOINS ET ANTHROPOLOGIE
UNE DÉMARCHE RÉFLEXIVE
INTRODUCTION
La recherche en soins infirmiers a été introduite en
France et en Suisse par Rosette Poletti autour de 19781985. Poletti brosse le tableau de la situation de la
recherche dans la profession durant cette période.
Comme elle aime le faire, elle illustre cette situation par
des citations ou des exemples identifiant autant les
aspects positifs des investigations déjà réalisées, que les
difficultés posées quand il s’agit de modifier des attitudes
ancrées s’opposant à la recherche infirmière. Rosette
Poletti a introduit également des théories et des modèles
de soins infirmiers, écrits pour la plupart par des infirmières américaines.
Ces théories ont commencé à être utilisées dans divers
programmes de formation infirmière de base et de cadres,
en ouvrant la voie à de nouvelles connaissances et à la
conscience d’un savoir professionnel propre. Pendant cette
période, peu d’attention a été consacrée aux postulats
philosophiques de ces modèles et à leurs conséquences
éthiques, ce qui a affaibli la réflexion infirmière. Plusieurs
auteurs formulent ce manque de préparation de futurs
professionnels de la santé à cet exercice indispensable
consistant en une analyse étendue de connaissances de la
profession, afin de se convertir en une science autonome
Nadot, M. (1992) et Reverby, S. M. (1993). Ce manque de
critique a ralentit, non pas le milieu infirmier plutôt sécurisé par des connaissances stables, mais les collègues universitaires des autres sciences humaines.
Une exigence propre à toute discipline universitaire veut
que la critique fasse partie de toute science et qu’elle soit
continuellement présente pour infirmer ou confirmer les
postulats théoriques, pour analyser les méthodologies,
pour guider la recherche et pour préserver l’autonomie
indispensable à chaque discipline.
Pour analyser le domaine soins-anthropologie dans cet
article, je propose une méthode réflexive décrivant les
principales orientations théoriques et philosophiques
américaines enseignées en Europe et leurs conséquences
dans les textes étudiés dans cet article.
UN SURVOL DES SOINS INFIRMIERS TRANSCULTURELS
Un bref écho concernant la théorie de soins infirmiers
transculturels de Madeleine Leininger introduisant une
orientation anthropologique dans les soins, pour la
première fois dans les soins infirmiers, ne fait pas de
doute. Son doctorat en anthropologie à l’Université
de Washington, Seattle, la prépare à développer
son domaine.
20
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007
La théorie de soins infirmiers transculturels a été publiée
en 1978 (voir Leininger, 1995, pp. 3-54 pour le développement détaillé de sa conception théorique) en prenant
rapidement une ampleur internationale, donnée par son
auteure.
La théorie de Leininger a été analysée par plusieurs infirmières (Marriner-Tomey, Julia B. George, S. Kérouac,
entre autres) et c’est l’étude de Julia B. George (1995), qui
apparaît comme la plus complète parce qu’elle identifie un
aspect décisif : «Leininger définit la santé, mais elle ne définit pas spécifiquement les concepts majeurs d’être humain,
société/environnement…» (George, 1995, p. 379, traduction). Cette lacune est de conséquence, parce que sans
le concept d’être humain, l’unité de l’humanité, ce concept
cher aux philosophes universalistes du XVIIIème siècle et
aux premiers anthropologues européens, est mise en danger, car il risque de ne pas être repris dans les publications francophones de soins infirmiers.
Leininger s’abstient également de situer l’anthropologie
du point de vue historique et son concept de culture est
fondé sur le relativisme culturel. La théorie anthropologique du relativisme est très répandue en Amérique, inspirant la majorité des travaux de ce continent.
Ma formation européenne en anthropologie, m’a permis
de reconnaître les différences entre les théories européennes et les théories américaines, parce que j’ai eu
accès aux deux écoles anthropologiques, ayant fait des
études pendant un certain temps à l’Université de
Washington, Seattle.
L’évolutionnisme et le relativisme requièrent d’être situés
dans cet article, comme cela serait le cas pour toute autre
théorie infirmière à étudier. Il s’agit de présenter l’histoire de la science humaine et sociale qu’accompagne la
discipline des soins. Pourquoi avoir des théories de soins
si on méconnaît les théories qui les accompagnent et qui
influencent leurs philosophies et leur éthiques ?
Les soins infirmiers appellent nécessairement d’autres disciplines, l’autonomie totale des disciplines est un leurre.
Chaque théorie est composée d’une histoire qui la fonde
et qui détermine la trajectoire de ses multiples principes,
postulats, orientations, méthodes, philosophies, recherches,
contexte culturel, personnalité de l’auteur, etc. Il importe
de les connaître, si nous voulons réfléchir en profondeur
et apprendre à utiliser les connaissances des sciences
humaines et sociales avec une éthique professionnelle.
Comme le dit Dumont : «L’image mentale que nous avons
d’une culture ne dépend pas uniquement des faits accessibles
obtenus, mais de notre façon d’interpréter les faits accessibles
et de notre manière de penser en général» (1989, p. 13). C’està-dire, la représentation intellectuelle indispensable pour
construire une théorie, contient des caractéristiques semblables à l’image mentale que nous avons d’une culture.
SOINS ET ANTHROPOLOGIE
UNE DÉMARCHE RÉFLEXIVE
P R É C I S I O N S H I S TO R I Q U E S
CONCERNANT L’ANTHROPOLOGIE
Les premières recherches systématiques en anthropologie datent du XIXème et du début du XXe siècle en Europe,
quoique, les philosophes universalistes du XVIIIème (Kant,
Rousseau, voir Hodgen, 1971) vont stimuler la pensée de
ces premiers anthropologues avec leur postulat relatif à
l’unité de l’humanité. Subséquemment, l’évolutionnisme, la
première théorie anthropologique, essaie de comprendre
l’humanité. Cette théorie contemple la société moderne
comme étant le stade supérieur, le modèle à suivre pour
les sociétés dites moins «civilisées». Cette position «ethnocentriste* » est certainement critiquable, mais retenons
que la majorité des évolutionnistes a conservé ce que les
philosophes universalistes leur ont légué d’inappréciable,
le postulat philosophique de l’unité de l’humanité,
Berthoud, G. (1992, pp. 77-89, 119-127, 241-268).
L’évolutionnisme fut toutefois fortement contesté par
les anthropologues américains et ceci avec raison. Les
chercheurs américains vont souligner surtout le
concept de culture en accentuant la diversité culturelle, ce que l’on connaît comme théorie relativiste.
La théorie évolutionniste, en soulignant l’unité de l’humanité, néglige la diversité culturelle alors que la théorie du relativisme culturel, au contraire, souligne la
diversité culturelle et décline l’unité de l’humanité. C’est
cependant la théorie relativiste, qui domine dans la
représentation de l’anthropologie américaine jusqu’à
nos jours. La théorie relativiste considère que les us et
coutumes des peuples sont significatifs uniquement dans
la culture d’appartenance. Ainsi, chaque culture est
conçue comme une totalité sans communication possible entre elles, puisque ce qui est valable pour une
société ne l’est pas pour une autre. Leininger emprunte
son concept de culture à Haviland, W. A. (1990) et s’inspire particulièrement de Melville Jean Herskovits (1955,
1973), deux auteurs relativistes, dont Leininger adopte
les postulats philosophiques sans les questionner et nous
verrons que cela a des conséquences éthiques de taille.
Les connaissances n’aidant pas à réfléchir, elles semblent
conjurer plutôt la soumission.
Herskovits, M. (1895-1963) a été un de principaux
concepteurs du relativisme culturel, il a soutenu que toute
culture est objectivement accessible à partir de ses
propres critères. Ce postulat philosophique remet en
cause la possibilité même de comparer les cultures, et
par conséquent, d’apprendre de chacune d’entre elles. Le
relativisme culturel renforce donc la diversité culturelle,
où tout est admissible, «tout se vaut», puisque chaque culture est étudiée dans ses propres termes et valeurs et
ses traditions se considèrent acceptables dans le contexte
même, sans jugement de critique, Herskovits, M. (1973).
*
Leininger confirme cette position relativiste consistant
à accepter toute pratique de soins comme approuvable. Sans entrer, ici, dans cette discussion, je laisse le
lecteur réfléchir aux pratiques culturelles telles que :
la circoncision féminine, se défaire d’un bébé parce
qu’il est jumeau et que cela est considéré malsain par
le groupe, etc. Ces pratiques relèvent de l’éthique professionnelle et il est indispensable de prêter attention
à l’enjeu qu’elles représentent.
Il s’agit d’une question délicate dans laquelle se mêlent
le respect de l’autre, le respect envers soi-même, le
code éthique, les implications morales, sociales et
politiques. Leininger préfère éviter ces questions en
gardant sa position relativiste concernant l’acceptation de l’ensemble des pratiques « sans jugement » et,
plus encore, elle propose de prendre comme base
de réflexion éthique, la culture : « La culture, pourvoit
la connaissance holistique la plus complète pour construire
une base de connaissance éthique des soins, fidèle et
digne de confiance, pour guider les décisions sur les soins
humains, la santé la mort, les facteurs de vie quotidienne », Leininger (1990, p. 64, traduction). La culture est, ici, une définition sans contenu significatif
qui sera donnée par les membres du groupe étudié
lors du travail de terrain.
Après avoir examiné cette position, le relativisme culturel qui guide la réflexion éthique des conceptions liées à
la culture dans les soins infirmiers transculturels, je désapprouve cette posture parce qu’elle déloge un fondement
déontologique. Ma position est de considérer comme
essentiel de se référer à une démarche comparative
réflexive (qui ne peut pas être explicitée dans l’espace
de cet article). Cette démarche doit servir de base et
de guide, car «S’il y a un fondement, il y a des éléments qui
permettent de relativiser ; mais s’il n’y a pas de fondement,
il n’y a pas de structure contre laquelle d’autres postures pourraient être ‘objectivement’jugées», Holmes (1988, p. 185,
commas inversées dans le texte, traduction).
DÉMARCHE RÉFLEXIVE ET PUBLICATIONS DES SOINS ASSOCIÉES
À L’ANTHROPOLOGIE
Accueillir un être humain pour le soigner est une
démarche professionnelle basée sur une relation, sur
des principes philosophiques, sur des connaissances
théoriques et soutenue par la personnalité du soignant
pour guider cette expérience, même si ces principes
sont implicites et confus. Cet accueil est aussi influencé
par les valeurs que la société du chercheur privilégie.
Terme qui suggère de considérer ses propres valeurs culturelles comme étant supérieures aux autres
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007
21
Je distingue dans la littérature des soins infirmiers francophone, une démarche professionnelle fondée sur un
héritage universaliste regardant chaque individu,
comme un membre à part entière de l’humanité.
La réticence envers l’enseignement de l’anthropologie
s’adresse plutôt aux principes transculturels évoqués,
qu’à l’anthropologie elle-même, discipline peu connue,
d’ailleurs, dans certains pays francophones. Quoique
cela doive encore se vérifier à cause de l’influence américaine dans ce domaine actuellement, comme nous le
verrons plus loin.
Tandis qu’aux USA, la démarche professionnelle proposée par diverses publications dans le domaine des soins
culturels, attribue initialement un statut d’appartenance
au «client» comme nos collègues les dénomment, c’està-dire des : tamouls, musulmans, japonais, etc.
Ces deux démarches révèlent schématiquement deux
traditions de soins différentes. La tradition professionnelle américaine liée aux soins infirmiers transculturels, montre un intérêt pour une approche dirigée
vers le groupe culturel et fondée sur les principes du
relativisme culturel adoptés par sa principale leader, la
Professeure Madeleine Leininger.
Ce qui précède démontre qu’en considérant l’histoire,
on prend un engagement pour comprendre le témoignage du passé et pouvoir justement nous distancer
de celui-ci en devenant académiquement plus libres.
C’est l’analyse de six publications choisies pour identifier le savoir, non pas d’anthropologie si peu connu, mais
le savoir qui se publie dans le domaine soins-anthropologie, qui va suivre en montrant l’influence américaine.
2) Collière, M.-F. (1996). Soigner… Le premier art de la vie.
Paris, InterÉditions. «De l’utilisation de l’anthropologie
pour aborder les situations des soins», pp. 137-187.
Collière s’inspire entièrement du travail de terrain de
l’anthropologue et l’accommode au soignant. Elle prépare ainsi une méthodologie pour les soins communautaires applicable dans d’autres contextes infirmiers.
L’approche de Collière est considérée universaliste
parce qu’elle reconnaît les êtres humains, sans les cataloguer, c’est une attitude positive et confirmée de sa
démarche.
Collière met en évidence le fait que toute situation de
soins est une situation anthropologique et à partir de ce
postulat, elle introduit un processus adapté aux deux disciplines : les soins et l’anthropologie, ce qui va, par la
suite, soutenir le développement de son enseignement.
3) Rohrbach, C. (1999). Soigner, c’est l’expérience de
se comprendre soi-même par le détour de l’autre.
Revue Recherche en Soins Infirmiers, No. 56, pp. 81-87.
Une expérience pédagogique pour sensibiliser les étudiants de la 1re année d’études en soins infirmiers, à
l’École de Thonon-les-Bains, est décrite en apportant
quelques exemples.
Les six textes seront étudiés et considérés selon la
méthode réflexive mentionnée dans le résumé et mise
en pratique tout au long de cet article.
Les étudiants sont introduits à l’anthropologie et au travail de terrain pendant trois journées. Ensuite, ils partagent trois journées avec un groupe ou une personne de
leur choix, différent d’eux. Ils élaborent un rapport écrit
de ces trois journées, et ensuite, en fonction de leur
expérience et de leurs connaissances acquises auprès
des groupes étudiés, ils décrivent comment ils soigneraient cette personne, si il/elle arrivait à l’hôpital. Ces
données sont présentées oralement par chaque étudiant
au groupe (42 étudiants) et par écrit au professeur.
1) Veysset, B. (1988). Anthropologie et recherche en
soins infirmiers, Revue Recherche en Soins Infirmiers,
No. 14, pp. 9-14 (conférence).
Cette conférence est une des premières publications
dans le domaine de l’anthropologie, donnée par une
Docteure en Anthropologie, qui décrit avec des citations,
en quoi consiste la discipline, abordant la recherche en
soins infirmiers de manière abrégée. Cette conférence de
Bernadette Veysset introduit la dimension historique et
philosophique de l’anthropologie de manière remarquable, car elle est la seule auteure, dans la littérature
étudiée, à avoir exposé les fondements de l’anthropologie. Veysset fait une communication d’envergure en précisant le principe philosophique de l’unité de l’humanité.
Cette approche, qui consiste à partager, pendant trois
journées, la vie quotidienne avec des personnes
inconnues de l’étudiant, a stimulé leur créativité
concernant la manière dont ils soigneraient ces personnes à l’hôpital. De plus, le mode de vie de
pêcheurs, de sourds-muets, de personnes vivant au
couvent, d’une famille chilienne réfugiée, d’une fille
anorexique, d’un étudiant zaïrois, de deux agriculteurs retraités, d’une personne transsexuelle et bien
d’autres personnes et groupes, a fait comprendre que
chaque groupe possède une connaissance sur les
soins que les étudiants ont dû apprendre, pour terminer avec l’entendement que soigner est une expérience de réciprocité.
PUBLICATIONS CHOISIES DANS
LE DOMAINE SOINS-ANTHROPOLOGIE
22
Son apport précieux (p. 12) est tombé pratiquement dans
l’oubli par la suite, sans avoir eu l’écho requis.
Il s’agit pourtant d’un principe essentiel pour soigner
parce que toute personne soignée fait préalablement
partie de l’humanité. Évident ? Nous verrons que cela
n’est pas toujours le cas.
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007
SOINS ET ANTHROPOLOGIE
UNE DÉMARCHE RÉFLEXIVE
4) Coutu – Wakulczyk, G. (2003). Pour des soins culturellement compétents : Le modèle transculturel de
Purnell. Revue Recherche en Soins Infirmiers, No. 72,
pp. 34-47.
L’auteur de cet article décrit les éléments organisationnels et techniques du modèle Purnell. C’est une
description avec la traduction complète dudit modèle.
Coutu – Wakulczyk, traduit le schéma conceptuel de
l’auteur de manière très complète, introduisant
quelques modifications organisationnelles avec l’autorisation de Larry Purnell. Il est dommage qu’aucun
objectif n’ait été précisé pour connaître le choix de ce
modèle culturel par rapport à d’autres. La description
est uniquement théorique sans faire référence à des
situations de la pratique. Le modèle Purnell relève de
l’approche relativiste, décrite précédemment.
5) Lepain, C. (2003). L’approche culturelle en soins
infirmiers pour les patients musulmans maghrébins
relevant des soins palliatifs. Revue Recherche en Soins
Infirmiers, No. 72, pp. 4-33.
Dans ce travail d’un investissement personnel sérieux,
il est toutefois difficile de comprendre le cadre conceptuel de l’auteure, car elle se réfère à Watson et à
Leininger, dont elle sélectionne des éléments sans les
justifier et en les appliquant de manière superficielle
dans son projet pratique.
Lepain a ainsi cité de nombreuses conceptions théoriques, les unes à côté des autres, par rapport à son
projet, telles : Leininger et Watson, Giger – Davidhizar,
Gordon avec ses diagnostiques et Kérouac, S. (1994).
Ces auteurs, leurs théories et leurs connaissances sont
de qualité variée sans être justifiées par Lepain, ce qui
diminue la cohérence théorique et pratique de son
article. Pourquoi ?
Julia B. George (1995, pp. 373-389), en analysant la
théorie de Leininger, a conclu que l’auteure de la théorie de soins infirmiers transculturels n’a pas définit les
quatre concepts de base de soins infirmiers : personne,
santé, environnement, soins infirmiers. Pourtant, ces
quatre concepts sont définis par Lepain, comme s’ils
appartenaient à Leininger ? Mais, c’est à Kérouac que
Lepain emprunte ces définitions qui ne correspondent
pas à Leininger comme déjà indiqué. Elles se trouvent
chez Kérouac, qui a abordé la théorie de Leininger de
manière plutôt simplificatrice en réduisant ses explications à quelques termes (voir, « La pensée infirmière», 1994, pp. 43-45).
L’article de Lepain termine par un «projet clinique»
pour apprendre à soigner les patients maghrébins. La
question qui émerge avec cette approche se réfère à
la manière déductive de procéder, il y a peu de spontanéité et d’initiative pour les soignants introduits dans
autant de connaissances hétérogènes.
Cet accès aux soins, catégorise les patients en les séparant des autres patients non musulmans maghrébins
et peut estomper la curiosité des soignants par le
nombre de connaissances théoriques qui leur sont
transmises (voir projet clinique, p. 12 et suivantes). Peu
de place semble être laissée aux apprenants et au
patient, car «tout» ou presque, est déjà prévu. C’est
une approche issue du relativisme culturel américain,
même si l’auteur peut l’ignorer, cependant, cette
approche «catalogue» les patients et il paraît convenir plutôt à la mentalité américaine.
Pour conclure, le risque existe avec ce type d’approche
de retomber dans les soins en série : les noirs sont
soignés ainsi, les turcs autrement, les japonais comme
le dit tel livre. Cela ne serait pas trop différent de : l’appendicite, on procède ainsi, le cancer du colon selon
telle approche, un travail mécanique, automatisé. Cette
démarche néglige autant le patient que l’infirmière
comme êtres humains. Les soignants de «patients différents » peuvent se spécialiser dans une culture et
apprendre à regarder leur patient avec un regard
« musulman maghrébins », mais comment regarde-ton un maghrébin comme être humain ?
L’article de Catherine Lepain est le résultat d’une forte
influence de l’anthropologie américaine dans sa pratique de soins.
6) Racine, L. (2003). Les potentialités de l’approche
théorique post-coloniale en recherche infirmière culturelle sur l’adaptation du soin infirmier aux populations non occidentales. Revue Recherche en Soins
Infirmiers, No. 75, pp. 7-14.
Dans cet article, il y a un effort de décentration, c’està-dire, cette capacité complexe de pouvoir quitter un
point de vue en le questionnant de loin et de près.
Racine propose une réflexion qui justifie son parcours
et la raison de ses choix théoriques, elle décrit clairement la voie novatrice qu’elle entreprend. Racine fait
une critique du multiculturalisme occidental en démontrant ses lacunes et elle avance des références qui soutiennent ses critiques. L’auteur introduit ensuite sa
propre perspective, où elle propose «une négociation
des différences culturelles entre la clientèle non-occidentale et le personnel infirmier », un « troisième
espace» (p. 11) qui mène à une compréhension des
différences culturelles. L’auteure est consciente du cheminement requis des soignants pour arriver à ce type
de compréhension et elle propose à ce sujet, un processus de conscientisation. La démarche de l’auteure
est novatrice, comme elle l’indique au départ de son
article, car elle introduit un concept, la «sécurité culturelle», souhaitant que la recherche infirmière culturelle devienne un progrès d’action sociale, qui consiste
à développer des programmes d’éducation basés sur
la notion de sécurité culturelle. L’auteure s’est inspirée
d’Antonio Gramsci, théoricien et écrivain italien, dont
les idées ont eu du succès par son authenticité et par
son intérêt pour les classes défavorisées. L’orientation
choisie est donc politique, avec des connaissances
concernant les classes défavorisées et la théorie soutenue par cette perspective.
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007
23
La critique de Racine relative à la théorie de Leininger
est pertinente et subtile, car elle a su identifier le
fondamental : « Les approches culturalistes et de la
diversité du soin culturel de Leininger et le modèle
explicatif de la maladie de Kleinman, constituent des
approches où la culture, bien que soi-disant étudiée
de manière holistique, se trouve réduite à une
expression simplifiée, qui fixe les différences culturelles de l’Autre en entités essentialistes » (p. 9).
Racine fait preuve de valeur en examinant les théories infirmières et en montrant les discordances
entre théorie et pratique.
En conclusion, la littérature étrangère relative aux soins
et à l’anthropologie, fait continuellement appel à la culture de l’autre, comme si notre propre culture était
inexistante, cachée, inopérante et ne jouait aucun rôle
dans notre relation au patient. Les diverses théories
transculturelles et culturelles analysées séparent les
êtres humains, les étiquettent comme étant «Gadsups,
Polonais, Amishs», comme si leur différence était prioritaire au fait d’être un être humain.
Le premier droit de tout être humain pourtant, y compris chacun de nous, est d’appartenir à l’humanité.
COMMENCEMENT
Si il a été question de deux théories fondatrices de l’anthropologie, l’universalisme et le relativisme, il importe
maintenant de les concevoir en relation l’une avec
l’autre. Chaque postulat, c’est-à-dire, l’unité de l’humanité et les différences culturelles, est indispensable
pour étudier et comprendre les soins.
RÉFÉRENCES
Berthoud, G. (1992). Vers une anthropologie
générale. Genève, Librairie Droz.
Collière, M. F. (1996). Soigner… Le premier art
de la vie. Paris, InterEditions, pp. 137-187 et
146.
Coutu – Wakulczyk, G. (2003). Pour des soins
culturellement compétents : Le modèle transculturel de Purnell. Revue Recherche en Soins
Infirmiers, No. 72, pp. 34-47.
Chaque perspective à elle seule, que ce soit l’universalisme ou le relativisme, est insuffisante pour
comprendre l’humanité et les êtres humains que
nous soignons. Il conviendrait d’aller dans le sens du
dialogue entre les cultures, à la place de contribuer
à le détourner.
Dumont, L. (1989). La civilisation indienne et
nous. Madrid, Alianza editorial.
Étudier les soins et l’anthropologie, peut participer,
comme dit Jean-Jacques Rousseau, à «porter sa vue au
loin». Quitter temporairement l’hôpital, peut être salutaire, car au retour d’un voyage, on apprécie son pays
autrement. En conséquence, «En comparant la vision du
monde dans laquelle on a grandit avec n’importe quelle
autre, on se dote d’un potentiel énorme pour une meilleure
compréhension des deux», Horton (1990, p. 74).
Giger, J. & Davidhizar, R. R. (1991) Transcultural
Nursing. St. Louis, C. V. Mosby.
En étant loin de l’hôpital, les conceptions actuelles de
la santé et de la maladie peuvent s’égarer pendant un
certain temps, parce qu’elles sont devenues aujourd’hui, une véritable tour de Babel.
24
Soigner est une pratique culturelle réciproque entre
soignant et soigné, entre soignant et groupe culturel.
Soigner est universel et culturel parce que les soins
sont étroitement liés à l’humanité et à ses différences.
Les soins sont source de vie et requièrent, pour leur
investigation, obligatoirement la rencontre avec un
groupe inconnu du chercheur. Le travail de terrain
devient ainsi comme l’affirme Merleau-Ponty : « une
source de connaissance pour comprendre les manières de
vivre des êtres humains inconnus spontanément philosophique» (1960, p. 138).
Les soins sont un savoir contenu dans les êtres
humains, car ce sont eux qui pensent les soins et les
pratiquent dans leur vie quotidienne. Ce sont les
patients, ou les groupes étudiés, qui nous font découvrir ce qui est inconnu pour nous, même si nous pensons être des experts du soin.
RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007
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RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 90 - SEPTEMBRE 2007
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