Dans L`Humanité : Jacques Bouveresse évoque le pouvoir médiatique

Dans L'Humanité : Jacques Bouveresse évoque le pouvoir médiatique
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Dans L'Humanité : Jacques
Bouveresse évoque le pouvoir
médiatique
- Les journalismes - Leurs critiques et la nôtre - Critiques des médias et des journalismes -
Date de mise en ligne : jeudi 15 janvier 2004
Description :
« Le pouvoir que les médias exercent sur le destin des oeuvres de l'esprit ( ...) m'a toujours semblé inquiétant »
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Dans L'Humanité : Jacques Bouveresse évoque le pouvoir médiatique
Dans une entretien paru dans L'Humanité du 14 janvier 2004 sous le titre « Bouveresse, logique
et politique », Jacques Bouveresse, professeur de philosophie du langage et de la connaissance au
Collège de France, évoque, notamment, la questions des médias. Extraits :
L'Humanité . L'autre versant de votre réflexion [1] peut être compris comme une exploration des dispositifs
symboliques de pouvoir, de la fabrication et du maintien de l'idéologie dominante, en particulier à travers la presse.
Est-ce une démarche qui vous a rapproché de la critique marxiste ?
Jacques Bouveresse. J'ai été depuis le début assez loin de la philosophie marxiste, telle qu'elle se présentait et
qu'elle était enseignée à l'époque, mais je n'ai jamais été aussi loin que certains ont pu le croire de la critique
marxiste, en particulier de la critique sociale d'inspiration marxiste. Vous avez raison de penser que je me suis
toujours intéressé, à ma façon, à l'analyse des dispositifs de pouvoir, notamment (mais pas seulement) de ceux qui
sont en vigueur dans le monde intellectuel, et à la dénonciation des inégalités et des injustices qu'ils engendrent ou
reproduisent. En ce qui concerne la presse, je crois que, loin de corriger celles-ci, elle les aggrave au contraire de
façon systématique. Le pouvoir que les médias exercent sur le destin des oeuvres de l'esprit et dont tout le monde
s'accorde à dire qu'il devient de plus en plus important m'a toujours semblé inquiétant, parce que je le trouvais
beaucoup trop arbitraire et exercé la plupart du temps sans aucune préoccupation réelle pour la justice et l'équité. Je
dois dire que je trouve très préoccupant l'appauvrissement incroyable de l'imagination morale (et sociale) qui a pour
conséquence que des gens qui sont restés avant tout un peu plus sensibles que d'autres aux inégalités et aux
injustices, y compris dans le monde des idées et de la culture, s'entendent répondre aujourd'hui de plus en plus
souvent qu'ils sont simplement des aigris et des jaloux. J'ai trouvé absolument sidérant que ce genre de leçon soit
infligé avec le plus grand sérieux à Bourdieu lui-même au moment de sa mort. Il se peut que tout cela m'ait
rapproché, sinon de la doctrine, du moins de la critique marxiste et, en tout cas, cela ne me gênerait sûrement pas si
c'était le cas. J'ai d'ailleurs le sentiment qu'il suffit aujourd'hui d'être scandalisé par certaines injustices criantes et de
le dire ouvertement pour être considéré déjà, à peu de choses près, comme un marxiste attardé et sectaire (c'est
aussi le genre de chose qui a été reproché à Bourdieu).
(...).
Revenons aux médias et aux intellectuels. Dans vos derniers livres, vous soulignez que beaucoup d'entre eux
n'hésitent pas à promouvoir n'importe quelle imposture, n'importe quel relativisme dès lors qu'ils correspondent à un
marché où les vendre...
Jacques Bouveresse. J'ai été, en effet, comme Bourdieu dans les dernières années, très critique à l'égard des
médias et du comportement des intellectuels médiatiques. Comme dit Bourdieu : "Il y a des notoriétés scientifiques
qui s'acquièrent par les médias et qui peuvent permettre à des gens, qui ne sont pas les meilleurs du point de vue de
l'univers des savants, d'obtenir des avantages compétitifs, comme disent les économistes, des subventions, des
crédits, des honneurs, etc., à la faveur d'un usage habile des médias. " Essayez simplement de penser au poids réel
dont aurait pesé un épisode comme l'apparition de ce qui a été appelé la " nouvelle philosophie " sans le concours
des médias, et sans l'" usage habile " que les intéressés (qui se sont révélés justement des maîtres et même des
virtuoses dans ce domaine) ont été capables d'en faire.
Bourdieu a consacré son dernier cours au Collège de France à la façon dont l'autonomie relative des lieux et des
institutions dans lesquels se construit le savoir authentique pourrait être menacée désormais par l'emprise du
pouvoir économique et celle du pouvoir médiatique. Je pense qu'il a eu raison de soulever ce problème, et cela
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d'autant plus que l'on a tendance à exiger aujourd'hui, au nom de ce qui est supposé être la démocratie, qu'une
valeur et une dignité égales soient accordées à toutes les convictions et à toutes les croyances, y compris les plus
irrationnelles et les plus infondées. Je ne crois pas du tout, pour ma part, que le relativisme épistémologique et moral
soit la seule philosophie compatible avec la démocratie.
L'indépendance à l'égard des pouvoirs économique et politique - telle que Jaurès et ses successeurs l'ont voulue
par exemple pour l'Humanité - vous semble-t-elle une garantie, un objectif encore crédible ?
Jacques Bouveresse. Cette indépendance par rapport au pouvoir économique et politique est sûrement une
condition sine qua non de l'existence d'une presse capable de remplir la tâche pour laquelle elle a été conçue. Toute
la question est de savoir jusqu'à quel point elle est encore possible, et il y a des raisons d'être pessimiste sur ce
point. Mais il y a aussi la question de la dépendance du pouvoir politique lui-même par rapport au pouvoir
médiatique, et celle de savoir si les véritables empires de demain ne sont pas les empires médiatiques. Voir un
homme comme Berlusconi réussir à conquérir le pouvoir politique dans un pays comme l'Italie, c'est sûrement une
chose qui nous concerne bien plus que nous ne le pensons et qui devrait nous faire réfléchir davantage.
(...)
Entretien réalisé par Lucien Degoy et Jérôme-Alexandre Nieslberg
Lire, sur le site de L'Humanité, la totalité de l'entretien (qui ne se limite pas, évidemment, à la question des médias) :
« Bouveresse, logique et politique » (interview qui n'est plus consultable que sur les archives du web - novembre
2013).
[1] La première partie de l'entretien est consacrée à « l'étude et à la popularisation de l'oeuvre de Wittgenstein » (note d'Acrimed).
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