DEMODECIE : TRAITEMENT DES CAS DIFFICILES ET DESESPERES
Lluís Ferrer
Dept. ofClinical Sciences, Cummings School of VeterinaryMedicine, TuftsUniversity,
North Grafton, MA, USA
1. Introduction: traitements classiques
Jusqu’à tout récemment, deux traitements étaient considérés comme les traitements de
référence pour la démodécie généralisée canine (DGC) : bains hebdomadaires d’amitraz
et administration orale de lactones macrocycliques et plus particulièrement l’ivermectine
(Mueller et al, 2011).
L’amitraz dosé de 0.025% à 0.06% administré une fois par semaine s’est révélé efficace
pour traiter la DGC. L’amitraz est une formamidine sélective envers les acariens qui a é
utilisé depuis la fin des années 60 pour contrôler les tiques. L’amitraz n’agit pas
directement au niveau de la conduction nerveuse mais provoque une altération du
comportement de l’acarien. Il interfère avec le système octopaminergique des
arthropodes (ce qui correspond au système adrénergique chez les mammifères) en se liant
au récepteur de l’octopamine, ce qui va entraîner la stimulation des monoamine oxidases
(activité de l’adénylatecyclase) et de la protéine G (Marc et Beugnet, 2012).
Ceci va provoquer la synthèse de cAMP et de cGMP qui ont diverses actions
intracellulaires. Le bain doit être appliqué soigneusement avec une éponge de façon à
saturer la peau. Il faudra ensuite laisser sécher à l’air sans rincer. Il est recommandé de
tondre les chiens à poils longs ou mi-longs. Bien que probablement moins efficace que
l’ivermectine chez les chiens dont la maladie s’est développée à l’âge adulte, l’amitraz
peut être utilisé en toute sécurité chez les chiens porteurs de la mutation homozygote
nt228(del4) du gène ABCB1-ou chez ceux qui développent des effets secondaires
avec l’ivermectine. Le traitement à l’amitraz pose deux problèmes : une application
fastidieuse et des effets secondaires. Parmi les effets secondaires de l’amitraz, on note :
dépression, somnolence, ataxie, polyphagie, polydipsie, vomissements et diarrhée. Parce
que l’amitraz est un agoniste des récepteurs α2-adrenergique, on peut utiliser
l’atipamézole pour traiter des effets secondaires indésirables.
L’ivermectine n’a pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour la démodécie
canine. Néanmoins, une revue basée sur les preuves a conclu que l’administration orale
d’ivermectine à la dose quotidienne de 0.3–0.6 mg⁄ kg pouvait être recommandée pour le
traitement de la DGC. Bien que considéré comme le traitement le plus efficace pour la
démodécie généralisée du chien adulte, l’usage de l’ivermectine est limité par les effets
neurologiques graves observés chez certains patients. Les chiens avec un défaut du gène
ABCB1-1Δ sont extrêmement sensibles à l’ivermectine et peuvent développer une grave
toxicité dès les doses de 100 μg/kg une fois par jour ; d’autres mutations peuvent avoir
des effets similaires. D’autres populations canines (par exemple nouveau-nés, seniors,
chiens recevant un traitement concomitant avec d’autres substrats/inhibiteurs de P-
glycoprotéines - spinosad, antifongiques azolés, érythromycine) sont également sensibles
aux lactones macrocycliques. Il s’agit d’un traitement hors AMM qui doit être administré
sous contrôle vétérinaire et interrompu immédiatement en cas d’apparition de signes
cliniques évocateurs d’une toxicité (hypersalivation, dépression, tremblements, mydriase,
cécité, ataxie). Pour cette raison, chez tous les chiens traités à l’ivermectine, il est
recommandé d’augmenter progressivement les doses de la manière suivante : 0.05 mg⁄ kg
le premier jour, monter à 0.1 mg⁄ kg le deuxième jour, 0.15 mg⁄ kg au jour 3, 0.2 mg⁄ kg
au jour 4 et 0.3 mg⁄ kg au jour 5. Lorsque l’utilisation de doses quotidiennes plus élevées
est nécessaire, il est également recommandé de les faire monter graduellement à raison de
0.1 mg⁄ kg ⁄ jour.
Dans les deux cas, amitraz ou ivermectine, le traitement doit être poursuivi un mois après
avoir obtenu deux raclages cutanés négatifs à un mois d’intervalle.
2. Doramectine sous-cutanée
Selon une récente étude rétrospective (Hutt et al, 2015), la doramectine administrée par
voie sous-cutanée toutes les semaines est un traitement utile et bien toléré pour la
démodécie généralisée chez le chien. Une rémission a été obtenue chez 94.8% des chiens
traités par injections sous-cutanées hebdomadaires de doramectine à la dose de 0.6
mg/kg de poids vif. Les effets secondaires sont rares avec deux cas rapportés (0.5%). La
durée moyenne du traitement était de 7,1 semaines. Ce traitement est prescrit
fréquemment dans de nombreux pays. Malgré la faible incidence d’effets secondaires
indésirables mentionnés dans l’étude, ce traitement comporte un risque de neurotoxicité
similaire à l’ivermectine. Les deux cas rapportés des chiens exposés à la doramectine
donnent une idée des signes cliniques. L’un est un colley qui a reçu 0.2 mg/kg de
doramectine SC et l’autre concerne 2 bergers suisses blancs à qui on a administré 0.7
mg/kg de doramectine SC. Les chiens du deuxième rapport ont été confirmés porteurs du
gène déficient ABCB1, tandis que le colley a été assumé porteur. Les signes cliniques ont
comporté cécité, agitation, dépression du système nerveux central, décubitus latéral,
hypersalivation, tremblements, tachypnée, ataxie, pression de la tête, désorientation,
absence de réponse à la menace et bradycardie.
Ce traitement peut être une bonne alternative pour les chiens à qui il est difficile
d’administrer des médicaments par voie orale. Néanmoins, ce n’est pas une option pour
les chiens sensibles aux lactones macrocycliques (en raison d’un défaut du gène ABCB1
ou pour tout autre motif). L’éprinomectine a probablement un profil similaire à la
doramectine (efficacité et toxicité).
3. L’oxime de milbémycine
L’oxime de milbémycine, médicament au départ mis sur le marché pour la prévention de
la dirofilariose cardiaque, possède dans certains pays une licence pour le traitement de la
démodécie. Son efficacité dans le traitement de la démodécie canine généralisée a été
démontrée à la posologie quotidienne de 1-2 mg/kg PO. La milbémycine est considérée
comme une drogue sûre, même chez les chiens porteurs du gène déficient ABCB1-.
Cependant, deux chiens avec la mutation ont fait l’objet de rapports décrivant des effets
neurologiques indésirables après administration de milbémycine. Néanmoins, la
milbémycine comme seul agent thérapeutique n’est pas disponible dans de nombreux
pays et elle est très chère lors d’un usage prolongé comme c’est souvent le cas pour le
traitement de la démodécie généralisée.
4. Moxidectine topique
Des études récentes ont montré que l’application topique de 2.5% moxidectine10%
imidaclopride était efficace pour traiter la démodécie canine généralisée (Paterson et al,
2014). Bien que l’ivermectine orale se soit montrée plus efficace, l’application
hebdomadaire de moxidectineimidaclopride donne de bons résultats pour le traitement
de la démodécie canine généralisée sans les risques de toxicité associés à l’ivermectine.
Le produit est également sans danger chez les chiens porteurs de la mutation du gène
ABCB1-. Les chiens doivent être traités toutes les semaines et examinés une fois par
mois pour effectuer des raclages cutanés. Comme toujours, le traitement sera poursuivi
un mois après l’obtention de deux raclages cutanés négatifs deux fois de suite. Par la
suite, le produit devra continuer à être appliqué toutes les quatre semaines afin d’éviter
les rechutes (anecdotique).
5. Isoxazolines orales
Les isoxazolines sont des pesticides d’une nouvelle classe chimique introduite dans les
années 2000. Ils sont apparus sur le marché vétérinaire en 2013 avec comme indication la
lutte contre les puces et les tiques chez le chien mais ils se sont révélés efficaces contre
de nombreux autres parasites externes tant en médecine vétérinaire qu’en agriculture.Ils
ont un large spectre insecticide et acaricide. Jusqu’à présent, ils ont été vendus pour être
utilisés sur le chien en prévention et en traitement contre les puces et les tiques. Les
isoxazolines sont des antagonistes non-compétitifs des récepteurs GABA (gamma-amino
butyric acid) ; ils sont beaucoup plus sélectifs des récepteurs GABA des insectes ou des
tiques que de ceux des mammifères. Ils se fixent aux canaux chlore dans les nerfs et les
cellules musculaires, ce qui bloque la transmission des signaux neuronaux. Les parasites
affectés se retrouvent paralysés et meurent. Les isoxazolines jusqu’à présent agréées pour
l’usage vétérinaire (afoxolaner, fluralaner, sarolaner) sont seulement administrables par
voie orale à des chiens (ces molécules ont un mode d’action systémique). Une fois
ingérées, les isoxazolines sont rapidement absorbées dans le sang est distribuées partout
dans le corps de l’hôte, y compris au niveau de la peau. Les parasites hématophages
(essentiellement les puces et les tiques) sont tués en absorbant leur repas de sang. On
suppose que les parasites qui vivent sur la peau (Cheyletiella, Sarcoptes, Demodex) sont
également exposés à la drogue et tués. Les données de sécurité recueillies durant les
études terrain en Europe et aux États-Unis ont montré que ces produits étaient bien
tolérés. Dans l’étude terrain, une légère diarrhée temporaire, des vomissements, une
baisse d’appétit et de la salivation ont été notée sur < 2% des chiens les premiers jours du
traitement.
Des données récentes (Fourie et al, 2015) suggèrent que le fluralaner (et très
probablement l’afoxolaner et le sarolaner) sont efficaces pour le traitement de la
démodécie généralisée. Dans une étude ouverte, les 8 chiens atteints de démodécie
généralisée traités avec une seule dose orale de fluralaner (25 mg/kg) se sont révélés
parasitologiquement négatifs au bout de 56 et 84 jours et 7 sur 8 montraient une repousse
des poils à la fin de l’étude (jour 84). Si les futures études contrôlées en confirment
l’efficacité et la sécurité, ces molécules deviendront sans aucun doute le traitement de
référence pour la DCG. Cependant, comme il n’existe actuellement aucune autre étude
contrôlée ou sur un grand nombre de chiens, cette molécule doit être considérée
uniquement comme une alternative aux autres traitements acaricides à l’efficacité
prouvée (amitraz, moxidectineimidaclopride, ivermectine).
6. Les meilleures options pour les cas difficiles
Les options thérapeutiques les plus adaptées pour les cas de démodécies canines
généralisées suivants seront discutées avec les participants :
A. Berger Shetland, 8 mois, testé positif pour la mutation du gène ABCB1-.
B. Golden retriever,13 ans, sous traitement au phénobarbital (épilepsie) et
gabapentine (douleurs arthrose). Testé négatifpour la mutation du gène
ABCB1-1Δ mais a montré des signes de neurotoxicité lors du traitement à
l’ivermectine par voie orale à la dose quotidienne de 400 μg/kg.
C. Chien de race croisée, 14 ans. Les traitements précédents : moxidectine topique
une fois par semaine et administration orale quotidienne d’ivermectine (400
μg/kg/ q 24 h) ont échoué.
Références choisies
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