12 Au cœur de la Sep La recherche La fatigue, symptôme à part entière de la Sep De nombreuses personnes atteintes de sclérose en plaques ressentent de la fatigue. Un sentiment persistant de lassitude ou de manque d’énergie qui affecte le corps et l’esprit. Près d’un tiers d’entre elles s’accorde même à la désigner comme le symptôme le plus incommodant de la maladie dans leur vie quotidienne. S ensation d’épuisement anormale lors d’activités physiques ou intellectuelles, perte d’énergie ou asthénie au repos… La fatigue associée à la Sep a cela de particulier qu’elle est très différente de la fatigue habituelle que nous connaissons tous (manque de sommeil, effort intense ou prolongé…). Elle peut apparaître de façon soudaine et disparaître aussi vite, sans cause apparente ni corrélation avec l’intensité de l’effort, et nécessite un temps de récupération plus important. Il s’agit d’une fatigue pathologique fluctuante, plus fréquente et plus sévère que la fatigue dite normale. C’est aussi et surtout un symptôme à part entière de la Sep, bien que longtemps méconnu, et l’un des plus fréquemment ressentis par les patients. Elle a également pour particularité d’exacerber les autres manifestations physiques de la maladie (paresthésies, flou visuel, troubles de l’équilibre…). La fatigue ne touche pas tous les patients, sans que l’on sache pourquoi. Mais elle peut entraîner des conséquences multiples dans la vie des personnes concernées. Elle affecte souvent leurs relations sociales au sein du cercle familial, amical ou professionnel. Elle peut également avoir un impact ravageur sur leurs activités quotidiennes et leur bien-être général en altérant leurs capacités fonctionnelles et leur autonomie. Parce qu’elle est un trouble invisible et subjectif, au même titre par exemple que la douleur, la fatigue de la Sep peut être mal perçue, voire incomprise, par l’environnement du patient. Des causes difficiles à identifier Par ailleurs, elle est l’un des symptômes les plus difficiles à évaluer et à traiter pour le corps médical. Car si elle se caracté- SEP n°5 • SupplÉment AU N°654 • JUIN 2007 rise par une dimension à la fois physique (diminution de l’activité et de l’énergie), cognitive (diminution de la concentration, de la mémoire et des fonctions exécutives) et émotionnelle (tristesse, anxiété…), on ignore encore ses causes exactes. Elle peut être liée aux douleurs provoquées par la maladie, aux traitements, au manque de sommeil ou d’efforts, physiques et cognitifs (« mécanisme de déconditionnement à l’effort »), le tout additionné à une fatigue plus ordinaire. La fatigue est aussi réelle que difficile à mesurer. Toutefois, les La fatigue en chiffres efforts physiques importants ou La fréquence de la violents, la chaleur ou le stress fatigue est variable sont considérés comme des et difficile à évaluer. facteurs aggravants. À l’inToutefois : verse, des exercices physiques • les études moindres, la physiothérapie, la montrent qu’environ relaxation, le yoga, mais aussi 70 % des patients le repos, le sommeil et les sont concernés ; bains froids peuvent atténuer • 53 % d’entre eux la sensation de lassitude et la considèrent d’épuisement. comme l’un des Dès lors que la fatigue de la trois symptômes Sep est identifiée, une prise en les plus sévères ; charge médicamenteuse ainsi • 78 % estiment qu’une adaptation du style de qu’elle entraîne vie s’imposent (environnement, une aggravation activités quotidiennes, rythme des autres professionnel…). « Le repos absolu est contre-indiqué : les symptômes. 13 À savoir Les ateliers mis en place par l’APF à destination des personnes atteintes de Sep, “Mieux connaître sa mémoire”, ont, comme leur nom l’indique, l’objectif de permettre aux personnes de mieux comprendre leurs troubles – dont ceux en rapport avec la fatigue – et de s’inspirer des stratégies mises en place par d’autres personnes dans le groupe pour expérimenter d’autres manières de faire. Enfin pouvoir considérer sa mémoire d’une autre façon. patients doivent continuer à faire des efforts mais fractionner leur activité, prendre leur temps et surtout apprendre à s’arrêter avant l’épuisement. Peu à peu, c’est une nouvelle philosophie de vie qu’il leur faut adopter », précise Marc Debouverie 1. Fatigue et rééducation cognitive La fatigue de la Sep est loin d’avoir livré tous ses mystères. Reconnue depuis peu, elle fait aujourd’hui l’objet de nombreuses études et hypothèses. Au cœur de ces discussions : les échelles susceptibles de la quantifier, mais aussi les liens entre elle et les autres symptômes de la maladie (invalidité, forme évolutive, dépression, troubles cognitifs…). Selon Bruno Lenne 2, « l’influence de la fatigue sur l’atteinte cognitive […] est controversée », notamment en raison du caractère complexe, Les types de fatigue rapportés par les patients Sep > La fatigue normale liée à l’exercice physique, comme après une journée de travail. Elle apparaît rapidement et régresse avec le repos et la sieste. > La fatigue épisodique, qui se traduit par une sensation d’épuisement, que l’on retrouve par exemple dans la dépression, accompagnée alors d’autres signes de la lignée dépressive tels que les troubles d’appétit, du sommeil et de l’humeur. > La fatigabilité, une sensation de faiblesse musculaire qui apparaît rapidement chez les patients Sep au cours de l’exercice physique ou intellectuel. > La lassitude idiopathique, où les patients décrivent un décalage important entre l’effort fourni et la sensation de fatigue, de lassitude ou de manque d’énergie. > L’aggravation des autres signes cliniques avec l’exercice (paresthésies, flou visuel, troubles de l’équilibre…), qui correspond à un phénomène d’Uhthoff (décrit initialement pour les signes visuels) ou “Uhthoff like”. multidimensionnel et fluctuant de la fatigue. Les résultats des études menées sur ce sujet se sont jusque-là révélés contradictoires, et la question reste posée. En attendant, plusieurs réseaux Sep proposent depuis peu une rééducation cognitive à des patients présentant des troubles cognitifs, dans le cadre d’une prise en charge neuropsychologique. L’objectif principal, selon France Daniel 3 : « Rééduquer l’attention et la concentration, en partant du principe qu’elles pourront ensuite influer sur les autres troubles. » Dans l’état actuel des connaissances, aucun lien de cause à effet n’a été scientifiquement identifié entre fatigue et troubles cognitifs, ni entre fatigue et rééducation cognitive. Mais cette dernière « joue beaucoup sur le moral des patients. Elle leur apporte des explications, les rassure et les déculpabilise. » Résultat : « L’expérience clinique montre qu’ils sont plus vifs et plus en phase avec le monde qui les entoure. Certaines études ont également montré qu’ils se sentaient moins fatigués. C’est très encourageant. » L’objectif désormais est de « développer ces pratiques tout en multipliant les recherches scientifiques pour évaluer les bénéfices et prouver que ça marche ! » l Texte Lucile Hochdoerffer Photo Getty Images (1) Marc Debouverie est neurologue au CHU de Nancy (Meurthe-et-Moselle) et président du club francophone de la Sep. (2) Bruno Lenne est neuropsychologue au centre hospitalier Saint Philibert de Lomme (Nord). (3) France Daniel est neuropsychologue au Réseau Bas Normand Sclérose en plaques (RBN-Sep). SEP n°5 • SupplÉment AU N°654 • JUIN 2007