Immunologie moléculaire M. Philippe KOURILSKY, membre de l’Institut (Académie des Sciences), professeur L’enseignement de l’année 2000-2001 a été consacré à l’étude de « La présentation de l’antigène et la manière dont les pathogènes tentent de s’y soustraire ». Il s’agit d’un des thèmes centraux de l’immunologie puisqu’il concerne la façon dont les agents infectieux sont perçus par le système immunitaire, et les défenses que ceux-ci ont élaborées pour y échapper. La présentation de l’antigène renvoie, pour les immunologistes, aux étapes initiales des réactions immunitaires. Comment, tout d’abord, les pathogènes : virus, bactéries ou parasites, parviennent-ils à franchir les barrières naturelles de l’organisme (telles que la peau) et quels sont, ensuite, les mécanismes d’alerte qui sont mis en jeu ? La première question a été traitée dans deux dimensions. Il s’agit, en effet, et avant tout, d’un vaste problème d’écologie qui doit être compris en tant que tel. Ce sont bien des équilibres de populations diverses et les déplacements de ces équilibres qui expliquent le plus souvent l’émergence ou la ré-émergence de maladies. On ne peut aujourd’hui comprendre et tenter de contrôler l’apparition de foyers épidémiques sans se situer dans ce contexte. Où se trouvent les réservoirs de ces agents pathogènes ? Dans quelles espèces animales ? Chez des oiseaux qui les transportent ? Chez les humains dont le rythme de déplacement planétaire s’est considérablement accru ? Cette approche écologique implique, bien entendu, des considérations sélectives et évolutives qui sont, aujourd’hui, puissamment éclairées par l’étude des génomes. On voit ainsi que bien souvent une bactérie devient pathogène parce qu’elle occupe une nouvelle niche écologique à la suite d’un transfert horizontal de gènes provenant d’une autre espèce. Enfin, cette même préoccupation écologique imprègne l’analyse des maladies dites « à vecteur ». Elles sont dues à des agents infectieux transportés par des insectes le plus souvent hématophages, notamment des moustiques et des tiques, et à l’intérieur desquels certains pathogènes (comme les plasmodies responsables de la malaria) accomplissent une partie de leur développement. Ces insectes peuvent piquer des animaux aussi bien que les hommes et 282 PHILIPPE KOURILSKY entretenir plusieurs types de réservoirs. Eux-mêmes sont sensibles aux conditions climatiques et à l’environnement créé par les concentrations urbaines, notamment lorsque leurs larves aquatiques se développent dans les eaux dormantes. Les pathologies humaines peuvent avoir des caractéristiques bien différentes selon qu’elles résultent d’un accident infectant ou d’une série de piqûres journalières. On comprend bien que le mode d’infection joue un rôle important dans le développement de la pathologie, et ceci au niveau de la pénétration de l’agent infectieux dans l’organisme et du ou des sites dans lesquels il va se développer. Certains pénètrent par les voies aériennes, d’autres, lors des « repas de sang » des insectes hématophages, d’autres par les muqueuses, sexuelles, pulmonaires ou intestinales. Subséquemment, ils peuvent se développer dans des organismes ` spécialisés comme le foie, ou les poumons, ou envahir le sang, etc. A chaque mode de pénétration et chaque espace de développement correspondent des mécanismes de défense particuliers. De ce fait, on ne peut analyser correctement les réponses immunitaires qu’en ayant une bonne connaissance des mécanismes infectieux qui font encore défaut dans beaucoup de cas. La même remarque vaut pour le développement des médicaments et vaccins que l’ingéniosité humaine s’attache à mettre au point pour aider le système immunitaire. Néanmoins, dans cette diversité considérable de situations, il existe un point commun : nos organismes sont tapissés, aussi bien superficiellement (dans la peau et les muqueuses) que dans les organes profonds, de cellules ayant des caractéristiques semblables qui les rendent capables de capter et de présenter efficacement les antigènes. Ces cellules sont équipées pour ingérer toutes sortes de corpuscules, y compris des agents infectieux ou surtout leurs produits de dégradations grâce aux mécanismes de l’immunité innée. Ces cellules présentatrices « professionnelles », qui comprend le groupe important des cellules dendritiques, ont aussi la capacité de migrer vers les ganglions drainants et celle d’être particulièrement efficaces pour présenter l’antigène à des cellules T naïves qui vont être spécifiquement activées. La présentation de l’antigène est donc un processus central dans le déclenchement des réponses immunitaires spécifiques. Il est axé sur la génération de fragments d’antigènes, le plus souvent sous forme de peptides, et sur leur présentation par les molécules du Complexe Majeur d’Histocompatibilité ou CMH. Celles-ci sont de deux types principaux : les molécules du CMH-I, exprimées à la surface de la plupart des cellules de l’organisme (et pas seulement des cellules présentatrices professionnelles) chargent des peptides provenant en majeure partie de protéines néo-synthétisées ; les molécules du CMH-II, exprimées en particulier par des cellules présentatrices professionnelles, chargent des peptides provenant le plus souvent de protéines ingérées par la cellule. Ainsi, les molécules CMH-I et CMH-II sont préférentiellement rattachées à des circuits de présentation dits endogène ou exogène. Une troisième catégorie, les molécules de CMH-I « nonclassiques » ont des fonctions de présentation, ou de régulation de la présentation, mal connues (présentation de motifs non peptidiques notamment). IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 283 La présentation de l’antigène débute donc par sa dégradation et les circuits de présentation sont en quelque sorte des dérivations de voies cataboliques générales qui en soustraient des produits de dégradation intermédiaires (les peptides) avant qu’ils ne soient totalement réduits à l’état de composants. En ce sens, les molécules de CMH-I et -II protègent les peptides qu’elles chargent de la dégradation totale. Dans la voie de présentation endogène, la dégradation est principalement assurée par les protéasomes. Dans la voie exogène, ce sont des enzymes du type des cathepsines qui en sont les opérateurs principaux. Les protéasomes ont des structures en tonnelet qui résultent de l’assemblage ordonné d’un certain nombre de sous-unités protéiques. On les trouve chez les archebactéries et c’est un protéasome d’archebactérie dont la structure tridimensionnelle a été, pour la première fois, résolue par cristallographie aux rayons X. Ils ont été conservés au cours de l’évolution, où l’on observe une certaine diversification des sous-unités qui, de façon remarquable, respecte la structure du barillet, à l’intérieur duquel la protéine ciblée vers la dégradation (souvent par la greffe d’ubiquitine) et littéralement débobinée, se trouve clivée. Des ajouts sont apparus au cours de l’évolution, notamment des sortes de couvercles qui règlent l’activité des barillets. Très antérieurs à l’apparition du système immunitaire et du CMH, les protéasomes sont à l’évidence des constituants essentiels du système catabolique général qui dégrade les protéines anormales ou mal conformées. Après l’émergence du système immunitaire, est apparue une variante du protéasome, parfois appelée immunoprotéasome, dans laquelle trois des plusieurs dizaines de sous-unités sont remplacées par d’autres dont la synthèse est réglée par l’interféron gamma. L’immunoprotéasome a des propriétés sensiblement différentes de celles du protéasome, sans que leur impact fonctionnel soit pleinement compris. Alors que le protéasome est localisé dans le cytoplasme, les cathepsines et d’autres enzymes protéolytiques sont situés dans le reticulum endoplasmique, et/ou dans l’appareil de Golgi, et/ou dans les vésicules de trafic intracellulaire. L’équipement en cathepsines varie selon les types cellulaires et leur activité est réglée par divers systèmes, relativement bien compris aujourd’hui dans les cellules dendritiques. Conceptuellement, il est important d’intégrer ces dispositifs de dégradation des protéines dans les contrôles de qualité qui opèrent à tous les niveaux de la vie cellulaire : contrôle de la qualité de l’ADN soit résidant dans des cellules à longue durée de vie comme les neurones, soit synthétisé lors de la réplication ; contrôle de la qualité des protéines et de leur conformation (en conjonction avec les chaperonnes qui assistent leur repliement après leur synthèse) ; contrôle de la qualité du transport des protéines vers leur localisation cellulaire appropriée et, notamment, vers la surface. Ce dernier point est important car il s’applique aux molécules du CMH elles-mêmes. La cellule n’acquiert sa perfection relative que grâce à ces contrôles et au prix d’importants déchets. On a mesuré que plus d’un tiers des protéines néosynthétisées terminent dans le protéasome. On notera au passage que plusieurs pathologies et, notamment, des pathologies dégénéra- 284 PHILIPPE KOURILSKY tives du système nerveux central comme la maladie d’Alzheimer et les maladies à prions peuvent être considérées comme liées à la faillite des contrôles de qualité opérant sur les agrégats de protéines « pathogènes » — de la même manière que nombre de pathologies cancéreuses peuvent être interprétées comme résultant de la défaillance des contrôles de qualité de l’ADN. Les molécules du CMH doivent être vues comme des protéines composites. Elles ont en quelque sorte une partie constante (la molécule du CMH en tant que telle) et une partie variable : les peptides qu’elles chargent obéissent en effet à certaines règles et ne sont donc pas aléatoires ; ils sont néanmoins d’une grande diversité. Vides, les molécules du CMH n’ont qu’une existence éphémère. Les molécules de CMH-I sont en général chargées au moment même de leur synthèse. Elles sont assemblées dans le reticulum endoplasmique et puisque les protéasomes sont cytoplasmiques, il existe un système qui transporte les peptides à travers la membrane du reticulum. L’assemblée du complexe tri-partite (chaîne lourde, bêta-2-microglobuline, peptide) est assistée par des chaperonnes et le transport vers la surface exploite le trafic vésiculaire. Les molécules CMH-II sont synthétisées en présence d’une chaîne invariante qui occupe la poche de fixation des peptides jusqu’à ce que les molécules de CMH-II parviennent dans des endosomes plus tardifs où, notamment sous l’effet du pH plus acide, le segment de chaîne invariante est échangé contre un peptide produit généralement par des cathepsines. Des molécules de CMH particulières catalysent la substitution et assurent le contrôle de qualité. Le couplage entre la synthèse des molécules du CMH et leur charge a une conséquence importante. La surface cellulaire — qui va servir d’indicateur aux cellules du système immunitaire, particulièrement pour l’activation des cellules T — reflète pour partie, mais pour partie seulement, l’histoire récente de la cellule. Ainsi, on a quelque temps sous-estimé l’importance de ralentissements, significatifs mais peu spectaculaires, de la synthèse de molécules de CMH-I après certaines infections virales. Une réduction de 10 à 20 % à la surface traduisait en fait une diminution beaucoup plus importante de la présentation des peptides néosynthétisés, dont les peptides viraux eux-mêmes. Ceci constitue un premier exemple du fait que les agents infectieux ont, au cours de l’évolution, acquis la capacité de contourner un certain nombre de défenses immunitaires, et notamment par des dispositifs qui leur permettent d’échapper partiellement à la présentation de l’antigène. Ces dispositifs sont multiples et consistent, pour certains, à utiliser ou introduire des failles dans les contrôles de qualité. La variation antigénique est retrouvée chez les virus comme chez les bactéries et les parasites. Certains virus (de la grippe, du SIDA, de l’hépatite C) ont des génomes éminemment variables — si variables pour les deux derniers qu’il a fallu introduire la notion de quasi-espèce. Des mutants qui échappent aux défenses immunitaires qui se sont développées contre l’agent infectieux initial, émergent de façon aléatoire — en même temps que nombre de variants ineffi- IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 285 caces : tel est le prix à payer pour l’affaiblissement du contrôle de qualité de la réplication qui permet ces émergences. Des bactéries et certains parasites possèdent des systèmes qui ciblent les variations génétiques sur des antigènes de surface cruciaux. Il en résulte un système d’échappement du même ordre, bien étudié chez les plasmodies, le gonocoque et le méningocoque notamment. Beaucoup des stratégies d’échappement repérées à ce jour ciblent des composants des circuits de présentation. Elles ont été particulièrement étudiées chez les virus. Les virus des familles des herpès et des pox qui possèdent des génomes de plus d’une centaine de gènes, offrent une variété impressionnante de systèmes d’interférence que l’on trouve aussi néanmoins chez des virus beaucoup plus petits qui ne comptent qu’une dizaine de gènes comme le virus du papillome, le virus de l’hépatite C ou le VIH. Souvent, la synthèse des molécules CMH-I est ciblée de façon directe (interférence au niveau des facteurs de transcription) ou indirecte (blocage du transport des peptides, interférences avec l’assemblage ou le transport des molécules chargées vers la surface). Le résultat est une baisse de l’activation des cellules tueuses cytolytiques, ainsi qu’une moins bonne reconnaissance, par ces dernières, des cellules non présentatrices infectées que les cellules tueuses devraient détruire. Cette situation est propice au développement d’infections latentes et d’infections chroniques, où les cellules infectées constituent des réservoirs indispensables. Dans d’autres cas, ce sont les molécules de CMH-II, leur synthèse, leur transport, ou leur charge, qui sont la cible des mécanismes d’interférence. Par exemple, le blocage de l’acidification des endosomes tardifs inhibe fortement la charge des molécules de CMH-II occupées par un segment de la chaîne invariante par les peptides antigéniques qui devraient s’y substituer. Il en résulte un blocage de la synthèse des anticorps qui est réglée par des cellules T CD4+ qui reconnaissent des complexes de molécules de CMH-II et de peptides antigéniques. Cette stratégie est utilisée par plusieurs virus mais aussi par nombre de bactéries intracellulaires (bacille tuberculeux notamment qui entrent dans des cellules de l’hôte et les convertissent en niches camouflées au plan immunologique). Quant aux parasites, ils utilisent de multiples systèmes dont la complexité commence seulement à être appréhendée. Au total, le tableau qui se dessine est celui d’une gigantesque expérience de génétique : les points d’interférence repérés grâce aux mécanismes mis à jour chez tel ou tel agent infectieux s’additionnent pour cartographier les étapes qui interviennent dans les schémas généraux de présentation de l’antigène. On peut en déduire qu’un agent infectieux n’est pas pathogène par hasard. C’est bien le fruit d’une sélection qui lui confère ce caractère. Deux mondes, celui des êtres macroscopiques dont font partie les humains, et celui des êtres microscopiques qui incluent les microbes, sont dans un rapport, ici encore, écologique, se développant soi avec soi aux dépens des autres. Pour l’homme, c’est un combat pour la santé qui ne peut avoir de fin. Les séminaires ont été groupés en une série de conférences prononcées au cours d’un colloque intitulé : « Autoimmunity and autoimmune pathological mani- 286 PHILIPPE KOURILSKY festations », tenu à l’Université de Toulouse, à l’invitation du Pr. Philippe Druet, les 19 et 20 avril 2001. Les exposés ont été les suivants : — Jean-François BACH (Hôpital Necker, Paris) : Prevention of autoimmunity by infection. — Michel BRAHIC (Institut Pasteur, Paris) : Theiler’s virus infection and autoimmunity. — Alain CANTAGREL (Hôpital de Rangueil, Toulouse) : Reactive arthritides induced by infections. — Antonio COUTINHO (Institut Gulbenkian, Lisbonne) : Dominant versus recessive tolerance in autoimmunity. — Gilbert FOURNIÉ (U.28 INSERM, Toulouse) : Genetic of auotimmune diseases. — Michel GOLDMAN (Hôpital Érasme, Bruxelles) : Dendritic cells, infection and autoimmunity. — Jean-Charles GUÉRY (U.28 INSERM, Toulouse) : Factors that influence CD4+ T cell differenciation. — Michel KLEIN (Aventis/Pasteur, Lyon) : HIV infection and autoimmunity. — Philippe KOURILSKY (Collège de France, Paris) : Cytokines fields and autoimmunity. — Paul-Henri LAMBERT (Université de Genève, Genève) : Vaccines to prevent autoimmunity. — Roland LIBLAU (Hôpital de la Salpêtrière, Paris) : Pathogenic role of autoreactive CD8+ T cells in organ-specific autoimmune diseases. — Burkhard LUDEWIG (Hôpital Universitaire, Zurich) : Viral-induced experimental auto-immunity (or immunopathology). — Paola MINOPRIO (Institut Pasteur, Paris) : New paradigms for vaccination. — Fiona POWRIE (Hôpital de Radcliffe, Oxford) : T cells in the induction and regulation of inflammatory bowel disease. — Adbelhadi SAOUDI (U.28 INSERM, Toulouse) : CD8+ T cell subsets. — David WRAITH (Université de Bristol, Bristol) : Is molecular mimicry involved in autoimmunity ? ACTIVITÉS DE RECHERCHES Le laboratoire associé à la Chaire d’Immunologie Moléculaire est à la fois l’Unité de Biologie Moléculaire du Gène à l’Institut Pasteur et l’Unité 277 de l’INSERM. Ses travaux sont principalement orientés vers la compréhension des IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 287 premières étapes des réponses immunitaires. Celles-ci impliquent divers types de cellules, au nombre desquels une attention particulière est portée aux cellules T et aux cellules NKT. Après s’être dotée d’une méthodologie puissante pour explorer la diversité des cellules qui possèdent des récepteurs variables, l’unité s’est trouvée en mesure d’explorer le répertoire des cellules T dans des situations variées et, tout d’abord, dans le système immunitaire « au repos », c’est-à-dire en l’absence de toute stimulation délibérée. Il a été montré que, chez la souris, il existe entre un et deux millions de cellules T naïves possédant des récepteurs T distincts, la diversité de la chaîne β étant à elle seule de l’ordre de 5.105. Elle se trouve multipliée par le fait qu’un petit nombre de chaînes α différentes sont associées à la même chaîne β, en liaison probablement avec le processus d’ontogenèse. Il était ensuite possible d’analyser le répertoire T naïf dans des souris mutantes. Il a ainsi été établi que, de façon surprenante, que la diversité des cellules T CD8+ dans des souris dépourvues des antigènes du CMH de type I dits classiques, reste élevée. Il a aussi été possible d’évaluer (dans des souris TdT KO) l’impact de la terminaldéoxynucléotidyl-transférase sur la génération de la diversité à laquelle elle contribue par l’addition aléatoire de nucléotides aux jonctions des segments réarrangés. La connaissance détaillée du répertoire « au repos » permet d’explorer les facteurs qui en modèlent la composition. Ainsi, la flore intestinale est une source potentielle de stimulations antigéniques et pourrait influer sur le répertoire naïf. Toutefois, l’analyse des cellules T CD8+ n’a pu en révéler l’empreinte. Restent les mécanismes de sélection thymique qui, de façon positive et négative, règlent la production, par le thymus, de cellules T compétentes mais naïves. La sélection positive conserve quelques mystères. Dans le cadre d’une collaboration avec un groupe japonais, des souris transgéniques exprimant un seul antigène du CMH-II présentant un seul peptide lié à la molécule, ont été étudiées. Ce travail a permis de montrer qu’un peptide mutant altère la composition du répertoire de cellules T CD4+ qui sont sélectionnées. L’impact d’une multitude de peptides dans le processus normal de la sélection positive n’est pas encore complètement évalué. La sélection négative a, quant à elle, deux conséquences possibles. Elle peut soit éliminer physiquement un certain nombre de cellules T qui reconnaissent les peptides du soi ; soit provoquer l’extinction fonctionnelle de cellules qui sortent vivantes du thymus mais dans un état anergique. Cette question a été étudiée dans un modèle expérimental où l’une des chaînes du récepteur T spécifique de l’antigène mâle (H-Y) est fixée par transgenèse. De la sorte, le répertoire des cellules T se trouve moins diversifié et sa comparaison chez les mâles et les femelles permet d’apprécier le rôle de l’antigène dans la sélection négative. L’emploi de tétramères de molécules de CMH-I complexées au peptide H-Y a permis d’isoler les cellules T spécifiques et de montrer qu’une large fraction est anergique. Il apparaît donc probable que, de façon générale, la sélection négative produit dans la périphérie un nombre significatif de cellules anergiques. Il 288 PHILIPPE KOURILSKY convient maintenant de s’interroger sur leur devenir et leur possible réactivation dans des processus de nature auto-immune. C’est aussi à partir de la connaissance du répertoire au repos que l’on peut suivre de façon précise l’émergence de la réponse T primaire après la première exposition à un antigène. La combinaison de plusieurs méthodes : analyse des réarrangements des chaînes α et β par immunoscopie, emploi des tétramères de molécules de CMH-I complexées à des peptides spécifiques et séquençage pour déterminer les séquences clonotypiques, permet de suivre l’émergence des clones spécifiques qui prolifèrent en réponse à l’immunisation. Ces travaux ont conduit à l’idée que le temps de recirculation des lymphocytes et leur probabilité de rencontre avec l’antigène sont des paramètres critiques pour la composition clonale de la réponse. Des expériences d’immunisation avec deux antigènes ont mis en lumière le caractère aléatoire de l’intensité relative des réponses induites par les deux antigènes. Ces réponses peuvent évoluer au cours de la réponse secondaire produite par une deuxième immunisation. Des expériences in vitro ont, par ailleurs, suggéré que lors de la stimulation, des cellules T CD8+ peuvent se trouver dans un état excité transitoire. La transposition de ces études à l’homme est importante, notamment pour le suivi immunopathologique. La combinaison des méthodes décrites plus haut constitue, en effet, l’une des façons les plus puissantes de suivre les réponses T chez l’homme. L’ensemble est donc en voie d’être organisé au sein d’une station semi-automatisée adaptée au suivi clinique. Des travaux menés en collaboration avec plusieurs groupes ont démontré à la fois la faisabilité et l’utilité de cette approche chez l’homme, notamment dans les réponses au virus Epstein-Barr, ou chez des patients atteints de certaines formes d’immunodéficience d’origine génétique. Les cellules NK.T sont des cellules T « non conventionnelles » qui possèdent, outre certains marqueurs de surface, un récepteur T particulier, en ce qu’il comporte une chaîne α constante. Ce n’est pas toujours le cas, néanmoins, et l’étude détaillée des récepteurs portés par ces cellules a montré l’existence de deux populations, l’une possédant une chaîne α constante, l’autre une chaîne α variable. Ces deux populations co-existent, mais en proportion variable, dans différents organes. Elles sont toutes deux extrêmement diverses. Leur fonction n’est pas encore totalement élucidée. Un travail antérieur avait montré que ces cellules jouent un rôle dans la formation de structures granulomateuses induites, chez la souris, par l’injection d’antigènes non protéïques de mycobactéries. Une étude a donc été entreprise chez l’homme où la comparaison de patients atteints de lèpre ou de sarcoïdose cutanée montre la présence de cellules NK.T porteuses de la chaîne α invariante dans les granulomes de patients atteints de la lèpre. Trois autres programmes importants sont en cours de développement. L’un est centré sur l’immunologie anti-tumorale et s’inscrit dans la continuité d’une abondante série d’études portant sur le rejet immunologique des tumeurs et la vaccination IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 289 thérapeutique. Il est fondé sur un modèle expérimental de mélanome inductible dans des souris transgéniques. Un deuxième axe est l’étude des cellules T mémoire, qui jouent un rôle majeur dans la vaccination préventive ou thérapeutique. Un troisième programme se développe autour des lymphocytes qui œuvrent dans la zone intestinale où — faut-il le rappeler — se trouvent concentrées la moitié des cellules immunitaires de l’organisme. Là se trouvent, en grands nombres, des lymphocytes intra-épithéliaux, alors que d’autres sont localisés dans la lamina propria. L’origine ontogénique de ces lymphocytes, leur recirculation dans l’organisme et leur mode d’action sont loin d’être appréhendés. Il est maintenant capital de progresser dans la connaissance et la compréhension de ces mécanismes périphériques, partiellement spécifiques des organes, et de leurs connections avec l’immunité centrale structurée autour des organes lymphoïdes. P. K. PUBLICATIONS DE L’UNITÉ 2000 APOSTOLOU I., CUMANO A., GACHELIN G. & KOURILSKY P. : Evidence for two subgroups CD4−CD8− NKT cells with distinc TCR alpha,beta repertoires and ifferential distribution in lymphoid tissues. J. Immunol. (2000) 165, 2481-2490. 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