Immunologie moléculaire M. Philippe KOURILSKY, membre de l

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Immunologie moléculaire
M. Philippe KOURILSKY, membre de l’Institut
(Académie des Sciences), professeur
L’enseignement de l’année 2000-2001 a été consacré à l’étude de « La présentation de l’antigène et la manière dont les pathogènes tentent de s’y soustraire ».
Il s’agit d’un des thèmes centraux de l’immunologie puisqu’il concerne la façon
dont les agents infectieux sont perçus par le système immunitaire, et les défenses
que ceux-ci ont élaborées pour y échapper.
La présentation de l’antigène renvoie, pour les immunologistes, aux étapes
initiales des réactions immunitaires. Comment, tout d’abord, les pathogènes :
virus, bactéries ou parasites, parviennent-ils à franchir les barrières naturelles de
l’organisme (telles que la peau) et quels sont, ensuite, les mécanismes d’alerte
qui sont mis en jeu ? La première question a été traitée dans deux dimensions.
Il s’agit, en effet, et avant tout, d’un vaste problème d’écologie qui doit être
compris en tant que tel. Ce sont bien des équilibres de populations diverses et
les déplacements de ces équilibres qui expliquent le plus souvent l’émergence
ou la ré-émergence de maladies. On ne peut aujourd’hui comprendre et tenter
de contrôler l’apparition de foyers épidémiques sans se situer dans ce contexte.
Où se trouvent les réservoirs de ces agents pathogènes ? Dans quelles espèces
animales ? Chez des oiseaux qui les transportent ? Chez les humains dont le
rythme de déplacement planétaire s’est considérablement accru ? Cette approche
écologique implique, bien entendu, des considérations sélectives et évolutives
qui sont, aujourd’hui, puissamment éclairées par l’étude des génomes. On voit
ainsi que bien souvent une bactérie devient pathogène parce qu’elle occupe une
nouvelle niche écologique à la suite d’un transfert horizontal de gènes provenant
d’une autre espèce. Enfin, cette même préoccupation écologique imprègne l’analyse des maladies dites « à vecteur ». Elles sont dues à des agents infectieux
transportés par des insectes le plus souvent hématophages, notamment des moustiques et des tiques, et à l’intérieur desquels certains pathogènes (comme les
plasmodies responsables de la malaria) accomplissent une partie de leur développement. Ces insectes peuvent piquer des animaux aussi bien que les hommes et
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PHILIPPE KOURILSKY
entretenir plusieurs types de réservoirs. Eux-mêmes sont sensibles aux conditions
climatiques et à l’environnement créé par les concentrations urbaines, notamment
lorsque leurs larves aquatiques se développent dans les eaux dormantes. Les
pathologies humaines peuvent avoir des caractéristiques bien différentes selon
qu’elles résultent d’un accident infectant ou d’une série de piqûres journalières.
On comprend bien que le mode d’infection joue un rôle important dans le
développement de la pathologie, et ceci au niveau de la pénétration de l’agent
infectieux dans l’organisme et du ou des sites dans lesquels il va se développer.
Certains pénètrent par les voies aériennes, d’autres, lors des « repas de sang »
des insectes hématophages, d’autres par les muqueuses, sexuelles, pulmonaires
ou intestinales. Subséquemment, ils peuvent se développer dans des organismes
`
spécialisés comme le foie, ou les poumons, ou envahir le sang, etc. A chaque
mode de pénétration et chaque espace de développement correspondent des mécanismes de défense particuliers. De ce fait, on ne peut analyser correctement
les réponses immunitaires qu’en ayant une bonne connaissance des mécanismes
infectieux qui font encore défaut dans beaucoup de cas. La même remarque vaut
pour le développement des médicaments et vaccins que l’ingéniosité humaine
s’attache à mettre au point pour aider le système immunitaire. Néanmoins, dans
cette diversité considérable de situations, il existe un point commun : nos organismes sont tapissés, aussi bien superficiellement (dans la peau et les muqueuses)
que dans les organes profonds, de cellules ayant des caractéristiques semblables
qui les rendent capables de capter et de présenter efficacement les antigènes.
Ces cellules sont équipées pour ingérer toutes sortes de corpuscules, y compris
des agents infectieux ou surtout leurs produits de dégradations grâce aux mécanismes de l’immunité innée. Ces cellules présentatrices « professionnelles », qui
comprend le groupe important des cellules dendritiques, ont aussi la capacité de
migrer vers les ganglions drainants et celle d’être particulièrement efficaces pour
présenter l’antigène à des cellules T naïves qui vont être spécifiquement activées.
La présentation de l’antigène est donc un processus central dans le déclenchement des réponses immunitaires spécifiques. Il est axé sur la génération de
fragments d’antigènes, le plus souvent sous forme de peptides, et sur leur présentation par les molécules du Complexe Majeur d’Histocompatibilité ou CMH.
Celles-ci sont de deux types principaux : les molécules du CMH-I, exprimées à
la surface de la plupart des cellules de l’organisme (et pas seulement des cellules
présentatrices professionnelles) chargent des peptides provenant en majeure partie
de protéines néo-synthétisées ; les molécules du CMH-II, exprimées en particulier
par des cellules présentatrices professionnelles, chargent des peptides provenant
le plus souvent de protéines ingérées par la cellule. Ainsi, les molécules CMH-I
et CMH-II sont préférentiellement rattachées à des circuits de présentation dits
endogène ou exogène. Une troisième catégorie, les molécules de CMH-I « nonclassiques » ont des fonctions de présentation, ou de régulation de la présentation,
mal connues (présentation de motifs non peptidiques notamment).
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La présentation de l’antigène débute donc par sa dégradation et les circuits de
présentation sont en quelque sorte des dérivations de voies cataboliques générales
qui en soustraient des produits de dégradation intermédiaires (les peptides) avant
qu’ils ne soient totalement réduits à l’état de composants. En ce sens, les molécules de CMH-I et -II protègent les peptides qu’elles chargent de la dégradation
totale. Dans la voie de présentation endogène, la dégradation est principalement
assurée par les protéasomes. Dans la voie exogène, ce sont des enzymes du type
des cathepsines qui en sont les opérateurs principaux.
Les protéasomes ont des structures en tonnelet qui résultent de l’assemblage
ordonné d’un certain nombre de sous-unités protéiques. On les trouve chez les
archebactéries et c’est un protéasome d’archebactérie dont la structure tridimensionnelle a été, pour la première fois, résolue par cristallographie aux rayons X.
Ils ont été conservés au cours de l’évolution, où l’on observe une certaine
diversification des sous-unités qui, de façon remarquable, respecte la structure
du barillet, à l’intérieur duquel la protéine ciblée vers la dégradation (souvent
par la greffe d’ubiquitine) et littéralement débobinée, se trouve clivée. Des ajouts
sont apparus au cours de l’évolution, notamment des sortes de couvercles qui
règlent l’activité des barillets. Très antérieurs à l’apparition du système immunitaire et du CMH, les protéasomes sont à l’évidence des constituants essentiels
du système catabolique général qui dégrade les protéines anormales ou mal
conformées. Après l’émergence du système immunitaire, est apparue une variante
du protéasome, parfois appelée immunoprotéasome, dans laquelle trois des plusieurs dizaines de sous-unités sont remplacées par d’autres dont la synthèse est
réglée par l’interféron gamma. L’immunoprotéasome a des propriétés sensiblement différentes de celles du protéasome, sans que leur impact fonctionnel soit
pleinement compris. Alors que le protéasome est localisé dans le cytoplasme, les
cathepsines et d’autres enzymes protéolytiques sont situés dans le reticulum
endoplasmique, et/ou dans l’appareil de Golgi, et/ou dans les vésicules de trafic
intracellulaire. L’équipement en cathepsines varie selon les types cellulaires et
leur activité est réglée par divers systèmes, relativement bien compris aujourd’hui
dans les cellules dendritiques.
Conceptuellement, il est important d’intégrer ces dispositifs de dégradation des
protéines dans les contrôles de qualité qui opèrent à tous les niveaux de la vie
cellulaire : contrôle de la qualité de l’ADN soit résidant dans des cellules à
longue durée de vie comme les neurones, soit synthétisé lors de la réplication ;
contrôle de la qualité des protéines et de leur conformation (en conjonction avec
les chaperonnes qui assistent leur repliement après leur synthèse) ; contrôle de
la qualité du transport des protéines vers leur localisation cellulaire appropriée
et, notamment, vers la surface. Ce dernier point est important car il s’applique
aux molécules du CMH elles-mêmes. La cellule n’acquiert sa perfection relative
que grâce à ces contrôles et au prix d’importants déchets. On a mesuré que plus
d’un tiers des protéines néosynthétisées terminent dans le protéasome. On notera
au passage que plusieurs pathologies et, notamment, des pathologies dégénéra-
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PHILIPPE KOURILSKY
tives du système nerveux central comme la maladie d’Alzheimer et les maladies
à prions peuvent être considérées comme liées à la faillite des contrôles de
qualité opérant sur les agrégats de protéines « pathogènes » — de la même
manière que nombre de pathologies cancéreuses peuvent être interprétées comme
résultant de la défaillance des contrôles de qualité de l’ADN.
Les molécules du CMH doivent être vues comme des protéines composites.
Elles ont en quelque sorte une partie constante (la molécule du CMH en tant
que telle) et une partie variable : les peptides qu’elles chargent obéissent en effet
à certaines règles et ne sont donc pas aléatoires ; ils sont néanmoins d’une grande
diversité. Vides, les molécules du CMH n’ont qu’une existence éphémère. Les
molécules de CMH-I sont en général chargées au moment même de leur synthèse.
Elles sont assemblées dans le reticulum endoplasmique et puisque les protéasomes sont cytoplasmiques, il existe un système qui transporte les peptides à
travers la membrane du reticulum. L’assemblée du complexe tri-partite (chaîne
lourde, bêta-2-microglobuline, peptide) est assistée par des chaperonnes et le
transport vers la surface exploite le trafic vésiculaire. Les molécules CMH-II
sont synthétisées en présence d’une chaîne invariante qui occupe la poche de
fixation des peptides jusqu’à ce que les molécules de CMH-II parviennent dans
des endosomes plus tardifs où, notamment sous l’effet du pH plus acide, le
segment de chaîne invariante est échangé contre un peptide produit généralement
par des cathepsines. Des molécules de CMH particulières catalysent la substitution et assurent le contrôle de qualité. Le couplage entre la synthèse des molécules du CMH et leur charge a une conséquence importante. La surface cellulaire
— qui va servir d’indicateur aux cellules du système immunitaire, particulièrement pour l’activation des cellules T — reflète pour partie, mais pour partie
seulement, l’histoire récente de la cellule. Ainsi, on a quelque temps sous-estimé
l’importance de ralentissements, significatifs mais peu spectaculaires, de la synthèse de molécules de CMH-I après certaines infections virales. Une réduction
de 10 à 20 % à la surface traduisait en fait une diminution beaucoup plus
importante de la présentation des peptides néosynthétisés, dont les peptides viraux
eux-mêmes.
Ceci constitue un premier exemple du fait que les agents infectieux ont, au
cours de l’évolution, acquis la capacité de contourner un certain nombre de
défenses immunitaires, et notamment par des dispositifs qui leur permettent
d’échapper partiellement à la présentation de l’antigène. Ces dispositifs sont
multiples et consistent, pour certains, à utiliser ou introduire des failles dans les
contrôles de qualité.
La variation antigénique est retrouvée chez les virus comme chez les bactéries
et les parasites. Certains virus (de la grippe, du SIDA, de l’hépatite C) ont des
génomes éminemment variables — si variables pour les deux derniers qu’il a
fallu introduire la notion de quasi-espèce. Des mutants qui échappent aux
défenses immunitaires qui se sont développées contre l’agent infectieux initial,
émergent de façon aléatoire — en même temps que nombre de variants ineffi-
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caces : tel est le prix à payer pour l’affaiblissement du contrôle de qualité de la
réplication qui permet ces émergences. Des bactéries et certains parasites possèdent des systèmes qui ciblent les variations génétiques sur des antigènes de
surface cruciaux. Il en résulte un système d’échappement du même ordre, bien
étudié chez les plasmodies, le gonocoque et le méningocoque notamment.
Beaucoup des stratégies d’échappement repérées à ce jour ciblent des composants des circuits de présentation. Elles ont été particulièrement étudiées chez
les virus. Les virus des familles des herpès et des pox qui possèdent des génomes
de plus d’une centaine de gènes, offrent une variété impressionnante de systèmes
d’interférence que l’on trouve aussi néanmoins chez des virus beaucoup plus
petits qui ne comptent qu’une dizaine de gènes comme le virus du papillome,
le virus de l’hépatite C ou le VIH. Souvent, la synthèse des molécules CMH-I
est ciblée de façon directe (interférence au niveau des facteurs de transcription)
ou indirecte (blocage du transport des peptides, interférences avec l’assemblage
ou le transport des molécules chargées vers la surface). Le résultat est une
baisse de l’activation des cellules tueuses cytolytiques, ainsi qu’une moins bonne
reconnaissance, par ces dernières, des cellules non présentatrices infectées que les
cellules tueuses devraient détruire. Cette situation est propice au développement
d’infections latentes et d’infections chroniques, où les cellules infectées constituent des réservoirs indispensables. Dans d’autres cas, ce sont les molécules de
CMH-II, leur synthèse, leur transport, ou leur charge, qui sont la cible des
mécanismes d’interférence. Par exemple, le blocage de l’acidification des endosomes tardifs inhibe fortement la charge des molécules de CMH-II occupées par
un segment de la chaîne invariante par les peptides antigéniques qui devraient
s’y substituer. Il en résulte un blocage de la synthèse des anticorps qui est réglée
par des cellules T CD4+ qui reconnaissent des complexes de molécules de
CMH-II et de peptides antigéniques. Cette stratégie est utilisée par plusieurs
virus mais aussi par nombre de bactéries intracellulaires (bacille tuberculeux
notamment qui entrent dans des cellules de l’hôte et les convertissent en niches
camouflées au plan immunologique). Quant aux parasites, ils utilisent de multiples systèmes dont la complexité commence seulement à être appréhendée.
Au total, le tableau qui se dessine est celui d’une gigantesque expérience de
génétique : les points d’interférence repérés grâce aux mécanismes mis à jour
chez tel ou tel agent infectieux s’additionnent pour cartographier les étapes qui
interviennent dans les schémas généraux de présentation de l’antigène. On peut
en déduire qu’un agent infectieux n’est pas pathogène par hasard. C’est bien le
fruit d’une sélection qui lui confère ce caractère. Deux mondes, celui des êtres
macroscopiques dont font partie les humains, et celui des êtres microscopiques
qui incluent les microbes, sont dans un rapport, ici encore, écologique, se développant soi avec soi aux dépens des autres. Pour l’homme, c’est un combat pour
la santé qui ne peut avoir de fin.
Les séminaires ont été groupés en une série de conférences prononcées au
cours d’un colloque intitulé : « Autoimmunity and autoimmune pathological mani-
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PHILIPPE KOURILSKY
festations », tenu à l’Université de Toulouse, à l’invitation du Pr. Philippe Druet,
les 19 et 20 avril 2001.
Les exposés ont été les suivants :
— Jean-François BACH (Hôpital Necker, Paris) : Prevention of autoimmunity
by infection.
— Michel BRAHIC (Institut Pasteur, Paris) : Theiler’s virus infection and
autoimmunity.
— Alain CANTAGREL (Hôpital de Rangueil, Toulouse) : Reactive arthritides
induced by infections.
— Antonio COUTINHO (Institut Gulbenkian, Lisbonne) : Dominant versus
recessive tolerance in autoimmunity.
— Gilbert FOURNIÉ (U.28 INSERM, Toulouse) : Genetic of auotimmune
diseases.
— Michel GOLDMAN (Hôpital Érasme, Bruxelles) : Dendritic cells, infection
and autoimmunity.
— Jean-Charles GUÉRY (U.28 INSERM, Toulouse) : Factors that influence
CD4+ T cell differenciation.
— Michel KLEIN (Aventis/Pasteur, Lyon) : HIV infection and autoimmunity.
— Philippe KOURILSKY (Collège de France, Paris) : Cytokines fields and
autoimmunity.
— Paul-Henri LAMBERT (Université de Genève, Genève) : Vaccines to prevent autoimmunity.
— Roland LIBLAU (Hôpital de la Salpêtrière, Paris) : Pathogenic role of autoreactive CD8+ T cells in organ-specific autoimmune diseases.
— Burkhard LUDEWIG (Hôpital Universitaire, Zurich) : Viral-induced experimental auto-immunity (or immunopathology).
— Paola MINOPRIO (Institut Pasteur, Paris) : New paradigms for vaccination.
— Fiona POWRIE (Hôpital de Radcliffe, Oxford) : T cells in the induction and
regulation of inflammatory bowel disease.
— Adbelhadi SAOUDI (U.28 INSERM, Toulouse) : CD8+ T cell subsets.
— David WRAITH (Université de Bristol, Bristol) : Is molecular mimicry involved in autoimmunity ?
ACTIVITÉS DE RECHERCHES
Le laboratoire associé à la Chaire d’Immunologie Moléculaire est à la fois
l’Unité de Biologie Moléculaire du Gène à l’Institut Pasteur et l’Unité 277 de
l’INSERM. Ses travaux sont principalement orientés vers la compréhension des
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premières étapes des réponses immunitaires. Celles-ci impliquent divers types de
cellules, au nombre desquels une attention particulière est portée aux cellules T
et aux cellules NKT.
Après s’être dotée d’une méthodologie puissante pour explorer la diversité des
cellules qui possèdent des récepteurs variables, l’unité s’est trouvée en mesure
d’explorer le répertoire des cellules T dans des situations variées et, tout d’abord,
dans le système immunitaire « au repos », c’est-à-dire en l’absence de toute
stimulation délibérée. Il a été montré que, chez la souris, il existe entre un et deux
millions de cellules T naïves possédant des récepteurs T distincts, la diversité de
la chaîne β étant à elle seule de l’ordre de 5.105. Elle se trouve multipliée par
le fait qu’un petit nombre de chaînes α différentes sont associées à la même
chaîne β, en liaison probablement avec le processus d’ontogenèse. Il était ensuite
possible d’analyser le répertoire T naïf dans des souris mutantes. Il a ainsi été
établi que, de façon surprenante, que la diversité des cellules T CD8+ dans des
souris dépourvues des antigènes du CMH de type I dits classiques, reste élevée.
Il a aussi été possible d’évaluer (dans des souris TdT KO) l’impact de la terminaldéoxynucléotidyl-transférase sur la génération de la diversité à laquelle elle
contribue par l’addition aléatoire de nucléotides aux jonctions des segments réarrangés.
La connaissance détaillée du répertoire « au repos » permet d’explorer les
facteurs qui en modèlent la composition. Ainsi, la flore intestinale est une source
potentielle de stimulations antigéniques et pourrait influer sur le répertoire naïf.
Toutefois, l’analyse des cellules T CD8+ n’a pu en révéler l’empreinte. Restent
les mécanismes de sélection thymique qui, de façon positive et négative, règlent
la production, par le thymus, de cellules T compétentes mais naïves. La sélection
positive conserve quelques mystères. Dans le cadre d’une collaboration avec un
groupe japonais, des souris transgéniques exprimant un seul antigène du CMH-II
présentant un seul peptide lié à la molécule, ont été étudiées. Ce travail a permis
de montrer qu’un peptide mutant altère la composition du répertoire de cellules
T CD4+ qui sont sélectionnées. L’impact d’une multitude de peptides dans le
processus normal de la sélection positive n’est pas encore complètement évalué.
La sélection négative a, quant à elle, deux conséquences possibles. Elle peut
soit éliminer physiquement un certain nombre de cellules T qui reconnaissent
les peptides du soi ; soit provoquer l’extinction fonctionnelle de cellules qui
sortent vivantes du thymus mais dans un état anergique. Cette question a été
étudiée dans un modèle expérimental où l’une des chaînes du récepteur T spécifique de l’antigène mâle (H-Y) est fixée par transgenèse. De la sorte, le répertoire
des cellules T se trouve moins diversifié et sa comparaison chez les mâles et les
femelles permet d’apprécier le rôle de l’antigène dans la sélection négative.
L’emploi de tétramères de molécules de CMH-I complexées au peptide H-Y a
permis d’isoler les cellules T spécifiques et de montrer qu’une large fraction est
anergique. Il apparaît donc probable que, de façon générale, la sélection négative
produit dans la périphérie un nombre significatif de cellules anergiques. Il
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PHILIPPE KOURILSKY
convient maintenant de s’interroger sur leur devenir et leur possible réactivation
dans des processus de nature auto-immune.
C’est aussi à partir de la connaissance du répertoire au repos que l’on peut
suivre de façon précise l’émergence de la réponse T primaire après la première
exposition à un antigène. La combinaison de plusieurs méthodes : analyse des
réarrangements des chaînes α et β par immunoscopie, emploi des tétramères de
molécules de CMH-I complexées à des peptides spécifiques et séquençage pour
déterminer les séquences clonotypiques, permet de suivre l’émergence des clones
spécifiques qui prolifèrent en réponse à l’immunisation. Ces travaux ont conduit
à l’idée que le temps de recirculation des lymphocytes et leur probabilité de
rencontre avec l’antigène sont des paramètres critiques pour la composition clonale de la réponse. Des expériences d’immunisation avec deux antigènes ont mis
en lumière le caractère aléatoire de l’intensité relative des réponses induites par
les deux antigènes. Ces réponses peuvent évoluer au cours de la réponse secondaire produite par une deuxième immunisation. Des expériences in vitro ont, par
ailleurs, suggéré que lors de la stimulation, des cellules T CD8+ peuvent se
trouver dans un état excité transitoire.
La transposition de ces études à l’homme est importante, notamment pour
le suivi immunopathologique. La combinaison des méthodes décrites plus haut
constitue, en effet, l’une des façons les plus puissantes de suivre les réponses T
chez l’homme. L’ensemble est donc en voie d’être organisé au sein d’une station
semi-automatisée adaptée au suivi clinique. Des travaux menés en collaboration
avec plusieurs groupes ont démontré à la fois la faisabilité et l’utilité de cette
approche chez l’homme, notamment dans les réponses au virus Epstein-Barr, ou
chez des patients atteints de certaines formes d’immunodéficience d’origine génétique.
Les cellules NK.T sont des cellules T « non conventionnelles » qui possèdent,
outre certains marqueurs de surface, un récepteur T particulier, en ce qu’il
comporte une chaîne α constante. Ce n’est pas toujours le cas, néanmoins, et
l’étude détaillée des récepteurs portés par ces cellules a montré l’existence de
deux populations, l’une possédant une chaîne α constante, l’autre une chaîne α
variable. Ces deux populations co-existent, mais en proportion variable, dans
différents organes. Elles sont toutes deux extrêmement diverses. Leur fonction
n’est pas encore totalement élucidée. Un travail antérieur avait montré que ces
cellules jouent un rôle dans la formation de structures granulomateuses induites,
chez la souris, par l’injection d’antigènes non protéïques de mycobactéries. Une
étude a donc été entreprise chez l’homme où la comparaison de patients atteints
de lèpre ou de sarcoïdose cutanée montre la présence de cellules NK.T porteuses
de la chaîne α invariante dans les granulomes de patients atteints de la lèpre.
Trois autres programmes importants sont en cours de développement. L’un est
centré sur l’immunologie anti-tumorale et s’inscrit dans la continuité d’une abondante série d’études portant sur le rejet immunologique des tumeurs et la vaccination
IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE
289
thérapeutique. Il est fondé sur un modèle expérimental de mélanome inductible
dans des souris transgéniques. Un deuxième axe est l’étude des cellules T
mémoire, qui jouent un rôle majeur dans la vaccination préventive ou thérapeutique. Un troisième programme se développe autour des lymphocytes qui œuvrent
dans la zone intestinale où — faut-il le rappeler — se trouvent concentrées la
moitié des cellules immunitaires de l’organisme. Là se trouvent, en grands
nombres, des lymphocytes intra-épithéliaux, alors que d’autres sont localisés dans
la lamina propria. L’origine ontogénique de ces lymphocytes, leur recirculation
dans l’organisme et leur mode d’action sont loin d’être appréhendés. Il est maintenant capital de progresser dans la connaissance et la compréhension de ces
mécanismes périphériques, partiellement spécifiques des organes, et de leurs
connections avec l’immunité centrale structurée autour des organes lymphoïdes.
P. K.
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CONFÉRENCES
Conférences données, sur invitation, par Philippe Kourilsky :
— Symposium International sur le SIDA, Baltimore (10-11 septembre 2000).
— Colloque « Nouveaux défis en recherche biologique. Mission pastorienne
au 21e siècle » de l’Académie des Sciences, Arc et Senans (12-14 septembre
2000).
— Dublin (Trinity College) (25 septembre 2000).
— Assemblée Nationale (17 janvier 2001).
— Université de Rome (19 janvier 2001).
— Colloque Biovision, Lyon (9 février 2001).
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